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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 26 janvier 2000, n° 1998-27055

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coopération pharmaceutique française (SA) ; Théraplix (SA)

Défendeur :

Laboratoires Théramex (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

Me Moreau, SCP Régnier-Sevestre-Régnier-Lamarche-Bequet-Régnier-Régnier

Avocats :

Mes Cousin, André.

TGI Paris, 3e ch., du 15 sept. 1998

15 septembre 1998

La société Coopération pharmaceutique française est titulaire de la marque dénominative "Mag 2", déposée le 13 juin 1990, en renouvellement de deux dépôts précédents dont le premier remonte au 24 novembre 1970, enregistrée sous le numéro 1 647 963, pour désigner la spécialité qui s'adresse à la magnésothérapie (médicament à base de magnésium), produit relevant de la classe 5.

La société Théraplix est titulaire des autorisations de mise sur le marché et exploite les spécialités pharmaceutiques désignées sous la marque "Mag 2".

Reprochant à la société Théramex d'avoir mis sur le marché un produit dénommé "Oromag", présenté dans un conditionnement d'apparence similaire et d'avoir dans une publicité pour ce produit fourni des indications fausses ou de nature à induire le public en erreur et dénigrantes, la société Coopération pharmaceutique française et la société Théraplix l'ont, par acte du 20 février 1997, assignée devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale.

Par jugement du 15 septembre 1998, le tribunal a débouté les sociétés Coopération pharmaceutique française et Théraplix de leurs demandes au titre de la contrefaçon de marque et de la concurrence déloyale, a débouté la société Théramex de sa demande de dommages-intérêts et a condamné in solidum les sociétés Coopération pharmaceutique française et Théraplix à payer à la société Théramex la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu l'appel de cette décision interjeté le 3 novembre 1998 par la société Coopération pharmaceutique française et la société Théraplix,

Vu les conclusions signifiées le 25 novembre 1999 aux termes desquelles la société Coopération pharmaceutique française et la société Théraplix, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demandent, outre les mesures habituelles d'interdiction, de confiscation et de publication, de :

- dire qu'en offrant, vendant et en effectuant de la publicité pour un produit dénommé "Oromag", sous un mode privilégiant le terme Mag, la société Théramex a commis des actes de contrefaçon par reproduction ou à tout le moins par imitation de la marque "Mag 2",

- dire qu'en utilisant pour écrire le terme Mag, des lettres rouges sur fond blanc avec un appel de couleur jaune, la société Théramex s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale, au préjudice de la société Théraplix,

- dire que, dans sa publicité pour ce produit, la société Théramex s'est rendue coupable, par des indications fausses ou de nature à induire en erreur le public et par dénigrement, d'actes de concurrence déloyale,

- condamner la société Théramex à leur payer la somme de 1 000 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouter la société Théramex de son appel incident;

Vu les conclusions signifiées le 3 septembre 1999 par lesquelles la société Théramex sollicite la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts et formant appel incident sur ce point, demande de lui allouer la somme de 50 000 F sur le fondement des articles 32-1 et 559 du nouveau Code de procédure civile et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Sur quoi, LA COUR,

- Sur la contrefaçon de marque

Considérant que si le terme Mag évoque l'élément chimique, il ne sert pas à désigner une caractéristique de la spécialité pharmaceutique à base de magnésium, dont le symbole est représenté par les initiales Mg ;

Qu'en outre, la société Théramex ne démontre pas que lors du dépôt de la marque "Mag 2", le 24 novembre 1970, ce terme était usuel pour identifier ce type de médicament;

Que la société Théramex est irrecevable à invoquer les marques déposées par des tiers qui seuls ont qualité pour s'en prévaloir ;

Que le terme Mag revêt donc un caractère distinctif;

Considérant, toutefois, que la société Théraplix ne rapporte pas la preuve qu'elle utilise isolément le terme Mag, sans le chiffre 2, et qu'il exerce à lui seul la fonction distinctive de la marque;

Considérant que dans la dénomination "Oromag", même présentée en superposant les deux syllabes, l'adjonction du terme ORO fait perdre à la marque son individualité propre ; que ce préfixe, évoquant un produit administré par voie buccale, associé au suffixe Mag, forme un ensemble distinct tant du point de vue intellectuel que visuellement et phonétiquement, de telle sorte qu'il n'existe entre elles aucun risque de confusion;

Que la marque Mag 2 n'est donc ni contrefaite, ni imitée par la dénomination Oromag;

Que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;

- Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société Théraplix reproche, en premier lieu, à la société Théramex d'avoir commis des actes de concurrence déloyale, "par rattachement indiscret" à l'apparence du produit conditionné sous la marque Mag 2 ;

Que, sans contester les similitudes entre les emballages des produits "Mag 2" et "Oromag", la société Théramex réplique qu'aucune faute ne peut lui être reprochée alors qu'elle justifie avoir commandé le matériel promotionnel afférent à la mise sur le marché du conditionnement litigieux le 18 décembre 1995 et que la société Théraplix n'a commercialisé son produit, sous cette nouvelle présentation, qu'en 1996 ;

Considérant que le conditionnement du produit diffusé sous la marque "Mag 2" est caractérisé par :

- un fond blanc revêtu d'inscriptions en petites lettres noires concernant la composition du produit, la posologie, le mode d'administration,

- l'utilisation de la couleur rouge pour l'écriture de la marque "Mag 2",

- un rectangle de couleur jaune formant cartouche pour le chiffre 2 et rappelé pour dessiner un sachet du médicament;

Que le conditionnement du produit "Oromag" présente :

- un fond blanc sur lequel figurent en lettres noires et gris foncé les indications thérapeutiques et celles relatives à la composition et au mode d'administration,

- la syllabe ORO en lettres capitales de couleur grise et la syllabe MAG en lettres capitales de couleur rouge,

- un motif géométrique de forme ronde, de couleur jaune, évoquant le comprimé à sucer contenu dans l'emballage;

Considérant que la société Théraplix justifie avoir commandé, le 21 juillet 1995, la publicité sur laquelle cet agencement de couleurs apparaît ; qu'il ressort de la facture de l'agence de publicité que cette prestation lui a été fournie le 31 août 1995 ; qu'elle a été diffusée en novembre 1995, comme l'établit la transmission de l'annonce à l'Agence du Médicament;

Que la facture datée du 31 décembre 1995 et le bon de commande daté du 4 janvier 1996 versés aux débats par la société Théramex ne permettent pas d'identifier le conditionnement commandé;

Qu'en tout état de cause, la société Théramex ne conteste pas que l'exploitation de ce conditionnement par la société Théraplix a commencé à compter du mois de juin 1996 et ne justifie pas d'une commercialisation antérieure du produit "Oromag" ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient l'intimée, cette combinaison de couleurs caractérisée par un fond blanc, quelques inscriptions en petites lettres noires, l'écriture du terme Mag en lettres rouges et une forme géométrique de couleur jaune, ne se retrouve pas dans les emballages utilisés par les laboratoires pharmaceutiques concurrents pour ce type de médicaments;

Que ces similitudes qui ne peuvent être fortuites, créent une même impression d'ensemble et sont de nature à engendrer un risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne en lui laissant croire qu'il s'agit du même produit proposé sous une autre forme galénique ;

Considérant qu'en reproduisant ce conditionnement, la société Théramex a commis des actes de concurrence déloyale ;

Considérant que la société Théraplix fait grief, en second lieu, à l'intimée d'avoir dans sa publicité dénigré le produit Mag 2, en le présentant comme inférieur au produit Oromag, sur une qualité qui n'est pas essentielle ;

Que la société Théramex répond que ces imputations sont la reproduction d'extraits de l'étude comparative menée dans le cadre du dossier permettant l'obtention de l'AMM, dont la publication est autorisée ;

Considérant que la publicité litigieuse relative au produit "Oromag" mentionne :

"cette posologie simple est le gage d'une bonne observance"

"une galénique innovante ... appréciée des patients ... agréable 72,7 % Oromag";

Qu'une astérisque renvoie à la référence à une "étude comparative de l'acceptabilité et de la tolérance à court terme de TX 1341 et de Mag 2" ;

Considérant que la société Théramex ne saurait se prévaloir des dispositions relatives à la publicité comparative, alors qu'elle ne justifie pas d'une communication préalable de l'annonce à la société Théraplix, conformément à l'article L. 121-12 du Code de la consommation ; qu'elle ne peut davantage invoquer l'article 9 de la circulaire n° 97-0216, émanant de la Direction des affaires techniques et scientifiques du Syndicat national de l'industrie pharmaceutique, qui permet aux annonceurs de publier, dans le cadre d'articles de publicité rédactionnelle, des résultats d'études comportant des comparaisons notamment s'il s'agit de travaux retenus pour la constitution de dossiers d' AMM; qu' en effet, ce texte ne la dispensait pas de soumettre préalablement son annonce à la société Théraplix ;

Considérant que les mentions litigieuses qui tendent à faire croire au public que la présentation sous forme de comprimés à sucer, et le dosage du produit Oromag, permet un meilleur respect du traitement, que ne le permet le produit Mag 2 présenté sous forme de poudre soluble ou d'ampoules, visent à dénigrer ce dernier, dès lors que la comparaison ne porte pas sur une qualité essentielle du produit, mais son caractère plus "agréable" pour le patient;

Que cette publicité revêt donc un caractère fautif;

Considérant que la société Théraplix prétend, en troisième lieu, que cette publicité contient une indication de nature à induire le public en erreur en présentant le produit "Oromag" sous une forme galénique "innovante" ;

Mais considérant que si, comme le relève pertinemment le tribunal, l'emploi de l'adjectif "innovant" est excessif, il n'est pas contesté que le produit "Oromag" était le seul médicament de sa spécialité présenté sous la forme de comprimé à sucer et aromatisé au citron ;

Que ce grief sera, en conséquence, rejeté ;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant qu'en imitant le conditionnement du produit Mag 2, la société Théramex a cherché à tirer profit des investissements de l'appelante sur un produit concurrent déjà présent sur le marché depuis 1974 ; que le préjudice subi a été aggravé par la publicité litigieuse qui a contribué à discréditer aux yeux du public le produit Mag 2 de manière à bénéficier de sa part de marché ;

Considérant, dans de telles circonstances, que le préjudice subi par la société Théraplix doit être évalué à la somme de 300 000 F ;

Que les faits justifient les mesures d'interdiction et de publication sollicitées selon les modalités qui seront précisées au dispositif ; que la mesure de confiscation n'apparaît pas nécessaire en raison de l'interdiction prononcée ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Théraplix ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 20 000 F ;

Que les demandes formées sur ce fondement par la société Coopération pharmaceutique française et la société Théramex doivent être rejetées ;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Coopération pharmaceutique française de son action en contrefaçon de la marque "Mag 2" ; L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau ; Dit qu'en utilisant pour son produit "Oromag" un conditionnement reproduisant les caractéristiques du conditionnement sous lequel est commercialisé le produit "Mag 2", la société Théramex a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Théraplix ; Dit que dans sa publicité pour le produit "Oromag", la société Théramex a commis des actes de concurrence déloyale en dénigrant le produit "Mag 2", commercialisé par la société Théraplix ; Interdit à la société Théramex de fabriquer, détenir, offrir en vente ou vendre des produits dans le conditionnement litigieux et-ou accompagnés des mentions constitutives de dénigrement, sous astreinte de 200 F par infraction constatée, dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt ; Se réserve la liquidation de l'astreinte ; Condamne la société Théramex à payer à la société Théraplix la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Autorise la société Théraplix à publier le dispositif du présent arrêt, par extrait ou en entier, dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la société Théramex, sans que ceux-ci puissent excéder la somme de 30 000 F HT par insertion ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la société Théramex aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.