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Décisions

TPICE, 4e ch. élargie, 10 juin 1998, n° T-116/95

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Cementir - Cementerie del Tirreno SpA

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lindh

Juges :

MM. García-Valdecasas, Lenaerts, Azizi, Jaeger

Avocats :

Mes Roberti, Tizzano

Comm. CE, du 2 mars 1995

2 mars 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élargie),

Faits à l'origine du recours

1. Le 30 novembre 1994, la Commission a adopté la décision 94-815-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (affaire IV-33.126 et 33.322 - Ciment) (JO L. 343, p. 1, ci-après "décision 94-815"), par laquelle elle a sanctionné un ensemble de producteurs européens de ciment pour violation de cette disposition du traité et leur a infligé des amendes.

2. Dans le cadre de la procédure ayant abouti à l'adoption de cette décision, la Commission avait, le 2 février 1994, demandé à la requérante de lui communiquer son chiffre d'affaires relatif au ciment gris et au clinker pour les années 1992 et 1993.

3. Le 22 février 1994, la requérante avait transmis ces données à la Commission.

4. Le 22 février 1995, elle a adressé un courrier à la Commission, lui indiquant que, à la suite d'une erreur comptable décelée dans le cadre de l'examen de la décision 94-815, les chiffres d'affaires communiqués dans la lettre du 22 février 1994 étaient excessifs, étant donné qu'ils comprenaient également des montants correspondant à des fournitures et à des services entièrement étrangers aux ventes de ciment gris et de clinker. Elle a annexé à son courrier une attestation de la société Arthur Andersen précisant les montants à prendre en considération, à savoir 288 929 millions de LIT pour 1992, au lieu de 323 900 millions de LIT, et 222 161 millions de LIT pour 1993, au lieu de 253 443 millions de LIT. Elle a, par conséquent, demandé à la Commission de réduire le montant de l'amende qu'elle lui avait infligée dans la décision 94-815.

5. Le 2 mars 1995, la Commission a rejeté cette demande, affirmant notamment:

"Il appartient aux entreprises de choisir le système du prix départ usine ou le système du prix rendu destination. Une fois que ce second système a été choisi, il ne semble pas possible d'affirmer que le transport est étranger à la vente du ciment. Le fait que le coût de ce service figure séparément sur la facture s'explique par le régime de contrôle, puis de surveillance, du prix du ciment en Italie.

De même, le fait que, pour les ventes de ciment emballé, le prix des sacs figure séparément sur la facture s'explique également par le régime de contrôle, puis de surveillance, du prix du ciment en Italie."

6. Le 14 mars 1995, la requérante a introduit un recours en annulation de la décision 94-815 (affaire T-87-95). Dans le cadre de ce recours, actuellement pendant, elle demande notamment au Tribunal, d'une part, de constater que la Commission a calculé le montant de l'amende sur la base de chiffres d'affaires inexacts et, d'autre part, de réduire le montant de ladite amende.

7. Par courrier du 13 avril 1995, la requérante a de nouveau demandé à la Commission de modifier la décision 94-815 en réduisant à due concurrence le montant de l'amende qu'elle lui avait infligée.

8. Le 25 avril 1995, la Commission a confirmé le contenu de sa lettre du 2 mars 1995.

Procédure et conclusions des parties

9. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 mai 1995, la requérante a introduit le présent recours.

10. Elle conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision de rejet contenue dans la lettre de la Commission du 2 mars 1995;

- condamner la Commission aux dépens.

11. Par acte déposé le 15 juin 1995, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114 du règlement de procédure, concluant à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable;

- condamner la requérante aux dépens.

12. Le 24 juillet 1995, la requérante a déposé ses observations sur cette exception d'irrecevabilité.

En droit

13. En vertu de l'article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure sur une exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l'espèce, les éléments du dossier permettent de statuer sans qu'il y ait lieu d'ouvrir la procédure orale.

Argumentation des parties

14. La Commission considère que sa lettre du 2 mars 1995 n'est pas un acte attaquable, au sens de l'article 173 du traité, puisqu'elle se contente de confirmer, sur un point précis, la position adoptée dans la décision 94-815. Conformément à la jurisprudence, un acte à caractère purement confirmatif ne créerait pas d'effets juridiques propres dans la mesure où ses effets résultent de l'acte qu'il confirme (arrêts de la Cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-86 et 220-86, Rec. p. 6473, point 16, et du 25 mai 1993, Foyer culturel du Sart-Tilman/Commission, C-199-91, Rec. p. I-2667, point 24). Dans l'hypothèse inverse, il suffirait de provoquer une "décision" de refus de modifier la décision initiale et de l'attaquer dans les deux mois pour remédier à l'expiration du délai d'introduction d'un recours en annulation.

15. Par ailleurs, les moyens avancés par la requérante dans le cadre du présent recours auraient déjà été invoqués dans le cadre de celui dirigé contre la décision 94-815 (affaire T-87-95), de sorte que le présent recours serait également irrecevable pour cause de litispendance.

16. La requérante conteste les deux arguments avancés par la Commission.

17. En premier lieu, la décision du 2 mars 1995 n'aurait pas le caractère d'un acte purement confirmatif, puisqu'elle contiendrait une appréciation motivée de circonstances de fait et de droit nouvelles (arrêts de la Cour du 12 juillet 1973, Tontodonati/Commission, 28-72, Rec. p. 779, et du 6 octobre 1982, Williams/Cour des comptes, 9-81, Rec. p. 3301; arrêt du Tribunal du 3 mars 1994, Cortes Jimenez e.a./Commission, T-82-92, Rec. FP p. II-237). Au demeurant, même si la décision du 2 mars 1995 avait le caractère d'un acte purement confirmatif, le présent recours devrait être déclaré recevable. La requérante se réfère sur ce point à l'arrêt de la Cour du 11 mai 1989, Maurissen et Union syndicale/Cour des comptes (193-87 et 194-87, Rec. p. 1045), selon lequel un recours contre une décision confirmative ne serait irrecevable que si la décision confirmée est devenue définitive à l'égard del'intéressé, faute d'avoir fait l'objet d'un recours contentieux. Dans le cas contraire, la personne intéressée serait en droit d'attaquer soit la décision confirmée, soit la décision confirmative, soit l'une et l'autre décisions. Or, la requérante aurait non seulement attaqué la décision 94-815 dans les délais dans le cadre de l'affaire T-87-95, mais elle aurait également, dans celle-ci, soulevé le problème du caractère erroné du chiffre d'affaires retenu comme base de calcul de l'amende.

18. En second lieu, il n'existerait pas de litispendance entre la présente affaire et l'affaire T-87-95, en l'absence d'identité d'objet des deux recours (arrêts de la Cour du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172-83 et 226-83, Rec. p. 2831, et du 22 septembre 1988, France/Parlement, 358-85 et 51-86, Rec. p. 4821). Tant qu'il n'a pas été définitivement déterminé si les motifs retenus par la Commission pour rejeter la demande de réduction de l'amende peuvent être contrôlés par le Tribunal dans le cadre du recours T-87-95, le recours visant la décision de rejet du 2 mars 1995 ne pourrait être déclaré irrecevable (ordonnance du Tribunal du 6 février 1992, Castelletti e.a./Commission, T-29-91, Rec. p. II-77).

Appréciation du Tribunal

19. Toute lettre d'une institution communautaire envoyée en réponse à une demande formulée par son destinataire ne constitue pas une décision au sens de l'article 173 du traité, ouvrant ainsi au destinataire la voie du recours en annulation (ordonnance de la Cour du 27 janvier 1993, Miethke/Parlement, C-25-92, Rec. p. I-473, point 10). Seules constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation, au sens de l'article 173 du traité, les mesures produisant des effets juridiques obligatoires, de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci(voir, notamment, arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10-92, T-11-92, T-12-92 et T-15-92, Rec. p. II-2667, point 28). En revanche, une décision purement confirmative d'une précédente décision n'est pas un acte attaquable(voir arrêt de la Cour du 11 janvier 1996, Zunis Holding e.a./Commission, C-480-93 P, Rec. p. I-1, point 14), de sorte qu'un recours dirigé contre une telle décision est irrecevable.

20. En l'espèce, la lettre du 2 mars 1995, en ce qu'elle refuse de réduire le montant de l'amende fixée dans la décision 94-815, ne modifie pas la position juridique de la requérante résultant de l'adoption de ladite décision. Elle confirme simplement celle-ci sur un point précis, à savoir le montant de l'amende imposée à la requérante.

21. L'argument de la requérante selon lequel la lettre attaquée contient une décision motivée adoptée à la suite du réexamen d'un point spécifique de la décision 94-815 à la lumière de circonstances de fait et de droit nouvelles ne peut être accueilli. En effet, la lettre n'a fait qu'expliciter les raisons ayant justifié un point précis de la décision en cause. En outre, la requérante ne démontre pas en quoi la soustractionde certains éléments du chiffre d'affaires constituerait une circonstance de fait et de droit nouvelle, alors qu'elle disposait déjà des différents éléments constitutifs de son chiffre d'affaires avant l'adoption de la décision 94-815.

22. Il s'ensuit que la lettre du 2 mars 1995 est une décision purement confirmative de la décision 94-815.

23. S'agissant de l'argument selon lequel la requérante serait recevable à attaquer soit la décision confirmée, soit la décision confirmative, soit l'une et l'autre de ces décisions, force est de constater que, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Maurissen et Union syndicale/Cour des comptes, précité, le requérant avait agi contre la décision confirmative avant l'écoulement du délai de recours à l'encontre de la décision confirmée, tandis que le présent recours a été introduit en dehors de ce délai. Il convient d'ajouter que, dans le même arrêt, la Cour a accepté que le requérant conteste la légalité de la décision confirmée et de la décision confirmative lorsque le délai de recours à l'encontre de la première n'a pas expiré et que le requérant attaque les deux décisions dans le cadre du même recours. Or, en l'espèce, la décision confirmée fait l'objet d'un recours distinct. La requérante ne saurait dès lors tirer argument de l'arrêt Maurissen et Union syndicale/Cour des comptes, précité, pour justifier la recevabilité du présent recours.

24. Dans ces conditions, celui-ci doit être déclaré irrecevable.

25. A titre surabondant, il y a lieu d'observer que, dans le cadre de l'affaire T-87-95, il sera procédé à l'examen du moyen tiré de la prétendue erreur commise par la Commission dans le calcul du montant de l'amende imposée à la requérante par la décision 94-815. Or, dans sa requête, la requérante elle-même a considéré (p. 4) que, dans ces circonstances, "le présent recours perdrait tout objet".

Sur les dépens

26. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

ordonne:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) La partie requérante est condamnée aux dépens.