TPICE, 1re ch., 23 janvier 1991, n° T-3/90
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Vereniging Prodifarma
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Nederlandse Associatie van de Farmaceutische Industrie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Juges :
MM. Kirschner, Schintgen, García-Valdecasas, Lenaerts
Avocats :
Mes van Empel, Versteeg, Ter Kuile, Pijnacker Hordijk.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),
Faits, procédure et conclusions
1. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 janvier 1990, l'association de droit néerlandais Prodifarma a introduit un recours au titre de l'article 175, troisième alinéa, du traité, tendant à faire constater que la Commission a violé ledit traité en ne donnant pas suite à la demande de la requérante de faire application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17 "), et de retirer aux parties à l'accord dénommé Omni-Partijen Akkoord (ci-après "accord OPA "), relatif à la distribution des médicaments aux Pays-Bas, le bénéfice de l'immunité en matière d'amendes prévue au paragraphe 5 dudit article.
2. Par mémoire parvenu au greffe du Tribunal le 27 février 1990, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal et a demandé qu'il soit statué sur cette exception sans engager le débat au fond.
3. Le présent litige s'inscrit dans le cadre des efforts menés par les pouvoirs publics néerlandais depuis les années 70 pour maîtriser le coût des médicaments délivrés en dehors des hôpitaux et autres établissements de soins. Il est étroitement lié aux affaires T-113-89, Nefarma/Commission, T-114-89, VNZ/Commission, et T-116-89, Prodifarma/Commission I. En constatant les faits à l'origine du présent recours, le Tribunal a tenu compte, d'office, des éléments de fait contenus dans le dossier de l'affaire connexe T-116-89.
4. L'accord OPA a été conclu le 18 août 1988 entre les organisations représentatives de toutes les parties concernées par la prescription et la fourniture de médicaments aux Pays-Bas, tels que les producteurs et les fournisseurs, les médecins, les pharmaciens et les caisses d'assurance maladie, à l'exception, toutefois, de la requérante. Celle-ci, fondée en 1986 par les entreprises Centrafarm BV, Medicalex BV, BV Pharbita, Pharmon BV, Aeramphic BV, Polyfarma BV, Pharmacis BV, Genfarma BV et BV Lagap BNL, regroupe des entreprises de plus petites dimensions, qui ne font pas partie de l'industrie des médicaments de marque et qui produisent des médicaments génériques, des spécialités pharmaceutiques ou encore se livrent à l'importation parallèle de médicaments génériques.
5. Les parties à l'accord OPA se sont engagées à réduire les prix de vente des produits pharmaceutiques qu'elles pratiquent vis-à-vis des pharmaciens, en vue de contribuer par là aux efforts menés par les pouvoirs publics néerlandais pour maîtriser les coûts de l'approvisionnement en médicaments aux Pays-Bas. La mise en œuvre de cette réduction de prix était subordonnée à diverses modifications préalables de la réglementation nationale fixant le régime des remboursements aux pharmaciens pour la fourniture de médicaments, modifications qui avaient notamment pour objet d'affaiblir les effets de certaines mesures, prévues par cette réglementation, visant à encourager la substitution aux spécialités pharmaceutiques de médicaments génériques ou d'importation parallèle meilleur marché. Parmi ces mesures figurait une prime dite d'incitation permettant aux pharmaciens de conserver 33% de la différence entre le prix, plus élevé, des spécialités pharmaceutiques prescrites et celui des produits de substitution qu'ils délivraient. Selon l'accord OPA, cette prime devait être réduite à 15% de ladite différence. L'accord a été conclu pour une période de deux ans. Le Gouvernement néerlandais, qui ne comptait pas non plus parmi les parties à l'accord, s'est déclaré prêt à procéder aux modifications de la réglementation nationale souhaitées par ces parties. Il était envisagé que ces modifications, à l'instar de la réduction des prix envisagée, entreraient en vigueur le 1er janvier 1989.
6. Deux procédures parallèles concernant l'accord OPA ont alors été entamées devant la Commission. D'une part, la requérante a déposé, le 2 décembre 1988, une plainte visant à ce que la Commission constate, conformément à l'article 3 du règlement n° 17, que l'accord OPA est incompatible avec l'article 85 du traité. D'autre part, l'accord a été notifié à la Commission au nom de toutes les parties signataires le 9 décembre 1988.
7. La première réaction de la Commission à l'accord OPA a été négative. Par lettre datée du 14 décembre 1988, signée par M. Rocca, Directeur à la Direction Générale de la Concurrence, la Commission a informé les parties à l'accord et la requérante de ce que ses services examinaient la possibilité d'entamer une procédure sur la base de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17.
8. A la suite de plusieurs interventions des parties à l'accord et du Gouvernement néerlandais, qui, compte tenu de l'attitude négative de la Commission, avait renoncé à prendre les mesures réglementaires auxquelles la mise en œuvre de l'OPA avait été subordonnée, le nouveau membre de la Commission chargé de la concurrence, Sir Leon Brittan, est revenu sur cette position dans une lettre adressée aux autorités néerlandaises le 6 mars 1989. Selon cette lettre, dans laquelle il n'était plus question de faire application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, l'accord OPA devait satisfaire à deux conditions pour que la Commission envisage de prendre une décision favorable à son égard, à savoir :
- premièrement, que la prime d'incitation pour la fourniture de médicaments meilleur marché soit réduite à 20 %, plutôt qu'à 15 %, de la différence de prix entre lesdits médicaments et les spécialités pharmaceutiques plus chères;
- deuxièmement, que les effets de la réduction de la prime soient évalués, pendant une période d'un an, à l'aide d'un système de contrôle instauré à cet effet.
9. Les parties à l'accord OPA ayant accepté d'adapter celui-ci aux propositions de Sir Leon Brittan et le Gouvernement néerlandais ayant modifié la réglementation nationale en conséquence, le régime prévu par l'accord OPA a été mis en œuvre avec effet au 1er avril 1989. Depuis, les services de la Commission et les autorités néerlandaises ont rassemblé les données statistiques requises dans le cadre du système de contrôle susmentionné.
10. Au mois de mai 1989, plusieurs parties à l'accord OPA ainsi que Prodifarma, requérante dans la présente affaire, ont introduit trois recours en annulation dirigés, notamment, contre la lettre de Sir Leon Brittan du 6 mars 1989, qui ont fait l'objet des affaires T-113-89, T-114-89 et T-116-89. Alors que les parties à l'accord OPA reprochaient à la Commission d'avoir adopté une attitude trop négative à l'égard de leur accord tel qu'il avait été conclu initialement, Prodifarma estimait, quant à elle, que la réaction manifestée par la Commission vis-à-vis de l'accord était trop favorable, eu égard aux effets anticoncurrentiels qui, à son avis, y sont attachés. Ces recours ont été rejetés comme irrecevables par trois arrêts du Tribunal du 13 décembre 1990.
11. Sans attendre qu'une décision ait été rendue sur son recours en annulation, Prodifarma a adressé à la Commission, le 28 septembre 1989, une lettre dans laquelle elle l'a invitée à faire application, dans le délai fixé à l'article 175, deuxième alinéa, du traité, des dispositions de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 à l'égard des parties à l'accord OPA. Selon elle, les chiffres publiés entre-temps par les autorités néerlandaises, concernant le développement du marché des produits pharmaceutiques aux Pays-Bas, font apparaître que les dispositions de l'accord OPA relatives aux réductions de prix n'ont pas reçu d'application, mais que la mise en œuvre de l'accord a eu, en revanche, pour effet d'inverser la tendance à la substitution aux spécialités pharmaceutiques plus chères de produits meilleur marché.
12. Par lettre du 21 novembre 1989, M. J. Mensching, chef de division à la direction générale de la concurrence, a répondu à la requérante qu'une partie plaignante n'a pas le droit de demander à la Commission de retirer aux entreprises ayant notifié un accord l'immunité contre les amendes dont ces entreprises bénéficient au titre de l'article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17. A supposer même que l'existence d'un tel droit doive être reconnue, la Commission ne violerait pas le droit communautaire en s'abstenant de faire application de l'article 15, paragraphe 6, dudit règlement. Il a ajouté que, l'acte sollicité par la requérante ne devant pas être adressé à celle-ci, mais aux parties à l'accord OPA, Prodifarma n'entrait pas dans la catégorie des personnes physiques ou morales pouvant saisir le juge communautaire en vertu de l'article 175, troisième alinéa, du traité et qu'il n'avait été jugé ni nécessaire ni opportun de proposer aux instances compétentes de la Commission d'adopter une quelconque prise de position formelle à la suite de sa demande.
13. C'est dans ces conditions que la requérante a introduit le présent recours en carence, à l'encontre duquel la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mai 1990, l'association Nefarma, partie à l'accord OPA et partie requérante dans l'affaire T-113-89, a demandé à intervenir dans la présente affaire, à l'appui des conclusions de la partie défenderesse. Par ordonnance du 5 juillet 1990, le Tribunal (première chambre) a admis l'intervention. La partie intervenante n'a pas déposé d'observations sur l'exception d'irrecevabilité.
14. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- déclarer le recours irrecevable;
- condamner la requérante aux dépens.
15. Prodifarma conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- examiner dans les plus brefs délais l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission;
- rejeter cette exception d'irrecevabilité;
- faire droit à la demande formulée par Prodifarma dans la requête introductive d'instance;
- condamner la Commission aux dépens.
16. En vertu de l'article 91, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, la suite de la procédure sur l'exception soulevée est orale, sauf décision contraire. Le Tribunal estime qu'en l'espèce il est suffisamment informé par l'examen des pièces du dossier et qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure orale.
Sur la recevabilité
17. A l'appui de son exception, la Commission invoque trois moyens. Elle fait valoir, en premier lieu, qu'elle n'est aucunement tenue de faire application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, en second lieu, qu'une partie plaignante n'a pas le droit d'exiger l'application de ladite disposition et, en troisième lieu, qu'elle a pris position, au sens de l'article 175, deuxième alinéa, du traité, sur l'invitation à agir que la requérante lui a adressée.
18. Avant d'exposer ses arguments relatifs à ces trois moyens, la Commission fait observer que, si une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 est comparable, du fait de son caractère temporaire, à l'adoption de mesures provisoires au titre de l'article 3 dudit règlement, elle s'en distingue toutefois à plusieurs égards. En premier lieu, la Commission relève qu'à la différence d'une mesure provisoire, une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, n'est possible qu'en présence d'un accord notifié. Elle expose, en second lieu, qu'il suffit en principe pour faire application de l'article 15, paragraphe 6, que l'accord notifié apparaisse, à l'issue d'une appréciation provisoire, incompatible avec les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, alors que, pour arrêter des mesures provisoires, il est nécessaire que d'autres conditions soient réunies, notamment que soient établis l'urgence et le risque d'un préjudice irréparable. En troisième lieu, elle fait observer qu'une décision faisant application de l'article 15, paragraphe 6, n'a pour effet que de lever l'immunité en matière d'amendes, tandis que des mesures provisoires comportent généralement une injonction de faire ou de ne pas faire. En quatrième et dernier lieu, elle souligne que la procédure prévue à l'article 15, paragraphe 6, ne concerne que la Commission et les parties notifiantes alors que, dans le cadre de la procédure préalable à l'adoption de mesures provisoires, les tiers qui s'estiment lésés peuvent jouer un rôle important.
19. Quant au premier moyen sur lequel elle fonde son exception d'irrecevabilité, la Commission soutient qu'un recours au titre de l'article 175 du traité ne peut aboutir que si l'institution défenderesse était tenue d'agir en vertu d'une obligation découlant du droit communautaire. Elle affirme que l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 l'a seulement investie d'un pouvoir et qu'il s'ensuit qu'aucune obligation d'agir ne lui incombe en l'espèce. Elle rappelle l'arrêt de la Cour du 18 octobre 1979, GEMA/Commission (125-78, Rec. p. 3173), selon lequel elle n'est pas tenue de constater, à la demande d'un plaignant au sens de l'article 3 du règlement n° 17, l'existence d'une infraction.
20. Par son deuxième moyen, la Commission fait valoir que, l'absence de toute obligation pour elle d'appliquer l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, la partie plaignante n'est pas en droit d'exiger qu'elle fasse application de ces dispositions. Elle fait observer que, si des entreprises ont le droit de demander, selon l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, qu'elle constate des infractions aux articles 85 et 86 du traité, il n'existe, en revanche, aucune disposition permettant aux entreprises plaignantes de lui demander d'infliger une amende (ni, à plus forte raison, de l'y obliger) ni de lever l'immunité prévue à cet égard par l'article 15, paragraphe 5.
21. De l'avis de la Commission, il n'existe aucune raison impérative d'accorder néanmoins cette possibilité aux entreprises plaignantes. Selon elle, la partie plaignante ne peut justifier d'aucun intérêt, si ce n'est d'un "intérêt psychologique indéfinissable", à l'application de l'article 15, paragraphe 6, parce que la levée de l'immunité en matière d'amendes ne modifie pas sa propre position juridique et ne produit d'effets que sur celle des parties notifiantes.
22. La Commission ajoute qu'une décision prise en vertu de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 n'a pas à être adressée au plaignant, de sorte que la dernière condition de l'article 175, troisième alinéa, du traité n'est pas remplie.
23. Elle affirme, en outre, que le droit de recours dont disposent les parties notifiantes contre une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6 (arrêt de la Cour du 15 mars 1967, Cimenteries/Commission, 8-66 à 11-66, Rec. p. 93), n'implique nullement qu'un plaignant puisse également attaquer le refus de la Commission de prendre une telle décision. Elle fait valoir qu'un tel refus ne repose pas sur une appréciation discrétionnaire du cas d'espèce, mais sur l'absence de fondement juridique d'une demande formulée en ce sens par le plaignant. Elle fait observer enfin, sur un plan plus général, que le lien qui a été établi autrefois entre le recours au titre de l'article 173 et le recours au titre de l'article 175 du traité semble avoir été abandonné par la jurisprudence plus récente de la Cour (arrêt du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, 302-87, Rec. p. 5615).
24. Par son troisième et dernier moyen, la Commission fait valoir que la lettre adressée le 21 novembre 1989 à la requérante par M. Mensching, chef de division à la direction générale de la concurrence, constitue une prise de position au sens de l'article 175, deuxième alinéa, du traité qui rend irrecevable le recours en carence.
25. Afin d'établir la recevabilité de son recours, la requérante souligne, dans sa requête, que la décision d'appliquer l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 est une décision attaquable, sur la base de l'article 173 du traité, par les parties auxquelles elle est adressée. Elle relève ensuite qu'une partie plaignante au sens de l'article 3 du règlement n° 17 est recevable en son recours en annulation d'une décision prise par la Commission dans le cadre de la procédure engagée à la suite de sa plainte, et cela indépendamment du contenu de la décision. Elle en déduit que la partie plaignante pourrait se pourvoir contre une éventuelle décision explicite par laquelle la Commission refuserait d'appliquer les dispositions de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17. Elle estime que son analyse est confirmée par les arrêts de la Cour du 15 mars 1967, Cimenteries/Commission (8-66 à 11-66, précité), et du 25 octobre 1977, Metro/Commission (26-76, Rec. p. 1875, 1902). La requérante s'appuie en outre sur l'arrêt de la Cour du 18 novembre 1970, Chevalley/Commission (15-70, Rec. p. 975), pour soutenir qu'un recours peut être exercé non seulement à l'encontre d'une décision de rejet, mais également contre le refus de prendre une décision. Elle en tire comme conséquence qu'une partie plaignante qui a effectivement eu l'occasion de participer à une procédure ouverte par la Commission peut former un recours contre l'omission de celle-ci de prendre, dans le cadre de ladite procédure, une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17.
26. La requérante estime que l'arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil (302-87, précité), ne peut pas être invoqué pour nier que la notion d'acte pouvant donner lieu à un recours est identique dans les articles 173 et 175. Elle déduit de ce parallélisme entre les deux voies de recours qu'un recours au titre de l'article 175 est ouvert non seulement lorsqu'une institution omet de prendre un acte que lui impose le droit communautaire, mais aussi dans le cas où, disposant d'un pouvoir discrétionnaire d'agir, elle abuse en quelque sorte de ce pouvoir en n'agissant pas.
27. Au premier moyen invoqué par la Commission à l'appui de son exception d'irrecevabilité, la requérante oppose que la Commission est bien, en l'espèce, tenue de faire application des dispositions de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 aux parties à l'accord OPA. Elle fait valoir que, dans son ordonnance du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission (792-79 R, Rec. p. 119), la Cour a reconnu à la Commission la compétence d'adopter des mesures provisoires en l'absence de base légale explicite, en s'appuyant sur des considérations générales concernant la responsabilité de la Commission quant au contrôle du respect des règles de concurrence du traité. Selon la requérante, ces considérations doivent à plus forte raison s'appliquer à la question de la mise en œuvre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 dans la mesure où il s'agit d'une compétence expressément prévue.
28. La requérante en déduit que la Commission ne peut pas utiliser à son gré le pouvoir que lui confère l'article 15, paragraphe 6, et qu'elle doit l'utiliser en vue d'assurer une application optimale des règles de concurrence. Elle souligne qu'il découle de l'ordonnance précitée que la Commission doit notamment éviter que sa compétence de décision au titre de l'article 3 du règlement n° 17 "ne finisse par devenir inefficace, ou même illusoire, en raison de l'action de certaines entreprises ".
29. La requérante souligne que l'accord OPA n'a été conclu que pour une durée de deux ans et que cela signifie qu'au moment où la Commission clôturera la procédure par une décision définitive l'accord aura probablement été appliqué pendant la quasi-totalité de la période prévue. La requérante estime que, si les parties à l'accord continuent à bénéficier de l'immunité prévue par l'article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17, elles atteindront parfaitement les buts poursuivis par l'accord. La décision d'interdiction que la Commission pourrait éventuellement leur adresser se réduirait alors à une simple décision de principe, dépourvue du moindre effet réel. Elle ajoute que c'est la Commission elle-même qui, en intercalant dans la procédure une "période d'essai" d'une année et en ajournant l'examen de l'accord à l'expiration de celle-ci, a délibérément rallongé la procédure. La requérante estime que, dans ces conditions, la Commission est tenue de veiller à ce que son propre comportement ne contribue pas à rendre ce contrôle "inefficace ou même illusoire" et doit, en conséquence, soumettre l'ajournement de son examen à la condition que ce soient les parties à l'accord qui aient à supporter le risque de la "période d'essai" en ce qui concerne la menace d'amende.
30. La requérante se réfère également à l'arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française/Commission (100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, 1905 et suiv.), selon lequel la Commission doit également prendre en considération "le contexte dans lequel une infraction se place et veiller au caractère dissuasif de son action ". Elle soutient que le retrait du bénéfice de l'immunité prévue par l'article 15, paragraphe 5, aurait un effet préventif en ce sens qu'il dissuaderait les parties à l'accord de se contenter de faire durer la procédure et les inciterait à collaborer activement à ce que la procédure administrative en cours aboutisse à une décision définitive.
31. Quant au deuxième moyen soulevé par la Commission, la requérante soutient que la Commission méconnaît la position des parties plaignantes dans une procédure telle que la présente en niant leur intérêt à l'application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17. Lorsqu'un accord fait l'objet, d'une part, d'une plainte et, d'autre part, d'une notification, les parties concernées s'opposent, selon la requérante, en tant qu'adversaires dans le cadre de la procédure au cours de laquelle la Commission apprécie l'accord concerné au regard de l'article 85 du traité. Affirmer qu'une telle procédure intéresse uniquement les parties à l'accord revient, selon la requérante, à méconnaître très gravement les faits. La requérante estime avoir un intérêt direct évident au déroulement et à la clôture de cette procédure. Elle fait valoir que les arrêts du 25 octobre 1977, Metro (26-76, précité), et du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission (210-81, Rec. p. 3045), ont reconnu aux particuliers un intérêt, qui doit être protégé légalement, à l'application correcte des règles de concurrence lorsque leurs intérêts sont affectés par un accord faisant, dans le cas d'espèce, l'objet d'une appréciation au regard de ces règles. Quant à la question spécifique de l'application de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, elle soutient que son intérêt résulte de ce que l'immunité en matière d'amendes conférée par l'article 15, paragraphe 5, crée une inégalité entre les parties au "litige", inégalité qui disparaît lorsque l'immunité est levée.
32. Enfin, la requérante fait valoir que la décision qu'elle demande l'affecterait directement et individuellement et qu'elle doit, dès lors, être considérée à son égard comme un acte au sens de l'article 175, troisième alinéa, du traité.
33. En ce qui concerne le troisième moyen invoqué par la Commission, la requérante fait observer que seule une prise de position imputable à l'institution est susceptible d'éliminer la carence de celle-ci. Elle estime que cette condition n'est pas remplie par la lettre du 21 novembre 1989 qui n'a été signée ni par un directeur, ni par un directeur général, ni par le membre de la Commission responsable.
34. Eu égard à ces éléments de fait et de droit, le Tribunal estime qu'il convient d'examiner en premier lieu le deuxième moyen d'irrecevabilité soulevé par la Commission.
35. A ce sujet, il y a lieu de relever que, selon l'article 175, troisième alinéa, du traité, toute personne physique ou morale peut saisir le juge communautaire, dans les conditions indiquées au même article, pour faire grief à l'une des institutions "d'avoir manqué de lui adresser un acte autre qu'une recommandation ou un avis ". Il découle des termes de cette disposition que, pour être recevable dans son recours en carence, une personne physique ou morale doit établir qu'elle se trouve exactement dans la situation juridique du destinataire potentiel d'un acte juridique que la Commission serait obligée de prendre à son égard(voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 10 juin 1982, Lord Bethell/Commission, 246-81, Rec. p. 2277, 2291, et les ordonnances de la Cour du 30 mars 1990, Emrich/Commission, points 5 et 6, C-371-89, Rec. p. I-1555, et du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission, points 10 à 12, C-72-90, Rec. p. I-2181).
36. Il y a lieu de relever ensuite que la requérante sollicite une décision de la Commission au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17, selon lequel les dispositions du paragraphe 5 du même article, garantissant une immunité en matière d'amendes aux parties ayant notifié un accord, "ne sont pas applicables, dès lors que la Commission a fait savoir aux entreprises intéressées qu'après examen provisoire elle estime que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, sont remplies et qu'une application de l'article 85, paragraphe 3, n'est pas justifiée ". Il ressort des termes de cette disposition que la décision qu'elle habilite la Commission à prendre doit nécessairement être adressée aux parties à l'accord notifié. En revanche, cette même disposition ne prévoit pas que les tiers ayant porté plainte contre l'accord conformément à l'article 3 du règlement n° 17 en soient également destinataires.
37. La décision sollicitée par l'association requérante ne devrait donc pas lui être adressée, pas plus qu'elle ne devrait l'être aux entreprises qui en sont membres. Dans ces circonstances, ni la requérante ni ses membres ne comptent parmi les personnes physiques et morales qui, selon les termes mêmes de l'article 175, troisième alinéa, du traité, pourraient introduire un recours en carence.
38. Bien que cette constatation suffise à établir l'irrecevabilité du présent recours, le Tribunal estime qu'il convient d'examiner, à titre surabondant et subsidiaire, la thèse de la requérante selon laquelle elle serait directement et individuellement concernée par la décision qu'elle demande et qu'elle devrait, dès lors, être assimilée, aux fins de l'article 175, troisième alinéa, du traité, à un destinataire potentiel de cette décision.
39. A supposer même que l'existence d'un parallélisme entre le recours en annulation au titre de l'article 173 et le recours en carence au titre de l'article 175 du traité, tel que l'a invoqué la requérante, puisse être reconnue et à supposer encore que la protection juridictionnelle des particuliers exige une interprétation extensive de l'article 175, troisième alinéa, en ce sens qu'une personne physique ou morale pourrait reprocher à une institution d'avoir manqué d'adopter un acte dont elle ne serait pas destinataire, mais qui la concernerait directement et individuellement s'il était adopté (voir en ce sens, par exemple, l'arrêt de la Cour du 14 février 1989, Star Fruit Company/Commission, 247-87, Rec. p. 291, 301, et notamment les conclusions de l'avocat général M. Lenz dans cette affaire, Rec. p. 294, 296), le présent recours ne saurait être considéré comme recevable que dans l'hypothèse où une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 affecterait directement et individuellement la requérante en produisant des effets juridiques à son égard. Il convient, dès lors, d'examiner les effets juridiques que produirait la décision demandée par la requérante sur le plan du droit de la concurrence et sur celui du droit procédural.
40. Il convient de constater, liminairement, qu'une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 n'a aucune incidence sur la validité de l'accord en cours d'examen au regard de l'article 85, paragraphe 2, du traité. Elle n'affecterait donc pas la position de la requérante ou de ses membres devant les juridictions nationales.
41. Pour les parties à une entente, la décision de retirer l'immunité produit des effets juridiques à deux égards. D'une part, elle ouvre la possibilité de leur infliger une amende si elles continuent de mettre en œuvre leur accord. D'autre part, elle écarte la bonne foi des entreprises quant à la compatibilité dudit accord avec l'article 85 du traité, de sorte qu'elles ne sauraient guère contester, à l'avenir, que leur infraction à l'article 85, paragraphe 1, a été commise de propos délibéré ou, à tout le moins, par négligence. Par conséquent, ce ne serait donc pas seulement en apparence que la décision demandée par la requérante serait adressée aux parties qui ont notifié l'accord. Au contraire, une telle décision, si elle était adoptée, affecterait réellement la situation juridique des parties à l'accord.
42. En revanche, la décision de retirer l'immunité n'a pas pour effet d'empêcher les parties de mettre en œuvre leur entente. Il est vrai que le risque de se voir infliger une amende peut les en dissuader, mais cet effet éventuel d'une telle décision est d'ordre purement factuel et dépend, en outre, de la volonté des entreprises concernées. Certes, on ne saurait nier que la requérante Prodifarma et ses membres, qui s'estiment lésés par le comportement des parties à l'accord OPA, ont un intérêt à ce qu'un semblable effet intervienne en l'espèce. Il s'agit cependant là d'un intérêt indirect, insuffisant pour permettre de constater que leur situation juridique se trouverait affectée par la décision sollicitée(voir l'arrêt du 10 juin 1982, Lord Bethell, 246-81, précité).
43. Il y a lieu de constater ensuite que la requérante ne saurait avoir droit à ce que la Commission lève l'immunité en matière d'amendes dont jouissent les parties à l'accord OPA. En effet, le règlement n° 17 ne prévoit pas que les tiers plaignants puissent demander à la Commission d'exercer le pouvoir qu'elle détient en vertu de l'article 15, paragraphe 6, dudit règlement. Cela tient au fait, ainsi que la Commission l'a souligné à juste titre, qu'ils n'ont aucun intérêt légitime à ce que le bénéfice de cette immunité soit retiré aux parties à l'entente. En effet, à la différence des mesures provisoires que la Commission peut adopter au titre de l'article 3 du règlement n° 17, le retrait de l'immunité n'est pas susceptible de bénéficier directement aux tiers plaignants. Au surplus, une telle décision doit obéir à des considérations d'opportunité qui exigent que la Commission dispose d'une grande liberté d'action. Une telle liberté est incompatible avec la possibilité que des tiers puissent la contraindre à lever l'immunité ou à se prononcer sur leur demande à cet effet.
44. Il convient d'ajouter qu'une décision au titre de l'article 15, paragraphe 6, du règlement n° 17 ne saurait pas non plus modifier la situation juridique de la requérante sur le plan procédural. Une telle décision constitue, en effet, le terme ultime d'une procédure spéciale, distincte de celle visant à l'examen de la plainte déposée par la requérante(voir l'arrêt de la Cour du 15 mars 1967, Cimenteries/Commission, 8-66 à 11-66, précité, p. 118), dans laquelle les droits procéduraux de cette dernière demeurent intacts. Ladite procédure spéciale ne concerne que les parties à l'entente. Les intérêts indirects de la requérante (voir ci-dessus, point 42) ne sont pas suffisants pour lui conférer un droit d'être entendue, en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du règlement n° 17, dans le cadre de cette procédure spéciale. La requérante, en tant que tiers plaignant, y est étrangère et ne jouit donc d'aucun droit procédural susceptible d'être affecté par la décision prise à l'issue de cette procédure.
45. Il s'ensuit que la requérante sollicite, sans qu'aucune disposition ne lui en ouvre le droit, l'adoption d'un acte qui ne la concernerait pas directement et individuellement au sens de l'article 173, deuxième alinéa, du traité. Par conséquent, son recours ne peut qu'être déclaré irrecevable même dans l'hypothèse où la thèse qu'elle a développée quant à l'existence d'un parallélisme entre les voies de recours des articles 173 et 175 pourrait être accueillie.
46. Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'il y a lieu de rejeter le présent recours comme irrecevable sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens soulevés par la Commission.
Sur les dépens
47. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la Commission et de la condamner aux dépens. N'ayant pas conclu sur ce point, la partie intervenante supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre),
ordonne :
1°) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2°) La partie requérante est condamnée aux dépens, à l'exception des dépens exposés par la partie intervenante, qui seront supportés par celle-ci.
Fait à Luxembourg, le 23 janvier 1991.