CA Paris, 25e ch. B, 28 septembre 2001, n° 2000-22225
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Teissier Electricité (SARL)
Défendeur :
Pages Jaunes (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
Mmes Collot, Delmas-Goyon
Avoués :
SCP Lecharny-Calarn, Me Huyghe
Avocats :
Mes Garnaud, Fauquet.
LA COUR est saisie de l'appel, déclaré le 26 octobre 2000, d'un jugement rendu le 11 septembre 2000 par le Tribunal de commerce de Paris ;
L'objet du litige porte principalement sur une demande de la SA Pages Jaunes, anciennement dénommée ODA dirigée contre la SARL Teissier Electricité, en paiement de diverses sommes se rapportant à une insertion publicitaire que celle-ci avait commandée en s'adressant à l'agence Performa Conseil, qui, à la suite de la procédure collective dont elle avait fait l'objet n'avait pas réglé la société ODA ;
Le tribunal a statué ainsi qu'il suit :
- déboute la SARL Teissier Electricité de sa demande d'incompétence,
- se déclare compétent et au fond,
- déboute la SARL Teissier Electricité de sa demande de sursis à statuer,
- condamne la SARL Teissier Electricité à payer à la SA ODA la somme de 32 331,65 F avec intérêts au taux légal à compter du 19 juin 1998, ainsi que la somme de 4 849,75 F à titre de clause pénale,
- déboute la SARL Teissier Electricité de toutes ses autres demandes et conclusions,
- déboute la société ODA de sa demande de dommages-intérêts,
- ordonne l'exécution provisoire du présent jugement sans caution,
- condamne la SARL Teissier Electricité aux entiers dépens.
La SARL Teissier Electricité, appelante, demande à la cour de :
- dire que le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand était seul compétent,
- en conséquence, renvoyer l'affaire devant la Cour d'appel de Riom en application des dispositions de l'article 79 du NCPC,
- subsidiairement au fond, constater l'inexistence d'un quelconque mandat entre la société Teissier et la société Performa Conseil,
- constater que la société Pages Jaunes ne rapporte pas la preuve d'une quelconque créance à l'encontre de la société Teissier,
- débouter la société Pages Jaunes de toutes ses demandes fins et conclusions,
- en toute hypothèse, constater que la société Pages Jaunes a commis une faute à son encontre acheteur d'annonces de publicité, entraînant un préjudice pour cette dernière,
- condamner la société Pages Jaunes à lui payer la somme de 41 849,75 F avec intérêts au taux légal majoré de 1,5 point, tous préjudices confondus,
- la condamner également à lui payer la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La SA Pages Jaunes, intimée, demande à la cour de :
- déclarer la SARL Teissier Electricité mal fondée en son exception,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à sa demande sauf à ce que les sommes dues en principal par la SARL Teissier Electricité portent intérêt au taux contractuel égal à une fois et demie le taux d'intérêt légal,
- débouter la SARL Teissier Electricité de l'ensemble de ses prétentions,
- condamner la SARL Teissier Electricité à lui paver la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens.
La cour, en ce qui concerne les faits, la procédure, les moyens et prétentions des parties, se réfère au jugement et aux conclusions d'appel ;
Sur ce, LA COUR
Considérant que, pour critiquer le jugement sur les condamnations prononcées contre elle, l'appelante prétend que le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand serait territorialement compétent pour connaître du présent litige par application d'une clause d'attribution figurant dans l'ordre d'insertion du 7 janvier 1998, que la société intimée ne justifierait par les pièces produites, d'aucun mandat écrit entre les sociétés Performa Conseil et Teissier Electricité, que spécialement l'attestation de mandat invoquée contiendrait des mentions incompréhensibles, qu'en l'absence de mandat, la société Performa Conseil ne pourrait être considérée que comme un commissionnaire, en sorte que le règlement qu'elle aurait reçu de sa part serait libératoire, que, il résulterait des pièces produites que la société Performa Conseil se présenterait comme un mandataire apparent de la société ODA pour rechercher des annonces à publier et encaisser le coût des publications pour le compte de cette dernière, qu'elle ne saurait, tout état de cause être redevable des sommes réclamées au titre de la clause pénale et des intérêts au taux contractuel, ces stipulations ne figurant que dans l'ordre d'insertion du 7 janvier 1998 signé entre les sociétés Teissier et Performa Conseil et la société ODA ne pouvant les réclamer en lieu et place de la société Performa Conseil qui ne se présenterait nullement dans ce document comme mandataire de la SARL Teissier Electricité, qu'en toute hypothèse, elle serait fondée à réclamer à titre de dommages et intérêts le montant du paiement qui lui est réclamé, en raison des fautes commises par la société ODA, qui seraient à l'origine du double paiement, cette société n'ayant pas respecté les dates de facturation, ayant accepté un solde débiteur très important de la société Performa Conseil, constitutif d'un crédit artificiel, l'existence même d'un impayé pour la société ODA n'étant pas même établie de façon certaine ;
Considérant qu'il est produit notamment aux débats :
- un bon de commande du 7 janvier 1998, intitulé facture, par lequel Jacques Teissier a commandé à la SARL Performa Conseil, diverses insertions publicitaires dans les annuaires de France Télécom, édition 1998, pour un montant de 35 338,01 F TTC, payé le jour même, par chèque et traites ledit document stipulant au verso, une clause d'attribution de compétence au profit du Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand,
- une attestation de mandat destinée à ODA, se référant expressément à la loi du 29 janvier 1993, signée de la SARL Teissier et portant le cachet de cette société, précédée de la mention "lu et approuvé " précisant notamment que :
- l'entreprise Teissier, agissant en qualité de "mandat" atteste avoir donné mandat écrit à l'entreprise Performa Conseil pour procéder auprès de l'ODA pour la ou les éditions 1998 à l'achat de ses espaces publicitaires dans les annuaires dont ODA assure la régie exclusive, à la signature des ordres d'insertion et au suivi de leur exécution ;
- le règlement de cet achat d'espaces sera réalisé auprès de l'ODA par le mandataire (la mention directement par l'annonceur ayant été rayée) ;
- en tout état de cause le mandat reste responsable du paiement à l'égard de l'ODA (article 1998 du Code civil) ;
- une commande du 6 mai 1998 de diverses insertions auprès d'ODA pour un montant de 32 331,65 F TTC, au titre de l'année 1998, signée de Performa Conseil, portant la mention de Jacques Teissier comme client annonceur précisant que cette commande se négociait chez Performa Conseil, et stipulant, au verso dans les conditions générales de prestations de services entre autres, en cas de litige si le client est commerçant une attribution de compétence au Tribunal de commerce de Paris ;
Considérant que le point de savoir si la cour est compétente pour connaître du présent litige est liée à l'existence ou nom d'un mandat donné par la SARL Teissier Electricité à la SARL Performa Conseil pour l'insertion publicitaire dont s'agit ;
Considérant qu'il est manifeste que l'attestation de mandat produite s'analyse en un véritable mandat donné par la SARL Teissier Electricité à l'entreprise Performa Conseil pour les insertions litigieuses en application de la loi du 29 janvier 1993,dès lors, d'une part, que ce document se réfère à ce texte, d'autre part, qu'il ne s'évince de cette attestation aucune ambiguïté quant à la qualité de mandant de cette SARL Teissier Electricité, laquelle ne saurait résulter d'une seule erreur dactylographique ayant consisté dans l'omission de la lettre "n" dans le mot mandant ;
Considérant que la réalité de ce mandat est encore confirmée par la circonstance que ce document a été établi concomitamment avec la facture précitée et que la loi précédemment évoquée imposait précisément par, des dispositions d'ordre public, la rédaction d'un mandat écrit pour de telles insertions ;
Considérant que la question de la validité du mandat est sans incidence sur la compétence de la cour ;
Considérant que l'argumentation développée quant à la compétence par la SARL Teissier Electricité est dénuée de portée, dès lors, d'une part, que par l'attestation précitée du 7 janvier 1993, cette société avait donné mandat à l'agence Performa Conseil de souscrire ses ordres d'insertion relatifs aux espaces publicitaires dans les annuaires officiels de France Télécom auprès de son régisseur exclusif ODAet que c'est en exécution de ce mandat que cette agence a signé l'ordre d'insertion du 6 mai 1998 contenant une clause d'attribution de compétence territoriale au profit du Tribunal de commerce de Paris,d'autre part, qu'en application des dispositions de l'article 1998 du Code civil - auquel se réfère expressément cette attestation - le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par son mandataire conformément au pouvoir qui lui a été donné, sans que ce mandant puisse se prévaloir utilement, au regard de la portée limitée des engagements souscrits auprès de la SA ODA, de ce qu'il n'avait pas donné expressément pouvoir de souscrire une telle clause d'attribution territoriale de compétence ;
Considérant que, par ces motifs, le jugement ne peut qu'être confirmé sur la compétence ;
Considérant qu'est encore vaine l'argumentation tirée du défaut de validité du mandat pour n'avoir pas respecté les dispositions de l'article 20 de la loi du 29 janvier 1993 ;
Considérant qu'en effet, s'il est constant que le mandat contrevient aux dispositions précitées, faute d'indiquer les conditions de rémunération du mandataire, cette insuffisance de l'acte n'est pas opposable à l'ODA, dès lors, d'une part, que cette dernière intervenait en qualité de régisseur de la publicité dans les annuaires France Télécom, et donc en qualité de régisseur de vendeur d'espaces publicitaires, d'autre part, que le législateur n'a pas prévu de sanctions à l'encontre de celui-ci, seuls, l'annonceur et l'intermédiaire étant sanctionnés pénalement en cas d'infraction aux dispositions de l'article 20 précité, et, enfin qu'il s'agit d'une disposition protectrice de l'annonceur, en ce qu'elle lui permet de connaître la rémunération réelle de son mandataire, dont la nullité ne peut être invoquée que dans les rapports de l'annonceur et l'intermédiaire ;
Considérant qu'à tort, encore, la SARL Teissier Electricité se prévaut de ce qu'elle n'aurait agit que comme commissionnaire tandis que la SA Performa Conseil se présenterait comme le mandataire privilégié apparent de la société ODA pour rechercher les annonces à publier et encaisser le coût des publications pour le compte d'ODA;
Considérant, en effet, que tant la mission que la forme du contrat et le texte applicable, la loi du 29 janvier 1993, notamment en son article 20, imposant que tout achat publicitaire ne peut être réalisé par un intermédiaire que pour le compte d'un annonceur et dans le cadre d'un contrat écrit de mandat, contredisent le moyen tiré d'un engagement de la SARL Teissier Electricité, en qualité de commissionnaire et d'un mandat apparent qui aurait lié la société ODA à la société Performa Conseil ;
Considérant que la réalité d'un mandat apparent ne s'évince pas plus des pièces produites, dès lors, d'une part, que le mandat donné par la SARL Teissier Electricité à la société Performa Conseil prévoyait expressément la possibilité pour cette dernière de régler le régisseur ce qui est une des modalités de paiement de la loi du 29/01/1993, d'autre part, que la rémunération exclusive de l'agence par son mandant, conformément à cette loi, ne fait pas obstacle à l'octroi d'une remise par le support à l'annonceur, de troisième part, que si l'ordre d'insertion a été souscrit le 6 mai 1998, avec un paiement avec échéance au 25/08/1998, alors que la SARL Teissier Electricité avait payé son mandataire dès le 7 janvier 1998 aucune disposition légale ne prohibe le décalage entre la remise des fonds par l'annonceur à l'agence et par cette dernière au support, qui est au contraire évoqué par la circulaire du 19 septembre 1994 d'application de cette loi, tandis qu'un tel décalage ne saurait caractériser l'existence du mandat apparent allégué ;
Considérant que n'étant pas utilement contredit que l'ordre d'insertion a été exécuté, ce qui s'évince au demeurant des pièces produites la SA ODA était bien fondée, tant aux termes du mandat, que par application des dispositions de l'article 1998 du Code civil, à demander au mandant d'exécuter les engagements souscrits par son mandataire conformément au pouvoir qu'il lui avait donné, et donc en l'espèce de payer le prix des insertions;
Considérant qu'est dénuée d'intérêt l'argumentation de la SARL Teissier Electricité, pour s'opposer au paiement de la clause pénale et des intérêts convenus dans l'ordre d'insertion en cas de non-paiement à l'échéance, dès lors, d'une part, que cette société ne peut qu 'être tenue au paiement de ces sommes eu égard au mandat qu'elle avait donné, et d'autre part, qu'elle avait toute possibilité d'éviter les conséquences du non-paiement à l'échéance par l'annonceur, en utilisant la faculté que lui réservait la loi précitée de régler directement le régisseur, ce qu'elle a expressément refusé et, enfin que, quant à la clause pénale, cette société Teissier Electricité se limite à invoquer le caractère inéquitable de cette clause, sans nullement caractériser son caractère manifestement excessif ;
Considérant que, en conclusion de ce qui précède que le jugement est confirmé sur la condamnation prononcée ;
Considérant que, pour réclamer, à titre reconventionnel, la condamnation de la SA Pages Jaunes, à lui payer la somme de 41 849,75 F avec intérêts au taux légal majoré de 1,5 point, la SARL Teissier Electricité prétend que l'existence d'un impayé pour ODA n'aurait pas été certaine, rien n'indiquant que la somme due ait été incluse dans le chèque impayé faute de provision, la société ODA n'ayant pas justifié d'une déclaration de sa créance à la liquidation de la SARL Performa Conseil, et la publication faite étant exclusive d'un défaut de paiement, que la SA ODA aurait commis des fautes à l'origine d'un double paiement, en ne respectant pas les délais de forclusion de paiement, en tolérant un solde débiteur important de la part de la SARL Performa Conseil, constitutif d'un crédit artificiel;
Mais considérant que l'ensemble de cette argumentation est dénuée de portée, dès lors, d'une part, que seul le paiement fait entre les mains de la SA ODA est libératoire tandis que le mandant est tenu des engagements contractés par son mandataire, d'autre part, que s'il n'est pas contredit que la SARL Teissier Electricité a réglé à la SARL Performa le montant que lui avait réclamé cette société pour l'insertion litigieuse, il n'est nullement établi que cette dernière a versé ces sommes à la SA ODA ou que cette dernière les a reçues, preuve dont la charge lui incombe, de troisième part, qu'à l'évidence la preuve de ce paiement ne saurait résulter de la seule parution de l'insertion alors, précisément, que par lettre du 19/06/1998, la société ODA avait informé la SARL Teissier Electricité qu'elle n'interrompait pas l'insertion prévue pour septembre 1998 en raison de ce défaut de paiement mais lui demandait d' y remédier en intervenant auprès de son agence, et, enfin, que par diverses correspondances et dès le mois de juin 1998 la SA ODA est intervenue tant auprès de l'agence que de la SARL Teissier Electricité pour exiger le paiement des sommes qui lui étaient dues ;
Considérant que, par ces motifs, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Teissier Electricité de sa demande de dommages et intérêts ;
Considérant que les conditions d'application de l'article 700 du NCPC ne sont pas réunies, le jugement étant confirmé en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes formées sur ce fondement ;
Considérant que la SARL Teissier Electricité est condamnée aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé en ses dispositions relatives aux dépens;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement, Y ajoutant, Dit que la SA ODA est désormais dénommée SA Pages Jaunes ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la SARL Teissier Electricité aux dépens d'appel ; Admet Maître Huyghe, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.