TPICE, 2e ch. élargie, 12 décembre 1996, n° T-16/91 RV
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rendo NV, Centraal Overijsselse Nutsbedrijven NV, Regionaal Energiebedrijf Salland NV
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Samenwerkende Elektriciteits-produktiebedrijven NV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kirschner
Juges :
MM. Vesterdorf, Bellamy, Kalogeropoulos, Potocki
Avocats :
Mes Ottervanger, van Empel, Brouwer.
LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),
1 Le présent arrêt est rendu après renvoi de l'affaire par arrêt de la Cour du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission (C-19-93 P, Rec. p. I-3319, ci-après "arrêt sur pourvoi"), à la suite d'un pourvoi formé par les parties requérantes contre l'arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission (T-16-91, Rec. p. II-2417, ci-après "arrêt du 18 novembre 1992").
Les faits à l'origine du recours et la procédure antérieure
2 Les antécédents du litige et le déroulement des étapes antérieures de la procédure sont exposés dans les arrêts précités, auxquels il est renvoyé.
3 Les requérantes sont des sociétés locales de distribution d'électricité aux Pays-Bas. En mai 1988, elles ont saisi la Commission d'une plainte au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), dirigée, notamment, contre Samenwerkende Elektriciteits-produktiebedrijven NV (ci-après "SEP"), partie intervenante dans la présente procédure. Elles alléguaient différentes infractions aux articles 85 et 86 du traité commises par la SEP et les sociétés productrices d'électricité aux Pays-Bas.
4 A la suite de cette plainte, la Commission a adopté la décision 91-50-CEE, du 16 janvier 1991, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE [IV-32.732 - IJsselcentrale (IJC) et autres] ( JO L 28, p. 32, ci-après "décision" ou "décision 91-50"), attaquée dans la présente affaire. Cette décision concerne un accord de coopération (Overeenkomst van Samenwerking, ci-après "OVS") conclu en 1986 entre les sociétés de production d'électricité, d'une part, et la SEP, d'autre part. Cet accord, qui n'a pas été notifié à la Commission, réserve à la seule SEP l'importation et l'exportation d'électricité et impose à ses participants de stipuler, dans les contrats de fourniture qu'ils passent avec les entreprises distributrices d'énergie électrique, que ces dernières s'abstiendront de se livrer à l'importation ou à l'exportation d'électricité (article 21 de l'OVS). C'est cette disposition qui fait l'objet de la décision et du présent litige.
5 Alors que la législation néerlandaise en vigueur à l'époque à laquelle l'OVS a été conclu n'interdisait pas aux entreprises autres que les fournisseurs d'importer elles-mêmes de l'électricité, cette situation a été modifiée par une nouvelle loi néerlandaise sur l'électricité (Elektriciteitswet 1989). L'article 34 de cette loi, entré en vigueur le 1er juillet 1990, interdit aux sociétés de distribution d'importer de l'électricité destinée à la distribution publique.
6 La plainte des requérantes était dirigée, entre autres, contre l'interdiction d'importation figurant tant dans la convention générale SEP de 1971 (article 2) que dans l'article 21 de l'OVS de 1986.
7 Dans la décision, la Commission a constaté, dans un premier temps, que l'interdiction d'importer et d'exporter de l'électricité prévue par l'article 21 de l'OVS était une restriction à la concurrence susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre États membres (points 21 à 32 de la décision). Elle a ajouté que le maintien de cet article en liaison avec le régime instauré par la nouvelle loi sur l'électricité constitue toujours une infraction à l'article 85 (point 38 de la décision).
8 Ensuite, elle a procédé à l'examen de l'article 90, paragraphe 2, du traité. A cet effet, elle a distingué l'interdiction d'importer et d'exporter prévue par l'OVS dans le cadre de l'approvisionnement public de celle prévue en dehors de ce cadre. Elle a constaté que cette dernière interdiction constituait une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité et que l'article 90, paragraphe 2, du traité ne s'opposait pas, en l'espèce, à l'application de l'article 85, paragraphe 1. Elle a donc obligé les entreprises parties à l'accord OVS à mettre fin à cette infraction. Cet aspect de la décision n'a pas été attaqué.
9 Pour ce qui était, en revanche, des importations destinées à la distribution publique, la Commission a pris position au point 50 de la décision, dans les termes suivants: "L'interdiction faite aux sociétés de production et de distribution d'importer pour l'approvisionnement public sans passer par la SEP est à présent fixée à l'article 34 de la loi sur l'électricité de 1989. Dans le cadre de la présente procédure engagée conformément au règlement n° 17, la Commission s'abstiendra de se prononcer sur la question de savoir si cette restriction à l'importation se justifie au regard de l'article 90, paragraphe 2, du traité, car ce faisant elle préjugerait la question de la compatibilité de la nouvelle loi avec le traité CEE, ce qui n'est pas l'objet de la présente procédure."
10 Pour la même raison, la Commission a déclaré qu'elle ne pouvait pas se prononcer sur l'interdiction d'exporter faite aux sociétés de production dans le domaine de l'approvisionnement public.
11 Dans le dispositif de la décision, la Commission ne s'est pas prononcée sur les restrictions à l'importation et à l'exportation dans le cadre de l'approvisionnement public en électricité.
12 Le recours des requérantes a été introduit auprès du Tribunal le 14 mars 1991. Par ordonnance du 2 octobre 1991, la SEP a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la partie défenderesse.
13 Les requérantes ont conclu à ce qu'il plût au Tribunal:
- annuler la décision, uniquement dans la mesure où la Commission ne s'est pas prononcée sur l'application de l'article 21 de l'OVS aux importations et aux exportations effectuées par des sociétés de distribution, parmi lesquelles les requérantes, dans le domaine de l'approvisionnement public;
- ordonner à la Commission, d'une part, de déclarer encore à ce stade, par voie de décision, conformément à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, que l'article 21 de l'accord visé à l'article 1er de la décision 91-50, tel qu'appliqué en liaison avec le contrôle et l'influence de fait exercés sur les livraisons internationales d'électricité, constitue aussi une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité, dans la mesure où ledit article 21 a pour objet ou pour effet d'entraver les importations et les exportations effectuées par des sociétés de distribution dans le domaine de l'approvisionnement public, et, d'autre part, d'obliger les sociétés énumérées à l'article 3 de la décision à mettre fin aux infractions constatées;
- tout au moins, prendre toutes mesures qu'il jugera utiles pour une bonne administration de la justice;
- condamner la Commission aux dépens.
14 La Commission a conclu à ce qu'il plût au Tribunal:
- rejeter le recours,
- condamner solidairement les requérantes aux dépens de l'instance.
15 La partie intervenante a conclu à ce qu'il plût au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérantes aux dépens, y compris les dépens de la partie intervenante.
16 Par son arrêt du 18 novembre 1992, le Tribunal a rejeté le recours. Il a fait une distinction, à cet égard, entre l'abstention de se prononcer, d'une part, sur l'interdiction faite aux sociétés de distribution d'importer de l'électricité et, d'autre part, sur l'interdiction concernant les exportations.
17 Quant aux exportations, le Tribunal a considéré que le recours était irrecevable.
18 Quant aux importations, le Tribunal a distingué la période antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'électricité de la période postérieure. Considérant que la Commission n'avait pas adopté de décision à l'égard de la plainte des requérantes pour autant que celle-ci visait la première de ces périodes, il a rejeté le recours comme irrecevable à cet égard. Pour la période postérieure, il a rejeté le recours comme non fondé.
19 Alors que l'affaire T-16-91 était pendante devant le Tribunal, M. R., directeur à la Commission, a envoyé aux avocats des requérantes une lettre datée du 20 novembre 1991.
20 Dans cette lettre, il faisait savoir qu'il ne pouvait "être donné suite à ce jour à votre plainte" et ajoutait: "En ce qui concerne l'interdiction faite aux sociétés de distribution d'électricité d'importer et d'exporter pour l'approvisionnement public, il est précisé dans la décision susmentionnée que, dans le cadre de la présente procédure engagée conformément au règlement n° 17, la Commission s'abstient de se prononcer (voir points 50 et 51), notamment parce que, au moment où la décision a été prise, la loi néerlandaise sur l'électricité de 1989 était entrée en vigueur. L'importance de la plainte était appréciée par rapport à l'avenir, de telle sorte que, pour l'apprécier en ce qui concerne les interdictions d'importer et d'exporter pour l'approvisionnement public, il était inévitable d'évaluer également ladite loi. Entre-temps, la Commission a ouvert le 20 mars 1991 [COM(91) PV 1052] une autre procédure ayant notamment pour objet d'examiner dans le cadre de l'article 37 la loi néerlandaise sur l'électricité de 1989. [...] Autrement dit, le contenu de la décision 91-50-CEE pourrait être interprété comme un rejet partiel (implicite) de votre plainte, mais uniquement dans la mesure où celle-ci concernait la période précédant la loi de 1989 sur l'électricité et où elle visait à déclarer incompatibles avec l'article 85 les restrictions découlant de l'article 21 de l'accord de coopération entravant l'importation d'électricité pour l'approvisionnement public par les sociétés de distribution."
21 Le recours en annulation dirigé, par les requérantes, contre cette lettre a été rejeté comme irrecevable par une ordonnance du 29 mars 1993, Rendo e.a./Commission (T-2-92, non publiée au Recueil), qui a acquis force de chose jugée.
22 Les requérantes ont formé devant la Cour un pourvoi contre l'arrêt du 18 novembre 1992. La procédure de pourvoi a été suspendue, sur demande des requérantes, afin de permettre à la Cour d'examiner les conséquences à tirer de l'arrêt rendu, le 27 avril 1994, Almelo e.a. (C-393-92, Rec. p. I-1477), à la suite d'un renvoi préjudiciel opéré par le Gerechtshof te Arnhem (Pays-Bas) dans le cadre d'un litige relevant du même contexte factuel que la présente affaire et concernant, notamment, l'interprétation des dispositions des articles 85 et 86 du traité relativement à l'interdiction "d'importer de l'énergie électrique destinée à la distribution publique, contenue, de 1985 à 1988 inclus, dans les conditions générales d'une société de distribution régionale d'électricité, éventuellement combinée avec une interdiction d'importer contenue dans un accord entre les entreprises productrices d'électricité dans l'État membre concerné".
23 Dans son arrêt sur pourvoi, la Cour a annulé l'arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, en ce qu'il a été jugé que la décision 91-50, en ce qui concerne les restrictions à l'importation applicables durant la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, n'avait pas produit d'effet juridique et que le recours devait être déclaré irrecevable sur ce point.
La procédure après renvoi
24 Après le renvoi par la Cour de justice, les parties ont, conformément aux dispositions de l'article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure, déposé trois mémoires.
25 Dans leur mémoire du 18 décembre 1995, les requérantes ont conclu à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision 91-50 en ce que celle-ci rejette la plainte relative à l'interdiction d'importer applicable aux entreprises de distribution avant l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, ou
- tout au moins, prendre toutes les mesures qu'il jugera utiles pour une bonne administration de la justice,
- condamner la Commission aux dépens, y compris, en vertu de l'article 121 du règlement de procédure, les dépens relatifs à la procédure de pourvoi.
26 La Commission a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours,
- condamner solidairement les requérantes aux dépens.
27 La partie intervenante a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours,
- condamner les requérantes aux dépens, y compris les dépens de la partie intervenante. Sur les conclusions et moyens présentés par les parties en première instance et dans l'instance après renvoi
28 A la suite de l'annulation partielle de l'arrêt du Tribunal par l'arrêt sur pourvoi de la Cour, le Tribunal est saisi, d'une part, des conclusions des requérantes visant à obtenir l'annulation de la décision 91-50 uniquement en ce que celle-ci implique le rejet de la plainte concernant l'interdiction d'importer de l'électricité applicable dans le domaine de l'approvisionnement public pendant la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi néerlandaise sur l'électricité et, d'autre part, des moyens avancés à l'égard de cet aspect de la décision tant en première instance que dans l'instance après renvoi.
Sur le fond
29 Originellement, les requérantes avaient soulevé en substance trois moyens. Le premier était tiré de la violation du droit communautaire de la concurrence et de certains principes généraux du droit, en particulier du principe de sécurité juridique et du principe de sollicitude (Zorgvuldigheidsbeginsel). Le deuxième moyen était tiré de la violation de l'article 190 du traité et le troisième de la violation des formes substantielles, plus particulièrement de celle, invoquée dans la réplique, de l'article 6 du règlement (CEE) n° 99-63 de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après "règlement n° 99-63"). Dans la procédure après renvoi, les requérantes ont d'abord rappelé qu'elles avaient fait valoir l'insuffisance des motifs de la décision 91-50 et son illégalité, en renvoyant à leur réplique (point 11 des observations du 18 décembre 1995). Ensuite, elles ont développé les moyens tirés de la violation de l'article 190 du traité et de l'article 6 du règlement n° 99-63.
Sur la motivation
- Argumentation des parties
30 Dans leur requête, les requérantes avaient invoqué la violation de l'obligation de motivation, édictée par l'article 190 du traité. Dans leur réplique, elles ont précisé que le rejet implicite de leur plainte n'avait pas été suffisamment motivé. Elles ont souligné que la Commission avait négligé de préciser pour quels motifs elle estimait qu'il n'y avait pas d'infraction et que ce silence justifiait l'annulation de la décision. Elles ont fait valoir que la Commission n'avait de toute façon aucune raison de ne pas se prononcer au sujet de la période antérieure au 1er juillet 1990, étant donné qu'elles avaient également intérêt à ce que la clarté soit faite quant à la situation juridique correspondante (point 4.2 de la réplique).
31 Dans la procédure après renvoi, les requérantes se sont référées à leur mémoire en réplique pour démontrer l'insuffisance des motifs du rejet implicite et partiel de leur plainte, qui - après l'annulation partielle de l'arrêt du 18 novembre 1992 - reste encore soumis à l'examen du Tribunal. Elles répètent qu'il est nécessaire de contrôler la motivation de ce rejet. Or, dans la décision, la Commission n'aurait pas motivé celui-ci. Elle aurait estimé que l'article 85, paragraphe 1, du traité avait été violé sans conclure, dans le dispositif de la décision, à l'existence d'une infraction. Aucune précision n'aurait été apportée quant aux motifs du rejet de la plainte relative à l'interdiction d'importer s'appliquant aux entreprises de distribution (donc aux requérantes) avant l'entrée en vigueur de la loi néerlandaise sur l'électricité.
32 A l'audience après renvoi, les requérantes ont souligné que le point 50 de la décision 91-50 ne concerne que la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité. S'il en était autrement, leur plainte n'aurait pas pu être classée pour la période antérieure, mais aurait fait l'objet d'une suspension, à l'instar de ce qui a été le cas pour la période postérieure.
33 Elles ont ajouté que les explications fournies par la Commission au cours de la procédure sont tardives et ont souligné que cet aspect de leur plainte est toujours d'actualité en raison de procédures pendantes devant les juridictions nationales et d'autres discussions sur la période en question qui se déroulent actuellement entre des avocats. Dans ce contexte, elles se sont référées à une procédure pendante devant un Tribunal à Arnhem et ont contesté l'affirmation de la Commission selon laquelle l'application de l'article 21 de l'OVS ne leur aurait pas causé de préjudice.
34 Dans la procédure après renvoi, la Commission précise que, selon la décision, l'interdiction contractuelle d'importation d'électricité constituait une violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Cependant, elle n'aurait pas émis un jugement final négatif, parce qu'elle se serait abstenue de se prononcer sur les conditions de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Ayant renoncé à se prononcer sur les mérites de cet aspect de la plainte, elle ne lui aurait pas donné suite et donc l'aurait partiellement et implicitement rejetée.
35 Malgré le caractère implicite de ce rejet, la décision serait dûment motivée. Le point 50 de la décision viserait les situations avant et après l'entrée en vigueur de la loi, étant donné qu'il s'agissait de la même restriction à l'importation découlant de l'article 21 de l'OVS. Par conséquent, la Commission se serait abstenue de se prononcer sur le contenu de l'interdiction pour des raisons d'opportunité approuvées tant par la Cour que par le Tribunal. La seule différence entre les périodes antérieure et postérieure à l'entrée en vigueur de la loi serait que pour la première période une poursuite de l'enquête n'était plus nécessaire parce qu'elle n'était plus d'actualité et que, pendant cette période, la requérante Rendo NV (ci-après "Rendo") n'avait pas subi de dommages.
36 La Commission fait valoir que son interprétation de la décision est également soutenue par l'Avocat général M. Tesauro qui a exposé dans ses conclusions sur pourvoi que les requérantes n'avaient subi aucun dommage, "comme nul le [contestait]". Elle cite des extraits de ces conclusions selon lesquels la Commission serait libre de décider du degré de priorité à attribuer à chaque procédure en se fondant, notamment, sur l'intérêt communautaire de la procédure elle-même, et selon lesquels elle avait rejeté la contestation des requérantes sur les effets provoqués par des comportements passés et non plus actuels.
37 Selon elle, ce serait pour la même raison que, dans le premier cas, elle s'est abstenue de se prononcer et que, quant à la deuxième période, elle a suspendu sa prise de position. Le rejet implicite de la plainte serait par conséquent fondé sur des considérations d'opportunité, telles qu'admises dans l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission (T-24-90, Rec. p. II-2223).
38 La Commission ajoute que, pour les destinataires de la décision, la partie intervenante SEP et les quatre entreprises de production néerlandaises, cette motivation était suffisante. Elle développe à cet égard un argument avancé dans sa duplique, tiré du fait que les requérantes n'étaient pas destinataires de la décision. Elle n'aurait pas été obligée d'expliquer, dans le cadre de sa décision d'interdiction au titre de l'article 3 du règlement n° 17, adressée à la SEP et aux entreprises de production néerlandaises, pourquoi elle n'avait pas donné suite à la plainte de Rendo en ce qui concerne la période précédant l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité.
39 Il conviendrait par ailleurs de tenir compte de l'attitude de la partie requérante Rendo au cours de la procédure administrative. Après l'audition de novembre 1989, elle n'aurait pratiquement plus donné signe de vie. Si elle avait continué ses démarches, la Commission lui aurait probablement envoyé une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63. En gardant le silence jusqu'à l'introduction du recours, Rendo n'aurait pas mis la Commission en mesure de rejeter la plainte selon la procédure habituelle prévue par cette dernière disposition.
40 Enfin, l'approche différente proposée par les requérantes aurait deux conséquences difficiles: un rejet implicite d'une plainte serait pratiquement toujours entaché d'une insuffisance de motivation, ce qui impliquerait que chaque "refus silence" serait en principe entaché de nullité. En outre, la Commission devrait reporter sa décision - éventuellement urgente - d'interdire une infraction partielle jusqu'au moment où elle serait également en mesure de rejeter définitivement l'autre partie de la plainte.
41 A l'audience, la Commission a fait valoir que sa thèse n'est pas infirmée par la procédure pendante à Arnhem, étant donné que cette dernière ne se réfère qu'au supplément de péréquation qui n'avait pas fait l'objet de la décision 91-50.
42 La partie intervenante SEP se rallie, quant à la motivation de la décision, aux observations de la Commission. La motivation aurait été suffisante pour les cinq destinataires de la décision. A l'audience, elle a fait valoir que les procédures nationales ne concernent pas l'article 21 de l'OVS, mais se réfèrent uniquement aux conditions d'approvisionnement, tel le supplément de péréquation.
- Appréciation du Tribunal
43 Le fait que la décision 91-50 n'était pas adressée aux requérantes ne s'oppose pas à ce que celles-ci invoquent un moyen tiré de la violation de l'article 190 du traité (voir l'arrêt du 18 novembre 1992, point 122). L'intérêt que peuvent avoir des personnes autres que les destinataires d'un acte, mais concernées directement et individuellement par celui-ci, à recevoir des explications doit être pris en compte lorsqu'il s'agit d'apprécier l'étendue de l'obligation de le motiver (voir, par exemple, les arrêts de la Cour du 17 mars 1983, Control Data/Commission, 294-81, Rec. p. 911, point 14, et du 20 mars 1985, Italie/Commission, 41-83, Rec. p. 873, point 46).
44 Selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, l'étendue de l'obligation de motivation doit dans chaque cas être appréciée concrètement et en fonction des circonstances de l'espèce. Dans le cas d'une décision ayant pour objet de constater une infraction aux règles de la concurrence et d'émettre des injonctions, alors qu'elle constitue en même temps le rejet partiel d'une plainte, la Commission n'est pas tenue de répondre à tous les points de fait et de droit invoqués par les entreprises plaignantes. Cependant, la motivation doit permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle de légalité et à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure prise, afin de pouvoir défendre ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée (voir, par exemple, les arrêts de la Cour du 4 juillet 1963, Allemagne/Commission, 24-62, Rec. p. 129, 143, du 30 septembre 1982, Roquette Frères/Conseil, 110-81, Rec. p. 3159, point 24, du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19, point 22, et du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44-90, Rec. p. II-1, points 41 et 42; voir également l'arrêt du 18 novembre 1992, point 124).
45 Il s'ensuit que la décision doit se suffire à elle-même et que sa motivation ne saurait résulter des explications écrites ou orales données ultérieurement, alors que la décision en question fait déjà l'objet d'un recours devant le juge communautaire (voir, par exemple, les conclusions de l'Avocat général M. Léger sous l'arrêt de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C-310-93 P, Rec. p. I-865, I-867, point 22, et l'arrêt du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61-89, Rec. p. II-1931, point 131).
46 Comme dans le cas des règlements, on peut toutefois demander aux personnes concernées par une décision un certain effort d'interprétation lorsque le sens du texte n'apparaît pas à la première lecture, et l'article 190 du traité n'est pas enfreint lorsqu'une telle interprétation permet de résoudre les ambiguïtés que contient la motivation (voir les conclusions de l'Avocat général M. Lenz sous l'arrêt de la Cour du 24 janvier 1991, SITPA, C-27-90, Rec. p. I-133, I-141, point 59).
47 En l'espèce, la décision 91-50 ne se prononce pas explicitement, ni dans son dispositif, ni dans ses motifs, sur le sort réservé à la plainte des requérantes relative aux restrictions à l'importation d'électricité dans le cadre de l'approvisionnement public, découlant de l'article 21 de l'OVS pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité. Elle ne contient pas non plus d'indications se référant expressément à cette période, relatives aux raisons pour lesquelles la Commission a estimé que le classement de la plainte était justifié.
48 Dans ces conditions, il y a lieu d'examiner la question de savoir si une interprétation de la décision 91-50 permet de dégager les motifs du rejet de la plainte et, plus particulièrement, la thèse de la Commission selon laquelle le point 50 de la décision (voir ci-dessus point 9) contient des éléments permettant au juge communautaire et aux requérantes de connaître ces motifs.
49 L'abstention de la Commission de se prononcer sur une éventuelle justification de la restriction à l'importation au regard de l'article 90, paragraphe 2, du traité est expliquée à cet endroit par l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité et l'inopportunité de porter une appréciation sur cette loi dans le cadre de la procédure au titre du règlement n° 17. Ce point de la décision indique donc la raison pour laquelle la Commission a suspendu l'examen de la plainte, pour autant que celle-ci concernait la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, en attendant le résultat des procédures qu'elle entendait engager au titre de l'article 169 du traité.
50 En revanche, les considérations de la Commission n'indiquent nullement pourquoi une suite différente, à savoir le rejet implicite, a été réservée à la plainte pour la période antérieure.
51 Certes, les arguments avancés pour justifier la suspension de l'examen de la plainte peuvent être interprétés en ce sens qu'ils sont transposables à la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi. En effet, même un examen de l'article 21 de l'OVS limité à cette période aurait pu impliquer une appréciation de la compatibilité de la nouvelle loi avec les règles de concurrence. La Commission aurait dès lors risqué d'adopter des décisions contradictoires relatives à ces deux périodes si elle s'était prononcée, en 1992, sur l'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité, aux restrictions découlant de l'OVS pendant la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi, sans attendre le résultat de la procédure en manquement envisagée quant à la période postérieure.
52 Ces considérations auraient pu être susceptibles de motiver une décision de suspension de la procédure à l'égard de la période antérieure. En revanche, leur interprétation ne permet pas de dégager les motifs du rejet implicite auquel la Commission a procédé.
53 Par ailleurs, la Commission n'a pas adressé une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, qui aurait pu informer les requérantes des motifs du rejet implicite de la plainte avant l'adoption de la décision 91-50.
54 Il y a donc lieu de constater que le rejet implicite de la plainte des requérantes est entaché d'un défaut de motivation.
55 Or, si une motivation dont le début se trouve exprimé dans l'acte attaqué peut être développée et précisée en cours d'instance (voir, par exemple, les conclusions de l'Avocat général M. Léger, précitées, point 24), il en va autrement lorsque la décision attaquée n'a pas été motivée (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195-80, Rec. p. 2861, point 22).
56 Dans ces conditions, l'indication à ce sujet qui se trouve, pour la première fois, dans la lettre adressée le 20 novembre 1991, c'est-à-dire huit mois après l'introduction du recours dans la présente affaire, au conseil des requérantes par M. R., directeur à la Commission (voir ci-dessus point 20), et selon laquelle "l'importance de la plainte était appréciée par rapport à l'avenir" ne saurait couvrir le défaut de motivation de la décision 91-50. Il en va de même des explications visant à justifier la décision de rejet, fournies par la Commission pendant la procédure après renvoi.
57 Les considérations avancées par la Commission, selon lesquelles une telle application de l'article 190 du traité rendrait irrégulier tout rejet implicite d'une plainte et empêcherait la Commission de prendre des décisions d'interdiction urgentes avant d'être en mesure de se prononcer définitivement sur la totalité de la plainte, ne sauraient être retenues.
58 D'une part, le rejet implicite d'une plainte peut être suffisamment motivé, par exemple dans le cas d'une décision d'attestation négative ou d'exemption, par les considérations sur lesquelles s'appuie une telle décision (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 25 octobre 1977, Metro/Commission, 26-76, Rec. p. 1875). En l'espèce, le rejet implicite partiel de la plainte aurait pu être précédé d'une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99-63, par laquelle les motifs susceptibles de justifier un rejet auraient déjà été communiqués à la partie plaignante. En effet, l'étendue de l'obligation de motivation devant être appréciée, dans chaque cas d'espèce, non seulement au regard du libellé de l'acte attaqué, mais aussi de son contexte et de ses antécédents (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C-56-93, Rec. p. I-723, point 86), les explications contenues dans une telle lettre auraient pu être prises en considération pour déterminer si la motivation de la décision de rejet définitive était suffisante.
59 D'autre part, l'obligation de motiver le rejet, même implicite, d'une plainte n'empêche nullement la Commission de prendre, en temps utile, les décisions qui s'imposent à l'égard des infractions auxquelles se réfère la plainte. En effet, il suffit à cet égard qu'elle indique aux parties plaignantes les motifs pour lesquels une décision partielle sur la plainte est opportune.
60 Par conséquent, le moyen tiré d'une violation de l'article 190 du traité est fondé. Il y a donc lieu d'annuler la décision 91-50 pour autant qu'elle implique le rejet de la plainte des requérantes relative à l'interdiction d'importer pendant la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés par les requérantes.
Sur les dépens
61 L'arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, qui avait condamné les requérantes aux dépens, a été partiellement annulé. Dans son arrêt sur pourvoi, la Cour a décidé que chacune des parties supporterait ses propres dépens afférents à l'instance sur pourvoi. Il appartient donc au Tribunal, dans le présent arrêt, de statuer sur les dépens afférents à la procédure antérieure à son arrêt du 18 novembre 1992, en tenant compte de l'issue de la procédure après renvoi, puis de statuer sur les dépens afférents à cette dernière procédure.
62 S'agissant du recours originel des requérantes, chacune des parties a partiellement succombé en ses prétentions. En effet, le recours a été rejeté pour autant qu'il visait l'abstention de se prononcer sur l'interdiction, faite aux sociétés de distribution, d'exporter de l'électricité, et pour autant qu'il visait la suspension de la procédure relative aux restrictions à l'importation postérieures à l'entrée en vigueur de la loi sur l'électricité. En revanche, les requérantes ont eu gain de cause pour ce qui est du rejet de leur plainte relative aux restrictions à l'importation antérieures à l'entrée en vigueur de la loi.
63 Conformément à l'article 87, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut donc répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens. En l'espèce, il y a lieu de répartir les dépens afférents à la procédure antérieure à l'arrêt du 18 novembre 1992 en tenant compte du fait que les requérantes ont succombé sur la plus grande partie des chefs de leur recours. Par conséquent, elles supporteront leurs propres dépens, ainsi que la moitié des dépens de la Commission et de la partie intervenante, la Commission et la partie intervenante supportant, chacune, l'autre moitié de leurs propres dépens.
64 Quant à la procédure après renvoi, en revanche, les requérantes ont eu gain de cause. Il convient donc, conformément à l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, de condamner la Commission aux dépens exposés au cours de l'instance postérieurement à l'arrêt sur pourvoi, à l'exception de ceux exposés par la partie intervenante, qui seront supportés par cette dernière.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) La décision 91-50-CEE de la Commission, du 16 janvier 1991, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE [IV-32.732 - IJsselcentrale (IJC) et autres] est annulée pour autant qu'elle rejette la plainte des requérantes en ce qui concerne les restrictions à l'importation applicables pendant la période antérieure à l'entrée en vigueur de l'Elektriciteitswet 1989.
2) Les requérantes supporteront leurs propres dépens et, solidairement, la moitié des dépens de la Commission et de la partie intervenante exposés avant l'arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, les parties défenderesse et intervenante supportant chacune l'autre moitié de leurs dépens.
3) Les dépens exposés après l'arrêt de la Cour du 19 octobre 1995 seront supportés par la Commission, à l'exception de ceux de la partie intervenante, qui seront supportés par cette dernière.