CA Paris, 13e ch. B, 14 décembre 2000, n° 00-00049
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbarin
Conseillers :
Mme Marie, M. Picque
Avocat :
Me Beucher.
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
LA PREVENTION:
B Bernard, L Michel ont été cités devant le Tribunal correctionnel d'Auxerre sous la prévention
- d'avoir à Auxerre (89) et sur le territoire national courant 1998, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les propriétés et les résultats attendus d'un bien ou d'un service en l'espèce:
* en soutenant que la méthode de jeu "X Tiercé" était à l'origine de "Plus de 4 000 000 F de bénéfice en 3 ans - 561 tiercés touchés en 3 ans" et laissait espérer un gain pouvant aller "jusqu'à 120 000 F de bénéfices par mois",
* en soutenant que la méthode de jeu "Loto Y" permettait de gagner "à coup sûr" au Loto, et que les "gros gains" étaient réellement à la portée de l'acheteur de la méthode "sans dépenser une fortune",
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation.
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement, a déclaré
- B Bernard coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, courant 1998, à Auxerre, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée parles articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-l du Code de la consommation
- L Michel coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, courant 1998, à Auxerre, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation
Et par application de ces articles, a condamné
- B Bernard à 20 000 F d'amende, a ordonné la publication par extraits dans les journaux "Paris Turf" et "Tiercé Magazine".
- L Michel à 40 000 F d'amende, a ordonné la publication par extraits dans les journaux "Paris Turf" et "Tiercé Magazine".
Sur l'action civile: le tribunal a reçu la Française des Jeux en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement les deux prévenus à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts et celle de 4 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
LES APPELS:
Appel a été interjeté par:
Monsieur B Bemard, le 7 octobre 1999, sur les dispositions pénales,
Monsieur L Michel, le 7 octobre 1999, sur les dispositions pénales,
M. le Procureur de la République, le 7 octobre 1999 contre Monsieur B Bernard, Monsieur L Michel,
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par les prévenus et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré, auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention;
Bien qu'il ait été cité à la mairie de son domicile et qu'il ait signé l'accusé de réception de la lettre recommandée que lui a adressé l'huissier, Bernard B ne comparait pas à l'audience de la cour du 9 novembre 2000. Il sera statué par arrêt contradictoire à signifier à son égard.
Michel L soutient que la méthode qu'il avait emprunté à Thierry W, et perfectionnée avec deux informaticiens qu'il connaissait, permettait de gagner, sinon à tous les coups, au moins fréquemment aux courses de chevaux.
Il sollicite sa relaxe, subsidiairement l'indulgence.
Sur ce, LA COUR
I - Rappel des faits
Le 2 octobre 1998, la Française des Jeux, SA d'économie mixte représentée par M. Conciatori, responsable du contentieux, déposait plainte auprès du Procureur de la République près le Tribunal de grande instance d'Auxerre, contre X, du chef d'escroquerie ou tentative d'escroquerie.
Elle exposait qu'elle avait été informée par M. Cougny, demeurant à Nice, d'une publicité par voie postale émanant d'un organisme intitulé "Loto Y" dont l'adresse était "société Z", <adresse>à Auxerre (89).
L'envoi reçu par Monsieur Cougny consistait en:
1°) un "Bon pour gagner au Loto pendant 6 mois" comprenant au recto le nom et l'adresse du destinataire et, au verso, la formule de paiement précédée du message: "OUI, je veux profiter immédiatement des possibilités d'augmenter mes chances de gagner gros et pour cela, je désire recevoir très vite les 25 Loto Y (sans signes distinctifs extérieurs) au prix de 420 F avec toutes les garanties et les avantages décrits dans votre courrier que je conserve pour preuve.
2°) une lettre recto-verso intitulée: "avec une simple carte un expert hors du commun vous fait gagner a chaque tirage et peut vous faire encaisser jusqu'à 17 millions de FF et en + en moins d'un an".
Cette lettre exposait qu'un "systémier de génie", Thierry W, éminent chercheur en mathématiques combinatoires appliquées aux jeux de hasard depuis 20 ans, reconnu et consulté régulièrement par la presse et la télévision européenne, avait trouvé le moyen de gagner a tous les tirages, et jusqu'à 25 fois par tirage.
Cette lettre circulaire est signée Michel L, Directeur de recherche.
Elle contenait une garantie de remboursement intégrale valable six mois si les Y n'avaient pas permis au prospect "de gagner des sommes vous satisfaisant".
3°) un troisième document, en quatre pages, qualifié de document technique dans la lettre précédente, contenait des éléments comparatifs entre les différents systèmes de loto existant en Europe.
Il était indiqué en troisième page:
"Des propriétés rémunératrices extraordinaires"
1°) On touche tout le temps à chaque tirage on passe à la caisse !
En effet, chaque Loto Y a été élaboré selon le célèbre algorythme du "jeu imbattable". C'est-à-dire que chaque Loto Y présente un ensemble de 174 combinaisons de 6 numéros parmi lesquelles il se trouve obligatoirement une grille gagnante (à n'importe quel rang) pour chaque tirage du loto. Il s'agit là d'une garantie mathématicienne irréfutable".
Entendu le 10 novembre 1998, M. Michel L, directeur commercial de la société Z ayant son siège à Auxerre, déclarait que la publicité litigieuse avait été diffusée en février 1998 auprès de 20 000 "clients". Il précisait que le concepteur de la méthode permettant de gagner à coup sur au Loto au moins 3 numéros en jouant une seule carte parmi les 25 proposées était M. Thierry W, ressortissant belge décédé le 8 juin 1998, que cette méthode avait été reprise sur le premier document dit "document technique", que lui-même avait réalisé le courrier joint dit "lettre de vente" et qu'il n'avait jamais eu l'impression que ces documents contenaient des informations susceptibles de tremper le consommateur. Il ajoutait qu'étant informaticien, il avait conçu un logiciel qui lui avait permis de vérifier toutes les allégations indiquées par le concepteur.
M. B, gérant de la SARL Z, indiquait que la société avait principalement pour objet la vente par correspondance, secondairement la commercialisation de la menuiserie en PVC et que M. L était l'initiateur de la publicité pour le Loto Y.
Quant à ce dernier, il soutient qu'il appartenait à M. B de rembourser les clients mécontents. Or la DGCCRF de l'Yonne avait été saisie de plusieurs courriers de clients qui avaient demandé en vain le remboursement.
II - Discussion
La méthode X Tiercé est fondée sur une simulation réalisée à l'aide d'un logiciel informatique, à partir de faits passés, et ne tient nullement compte de critères comme le nombre, l'identité, la forme des chevaux engagés, la nature du terrain etc.
Or, même si la méthode avait tenu compte de ces critères, il resterait encore une part de hasard inhérente aux courses hippiques.
Dès lors, le fait de présenter les gains au tiercé comme étant certains et très importants ("plus de 40 000 F de bénéfices en trois ans - 561 tiercés touchés en trois ans - vous pouvez encaisser jusqu'à 120 000 F de bénéfices par mois"), en s'appuyant sur une méthode présentée faussement comme scientifique, testée par un soi disant Centre National de Recherche sur les jeux qui s'est révélé inexistant, constitue bien une présentation de nature à induire en erreur sur les résultats attendus du service.
Par ailleurs, la méthode "Loto Y", qui était également fondée sur des calculs statistiques à partir d'informations qui auraient été fournies par "La Française des Jeux" ne pouvait permettre de gagner au loto, qui est un jeu de hasard. Or la publicité indique:
"1°) on touche tout le temps: à chaque tirage on passe à la caisse
2°) les tests l'ont prouvé: on touche plusieurs fois à chaque tirage
3°) les vérifications l'attestent: les bénéfices à court et moyen terme, sont énormes."
Là encore, la présentation de la publicité est de nature à induire en erreur sur les résultats attendus du service.
L'infraction est imputable à Bernard B en tant que gérant de la SARL "Z" et à Michel L en tant que concepteur de la publicité.
Il convient, dès lors, de confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité des deux prévenus.
C'est à juste titre que les premiers juges ont fait à M. L application d'une peine plus sévère qu'à M. B, le premier ayant déjà été condamné pour des faits similaires.
Compte tenu toutefois de la situation actuelle des deux hommes, la société Z étant en état de cessation de paiement, la cour réduira le montant des amendes prononcées en première instance, ainsi qu'indiqué au dispositif.
La cour ordonnera également la publication par extraits de l'arrêt à intervenir, devenu définitif, dans les journaux "Paris Turf" et "Tiercé Magazine" aux frais des condamnés;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement contradictoirement à l'égard de Michel L, par arrêt contradictoire à signifier à l'égard de Bernard B, Reçoit les appels des prévenus et du Ministère Publique; Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité; Le réformant en répression, Condamne Bernard B à 10 000 F d'amende et Michel L à 20 000 F d'amende, Ordonne la publication par extraits du présent arrêt, devenu définitif, dans les journaux "Paris Turf" et "Tiercé Magazine", aux frais des condamnés.