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Décisions

TPICE, 5e ch., 23 mars 1998, n° T-18/97

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Atlantic Container Line AB

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Azizi

Avocats :

MM. Pheasant, Bromfield, Goodman.

Comm. CE, du 26 nov. 1996

26 novembre 1996

LE PRÉSIDENT DE LA CINQUIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Procédure et arguments des parties

1. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 janvier 1997, Atlantic Container Line AB et quinze autres compagnies de transport maritime de ligne (ci-après "ACL"), parties au Trans-Atlantic Conference Agreement (ci-après "TACA"), ont introduit un recours en annulation contre la décision C(96)3414 final de la Commission du 26 novembre 1996 (ci-après "décision attaquée"), par laquelle la défenderesse a retiré l'immunité en matière d'amendes pouvant résulter de la notification du TACA relativement à l'exercice en commun du pouvoir de fixer les taux concernant les parties terrestres desservies dans la Communauté européenne par des services de transport combiné (ci-après "pouvoir de fixation de taux de transport multimodal en Europe").

2. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 juin 1997, The European Council of Transport Users ASBL (ci-après "ECTU"), association de droit belge, établie à Bruxelles, comprenant le European Shippers'Council (ci-après "ESC"), représentée par M. Mark Clough, solicitor et avocat, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Aloyse May, 31, Grand-rue, a demandé à être admise à intervenir au soutien des conclusions de la défenderesse. L'ECTU expose que l'ESC représente les intérêts de l'industrie européenne des conseils nationaux de chargeurs en matière de trafic de haute mer et de transport de fret et que les chargeurs membres assurent une part majeure des exportations et importations européennes. L'intérêt direct et spécifique de l'ESC résulterait du fait que la décision a été adoptée au terme d'une procédure engagée en partie à la suite de la plainte qu'il avait déposée contre le TACA, que l'ESC a participé à la procédure administrative et que l'ESC a intérêt à ce que la Commission mette fin au plus vite au comportement illicite des requérantes.

3. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 juin 1997, The European Community Shipowners' Association ASBL (ci-après "ECSA"), association de droit belge, établie à Bruxelles, représentée par Mes Denis Waelbroeck et Denis Fosselard, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt, a demandé à intervenir au soutien des conclusions des parties requérantes. L'ECSA expose que ses membres sont les associations nationales d'armateurs des différents États membres de l'Union européenne et de la Norvège et que, dans la présente affaire, elle agit au nom des exploitants de navires de conférence européens, plus particulièrement au nom des membres des différentes conférences maritimes de ligne desservant l'Union européenne et qui, à leur tour, sont membres des associations membres de l'ECSA. L'ECSA soutient qu'elle remplit les quatre conditions posées par la jurisprudence (ordonnances du Tribunal du 8 décembre 1993, Kruidvat/Commission, T-87-92, Rec. p. II-1375, point 14, du 28 mai 1997, Lilly Industries/Commission, T-120-96, non publiée au Recueil, point 24) pour qu'une association puisse être admise à intervenir. En premier lieu, elle représenterait un nombre important d'entreprises actives dans le secteur concerné. En second lieu, la protection des intérêts de ses membres figurerait parmi ses objets statutaires. En troisième lieu, l'affaire soulèverait des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné. En effet, la Commission aurait décidé, dans la décision attaquée, que l'exercice par les membres du TACA du pouvoir de fixation de taux de transport multimodal constitue une infraction manifeste et grave de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE, qui n'est pas susceptible de bénéficier ni de l'exemption par catégorie prévue à l'article 3 du règlement (CEE) n° 4056-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4), ni de l'exemption individuelle de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Or, les nombreux armateurs représentés par l'ECSA seraient membres de conférences maritimes de ligne desservant l'Union européenne qui adoptent des pratiques semblables au pouvoir de taxation de taux de transport multimodal en Europe. En quatrième lieu, les intérêts des membres de l'ECSA pourraient être affectés dans une mesure importante par l'arrêt à intervenir. En effet, la cessation de l'exercice du pouvoir de fixation de taux de transport multimodal en Europe risquerait de causer un préjudice aux exploitants de navires de conférence et à leurs clients, les affréteurs.

4. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 juin 1997, la République française, représentée par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Mme Régine Loosli-Surrans, chargée de mission au sein de cette même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 9, boulevard du Prince-Henri, a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la défenderesse.

5. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juillet 1997, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, a demandé à intervenir au soutien des conclusions des requérantes. Par lettre du 18 août 1997, le Royaume-Uni a retiré sa demande d'intervention.

6. Ces demandes en intervention ont été signifiées par le greffe du Tribunal aux parties requérantes et défenderesse, conformément à l'article 116 du règlement de procédure.

7. Par lettres des 17 et 30 juillet 1997, la défenderesse a fait valoir qu'elle n'avait pas d'observations sur les différentes demandes d'intervention.

8. Par lettre du 25 juillet 1997, les requérantes ont fait savoir qu'elles n'avaient pas d'objection aux demandes d'intervention présentées par la République française, le Royaume-Uni et l'ECSA, mais, en revanche, ont conclu au rejet de la demande d'intervention présentée par l'ECTU, en soutenant que celle-ci n'avait pas justifié de manière suffisante son intérêt direct et actuel à la solution du litige. Les requérantes font valoir, à cet égard, d'une part, que selon la jurisprudence, un plaignant ne saurait avoir un intérêt à l'égard d'une décision de lever l'immunité en matière d'amendes dont jouissent les parties à un accord notifié (ordonnance du Tribunal du 23 janvier 1991, Prodifarma/Commission, T-3-90, Rec. p. II-1, point 43) et, d'autre part, que la constatation par la Commission d'un intérêt suffisant pour justifier l'intervention dans sa procédure administrative ne saurait lier le Tribunal. Elles soulignent encore que les raisons avancées par ECTU ne concernent pas son intérêt à intervenir dans la présente affaire, qui a pour objet une demande d'annulation de la décision attaquée de retrait du bénéfice de l'immunité en matière d'amendes, mais son intérêt à l'égard de l'adoption d'une décision finale au fond visant l'examen de la compatibilité de l'accord notifié avec l'article 85 du traité et interdisant la fixation de tarifs intermodaux. Les requérantes concluent que la demande d'intervention de l'ECTU devrait être rejetée.

9. Dans l'hypothèse où l'intervention de l'ECTU serait admise, les requérantes demandent le traitement confidentiel de certains éléments du dossier vis-à-vis de ECTU.

Appréciation du Tribunal

10. Conformément à l'article 37, premier alinéa, du statut (CE) de la Cour, applicable au Tribunal en vertu de l'article 46, premier alinéa, de celui-ci, ainsi qu'à l'article 115, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les États membres et les institutions de la Communauté peuvent intervenir aux litiges soumis au Tribunal. S'agissant de la demande d'intervention présentée par toute autre personne, il convient de rappeler que le droit d'intervenir est soumis à la condition de justifier d'un intérêt direct et actuel à la solution du litige et non un intérêt par rapport aux moyens soulevés(ordonnances de la Cour du 12 avril 1978, Amylum e.a./Conseil et Commission, 116-77, 124-77 et 143-77, Rec. p. 893, et du 17 juin 1997, NationalPower et PowerGen, C-151-97 P(I) et C-157-97 P(I), Rec. p. I-3491, point 66). Toutefois, la Cour et le Tribunal, interprétant largement le droit d'intervention à l'égard des associations, ont adopté la pratique consistant à admettre l'intervention d'associations représentatives qui ont pour objet la protection de leurs membres dans des affaires soulevant des questions de principe de nature à affecter, dans une mesure importante, les intérêts de ces derniers(ordonnances Kruidvat/Commission, citée au point 3 ci-dessus, point 14, et National Power et PowerGen, citée ci-dessus, ibidem).

11. La demande d'intervention de la République française ayant été présentée en conformité avec les dispositions de l'article 115 du règlement de procédure du Tribunal, il y a lieu d'y faire droit.

12. Sans qu'il soit besoin de trancher la question de la possibilité, pour la Commission, d'adopter, sous le régime du règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application des règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1), une décision retirant le bénéfice de l'immunité en matière d'amendes, il y a lieu d'apprécier si l'ECTU et l'ECSA disposent, en l'espèce, d'un intérêt suffisant au sens de la jurisprudence précitée pour intervenir dans le litige opposant ACL à la Commission.

13. A cet égard, il convient de rappeler qu'une décision de retrait du bénéfice de l'immunité adoptée au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci- après "règlement n° 17"), a pour objet, d'une part, de faire connaître aux entreprises destinataires l'opinion provisoire de la Commission sur la compatibilité des accords notifiés avec l'article 85 du traité, et, d'autre part, de leur retirer le bénéfice de l'immunité en matière d'amendes, et par conséquent, d'ouvrir à la Commission la possibilité d'infliger, le cas échéant, une amende aux entreprises intéressées au cas où elles continuent de mettre en œuvre l'accord notifié.

14. Il en résulte d'abord qu'une telle décision de retrait du bénéfice de l'immunité n'a pas pour effet d'empêcher les parties à l'accord notifié de le mettre en œuvre. Même s'il est concevable que le risque de se voir infliger une amende peut les en dissuader, il n'en demeure pas moins que cet effet éventuel d'ordre purement factuel dépend de la seule volonté des entreprises parties à l'accord. Dès lors, si les tiers par rapport à l'accord notifié, peuvent avoir une préférence pour qu'un semblable effet intervienne ou non en l'espèce, il s'agit cependant d'un intérêt simplement indirect et hypothétique insuffisant pour constater que leurs situations juridiques se trouveraient affectées par la solution du litige opposant les destinataires de la décision de retrait du bénéfice de l'immunité à la Commission.

15. Il a d'ailleurs été jugé que les tiers plaignants, tel l'ECTU, n'ont aucun intérêt légitime à ce que le bénéfice de l'immunité soit retiré aux parties à l'entente(ordonnance Prodifarma/Commission, citée au point 8 ci-dessus, point 43). En effet, à la différence des mesures provisoires que la Commission peut adopter au titre de l'article 3 du règlement n° 17, le retrait de l'immunité en matière d'amendes n'est pas susceptible de bénéficier directement aux tiers plaignants. Il convient de souligner, en outre, qu'une décision de retrait du bénéfice de l'immunité, répondant à des considérations d'opportunité et d'intérêt général, ne tend pas à la protection des intérêts d'un opérateur économique tiers. Les tiers ne sauraient dès lors justifier d'un intérêt suffisant pour intervenir dans le cadre d'un litige portant sur une telle décision de retrait du bénéfice de l'immunité.

16. En outre, une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 constitue le terme d'une procédure spéciale distincte de la procédure au fond visant l'examen de la compatibilité de l'accord notifié avec l'article 85 du traité et dans laquelle les droits procéduraux des tiers plaignants demeurent intacts (arrêt de la Cour du 15 mars 1967, Cimenteries CBR e.a./Commission, 8-66, 9-66, 10-66 et 11-66, Rec. p. 93).

17. Enfin, une telle décision sur le retrait du bénéfice de l'immunité en matière d'amendes n'a aucune incidence sur la validité définitive des accords notifiés et ne saurait donc modifier la situation juridique des demanderesses en intervention ou de ses membres devant les juridictions nationales.

18. Il résulte de la nature spécifique du présent litige, que, même en adoptant l'interprétation large du droit d'intervention en faveur des associations, les arguments présentés par l'ECTU et l'ECSA ne sont pas de nature à justifier leur intervention en l'espèce. En effet, la quatrième condition posée par la jurisprudence pour admettre l'intervention des associations, à savoir que les intérêts des membres de l'association puissent être affectés dans une mesure importante par l'arrêt à intervenir, ne saurait, eu égard à la nature de l'acte attaqué, être remplie.

19. Aucun des arguments avancés par l'ECTU ou par l'ECSA n'est de nature à modifier cette analyse. Il suffit en effet de relever qu'ils se rapportent à la procédure au fond visant à l'examen de la compatibilité de l'accord notifié avec l'article 85 du traité et non pas à la procédure spéciale qui trouve son terme dans la décision de retrait du bénéfice de l'immunité en matière d'amendes, objet du présent recours introduit par ACL.

20. Il résulte de ce qui précède que les demandes d'intervention présentées par ECTU et ECSA doivent être rejetées.

21. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'ACL de traiter confidentiellement certains éléments du dossiers vis-à-vis de l'ECTU.

Sur les dépens

22. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes et la défenderesse n'ayant pas présenté de conclusions à l'égard des dépens exposés respectivement pour la demande en intervention de l'ECTU et de l'ECSA, il convient d'ordonner que chacune des parties supportera ses propres dépens afférents aux demandes d'intervention présentées par l'ECTU et l'ECSA.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA CINQUIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL,

ordonne:

1) Les demandes en intervention présentées par l'ECSA et l'ECTU sont rejetées.

2) l'ECTU et l'ECSA ainsi que les requérantes et la défenderesse supporteront leurs propres dépens afférents aux demandes en intervention présentées par l'ECTU et l'ECSA.

3) La République française est admise à intervenir dans l'affaire T-18-97 à l'appui des conclusions de la partie défenderesse.

4) Une copie de toutes les pièces de procédure sera signifiée, par les soins du greffier, à la partie intervenante.

5) Un délai sera fixé à la partie intervenante pour exposer, par écrit, les moyens à l'appui de ses conclusions.

6) Les dépens afférents à l'intervention de la République française sont réservés.

7) Le Royaume-Uni supportera ses propres dépens.

8) Il n'y a pas lieu de se prononcer sur la demande de traitement confidentiel.