CJCE, 6e ch., 11 janvier 1990, n° 277-87
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sandoz Prodotti Farmaceutici Spa
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Kakouris
Avocat général :
M. Van Gerven
Juges :
MM. Schockweiller, Koopmans, Mancini, Diez de Velasco
Avocats :
Mes Bernini, Arendt.
LA COUR (sixième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour, le 18 septembre 1987, la société Sandoz Prodotti Farmaceutici SpA (ci-après Sandoz PF) ayant son siège à Milan a, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision 87-409 de la Commission, du 13 juillet 1987, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (JO L 222, p. 28), par laquelle la Commission a constaté que Sandoz PF aurait commis une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, en prévoyant, dans ses relations commerciales avec ses clients, une interdiction d'exporter. Aux termes de l'article 3 de la décision attaquée, une amende de 800 000 écus a été infligée à Sandoz PF.
2 Cette infraction aurait pour fondement un accord consistant dans les relations commerciales continues, établies et concrétisées par un ensemble de procédures commerciales habituellement suivies par Sandoz PF dans les rapports avec sa clientèle. Les factures envoyées par Sandoz PF à ses clients et sur lesquelles figurait la mention "exportation interdite", constitueraient un élément de cet accord ayant pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le Marché commun et susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres.
3 La Commission a décrit, dans la décision attaquée, la procédure de commercialisation des produits Sandoz. Ainsi, lorsqu'un nouveau client souhaite acheter des produits chez Sandoz PF il doit en faire la demande écrite en spécifiant sa situation financière et son système de distribution. Après examen de ces informations par les agents de la Sandoz PF, ceux-ci effectuent une descente dans les locaux du client.
Ensuite, Sandoz PF demande l'avis de l'association italienne des industries pharmaceutiques, Farmindustria, et propose au client les conditions dans lesquelles il peut acheter des produits chez Sandoz PF. Ces conditions portent en particulier sur les modalités de paiement, sur la périodicité des commandes pouvant être effectuées et sur la faculté de les passer par téléphone. La facture, avec la mention "exportation interdite", est normalement envoyée au client après la livraison des marchandises. Toutes les commandes et tous les achats successifs de produits Sandoz se déroulent selon ce même schéma.
4 Pour un plus ample exposé des antécédents du litige, des moyens et arguments des parties, ainsi que de la procédure, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
5 Sandoz PF demande principalement l'annulation de la décision litigieuse pour insuffisance de motivation et sollicite, subsidiairement, la réduction de l'amende infligée.
Quant à la demande principale en annulation de la décision
6 A l'appui de sa demande principale, Sandoz PF fait valoir, en premier lieu, qu'il n'existe pas d'accord, au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, entre elle-même et ses clients mais uniquement des contrats de vente isolés. Les clients ne feraient pas partie d'un réseau de distribution de Sandoz PF et ses relations commerciales avec ses clients ne s'inscriraient pas non plus dans un accord-cadre. Les factures comportant la mention "exportation interdite" auraient normalement été envoyées aux clients après la livraison des produits et constitueraient de simples documents comptables à caractère unilatéral. En tout état de cause, la mention "exportation interdite" serait une clause "vexatoire" au sens de l'article 1341 du Code civil italien, de sorte que sa validité serait subordonnée à la formalité de la double signature. Celle-ci ayant toujours fait défaut en l'espèce, la clause "exportation interdite" serait nulle en vertu du droit italien. Sansoz P F soutient, en outre, que c'est par négligence que ladite mention a été apposée et maintenue sur les factures.
7 A cet égard, il y a lieu de rappeler d'abord que selon une jurisprudence constante (voir notamment l'arrêt du 7 juin 1983, Pionner, 100,103-80, Rec. p. 1825 et notamment point 97) l'article 15, paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, p. 204), autorise la Commission à infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes lorsque, "de propos délibéré ou par négligence", elles ont commis des infractions aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
8 Il est constant que les factures ont été envoyées par une personne autorisée à agir pour le compte de Sandoz PF. Par conséquent, l'apposition sur ces factures de la mention "exportation interdite" constitue un fait imputable à Sandoz PF.
9 Il faut observer, ensuite, qu'outre la mention "exportation interdite" la facture type adressée par Sandoz PF à ses clients, après chaque commande, contenait encore d'autres stipulations, telles qu'une clause attributive de juridiction, une clause concernant le risque afférent au transport des produits et, enfin, les données relatives aux quantités de produits, à leurs prix, unitaire et global, ainsi qu'aux conditions de paiement anticipé, à la livraison, ou après celle-ci. Il s'ensuit qu'un document comportant des indications aussi détaillées et indispensables pour les commerçants professionnels et les relations commerciales générales existant entre Sandoz PF et ses revendeurs, ne constitue pas un simple document comptable à valeur interne à l'entreprise.
10 Compte tenu de la façon dont procédait Sandoz PF avant d'autoriser un nouveau client à commercialiser ses produits, et compte tenu des pratiques répétées et appliquées de façon uniforme et systématique à chaque opération de vente, il y a lieu de constater que pareille pratique, dont relève l'envoi de ses factures avec la mention "exportation interdite", ne constitue pas, comme le soutien Sandoz PF, un comportement unilatéral mais s'insère, au contraire, dans le cadre général des relations commerciales que l'entreprise entretien avec ses clients.
11 Il convient de relever, en outre, que les clients de Sandoz PF se sont vu adresser la même facture type après chaque commande individuelle ou, selon le cas, après la livraison des produits. Les commandes répétées de produits et les acquittements successifs sans protestation par le client des prix indiqués sur les factures, comportant la mention "exportation interdite", constituaient de la part de celui-ci un acquiescement tacite aux clauses stipulées dans la facture et au type de relations commerciales sous-jacentes aux rapports d'affaires entre Sandoz PF et sa clientèle. L'agrément initialement donné par Sandoz PF se fondait ainsi sur l'acceptation tacite de la part des clients de la ligne de conduite adoptée par Sandoz PF à leur égard.
12 Il y a donc lieu de constater que la Commission était en droit de considérer que l'ensemble des relations commerciales continues, dont la clause d"exportation interdite' faisait partie intégrante, établie entre Sandoz PF et ses clients, étaient régies par un accord général préétabli applicable aux innombrables commandes individuelles de produits Sandoz. Un tel accord est visé par les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE.
13 L'argument de Sandoz PF, fondé sur l'inefficacité de la clause "exportation interdite" en vertu du droit national, n'est pas pertinent en l'espèce. En effet, il convient de rappeler, que pour l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE il suffit que la stipulation mise en cause soit l'expression de la volonté des parties (cf. notamment arrêt du 29 octobre 1980, Van Landewyck c/ Commission, 209 à 215 et 218-78, Rec. p. 3125, points 85 et 86). Il n'est pas nécessaire qu'elle constitue un contrat obligatoire et valide selon le droit national comme le soutient Sandoz PF.
14 Au soutien de sa demande principale Sandoz PF allègue, en deuxième lieu, que la motivation de la décision attaquée est insuffisante parce qu'elle ne mentionne pas les effets préjudiciables de la clause "exportation interdite" sur le commerce entre Etats membres. Par ailleurs, Sandoz PF n'aurait pas pris d'initiatives pour faire respecter cette clause par ses clients.
15 A cet égard, il convient de rappeler que dans le cadre de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, la prise en considération des effets concrets d'un accord est superflue dès lors qu'il apparaît qu'il a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun (cf. arrêt du 13 juillet 1966, Consten-Grundig c/ Commission, 56 et 58-64, Rec. p. 429 et notamment p. 496).
16 Il y a lieu de constater, en outre, que la clause "exportation interdite" a pour objet d'empêcher, de restreindre et de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun pour les produits Sandoz (cf. notamment arrêt du 1er février 1978, Miller c/ Commission, 19-77, Rec. p. 131, points 7 et 19).
17 Par conséquent, l'absence dans la décision attaquée de toute analyse des effets de l'accord sur le plan de la concurrence, ne constitue pas un vice de la décision pouvant entraîner son annulation.
18 Au vu de ces considérations, la circonstance selon laquelle Sandoz PF n'aurait pas pris d'initiatives pour faire respecter cette clause par ses clients ne suffit pas à soustraire la clause "exportation interdite" apposée sur les factures à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE(cf. notamment, arrêt du 21 février 1984, Hasselblad c/ Commission, 86-82, Rec. p. 883, point 46).
19 Aucun des arguments avancés par Sandoz PF à l'appui de sa demande principale n'ayant pu être retenu, il convient de rejeter la demande en annulation de la décision 87-409.
Quant à la demande subsidiaire en réduction de l'amende
20 Sandoz PF soutient que le montant de l'amende est trop élevé, d'une part parce que la Commission n'a pas tenu compte des effets de la clause "exportation interdite", d'autre part en liaison de l'absence d'un comportement intentionnellement anticoncurrentiel de la part de la requérante et, enfin, parce que cette dernière a mis fin à l'utilisation des factures type comportant la mention "exportation interdite" dès le lendemain de la première intervention de la Commission.
21 Pour la détermination du montant des amendes, il y a lieu de tenir compte de tous les éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité de l'infraction, ainsi que du comportement de l'entreprise au cours de la procédure administrative.
22 S'il est vrai que Sandoz PF est actif sur le marché sensible des produits pharmaceutiques et constitue la filiale italienne du groupe suisse Sandoz, multinationale très importante, il est, d'autre part, constant que, dès le stade de la procédure administrative et à la suite de la première demande d'information de la Commission en novembre 1984, Sandoz PF s'est déclarée d'accord pour modifier la facture type litigieuse et a effectivement supprimé la clause "exportation interdite" sur les factures expédiées depuis janvier 1985.
23 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de réduire le montant de l'amende et il apparaît justifié de fixer celui-ci à 500 000 unités de compte.
Sur les dépens
24 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé dans l'essentiel de ses arguments, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
déclare et arrête :
1. Le montant de l'amende infligée à la requérante dans l'article 3 de la décision de la Commission, du 13 juillet 1987, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE est ramené à 500 000 écus.
2. Le recours est rejeté pour le surplus.
3. La requérante est condamnée aux dépens.