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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 14 mars 1995, n° 93-07998

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Confédération syndicale du cadre de vie (CSCV)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Conseillers :

M. Guilbaud, Mme Pénichon

Avocats :

Mes Bensard, Bihl.

TGI Paris, 31e ch., du 18 oct. 1993

18 octobre 1993

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Vu le jugement de défaut du 28 juin 1993, le tribunal statuant à nouveau par jugement contradictoire, a déclaré D Isabelle coupable de publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, de février 1992 à avril 1992, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 Code de la consommation,

et, en application de ces articles, l'a condamnée à 100 000 F d'amende,

A ordonné la publication par extraits du jugement dans Le Monde et France Soir aux frais de la condamnée.

A reçu la Confédération syndicale du cadre de vie en sa constitution de partie civile et statuant sur la demande a condamné D Isabelle, Blanche à lui verser la somme de 50 000 F en réparation de son préjudice collectif subi par les consommateurs, celle de 20 000 F en réparation de son préjudice personnel ainsi que la somme de 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Décision assujettie à un droit fixe de procédure de 600 F, dont est redevable chaque condamné.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Mlle D Isavelle, le 22 octobre 1993

M. le Procureur de la République, le 22 octobre 1993

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels de la prévenue et du Ministère public du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention.

Par voie de conclusions, Isabelle D, prévenue et la société X, civilement responsable, soulèvent in limine litis la nullité du jugement du 18 octobre 1993 de la 31e chambre du Tribunal de grande instance de Paris.

Elles font essentiellement valoir que ledit jugement qui a condamné Isabelle D est nul, faute d'avoir indiqué le fondement juridique de la condamnation et ce pour n'avoir visé aucun texte, ni indiqué sur la base de quelle loi la condamnation a été prononcée.

Monsieur l'Avocat général requiert la cour de joindre l'incident au fond, de rejeter l'exception soulevée et de statuer par un seul et même arrêt sur l'exception et sur le fond.

Après en avoir délibéré la cour a joint l'incident au fond afin qu'il soit statué par un seul et même arrêt.

Sur l'exception :

Considérant tout d'abord que la cour constate que faussement les conclusions indiquent que Isabelle D et la société X " sont régulièrement appelantes du jugement du 18 octobre 1993 de la 31e chambre du Tribunal de grande instance de Paris ".

Considérant, en effet, que seul l'acte d'appel saisit la cour d'appel - qu'il est établi et non contestable que seule Isabelle D et, le même jour, le Ministère public ont relevé appel de cette décision à l'exclusion de tout autre - qu'en conséquence la société X, non appelante n'est pas en la cause d'appel.

Considérant que la cour observe, par ailleurs, que tout aussi faussement les conclusions indiquent que la décision critiquée a déclaré la société X civilement responsable. Qu'en effet, le jugement du 18 octobre 1993 n'a statué qu'à l'encontre de la seule Isabelle D et n'a absolument pas déclaré la société X civilement responsable.

Considérant que - sur l'exception d'illégalité - la cour ne saurait suivre la prévenue en son argumentation.

Qu'en effet elle constate que Isabelle D connaît parfaitement le fondement juridique de sa condamnation qui - contrairement à ce qui est soutenu - est nécessairement, en l'absence de poursuites du Parquet et d'ouverture d'information - celui de la citation directe à elle délivrée par la partie civile.

Considérant que Isabelle D peut difficilement ignorer qu'elle est poursuivie pour publicité mensongère. Qu'en effet, la cour observe qu'elle a été citée directement par la partie civile, une première fois le 7 avril 1992. Que la citation précise que les faits reprochés "constituent à l'évidence une publicité trompeuse ou de nature à induire le consommateur en erreur sur les qualités substantielles du service vendu. Qu'ils tombent sous le coup de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973".

Qu'elle a été citée une deuxième fois dans les mêmes termes le 30 juin 1992 pour l'audience du 14 septembre 1992.

Qu'ayant fait défaut le jugement rendu le 26 octobre 1992 par défaut lui a été signifié le 24 février 1993. Que cette décision comportait mention de la prévention ainsi que de tous les textes y afférents.

Qu'ayant fait régulièrement opposition elle était présente et assistée de son conseil à l'audience du 18 octobre 1993 qu'elle a été interrogée sur les faits reprochés ainsi qu'il appert des notes d'audience.

Considérant que si force est de constater que le jugement dont appel - du 18 octobre 1993 - ne vise aucun texte, il n'en demeure pas moins que Isabelle D ne peut valablement soutenir que cette absence lui a fait grief dans la mesure où elle a eu parfaitement connaissance des faits reprochés par les différents exploits et significations ci-dessus rappelés, étant observé que la décision critiquée rappelle que la Confédération syndicale du cadre de vie l'avait fait citer "pour y répondre du délit de publicité mensongère commis de février à avril 1992", prévention sur laquelle elle s'est ensuite longuement expliquée à l'audience.

Considérant que l'omission de viser les textes répressifs appliqués ne saurait donner ouverture à annulation lorsqu'il n'existe aucune incertitude quant aux infractions retenues contre le prévenu, aux textes dont il lui a été fait application ainsi qu'aux peines qui lui ont été infligées.

Considérant, en conséquence, que l'exception soulevée par Isabelle D - seule appelante avec le Ministère public, sera rejetée la société X n'étant pas en cause d'appel.

Sur le fond :

Considérant que la prévenue et la société X, par conclusions au fond régulièrement déposées et visées, et aux motivations desquelles la cour se réfère expressément, sollicitent, par infirmation, la relaxe d'Isabelle D des fins de la poursuite et subsidiairement l'indulgence ainsi qu'une minoration des dommages-intérêts alloués à la partie civile ;

Considérant que Monsieur l'Avocat général requiert, pour sa part, la confirmation du jugement déféré ;

Que la partie civile, intimée, demande à la cour de confirmer la décision attaquée et de condamner, en outre, la prévenue à lui verser la somme supplémentaire de 5 000 F pour frais irrépétibles devant la cour.

Sur l'action publique :

Considérant qu'il est constant que de février à avril 1992 de nombreux panneaux d'affichage apposés à Paris annonçaient aux consommateurs potentiels : "Plein de conseils et d'astuces pour réduire vos dettes - 3617 xxx" ;

Que les consommateurs surendettés, séduits par cette publicité et qui recouraient au minitel au prix de 2,19 F la minute, recevaient en fait les infirmations et les conseils suivants :

- "il y a des paiements pour lesquels il y a prescription : on ne peut plus vous attaquer après un certain nombre d'années, ces prescriptions sont de :

- moins de 10 ans pour un crime,

- moins de 4 ans pour une plainte au pénal contre un escroc,

- moins d'un an pour une contravention".

- "biens insaisissables - article 592 de l'ancien Code de procédure pénale ; il est des biens que l'on ne peut vous saisir" ;

- "vous achetez une voiture à crédit, vous payez normalement les premières traites puis vous disparaissez dans la nature. Si votre créancier ne vous retrouve pas au bout de deux ans, la voiture n'est plus saisissable car il y a prescription de la dette" ;

"Imaginons que vous habitez Paris et que vous soyez couvert de dettes, vous décidez de déménager afin d'échapper à vos créanciers en vous installant à Marseille, votre créancier devra reprendre la procédure à Marseille. Si votre créance est faible (moins de 7 000 F) les frais que votre créancier devra supporter lui feront abandonner l'affaire".

- "au cas où vous avez plusieurs dettes, la solution qui se présente à vous est de changer régulièrement de domicile afin de brouiller les pistes - on appelle ça "des résidences à ressorts" ;

- "vous louez un studio miteux qui sera votre domicile et, sous un autre nom, un appartement où vous avez directement mis vos meubles" ;

- "pour tromper l'huissier qui viendra vous faire la signification, il faut que vous laissiez votre nom sur la boîte à lettres".

et que, par ailleurs, parmi les indications données, il était conseillé de s'adresser à l'une des principales organisations de consommateurs, la CSCV, qui pouvait paraître ainsi cautionner le service télématique concerné ;

Considérant que la cour ne saurait suivre la prévenue en son argumentation ;

Qu'en effet, le caractère trompeur de la publicité critiquée est, sans conteste, établi en l'espèce, les "conseils" sommaires ou parfaitement erronés ainsi prodigués étant de nature, loin d'améliorer la situation des consommateurs potentiels, à les exposer, bien au contraire, à des poursuites pénales ou, à tout le moins, à les priver du bénéfice de la bonne foi dans le cadre de la loi Neiertz sur le surendettement ;

Considérant que la cour observe que le contrat dit "d'hébergement" signé le 26 septembre 1991 entre les sociétés Y (le client) et Z (le serveur), dont la prévenue et son concubin Didier K sont respectivement les gérants, ne peut dissimuler que l'annonceur véritable de la publicité litigieuse est la société X ;

Que la cour relève au demeurant qu'il résulte de l'article 4 dudit contrat que la propriété intellectuelle et commerciale des services appartient au "client" c'est-à-dire à la société X qui est ainsi bénéficiaire des publicités illicites ;

Considérant qu'en la matière, l'annonceur pour le compte duquel la publicité est diffusée est responsable de l'infraction commise et que si le contrevenant est une personne morale, la responsabilité incombe à ses dirigeants ;

Considérant que vainement Isabelle D soutient dans ses écritures, pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité personnelle, que son concubin Didier K est le véritable animateur de la société X ;

Qu'il lui appartenait, en effet, en sa qualité de gérante de droit de cette société de s'assurer du caractère licite de la sincérité de la publicité diffusée ;

Considérant que pas davantage elle ne peut invoquer utilement une erreur sur le droit aux motifs de ce que la campagne publicitaire litigieuse se serait inspirée d'un "guide de survie de l'endetté" et qu'elle aurait consulté, avec Didier K, à plusieurs reprises un avocat à Thionville sur le caractère licite de l'opération envisagée ;

Que la cour constate, en effet, que la lecture d'un ouvrage auto-édité par un parfait inconnu et la consultation - d'ailleurs simplement alléguée - auprès d'un avocat ne peuvent suffire à justifier une erreur invincible sur le droit au sens de l'article 122-3 du Code pénal ;

Considérant qu'il convient, par ces motifs, et ceux pertinents des premiers juges que la cour fait siens, de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité et la peine d'amende infligée qui constitue une application de la loi pénale parfaitement adaptée à la relative gravité des agissements commis et à la personnalité de la prévenue, étant observé que les faits poursuivis sont prévus et réprimés par l'article 44 de la loi du 27/12/1973 devenu les articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation ;

Qu'il échet de confirmer également la mesure de publication par extraits ordonnée à juste titre par le tribunal dans Le Monde et France Soir aux frais de Isabelle D et, y ajoutant, de préciser que cette publication aura lieu dans la limite de 15 000 F par extrait.

Sur l'action civile :

Considérant que la cour ne trouve pas motif à modifier la décision critiquée qui a fait une équitable appréciation des préjudices subis par la partie civile et découlant directement de l'infraction.

Considérant que le jugement sera confirmé sur les intérêts civils ;

Qu'y ajoutant, la cour condamnera Isabelle D à verser à la Confédération syndicale du cadre de vie la somme supplémentaire de 5 000 F pour frais irrépétibles en cause d'appel.

Considérant que la cour constate que la société X n'est pas présente en la cause d'appel le jugement dont appel n'ayant pas statué à son encontre et Isabelle D étant seule appelante avec le Ministère public ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de statuer à son encontre.

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges que la cour adopte expressément ; LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, vu l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 devenu les articles L. 121-1 et L. 312-1 du Code de la consommation, joint l'incident au fond, rejette l'exception de nullité soulevée ; Sur l'action publique : Rejette les conclusions de relaxe de la prévenue ; Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité, la peine d'amende infligée et la mesure de publication ordonnées, Y ajoutant, dit que la publication aura lieu dans la limite de 15 000 F par extrait. Sur l'action civile : Confirme la décision dont appel sur les intérêts civils ; Y ajoutant, Condamne Isabelle D à verser à la Confédération syndicale du cadre de vie la somme supplémentaire de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Constate qu'il n'y a pas lieu de statuer à l'encontre de la société X qui n'est pas présente en la présente cause d'appel. Rejette toutes autres conclusions plus amples ou contraires. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.