TPICE, président, 23 mars 1992, n° T-10/92 R
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Cimenteries CBR (SA), Blue circle industries (Plc), Syndicat national des fabricants de ciments et de chaux, Eerste nederlandse cement-industrie NV, Vereniging nederlandse cementindustrie, Fédération de l'industrie cimentière ASBL
Défendeur :
Commission des Communautés européennes.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cruz Vilaça
Avocats :
Mes Waelbroeck, Vandencasteele, Waelbroeck, Mes Lasok, Didier, Rivalland, Biesheuvel, van Houtte, Brouwer
LE PRESIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
En fait
1. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 février 1992, la Cimenteries CBR SA (ci-après "CBR") a introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, du 15 janvier 1992, refusant la communication de divers documents demandés par CBR en vue de l'exercice effectif des droits de la défense à l'encontre de la communication des griefs (ci-après "CG") que lui avait envoyée la Commission dans les affaires nos IV/27.997-CPMA, et IV/33.126 et IV/33.322-Ciment.
2. Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande de mesures provisoires, en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE et de l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, visant, d'une part, à la suspension de la procédure engagée par la Commission dans l'attente de l'arrêt à rendre sur le fond et, d'autre part, à la suspension de ladite procédure, sans attendre les observations de la Commission, jusqu'à ce qu'intervienne une décision sur la demande en référé.
3. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 février 1992, Blue circle industries plc (ci- après "Blue Circle") a introduit, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision ou des décisions de la Commission par lesquelles celle-ci lui a refusé la communication de l'ensemble de la CG ainsi que l'accès à tous les documents pertinents du dossier et a fixé le délai de réponse à la CG au 24 février 1992 (ou au 28 février 1992 pour les entreprises qui se sont engagées à déposer un mémoire en réponse en 20 exemplaires).
4. Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande de mesures provisoires, en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE et de l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, visant, d'une part, à la suspension de la procédure engagée par la Commission dans l'attente de l'arrêt à rendre sur le fond et, d'autre part, à ce que le Tribunal ordonne toute mesure complémentaire pour préserver les droits de la requérante dans l'attente de l'arrêt dans la procédure au principal.
5. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 février 1992, le Syndicat national des fabricants de ciments et de chaux (ci-après "SNFCC") a introduit, en vertu des articles 173 et 174 du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, matérialisée dans ses lettres successives des 23 et 27 décembre 1991 et 10 janvier 1992, par laquelle celle-ci lui a refusé l'accès au dossier.
6. Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande de mesures provisoires, en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE, visant, à titre principal, à ce qu'il soit sursis, jusqu'au prononcé de l'arrêt du Tribunal sur le fond, à l'exécution de la décision de la Commission fixant l'expiration du délai de réponse des parties visées par la CG dans les affaires n°s IV/27.997-CPMA, et IV/33.126 et IV/33.322-Ciment; à titre subsidiaire et provisoire, à ce que la procédure engagée par la Commission soit suspendue et, finalement, à ce que la procédure administrative, sans attendre les observations de la Commission, soit suspendue immédiatement jusqu'à ce qu'intervienne une décision sur la demande en référé.
7. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 février 1992, la Eerste nederlandse cement-industrie NV (ci-après "ENCI") et la Vereniging nederlandse cementindustrie (ci-après "VNC") ont introduit, en vertu de l'article 173 du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision ou des décisions des 24 janvier 1992 et 12 février 1992, par lesquelles la Commission a refusé:
- de reporter la date limite de réponse à la CG déjà adressée aux requérantes à l'expiration d'un délai d'au moins deux mois après l'envoi de la CG que la Commission leur adressera prochainement à propos de l'accord "Cement en Beton Stichting" (ci-après "CBS");
- d'accorder aux requérantes un délai jusqu'au 28 mars 1992 pour présenter leurs observations sur la CG, et
- de préciser la nature et le fondement exacts des griefs formulés contre VNC.
8. Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont également introduit une demande de mesures provisoires visant, d'une part, à la suspension de la procédure engagée par la Commission jusqu'à ce que le Tribunal ait statué sur le fond ou que la Commission respecte les droits de la défense et, d'autre part, à la suspension immédiate de ladite procédure, sans attendre les observations de la Commission, jusqu'à ce qu'intervienne une décision sur la demande en référé.
9. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 février 1992, la Fédération de l'industrie cimentière (ci-après "FIC") a introduit, en vertu de l'article 173 du traité CEE, un recours visant à l'annulation des décisions de la Commission, du 29 novembre 1991, du 27 janvier 1992 et du 12 février 1992, refusant à la requérante:
- la faculté de répondre simultanément à la CG que lui a envoyée la Commission dans les affaires n° s IV/27.997-CPMA, et IV/33.126 et IV/33.322-Ciment et à celle que la Commission entend lui envoyer concernant l'accord CBS, et cela dans un délai raisonnable d'au moins deux mois;
- de lui transmettre une précision claire et complète des griefs que la Commission retient à son égard;
- l'accès à toutes les pièces non-confidentielles du dossier, et
- de lui envoyer certains chapitres de la CG.
10. Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit une demande de mesures provisoires, en vertu des articles 185 et 186 du traité CEE et de l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, visant, d'une part, à la suspension de la procédure engagée par la Commission jusqu'à ce que le Tribunal ait statué sur le fond ou que la Commission respecte les droits de la défense et, d'autre part, à la suspension immédiate de ladite procédure, sans attendre les observations de la Commission, jusqu'à ce qu'intervienne une décision sur la demande en référé.
11. La Commission ayant, par lettre du 17 février 1992, communiqué aux requérantes le report de la date limite pour la réponse à la CG jusqu'au 23 mars 1992 et, exceptionnellement, jusqu'au 27 mars 1992 pour les entreprises qui se sont engagées à déposer un mémoire en réponse en 20 exemplaires, les requérantes ENCI et VNC, par lettre du 18 février 1992, ont retiré leur demande relative à l'annulation des décisions de la Commission par lesquelles celle-ci aurait refusé la prorogation du délai de réponse à la CG jusqu'au 28 mars 1992.
12. La Commission a présenté ses observations écrites sur les demandes en référé le 27 février 1992. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 11 mars 1992.
13. Avant d'examiner le bien-fondé des demandes en référé introduites devant le Tribunal, il convient de rappeler le contexte des présentes affaires, et en particulier les faits essentiels qui sont à l'origine des litiges dont le Tribunal est saisi, tels qu'ils résultent des mémoires déposés par les parties et des explications orales données au cours de l'audience du 11 mars 1992.
14. Le 25 avril 1989, la Commission, agissant d'office, a procédé à un certain nombre de vérifications dans les bureaux d'une dizaine d'entreprises ou associations d'entreprises de plusieurs États membres, dans le cadre d'une enquête portant sur l'existence d'accords ou de pratiques concertées dans l'industrie cimentière européenne. D'autres entreprises ou associations d'entreprises ont également fait l'objet de vérifications dans les jours et les semaines qui ont suivi.
15. Sur la base des documents recueillis au cours de ces vérifications ainsi que des informations communiquées par les entreprises et associations d'entreprises concernées en vertu de l'article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité CEE (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), la Commission a conclu à l'existence probable d'un système d'accords ou de pratiques concertées, tant au plan international qu'au plan national, entre les producteurs européens de ciment, appuyés par certaines associations professionnelles nationales et internationales, ayant pour objet, essentiellement, la répartition des marchés des États membres, le maintien d'une séparation entre ces marchés et la limitation des importations provenant d'autres États membres et de pays tiers.
16. C'est dans ces conditions que la Commission a adressé, dans le courant du mois de novembre de 1991, une CG à 76 entreprises ou associations d'entreprises, dans laquelle elle leur reproche des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE et leur communique qu'elles encourent le risque de se voir infliger des amendes.
17. Dans sa CG, la Commission distingue, pour l'essentiel, deux ordres de griefs, à savoir des comportements au niveau international - comprenant des réunions au sein du Cembureau, association européenne regroupant les différentes fédérations nationales, et la mise en œuvre d'un certain nombre d'actions qui avaient été définies au cours de ces réunions - et des comportements au niveau national - visant à la répartition des marchés nationaux entre les seuls producteurs de l'État membre concerné et à la limitation des importations.
18. La CG est divisée en deux parties, chacune de ces parties étant, pour sa part, divisée en plusieurs chapitres. La première partie, intitulée "Les faits", comporte neuf chapitres. Les deux premiers concernent respectivement "Le marché du ciment" et "Les organisations internationales de cimentiers", tandis que les sept restants correspondent à autant de marchés nationaux. La deuxième partie, intitulée "Appréciation juridique", est elle-même divisée en trois sous-parties, dont la première, relative à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, comporte dix chapitres. Les trois premiers chapitres concernent les accords et pratiques décrits au chapitre 2 de la première partie ("Les organisations internationales de cimentiers"), alors que les sept autres chapitres se rapportent, chacun, aux accords et pratiques décrits dans chacun des chapitres de la première partie consacrés à l'examen d'un marché national. Les deux autres sous-parties concernent, respectivement, l'inapplicabilité de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE et l'applicabilité de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.
19. Bien qu'il s'agisse d'un seul document, le texte de la CG n'a pas été communiqué dans son intégralité à chacune des 76 entreprises et associations d'entreprises. En effet, seuls les chapitres relatifs aux comportements au niveau international (chapitres 1er, 2 et 10 à 12) et les sous-parties B et C de la deuxième partie de la CG ont été communiqués à l'ensemble des entreprises et associations d'entreprises. Les chapitres relatifs aux comportements au niveau national (chapitres 3 à 9 et 13 à 19) n'ont été envoyés qu'aux entreprises et associations d'entreprises établies dans l'État membre en question.
20. Avec les chapitres les concernant, les destinataires de la CG ont reçu l'index complet de la CG ainsi qu'une liste de l'ensemble des dossiers comportant la mention des documents qui leur étaient accessibles.
21. Ainsi que la Commission l'a déclaré devant le Tribunal, chaque destinataire de la CG aurait eu accès à tous les éléments en possession de la défenderesse qui se rapportaient aux chapitres de la CG qui leur avaient été communiqués et qui les concernaient, à l'exception des documents internes et des documents confidentiels. Il ressort également des explications données par les parties devant le Tribunal que des documents obtenus par la Commission dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par le règlement n° 17 n'auraient, cependant, été rendus accessibles aux destinataires de la CG que lorsque la Commission les avait retenus contre eux.
22. Après avoir reçu la CG, un certain nombre d'entreprises et associations d'entreprises, dont les requérantes, ont notamment demandé à la Commission de leur communiquer les chapitres manquants dans le texte de la CG qui avait été envoyé à chacune d'elles ainsi que de leur donner accès à l'ensemble du dossier, à l'exception des documents internes ou confidentiels.
23. La Commission ayant refusé de communiquer les chapitres manquants dans le texte de la CG envoyé à chacun des destinataires ainsi que de leur donner accès aux documents du dossier autres que ceux qu'ils avaient déjà pu consulter, les requérantes ont formé les présents recours devant le Tribunal et demandé l'adoption des mesures provisoires ci-avant identifiées.
24. Lors de l'audience du 11 mars 1992, le Président du Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations orales sur une éventuelle jonction des présentes affaires aux fins de l'ordonnance de référé. Les parties n'ont pas soulevé d'objection à l'encontre d'une telle jonction.
25. Les affaires T-10-92 R, T-11-92 R, T-12-92 R, T-14-92 R et T-15-92 R étant connexes dans leur objet, il convient de les joindre aux fins de l'ordonnance de référé.
En droit
26. En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité CEE et de l'article 4 de la décision du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes, le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.
27. L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité CEE doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi des mesures auxquelles elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire, en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger de la décision sur le fond.
28. Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que la Commission ayant reporté, suite à l'introduction des présents recours, la date limite pour la réponse à la CG jusqu'au 23 ou 27 mars 1992, les circonstances qui auraient pu justifier, le cas échéant, en application de l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la suspension provisoire de la procédure administrative avant même que la Commission ait présenté ses observations n'existent plus, et que, par conséquent, les demandes formulées par les requérantes en ce sens sont devenues sans objet.
29. En l'espèce, les requérantes font, en substance, valoir à l'appui de leurs demandes que la Commission a gravement violé les droits de la défense ainsi que l'article 176 du traité CEE, en ce qu'elle aurait méconnu l'arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules/Commission, point 54 (T-7-89, Rec. p. II-0000), aux termes duquel "la Commission a l'obligation de rendre accessible aux entreprises impliquées dans une procédure d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE l'ensemble des documents à charge et à décharge qu'elle a recueillis au cours de l'enquête sous réserve des secrets d'affaires d'autres entreprises, des documents internes de la Commission et d'autres informations confidentielles".
30. Les requérantes reprochent en particulier à la Commission de les empêcher de prendre connaissance de l'ensemble du texte de la CG qu'elle a adoptée, de leur refuser sans justification l'accès à tous les documents pertinents et d'avoir fixé un délai, pour la réponse à la CG, qui est inadéquat eu égard à la complexité de la présente affaire.
31. S'agissant de la recevabilité des présents recours, les requérantes font notamment valoir que la situation de l'espèce diffère totalement de celle en cause dans l'affaire IBM (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60-81, Rec. p. 2639), en ce que, contrairement à une CG qui est un acte préparatoire et qui exprime un point de vue provisoire, les décisions attaquées en l'espèce constituent des actes par lesquels la Commission s'est prononcée définitivement, dont les effets juridiques s'imposent obligatoirement aux destinataires et affectent leurs intérêts. Blue Circle, pour sa part, estime également que les mesures attaquées dans le cadre du présent recours sont dépourvues de l'apparence même de légalité et qu'il n'existe aucune raison impérative susceptible de justifier le maintien d'une telle situation illégale.
32. De l'avis des requérantes, l'obligation de répondre à la CG sans que les droits de la défense aient été respectés entraînerait un préjudice grave et irréparable, dans la mesure où leurs droits seraient irrémédiablement compromis si, comme c'est le cas en l'espèce, l'arrêt que le Tribunal devra rendre sur le recours au fond devait être rendu après que les requérantes aient pu présenter leurs observations écrites et orales sur la CG et même, éventuellement, après que la Commission ait pris sa décision sur le fond. Toujours selon les requérantes, il résulterait d'une jurisprudence constante de la Cour (ordonnance du 28 novembre 1966, Gutmann/Commission CEEA, 29-66 R, Rec. 1967, p. 314) que lorsque, à défaut d'octroi des mesures provisoires sollicitées, l'arrêt définitif deviendrait sans objet - c'est-à-dire qu'il ne serait plus apte à sauvegarder les intérêts ou droits du requérant - la demande en référé est justifiée.
33. Les requérantes soulignent en outre qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal qu'il est également satisfait à la condition d'urgence lorsque l'existence d'un préjudice intolérable pour l'intérêt général est démontrée (ordonnance de la Cour du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission, point 19, 792-79 R, Rec. p. 119, et arrêt du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, point 28, T-44-90, Rec. p. II-0000). En l'espèce, la méconnaissance par la Commission de la jurisprudence du Tribunal en matière d'accès au dossier constituerait un préjudice intolérable pour l'intérêt général, en ce qu'il serait dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'éviter qu'une procédure doive être recommencée après son achèvement, suite notamment à l'annulation par le juge communautaire, en raison d'une violation des droits de la défense commise par la Commission, de la décision intervenue sur le fond.
34. La Commission, pour sa part, estime que les recours au principal sont manifestement irrecevables et que si, en principe, le problème de la recevabilité du recours au principal ne doit pas être examiné dans le cadre d'une procédure en référé sous peine de préjuger le fond de l'affaire, il résulte d'une jurisprudence établie qu'il appartient au juge des référés d'établir que, à première vue, les recours présentent des éléments permettant de conclure, avec une certaine probabilité, à leur recevabilité (en dernier lieu, ordonnance du Président de la Cour du 27 juin 1991, Bosman/Commission, C-117-91 R, Rec. p. I-0000).
35. De l'avis de la Commission, l'irrecevabilité manifeste des recours au principal résulte, en premier lieu, du fait qu'ils sont dirigés contre la CG elle-même, alors que la jurisprudence de la Cour exclut clairement une telle possibilité (arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, précité), et, en second lieu, du fait que les différentes lettres ou "décisions" attaquées ne constituent pas non plus des actes susceptibles de recours au titre de l'article 173 du traité CEE.
36. La Commission souligne, par ailleurs, que les différents arguments avancés par les requérantes à l'encontre de la CG dans le cadre des présents recours, ayant trait notamment au contenu de la CG, à l'insuffisance des délais impartis pour présenter leurs observations et à la réserve faite par la Commission de formuler ultérieurement d'autres griefs, ont été clairement rejetés par la Cour dans l'affaire IBM susmentionnée, comme il ressort clairement du point 4 de cet arrêt.
37. La Commission relève, en outre, que, ainsi qu'il résulte des termes mêmes de l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2269, ci-après "règlement n° 99-63"), elle n'est nullement obligée de communiquer les griefs qui ne concernent pas l'entreprise destinataire de la CG. En ce qui concerne les pièces invoquées à l'appui de tels griefs, la défenderesse estime que non seulement elle n'est pas tenue de les mettre à la disposition des autres entreprises, mais qu'en plus l'article 20 du règlement n° 17 lui impose de ne pas le faire, de telles pièces ayant été obtenues en vertu des pouvoirs d'investigation qui lui sont conférés par le règlement n° 17 et étant, par conséquent, couvertes par le secret professionnel. Ce n'est que lorsque la Commission entend retenir une pièce contre une entreprise qu'elle serait obligée de la communiquer au destinataire de la CG, sous peine de se voir privée de la possibilité de l'invoquer. En l'espèce, les différents destinataires de la CG auraient pu prendre connaissance de tous les éléments en possession de la Commission se rapportant aux chapitres de la CG qui leur ont été communiqués et qui les concernaient.
38. La Commission exclut également que la jurisprudence plus récente citée par certaines des requérantes - et en particulier les arrêts de la Cour du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission (53-85, Rec. p. 1965), du 18 octobre 1989, Orkem/Commission (374-87, Rec. p. 3283), et du 28 novembre 1991, BEUC/Commission (C-170-89, Rec. p. I-0000) - soit venue modifier l'appréciation qu'il convient de porter en droit sur les demandes formulées par les requérantes à cet égard. La défenderesse fait notamment valoir qu'on ne saurait mettre sur le même plan, d'une part, une CG et, d'autre part, une décision de transmettre à un tiers plaignant des informations confidentielles - laquelle revêt un caractère final en ce sens que la nature confidentielle d'une information est définitivement perdue dès sa communication à un tiers - ou encore une décision prise en vertu de l'article 11 du règlement n° 17, laquelle, contrairement à une CG, impose une obligation à son destinataire. De l'avis de la Commission, les requérantes ne sauraient non plus invoquer la jurisprudence BEUC, puisque, contrairement aux entreprises destinataires d'une CG en matière de concurrence qui sont recevables à attaquer la décision finale, le tiers plaignant dans les procédures en matière de dumping n'a pas qualité pour introduire un recours en annulation contre la décision finale.
39. La Commission souligne en outre que, pas plus que la CG, les "actes" qui l'entourent ne sont susceptibles d'aucun recours, dans la mesure où ils n'ont aucune conséquence juridique ni ne mettent un terme à une procédure autonome.
40. Selon la Commission, puisque les mesures attaquées sont des mesures préparatoires, aucun préjudice irréparable ne peut en résulter, et cela d'autant plus qu'aucune des requérantes n'a avancé des éléments dignes de foi. La Commission conteste, à cet égard, les dires de la requérante Blue Circle, selon laquelle l'urgence découlerait du fait que la Commission devrait prendre une décision finale avant la fin du mandat de ses membres actuels, c'est-à-dire avant le 5 janvier 1993. Tout en contestant cette affirmation, la défenderesse fait remarquer que, même dans l'hypothèse où elle aurait effectivement fait une telle déclaration, cet élément ne saurait être invoqué pour mettre en cause la régularité de la procédure administrative suivie en l'espèce, la Commission étant parfaitement habilitée à déterminer un programme de priorités, sans pour autant que la fixation d'un tel programme soit de nature à préjuger du contenu de l'éventuelle décision finale ou à compromettre le déroulement normal des procédures en cours.
41. S'agissant du fumus boni juris, la Commission s'en remet pour l'essentiel aux observations qu'elle a formulées au sujet de l'irrecevabilité manifeste des recours au principal. Toutefois, et à titre surabondant, se référant à la possibilité que le moyen invoqué par les requérantes dans la procédure au principal, tiré du caractère prétendument insuffisant de l'accès au dossier, se réfère également, pour partie, aux conditions d'accès aux documents pertinents pour les chapitres de la CG qui ont été envoyés à chaque destinataire respectif, la Commission ajoute que les requérantes n'ont avancé aucun indice sérieux à cet égard.
42. A cet égard, la Commission fait remarquer, en premier lieu, que le recours de ENCI et VNC ne met pas en cause les conditions d'accès au dossier. La défenderesse - qui reproche aux requérantes SNFCC et FIC de se livrer à un exercice purement spéculatif, étayé par aucun indice - s'attarde toutefois sur les éléments que CBR et Blue Circle ont qualifié d'indices, mais conteste, sur la base d'une analyse détaillée, qu'ils puissent constituer le fumus boni juris requis pour l'octroi d'une mesure provisoire. La Commission relève, à nouveau, qu'à l'exception des documents qu'elle entend retenir contre une entreprise le respect de la confidentialité que lui impose l'article 20 du règlement n° 17 lui interdit de faciliter l'accès aux documents obtenus en vertu de ses pouvoirs d'investigation, et cela indépendamment des indications données en la matière par les entreprises. La défenderesse souligne, par ailleurs, l'absence de cohérence de certaines des requérantes, qui lui reprochent simultanément de ne pas respecter le caractère confidentiel de certaines informations et de ne pas leur donner un accès général à certaines des pièces obtenues en vertu des pouvoirs conférés par le règlement n° 17.
43. La Commission conteste finalement l'existence d'une quelconque violation de l'article 176 du traité CEE. De l'avis de la défenderesse, l'obligation fixée par l'article 176 de prendre les mesures que comporte l'exécution d'un arrêt de la Cour ou du Tribunal n'existe que lorsque la Cour ou le Tribunal prononce la nullité d'un acte de l'institution en cause. Or, s'il est vrai que la Commission elle-même fait allusion, dans les lettres attaquées, aux critères définis par le Tribunal dans son arrêt Hercules au sujet de l'exercice du droit d'être entendu, les requérantes ne sauraient toutefois invoquer en l'espèce l'existence d'une violation de l'article 176, alors que, dans l'affaire Hercules, le Tribunal a rejeté le recours de l'entreprise dans sa totalité.
Sur l'irrecevabilité manifeste des recours au principal
44. Ainsi qu'il résulte de l'ordonnance du Président de la Cour du 27 juin 1991, Bosman/Commission, précitée, "... si c'est l'irrecevabilité manifeste du recours qui est soulevée, il appartient au juge des référés d'établir qu'à première vue le recours présente des éléments permettant de conclure, avec une certaine probabilité, à sa recevabilité".
45. Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, "... ni l'engagement d'une procédure ni une communication des griefs ne sauraient être considérés, de par leur nature et leurs effets juridiques, comme des décisions au sens de l'article 173 du traité CEE, contre lesquels un recours en annulation est ouvert. Dans le cadre de la procédure administrative telle qu'elle est organisée par les règlements n° 17 et n° 99-63, ils constituent des actes de procédure, préparatoires par rapport à la décision qui en constitue le terme ultime"(arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, précité, point 21).
46. Il y lieu de constater que, dans le cadre des recours au principal, les requérantes formulent, pour l'essentiel, deux types de griefs à l'encontre du comportement de la Commission. Le premier type de griefs concerne directement la CG et vise en particulier le refus de la Commission de communiquer la totalité des chapitres de la CG, de préciser clairement les griefs retenus contre l'entreprise destinataire de la CG et d'accorder aux entreprises concernées la possibilité de répondre simultanément à la présente CG et à celle que la Commission entendrait leur envoyer prochainement à propos de l'accord CBS. Le second type de griefs concerne le refus de la Commission d'ouvrir aux requérantes l'accès à l'ensemble des documents recueillis lors de son enquête, sous réserve des secrets d'affaires, des documents internes de la Commission et d'autres informations confidentielles.
47. En ce qui concerne le premier type de griefs, et sans qu'il soit nécessaire d'analyser à ce stade si le comportement de la Commission est de nature à violer les droits de la défense des requérantes, il y a lieu de relever, au vu de la jurisprudence IBM, et notamment de ses points 20 et 21, que les requérantes n'ont pas présenté d'éléments de nature à permettre au juge des référés de conclure, avec une certaine probabilité, à la recevabilité des recours. En particulier, les requérantes n'ont pas établi l'existence de "circonstances exceptionnelles" ou d'une quelconque mesure dépourvue de toute apparence de légalité, pouvant justifier la recevabilité d'un recours juridictionnel contre la CG.
48. En effet, il ressort de l'article 2, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 99-63 que la Commission doit communiquer par écrit aux entreprises et associations d'entreprises les griefs retenus contre elles et fixer le délai dans lequel elles ont la faculté de lui faire connaître leur point de vue. Les requérantes ont toutes reçu une CG et un délai leur a été fixé par la Commission pour la présentation de leurs observations. La question de savoir si la procédure suivie en l'espèce est entachée d'illégalité, en ce que la Commission n'a pas communiqué la totalité du texte de la CG à chacune des entreprises et s'est, en outre, réservé la possibilité de communiquer de nouveaux griefs en ce qui concerne le marché du Benelux, pourra être soulevée par les requérantes, sans que leur protection juridique ne soit à première vue affectée, dans le cadre du recours juridictionnel qu'elles pourront introduire, le cas échéant, à l'encontre de la décision que la Commission sera amenée à adopter au terme de la procédure administrative.
49. En ce qui concerne le second type de griefs, à savoir ceux relatifs au refus d'accès complet au dossier, il convient de relever, en premier lieu, que, ainsi que le Tribunal l'a déclaré dans son arrêt du 17 décembre 1991, Hercules, précité, point 54, "la Commission a l'obligation de rendre accessible aux entreprises impliquées dans une procédure d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE l'ensemble des documents à charge et à décharge qu'elle a recueillis au cours de l'enquête sous réserve des secrets d'affaires d'autres entreprises, des documents internes de la Commission et d'autres informations confidentielles".
50. Il ressort du dossier, ainsi que des explications orales fournies par la Commission, qu'un certain nombre de documents recueillis au cours de l'enquête n'aurait pas été rendu accessible à chaque destinataire de la CG. Il s'agirait, tout d'abord, de documents se rapportant aux chapitres de la CG concernant les différents marchés nationaux, qui n'ont pas été communiqués à certaines entreprises et associations d'entreprises, dans la mesure où elles ne seraient pas concernées par les comportements sur le marché national en cause et qui, de l'avis de la défenderesse, ne feraient donc pas partie du dossier les concernant. Il s'agirait, en outre, de certains documents se rapportant également aux chapitres communiqués de la CG, dans la mesure où ils ont été obtenus dans l'exercice des pouvoirs d'investigation conférés à la Commission par le règlement n° 17, où ils n'ont pas été retenus à la charge de l'entreprise ou association d'entreprises destinataire des griefs et où ils sont donc, de l'avis de la défenderesse, couverts par le secret professionnel prévu à l'article 20 du règlement n° 17.
51. Ainsi que la Cour l'a déclaré dans son arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, point 13 (85-76, Rec. p. 461), "... si l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, dispose que, 'sans préjudice des dispositions des articles 19 et 21, la Commission et les autorités compétentes des États membres ... sont tenus de ne pas divulguer les informations qu'ils ont recueillies et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel', cette règle doit, ainsi que le confirme le renvoi exprès à l'article 19, se concilier avec le respect des droits de la défense". Il résulte également de cette jurisprudence de la Cour que la Commission ne saurait retenir à la charge d'une entreprise des circonstances ou documents qu'elle estime ne pas pouvoir divulguer pour des raisons de confidentialité.
52. La question de savoir dans quelle mesure le respect du secret professionnel s'oppose à ce que la Commission donne accès à tout document faisant partie du dossier et recueilli dans l'exercice de ses pouvoirs d'investigation, notamment quand celui-ci est susceptible d'être invoqué à sa décharge par l'entreprise concernée, appelle une examen approfondi. A cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission, précité), "... l'obligation de secret professionnel énoncée par l'article 20, paragraphe 2, est atténuée à l'égard des tiers auxquels l'article 19, paragraphe 2, donne le droit d'être entendu, c'est-à-dire spécialement à l'égard du tiers plaignant. La Commission peut communiquer à celui-ci certaines informations couvertes par le secret professionnel, pour autant que cette communication soit nécessaire au bon déroulement de l'instruction".
53. Si l'obligation de respecter le secret professionnel, énoncée par l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17, peut être atténuée à l'égard du tiers plaignant, elle peut l'être également, à plus forte raison, à l'égard du destinataire d'une CG. Il s'ensuit qu'à première vue on ne saurait considérer que l'obligation de respecter le secret professionnel impose nécessairement à la Commission de refuser l'accès d'une entreprise destinataire d'une CG à un document qui n'a pas été retenu à sa charge, du simple fait que celui-ci a été obtenu en vertu des pouvoirs d'investigation que lui confère le règlement n° 17.
54. Il résulte de ce qui précède que, à la différence des constatations précédemment faites quant aux griefs avancés par les requérantes à l'encontre de la CG, le juge des référés ne saurait, à ce stade, conclure à l'irrecevabilité manifeste des demandes en annulation des décisions de la Commission refusant l'accès au dossier. Il est certes vrai que, s'agissant d'éventuelles illégalités commises au cours de la procédure administrative, susceptibles d'affecter la légalité de la décision finale que la Commission sera amenée à prendre, il sera loisible aux requérantes d'invoquer dans le cadre d'un recours juridictionnel contre cette décision tous moyens utiles. Il n'en reste pas moins que les actes attaqués, en ce qu'ils refusent, de manière non équivoque, aux entreprises et associations d'entreprises destinataires de la CG le bénéfice d'une protection qu'elles prétendent leur être garantie par le droit communautaire, ne sauraient être considérés, par le juge des référés, comme étant manifestement incapables de produire des effets juridiques et d'affecter les intérêts des requérantes, justifiant par là même que les recours soient déclarés manifestement irrecevables déjà au stade du référé.
Sur l'existence d'un préjudice grave et irréparable
55. L'argument central des requérantes au sujet de l'existence d'un préjudice grave et irréparable en l'absence des mesures provisoires sollicitées consiste à dire que leur droit d'accès complet au dossier serait irrémédiablement compromis si l'arrêt que le Tribunal sera amené à rendre sur les recours au principal devait être rendu après que les requérantes aient pu présenter leurs observations écrites et orales et même, éventuellement, après que la Commission ait pris sa décision sur le fond.
56. A cet égard, il y a lieu de relever que si, par hypothèse, le Tribunal devait annuler, dans le cadre des recours au principal, les actes de la Commission refusant l'accès complet au dossier contestés par les requérantes, ce serait l'ensemble de la procédure qui serait entachée d'illégalité. La Commission serait, dans une telle situation, obligée de reprendre la procédure et de donner aux entreprises la possibilité de faire à nouveau connaître leur point de vue sur les griefs retenus contre elles à la lumière des nouveaux éléments auxquels elles devraient avoir accès. Il en résulte que, dans une telle situation, même si l'arrêt du Tribunal devait intervenir après que la décision de la Commission sur le fond ait été adoptée, les requérantes ne subiraient aucun préjudice grave et irréparable.
57. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que, sans qu'il soit nécessaire d'analyser les moyens de fait et de droit pouvant justifier à première vue l'octroi des mesures provisoires sollicitées, les conditions permettant, en droit, l'octroi de telles mesures ne sont pas remplies et que, par conséquent, les demandes doivent être rejetées.
58. Toutefois, compte tenu des circonstances particulières propres aux présentes affaires ainsi que de la proximité de la date fixée aux requérantes pour le dépôt de leurs réponses à la CG et de celle de la présente ordonnance, il apparaît opportun, en application de l'article 186 du traité CEE, de proroger le délai pour la réponse à la CG jusqu'au vendredi 27 mars 1992 ou, dans la mesure où les requérantes se conforment aux conditions fixées par la Commission quant au nombre de copies à déposer, jusqu'au mardi 31 mars 1992.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
statuant à titre provisoire,
ordonne:
1°) Les demandes de mesures provisoires sont rejetées.
2°) Le délai imparti aux requérantes pour la réponse à la communication des griefs est prorogé jusqu'au vendredi 27 mars 1992 ou, dans la mesure où les requérantes se conforment aux conditions fixées par la Commission quant au nombre de copies à déposer, jusqu'au mardi 31 mars 1992.
3°) Les dépens sont réservés.