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Décisions

TPICE, président, 28 juin 2000, n° T-191/98 R II

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Cho Yang Shipping Co. Ltd

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

TPICE n° T-191/98 R II

28 juin 2000

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

1 La requérante était l'une des quinze compagnies maritimes parties au Trans-Atlantic Agreement (ci-après "TAA"), un accord relatif au transport de travers l'Atlantique, entre l'Europe du Nord et les Etats-Unis d'Amérique, entré en vigueur le 31 août 1992.

2 Le 19 octobre 1994, la Commission a arrêté la décision 94-980-CE, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-34.446 - Trans-Atla Agreement) (JO L 376, p. 1), par laquelle, d'une part, elle a constaté que certaines dispositions du TAA, dont, notamment, celles relatives à certains services de transport terrestre sur le territoire de la Communauté, enfreignaient l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) et, d'autre part, elle a refusé d'appliquer l'article 85, paragraphe 3, du traité et l'article 5 du règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application des règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1), à ces dispositions. La décision 94-980 interdisait à ses destinataires de se livrer; notamment, à des pratiques de fixation des prix ayant un objet ou un effet identique ou analogue aux dispositions contenues dans le TAA.

3 À l'issue de nombreuses discussions avec la Commission, les parties au TAA ont notifié à cette dernière, le 5 juillet 1994, un nouvel accord destiné à le remplacer et intitulé le Trans-Atlantic Conference Agreement (ci-après " TACA "), lequel est entré en vigueur le 24 octobre 1994.

4 Le 16 septembre 1998, la Commission a adopté la décision 1999-243-CE, relative à une procédure d'application des articles 85 et 86 du traité CE (affaire IV-35.134 - Trans-Atlantic Conference Agreement) (JO 1999, L 95, p. 1).

5 Selon les articles 1, 2 et 3 de la décision 1999-243, les parties au TACA ont enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) et de l'article 2 du règlement n° 1017-68 en concluant un accord en vertu duquel elles ont mené diverses activités contraires à la concurrence.

6 Selon les articles 5 et 6 de la décision 1999-243, la requérante et les autres parties au TACA ont enfreint les dispositions de l'article 86 du traité CE (devenu article 82 CE) et de l'article 54 de l'accord EEE, en modifiant la structure concurrentielle du marché de façon è renforcer leur position dominante collective et en prévoyant des restrictions relatives à l'accès et au contenu de contrats de services.

7 L'article 8 de la décision 1999-243, pour les infractions constatées aux articles 5 et 6, inflige aux parties au TACA une amende s'élevant, en ce qui concerne la requérante, à 13,75 millions d'euros. L'article 10 prévoit que les amendes fixées à l'article 8 sont payables dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification de la décision 1999-243. À l'expiration de ce délai, des intérêts sont automatiquement dus au taux de 7,5 %.

8 Par lettre du 25 septembre 1998, la Commission a notifié la décision 1999-243 à la requérante. Dans cette lettre, elle précisait que, si la requérante introduisait un recours devant le Tribunal, elle ne procéderait à aucune mesure de recouvrement tant que l'affaire serait pendante devant cette juridiction, pour autant que la créance produise intérêts au taux de 5,50 %, à partir de la date d'expiration du délai de payement, et qu'une garantie bancaire, acceptable par elle et couvrant la dette tant au principal qu'en intérêts, soit fournie au plus tard à cette date.

9 Par lettre du 2 décembre 1998, la requérante a sollicité une dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire ou de payer l'amende.

10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 décembre 1998, la requérante, avec onze autres compagnies maritimes parties au TACA, a introduit, en vertu de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), un recours visant à l'annulation de la décision 1999-243 (affaire T-191-98).

11 Le 9juin 1999, la Commission a rejeté la demande de la requérante et indiqué qu'elle était prête à accepter:

"a) une garantie bancaire limitée dans le temps (par exemple, pour une période d'un an) en utilisant le modèle de garantie bancaire ci-annexé;

b) un mécanisme de règlement permettant à la société de payer par fractionnement à la condition que les intérêts de retard soient calculés et que le solde de la dette soit couvert par une garantie bancaire ordinaire".

12 Le modèle de garantie bancaire annexé à cette lettre prévoit que cette garantie a une durée initiale d'un an, renouvelable automatiquement pour de nouvelles périodes d'un an si elle n'est pas révoquée par la banque. En cas de révocation, la requérante est tenue de s'acquitter dans un délai de quinze jours du montant de l'amende augmenté des intérêts échus.

13 Par acte déposé au greffe le 19 octobre 1999, la requérante a introduit, en vertu de l'article 242 CE, la présente demande tendant :

- au sursis à l'exécution de la décision 1999-243 en ce qu'elle lui impose, dans son article 8, le payement d'une amende de 13,75 millions d'euros, jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur l'affaire T-191-98 et sur tout pourvoi y afférent et jusqu'à la signature de l'ordonnance mettant fin à la présente instance en référé;

- à la condamnation de la Commission aux dépens afférents à la présente instance en référé.

14 Par ailleurs, la requérante sollicite la possibilité de présenter des observations sur le traitement à réserver aux données confidentielles que pourrait contenir l'ordonnance mettant fin à la présente instance.

15 La Commission a présenté des observations écrites le 29 octobre 1999.

16 Le juge des référés a invité la requérante à répondre lors de l'audition des parties à certaines questions écrites.

17 Les parties ont été entendues en leurs explications le 12 novembre 1999. Lors de l'audition, la requérante a été invitée à compléter ses réponses aux questions écrites qui lui avaient été posées. Le 3 décembre 1999, la Commission a émis des observations sur les réponses complémentaires que la requérante a déposées au greffe le 26 novembre.

18 Le 7 décembre 1999, le juge des référés a invité la requérante à se prononcer sur certaines questions soulevées par la Commission dans ses observations du 3 décembre. La requérante a répondu par lettre déposée au greffe le 15 décembre 1999.

19 Par ordonnance du même jour (Cho Yang Shipping/Commission, T-191-98 R II, non publiée au Recueil), le juge des référés a ordonné le sursis à l'exécution de la décision attaquée jusqu'à la signature de l'ordonnance mettant fin à la présente instance en référé, et exigé la communication des comptes annuels relatifs à l'exercice clos le 31 décembre 1999, vérifiés et certifiés par un cabinet d'audit de réputation internationale, accompagnés d'une lettre émanant dudit cabinet attestant que ces comptes font apparaître le montant de l'amende infligée à la requérante par la décision 1999-243, en principal et intérêts. Enfin, le point 3 du dispositif de cette ordonnance précisait que, jusqu'à ce qu'il soit mis fin à la présente instance en référé, l'amende infligée à la requérante continuerait de produire des intérêts au taux de 7,5 % conformément aux dispositions de l'article 10 de la décision 1999-243.

20 Le 31 mars 2000, la requérante a déposé au greffe un rapport du cabinet Seo II & Company présentant ses comptes annuels relatifs à l'exercice 1999. La Commission, par lettre déposée au greffe le 19 avril 2000, a émis des observations sur ces comptes.

En droit

21 En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

22 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi des mesures auxquelles elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que la demande de mesures provisoires doit être rejetée dès lors que l'une d'elle fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268-96 P(R), Rec. p. 1-4971, point 30].

23 Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 29 juin 1999, Italie/ Commission, C-107-99 R, Rec. p. 1-4011, point 59).

Arguments des parties

Sur le fumus boni juris

24 Pour démontrer le bien-fondé, à première vue, de ses prétentions, la requérante soulève trois moyens tirés, respectivement, d'une violation des formes substantielles, d'erreurs de fait et de droit dans l'appréciation de l'existence d'infractions à l'article 86 du traité et de l'illégalité de l'amende infligée. Elle se réfère aux arguments développés par la société DSR-Senator Unes dans la procédure en référé avant donné lieu à l'ordonnance du président du Tribunal du 21 juillet 1999, DSR-Senator Lines/Commission (T-191-98 R, Rec. p. II-2531).

25 La Commission ne conteste pas l'existence d'un fumus boni juris.

Sur l'urgence

26 Selon la requérante, des circonstances exceptionnelles justifient la suspension de l'obligation de payer l'amende imposée par la décision 1999-243 sans subordonner cette suspension à la fourniture immédiate d'une garantie bancaire. Elle fait valoir qu'elle a subi des pertes importantes en 1997 du fait de la crise économique asiatique et que, malgré la restructuration engagée depuis lors, elle demeure dans une situation financière fragile. Elle ne disposerait pas de liquidités lui permettant de fournir une garantie bancaire à la Commission; ses actionnaires ne pourraient lui prêter assistance; le paiement immédiat de l'amende compromettrait son existence.

27 Elle rappelle que, en 1997, dans un contexte défavorable au secteur du transport maritime, elle a été gravement affectée par la crise économique et monétaire asiatique dont les effets, en Corée, ont été amplifiés par la pratique généralisée des garanties croisées entre sociétés regroupées en conglomérats et par le haut niveau d'endettement des entreprises. Lors de cet exercice, qui s'est soldé par des pertes nettes de 429 milliards de wons coréens (KRW) (284 millions d'euros), elle aurait augmenté son capital, par l'émission, pour un montant de 19 milliards de KRW (12 millions d'euros), d'actions nouvelles, principalement souscrites par de nouveaux investisseurs, Krota Sea-Land Transportation Ltd et Pieris Investment Pte. Ltd et, dans une moindre mesure, par les membres de la famille Park ainsi que par M. Lee Dongjoo, déjà actionnaires de la société.

28 En mars 1998, conformément aux mesures définies par le Fonds monétaire international et le gouvernement coréen, la Seoul Bank, sa principale banque, lui aurait imposé un " accord en vue d'une amélioration de sa structure financière" comprenant, notamment, l'élimination progressive des garanties bancaires croisées entre les sociétés du groupe Cho Yang et la cession de nombreux actifs. En application de cet accord, le 19 juillet 1999, la requérante, ainsi que Samik Express, société du groupe Cho Yang, et les membres de la famille Park, auraient cédé à Allianz AG leurs actions de la société coréenne d'assurance, First Life Insurance Go. Ltd (ci-après " First Life"). La requérante aurait affecté le produit de cette vente à la réduction de son endettement. Elle aurait également acquis une participation de 100 % dans une ancienne filiale de First Life, Hansin Mutual Saving & Finance Co. Ltd. Le 6 août 1999, Samik Express aurait versé à la requérante le produit de la vente de 28,37 % du capital de First Life. La requérante expose que, après avoir vendu la moitié de sa flotte, elle ne possède désormais que sept navires. Si la vente de navires a contribué à la réduction de son endettement, elle aurait également eu pour conséquence d'augmenter ses frais d'exploitation en la contraignant à affréter des navires supplémentaires pour poursuivre son activité. Enfin, au titre de la restructuration entreprise, la requérante aurait conclu en 1998 un accord de coopération avec DSR-Senator Lines, Hanjin Shipping et la United Arab Shipping Company.

29 Au terme de l'exercice 1998, la requérante affichait une perte nette d'environ 47 milliards de KRW (30 millions d'euros), une charge d'intérêts de 113 milliards de KRW (72 millions d'euros) et des fonds propres négatifs de 427 milliards de KRW (273 millions d'euros). A la fin du premier semestre de 1999, elle estimait que ses pertes nettes pour l'exercice en cours s'élevaient à 9 milliards de KRW (7 millions d'euros) et, selon ses prévisions, son bilan annuel devait faire apparaître des actifs de 630 milliards de KRW (484 millions d'euros), un passif d'environ 570,1 milliards de KRW (438 millions d'euros) et des fonds propres d'environ 59,9 milliards de KRW (46 millions d'euros).

30 En dépit de cette amélioration, la requérante juge sa situation fragile. Tous ses navires et actifs immobiliers seraient hypothéqués et les participations financières au sein du groupe auraient été gagées. En raison de problèmes de trésorerie, les navires qu'elle exploite auraient été saisis par des tiers usant de leurs privilèges maritimes. Bien que la requérante ait été en mesure de convaincre ses banques de ne pas procéder à des mesures d'exécution forcée, elle affirme n'avoir pu obtenir de nouveaux crédits depuis 1998, en raison de sa faible solvabilité. Ainsi, entre le 27 novembre 1998 et le 2 août 1999, la Seoul Bank, la Korea Development Bank, la Korea First Bank et la Hana Bank auraient, à plusieurs reprises, refusé de lui octroyer une garantie bancaire, faute d'actifs et, notamment, de liquidités suffisantes.

31 La requérante souligne que l'aptitude à court terme d'une société à payer une somme donnée se mesure à son ratio de liquidité générale (actif disponible-passif exigible) et qu'elle n'a pas de " réserves" lui permettant de payer 13,75 millions d'euros (18 milliards de KRW). Pour s'acquitter immédiatement de cette somme, elle serait contrainte de vendre des navires ou d'autres actifs productifs. Ses actifs ayant été donnés en sûreté pour garantir des dettes d'un montant nettement supérieur à celui de l'amende, le produit de leur cession serait en priorité affecté au remboursement de créanciers privilégiés. Une telle vente compromettrait la capacité de la société à générer des revenus, risquant ainsi de conduire ses créanciers à précipiter sa mise en liquidation, sans pour autant offrir à la Commission de réelles possibilités de recouvrement.

32 Les intérêts et situations financières respectifs des actionnaires et des sociétés du groupe auquel appartient la requérante excluraient tout soutien de leur part. Ainsi, il devrait être statué sur la présente demande sans appliquer une règle arbitraire selon laquelle un ou plusieurs actionnaires "devraient" prêter leur concours à la requérante.

33 La Commission estime que la condition relative à l'urgence n'est pas remplie.

34 Entre 1997 et 1999, la requérante aurait bénéficié, malgré son insolvabilité, du soutien de ses créanciers, de ses actionnaires et de nouveaux investisseurs, lesquels, selon la Commission, parient sur le rétablissement de l'entreprise à long terme. Il serait peu probable qu'ils prennent, à court terme, le risque de laisser la requérante être mise en liquidation et de perdre définitivement toute possibilité de recouvrer leurs créances. Le surendettement de la requérante serait antérieur à la décision 1999-243. Dans ces conditions, la mise en recouvrement de l'amende, d'un montant infime par rapport à l'ensemble du passif, ne pourrait constituer la cause d'une liquidation éventuelle de la requérante. En revanche, la suspension du recouvrement de l'amende ou de l'obligation de constituer une garantie reviendrait à faire supporter au contribuable communautaire les risques normalement à la charge des créanciers de la requérante.

35 La présente demande devrait être examinée en prenant en considération le soutien que peuvent apporter les entreprises du groupe dont dépend la requérante (ordonnance du président de la Cour du 7 mai 1982, Hasselblad/Commission, 86-82 R, Rec. p. 1555, point 4; ordonnance du président du Tribunal du 21 décembre 1994, Buchmann/Commission, T-295-94 R, Rec. p. 11-1265). Il serait donc justifié d'examiner si la requérante, avec l'assistance des membres du groupe auquel elle appartient, est en mesure de fournir la garantie exigée. L'accord de restructuration entre la Seoul Bank et le Cho Yang Group démontrerait à suffisance de droit l'existence d'un groupe de sociétés.

36 En tout état de cause, la situation de la requérante ne serait plus aussi grave qu'en 1997 ou en 1998, de sorte que, désormais, elle ne serait plus confrontée à un risque de liquidation. Après avoir examiné les comptes annuels de la requérante relatifs à l'exercice 1999, la Commission estime que la requérante est en mesure de payer elle-même l'amende ou de constituer une garantie bancaire. En outre, elle s'interroge sur la conformité de ces comptes avec les termes de l'ordonnance Cho Yang Shipping/Commission, précitée, dans la mesure où ils ne mentionnent l'amende que dans une note annexe.

Sur la balance des intérêts

37 La requérante soutient que la Commission, dans la décision 1999-243, lui inflige une amende en raison non de son comportement individuel, mais d'un abus de position dominante commis par les parties au TACA. Or, la présente demande ne porterait que sur 13,75 millions d'euros, c'est-à-dire 5 % des 272,98 millions d'euros d'amendes infligées aux parties au TACA. La requérante expose que la route transatlantique était, pour elle, un marché nouveau, sur lequel elle est entrée par le biais d'accords de coopération avec d'autres compagnies maritimes. Depuis 1999, elle se serait retirée du TACA. Par conséquent, l'intérêt communautaire, financier ou politique en matière de concurrence, qui s'attacherait au recouvrement de l'amende serait très limité en l'espèce, alors que la liquidation de la requérante affecterait la concurrence sur la route transatlantique.

38 Selon la requérante, il ressort de l'ordonnance du président de la Cour du 6 mai 1982, AEG/Commission (107-82 R, Rec. p. 1549), que l'obligation de constituer une garantie bancaire vise è décourager l'introduction de recours dilatoires. Le caractère collectif du recours dans l'affaire au principal et la baisse de l'inflation depuis l'ordonnance AEG/Commission, précitée, excluraient tout comportement dilatoire de sa part.

39 Dans le cadre de sa demande, la requérante a proposé que le sursis à exécution soit assorti des conditions suivantes:

- le versement d'intérêts sur 13,75 millions d'euros au taux annuel de 5,5 %;

- son engagement, pour la durée du sursis, après adoption des comptes semestriels et annuels, de contacter au moins trois banques en vue d'obtenir une garantie bancaire pour un montant de 13,75 millions d'euros augmenté des intérêts, conforme à la garantie bancaire ordinaire exigée par la Commission;

- la communication, aux mois de septembre et d'avril de chaque année, des résultats de ses tentatives d'obtention de ladite garantie bancaire;

- l'extinction des obligations précédentes dès la présentation à la Commission de la garantie bancaire éventuellement obtenue.

40 La Commission rappelle que, dans le cadre de la balance des intérêts, l'obligation de fournir une garantie bancaire vise non seulement à dissuader les entreprises à l'encontre desquelles des amendes ont été prononcées d'introduire des recours dilatoires mais, surtout, à protéger l'intérêt financier de la Communauté et l'égalité de traitement entre lesdites entreprises. La condition relative à l'urgence n'étant pas satisfaite, il n'y aurait pas lieu d'examiner la balance des intérêts en présence. Par ailleurs, la Commission rejette la proposition de la requérante.

Appréciation du juge des référés

41 D'emblée, il convient de rejeter, comme manifestement irrecevables, les conclusions de la requérante visant à obtenir des mesures provisoires jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal dans l'affaire T-191-98. Le juge des référés n'est, en effet, pas compétent pour ordonner des mesures provisoires destinées à produire des effets jusqu'au prononcé d'un arrêt de la Cour sur un pourvoi~qui pourrait être formé contre l'arrêt du Tribunal mettant fin à l'instance au principal.

42 Il convient également de définir avec précision l'objet de la présente instance. La requérante conclut à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision 1999-243 en ce que celle-ci lui inflige, dans son article 8, une amende de 13,75 millions d'euros. Or, il est constant que, dans sa lettre de notification du 25 septembre 1998, la Commission a précisé que, en cas de recours, elle ne procéderait à aucune mesure de recouvrement de l'amende pour autant que la requérante constituerait une garantie bancaire couvrant le montant de l'amende, en principal et intérêts. Dans ces conditions, la demande de sursis à exécution ne peut avoir d'autre objet utile que d'obtenir une dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat du montant de l'amende infligée par la décision 1999-243. Sauf à vider de sens le principe du caractère non suspensif des recours posé par l'article 242 CE, il ne saurait être fait droit à la demande de la requérante qu'en présence de circonstances exceptionnelles [ordonnances du président de la Cour, AEG/Commission, précitée, et du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C-364-99 P(R), Rec. p. I-8733, point 48].

43 En l'espèce, la Commission ayant admis l'existence d'un fumus boni juris (voir ci-dessus point 25), il y a lieu d'examiner si la requérante a rapporté la preuve qu'il lui est impossible de constituer la garantie demandée sans mettre en péril son existence et que la condition relative à l'urgence est, dès lors, remplie. A cet égard, la pertinence des lettres par lesquelles les banques ont manifesté leur refus d'octroyer la garantie exigée doit être évaluée à la lumière de la situation économique objective de la requérante.

44 Un tel examen implique une analyse complexe de nombreuses données comptables et financières. Afin de procéder à un tel examen et, compte tenu de l'imminence de la clôture de l'exercice 1999, il a été exigé, au point 2 du dispositif de l'ordonnance Cho Yang Shipping/Commission, précitée, que la requérante produise avant le 1er avril 2000 les comptes de son dernier exercice dans les conditions rappelées ci-dessus au point 19 de la présente ordonnance.

45 Quand bien même il pourrait être admis, en dépit des doutes émis par la Commission, que la requérante ait satisfait aux exigences de l'ordonnance Cho Yang Shipping/Commission, précitée,il convient de constater qu'elle n'a pas établi qu'elle est confrontée à un risque de préjudice de nature à justifier un sursis à exécution.

46 À cet égard, il convient de souligner que, dès 1995, la requérante souffrait d'un fort endettement. En 1995 et en 1996, son passif représentait respectivement 14 et 29 fois ses fonds propres. Au cours de ces exercices, son résultat d'exploitation (operating income) restait limité aux alentours de 63 milliards de KRW. Toutefois, après un résultat net (net income) de 3 milliards de KRW en 1995, la requérante a enregistré, lors de l'exercice suivant, des pertes nettes supérieures à 7,9 milliards de KRW. Compte tenu de cette dégradation, la requérante, qui avait dégagé, en 1995, plus d'un milliard de KRW de bénéfices non distribués (unappropriated retained earnings carried over), déclarait dans ses comptes annuels pour l'exercice 1996 plus de 6,7 milliards de KRW de pertes reportées (loss carried over).

47 C'est dans ce contexte de détérioration que la crise économique et monétaire asiatique de 1997 a affecté la requérante. Au cours de l'exercice 1997, son passif a augmenté de plus de 44 %, atteignant 1 027 milliards de KRW. Le résultat d'exploitation, qui était de 63 milliards de KRW en 1996, a fait place à des pertes d'environ 163 milliards de KRW. Avec des pertes reportées (loss carried over) d'environ 434 milliards de KRW, les fonds propres de la requérante devenaient négatifs et s'élevaient à - 379 milliards de KRW. Ainsi, il ressort de ces éléments que les difficultés invoquées par la requérante trouvent leur origine dans des faits antérieurs è la décision 1999-243.

48 Par ailleurs, il convient de constater que, depuis 1998, la situation de la requérante s'est considérablement améliorée. Tout d'abord, entre 1997 et 1998, la requérante a réduit son passif de plus de 16 % et, entre 1998 et 1999, de plus de 34 %. Il était de 557 milliards de KRW en 1999, soit environ la moitié du passif de 1997. Ensuite, grâce au plan de restructuration, la requérante a été en mesure, à la fin de l'exercice 1999, d'éliminer les 480 milliards de pertes reportées lors de l'exercice précédent et de présenter un résultat d'exploitation de 46 milliards de KRW, pour un résultat net supérieur à 253 milliards de KRW. Au cours de cet exercice, ses fonds propres sont passés de - 427 milliards de KRW à environ 96 milliards de KRW, ramenant son ratio d'endettement (passif-fonds propres) à 6, niveau près de cinq fois inférieur à celui constaté en 1996. Sa charge d'intérêts est passée de 117 milliards à 73 milliards de KRW. Il ressort également du dossier que, au cours du deuxième trimestre de 1999, la requérante a enregistré de meilleurs résultats qu'elle ne l'escomptait lors de l'introduction de sa demande en référé.

49 Il ressort cependant des explications écrites en réponse aux questions qui lui ont été adressées lors de l'audition que, malgré ces développements positifs, les navires et les actifs immobiliers de la requérante ne représentent qu'une valeur se situant entre [...] des créances bancaires qu'ils sont destinés à garantir. Dans de telles conditions, il y a lieu d'admettre que leur liquidation immédiate ne permettrait pas de dégager des liquidités suffisantes pour le paiement de l'amende. Toutefois, il ressort également du dossier que la requérante dispose de certains actifs mobiliers qui, dans le cadre du plan de restructuration, sont appelés à être [...] liquidés. Il s'agit de participations dans les sociétés Dong Seoul et Dong Young Shipping, évaluées par les bailleurs de fonds dans le cadre dudit plan à [...]. Bien que la requérante ait souligné qu'elle éprouvait des difficultés à liquider ces actifs, force est de constater que leur montant est largement supérieur à celui de l'amende.

50 Il convient, enfin, de relever que la requérante dispose désormais d'une certaine marge d'autofinancement. Les liquidités dégagées en 1999 s'élevaient à 908 millions de KRW (793 252 USD). Les activités d'exploitation ont dégagé 91 milliards de KRW de liquidités (cash flow from operating activities), dépassant de manière significative le montant de sa charge d'intérêts (73 milliards de KRW). Bien qu'inférieure au montant nécessaire au paiement de l'amende, une telle trésorerie devrait désormais permettre à la requérante de se procurer une garantie bancaire ou, à défaut, des capitaux lui permettant de s'acquitter du montant de l'amende. Les refus opposés par les banques consultées par la requérante, antérieurs à la publication des comptes relatifs à l'exercice 1999, sont, à cet égard, sans incidence.

51 Il ressort de ce qui précède que la situation actuelle de la requérante ne permet pas de considérer qu'il lui est impossible de constituer une garantie bancaire sans mettre en péril son existence. Dans le présent contexte d'amélioration générale de sa situation, l'exécution de la décision : 1999-243 avant que n'intervienne un arrêt sur le fond n'est pas de nature à entraîner, pour la requérante, des dommages graves et qui ne pourraient pas être réparés même si la décision 1999-243 venait à être annulée par le Tribunal. La condition relative à l'urgence n'est donc pas remplie.

52 Par ailleurs, la balance des intérêts en présence s'oppose à ce qu'il soit fait droit à la demande de la requérante.

53 Il convient en effet de mettre en balance l'intérêt de la requérante à éviter, à défaut de pouvoir constituer une garantie bancaire, qu'il ne soit procédé au recouvrement immédiat de l'amende avec l'intérêt financier de la Communauté à pouvoir en recouvrer le montant ainsi que, plus généralement, l'intérêt public qui s'attache à la préservation de l'effectivité des règles communautaires de concurrence et de la portée dissuasive des amendes prononcées par la Commission.

54 S'agissant de ce dernier aspect, il y a lieu de rappeler que la Commission a infligé une amende à la requérante pour une infraction à la prohibition des abus de position dominante énoncée à l'article 86 du traité, prohibition qui, de jurisprudence constante, n'est susceptible d'aucune exemption (arrêt de la Cour du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge e.a./Commnission, C-395-96 P et C-396-96 P, Rec. p. I-1365, point 135).

55 Dans les circonstances présentes, l'intérêt général à faire respecter la décision 1999-243 prime l'intérêt particulier de la requérante qui n'est désormais plus confrontée à un risque de préjudice grave et irréparable, de telle sorte que la demande doit être rejetée.

Par ces motifs, LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL ordonne :

1) La demande en référé est rejetée.

2) La requérante dispose d'un délai de quinze jours pour déposer au greffe une demande de traitement confidentiel.

3) Les dépens sont réservés.