CA Paris, 13e ch. A, 22 novembre 2000, n° 00-03037
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Avocat général :
Me Vuillemin
Conseillers :
M. Ancel, M. Nivose
Avocats :
Mes Benaiem, Bensussan.
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
LA PREVENTION:
B Bruno est poursuivi par citation à la requête du Procureur de la République, pour avoir, à Paris et sur le territoire national, entre août 1997 et décembre 1997, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'identité, les qualités ou aptitudes du prestataire en faisant paraître des insertions publicitaires dans les annuaires téléphoniques (pages jaunes et minitel) à des adresses dans 19e arrondissements de Paris et 37 autres adresses en région parisienne ne correspondant à aucun établissement secondaire réel mais disposant des numéros de téléphone différents aboutissant tous au siège social par transfert d'appel.
L Pierre par citation à la requête du Procureur de la République, pour s'être, à Paris et sur le territoire national:
- entre novembre 1997 et décembre 1998, rendu coupable de complicité du délit de publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'identité et les qualités ou aptitudes du prestataire reproché à X Michel, gérant de la société Z en lui fournissant des adresses de domiciliation d'établissements secondaires fictifs lui permettant d'obtenir des numéros de téléphone différents reliés par transfert d'appel à un numéro unique.
- entre août 1997 et août 1998, rendu coupable de complicité du délit de publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'identité et les qualités ou aptitudes du prestataire reproché à B Bruno et K Ivica, gérants de la société W en leur fournissant dix adresses de domiciliation d'établissements secondaires fictifs leur permettant d'obtenir des numéros de téléphone différents reliés par transfert d'appel à un numéro unique.
- entre mai 1998 et février 1999, rendu coupable de complicité du délit de publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'identité et les qualités ou aptitudes du prestataire reproché à H, E et V, responsables de la société A en leur fournissant des adresses de domiciliation d'établissements secondaires fictifs leur permettant d'obtenir des numéros de téléphone différents reliés par transfert d'appel à un numéro unique.
- courant mai 1998, rendu coupable de complicité du délit de publicité mensongère commis par Haïm L en l'aidant sciemment dans sa préparation, en l'espèce en lui louant les adresses de domiciliation et en l'incitant à souscrire de nombreuses domiciliations, d'une part par des allégations publicitaires et d'autre part, avec un tarif dégressif favorisant la souscription d'un grand nombre d'adresses fictives.
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a ordonné la jonction des procédures 9827303167, 9909890347, 9927090210 à la procédure 9827303121, statuant par un seul et même jugement,
déclaré
B Bruno
coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
faits commis de août 1997 à décembre 1997, à Paris, sur le territoire national,
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation
L Pierre
coupable de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
faits commis de novembre 1997 à décembre 1998, à Paris, sur le territoire national,
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal
coupable de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
fais commis de août 1997 à août 1998, à Paris, sur le territoire national,
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal
coupable de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
faits commis courant mai 1998, à Paris, sur le territoire national,
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal
coupable de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
faits commis de mai 1998 à février 1999, à Paris, sur le territoire national,
infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal
Et par application de ces articles, condamné:
B Bruno à une amende délictuelle de 100 000 F,
L Pierre à une amende délictuelle de 100 000 F,
ordonné, à titre de peine complémentaire, à l'égard de Pierre L et Bruno B, ainsi qu'à Z Michel, Ivica K, Benjamin H, Haim L non en cause d'appel, la publication du jugement dans France Soir, Le Parisien et Le Monde,
dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 600 francs dont est redevable chaque condamné.
LES APPELS:
Appel a été interjeté par
Monsieur L Pierre, le 28 mars 2000, sur les dispositions pénales et civiles
M. le Procureur de la République, le 29 mars 2000, contre Monsieur L Pierre;
Monsieur B Bruno, le 3 avril 2000, sur les dispositions pénales et civiles
M. le Procureur de la République, le 3 avril 2000, contre Monsieur B Bruno;
DÉCISION:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels des prévenus Pierre L, Bruno B et du Ministère public, interjetés à l'encontre du jugement entrepris
Bruno B comparant, assisté de son avocat, demande à la cour, par voie de conclusions, d'infirmer le jugement attaqué aux motifs qu'il n'y a dans cette affaire, ni publicité trompeuse, ni tromperie au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation; il soutient que les faits ne lui sont pas imputables au regard de l'article L. 121-5 du même Code qui dispose que si l'annonceur est une personne morale, la responsabilité incombe aux dirigeants et il souligne qu'il n'est plus gérant de la société Sarl W depuis novembre 1997; il met en avant sa bonne foi pour soutenir que l'amende qui lui a été infligée est trop élevée et demande sa dispense de peine, en application des dispositions de l'article 132-59 du Code pénal.
Pierre L comparant, assisté de son avocat, demande à la cour, par voie de conclusions:
- à titre préliminaire de joindre les 4 procédures qui sont fondées sur les mêmes poursuites et de prononcer la confusion des peines, qui seraient prononcées contre lui dans les 4 affaires soumises à la cour,
- sur le fond, il prétend que 1°) la domiciliation d'entreprise n'est pas une activité illégale et qu'aucune disposition n'interdit de fixer un établissement secondaire d'une société commerciale dans les locaux d'une entreprise de domiciliation, 2°) que ce procès est en réalité le procès des entreprises de domiciliation et 3°) que le renvoi d'appel téléphonique est rentré dans les moeurs,
- il soutient sa relaxe compte tenu de l'absence d'élément légal et matériel de l'infraction pour la publicité trompeuse et prétend que les faits de l'affaire, ne permettent pas de démontrer l'intention du prévenu pour le délit de publicité trompeuse;
- à titre subsidiaire, il demande de constater l'amnistie des faits poursuivis;
Le Ministère public rappelle que la publicité mensongère est celle qui véhicule un message publicitaire faux ou déloyal et soutient qu'en l'espèce, le consommateur qui recherche une entreprise de proximité pour les différents services en cause dans cette affaire, a été trompé par les domiciliations fictives dont Pierre L s'est rendu complice par fourniture de moyens; il requiert la confirmation du jugement déféré
RAPPEL DES FAITS:
La société de dépannage W dont Bruno B a été le gérant jusqu'en novembre 1997, a conclu des contrats de domiciliation et fait paraître dans différentes rubriques des annuaires de France Télécom des insertions mentionnant toutes les adresses fictives;
Marie-Josée L, gérante depuis août 1998, indique qu'Ivica K, a été gérante de novembre 1997 à août 1998 et qu'elle a résilié les contrats de domiciliation en même temps qu'elle a pris la gérance;
Bruno B a déclaré qu'en observant les pratiques de ses concurrents, et sur les conseils de l'Office d'annonces (ODA), il avait conclu plusieurs contrats de domiciliation ou de bail avec des professionnels et des particuliers pour couvrir un maximum de territoire puis avait inscrit ces adresses au registre de commerce et qu'il avait obtenu par la suite, une ligne téléphonique avec transfert d'appel;
Pierre L est le président directeur général de la société Y, et il souligne que sa société, n° 1 en France de la domiciliation d'entreprises, a réalisé un chiffre d'affaire annuel de 20 millions de francs en 1998; il lui est reproché d'avoir servi de complice à la société Z, dirigée par Michel X, (budget publicitaire de 2 millions de francs), à la société A, ayant pour gérante Farida H, épouse L, puis Benjamin V et à la société D, qui a précisé que les agences de France Télécom avaient accepté de lui ouvrir une ligne téléphonique à partir d'un contrat de domiciliation énumérant 19 adresses mais qu'il lui a été demandé à partir de 1999 de justifier d'une activité réelle aux adresses de domiciliation
Bruno B a déjà été condamné contrairement à Pierre L dont le casier judiciaire ne révèle aucune condamnation antérieure;
Sur ce
Considérant que la cour confirmera la décision des premiers juges ayant ordonné la jonction des procédures inscrites au rôle sous les numéros 9827303167, 9909890334, 9927090210, avec celle portant le numéro 9827303121;
Sur l'action publique
Considérant que la cour, adoptant les motifs des premiers juges, constate que la société W a fait paraître dans différents annuaires téléphoniques, des adresses dans les 20 arrondissements de Paris et dans 4l adresses en banlieue, alors qu'elle n'avait pas dans chaque arrondissement une activité commerciale réelle mais une simple ligne téléphonique, installée dans les locaux d'une société de domiciliation ou chez un particulier, avec un système de transfert d'appels vers le standard téléphonique de son siège
Considérant que le consommateur, consultant les annuaires de France Télécom, pouvait légitimement croire qu'il contactait une entreprise importante, avec un établissement dans chaque arrondissement de Paris et dans 41 endroits en banlieue, ce qui lui permettait de choisir celui situé le plus près de son domicile et ce consommateur pouvait être trompé, à cause de la liste des adresses fictives, sur la qualité ou les aptitudes du prestataire de service auquel il s'adressait; que l'infraction de publicité de nature à induire en erreur est donc constituée, dès lors que l'article L. 121-1 du Code de la consommation interdit toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent notamment sur l'identité, les qualités ou aptitudes des prestataires
Considérant que Pierre L, président-directeur général de la société Y, a fourni à la société Z, des adresses de domiciliation dans les 20 arrondissements de Paris, en mettant en avant les mérites d'une publicité gratuite dans les annuaires parisiens, sur le minitel par le 36 11, dans les pages jaunes de l'annuaire France Télécom et dans l'annuaire Pages Soleil, après une domiciliation téléphonique auprès de sa société qui lui assurerait des remontées commerciales insoupçonnées; que le prévenu qui a déclaré remettre à ses cocontractants, une copie du décret de 1985 sur la domiciliation d'entreprise les a incités à faire de la publicité en sachant que les établissements secondaires étaient fictifs;
Considérant que les faits dans leur matérialité, ne sont pas sont pas contestés par les prévenus qui reconnaissent avoir fait de la publicité aux différentes adresses fictives procurées à la société W par Bruno B qui a démarché lui même les particuliers en banlieue et par la société Y pour Paris; que Pierre L a précisé à la cour que le tarif d'une domiciliation téléphonique correspondait à une somme mensuelle de 200 à 390 F et celui d'une location de bureau à celle de 2 000 F à 4 000 F par mois et a reconnu, savoir que l'entreprise en cause n'avait aucune activité à l'adresse secondaire en précisant que le seul intérêt de cette adresse résultait de l'opportunité de la publicité faite dans les annuaires ou les journaux; que pour répondre aux écritures du prévenu Bruno B qui conteste sa qualité de gérant à compter du mois de novembre 1997, la cour constate qu'en ce qui le concerne la prévention le concernant vise des faits d'août 1997 à décembre 1997 et que Ivica K, qui a pris sa succession en qualité de la gérante de la société, a été condamnée pour une période de novembre 1997 à août 1998, que dès lors il y a lieu de relaxer partiellement Bruno B pour la période de novembre et décembre 1997;
Considérant qu'il résulte de ces constatations que les prévenus se sont rendus coupables, Bruno B de publicité de nature à induire en erreur, pour la période d'août 1997 à octobre 1997, et Pierre L de complicité de ce délit et de ceux reprochés à Michel Z, Ivica K, Farida H, épouse L, Benjamin V, Haim L; qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré sur les déclarations de culpabilité des deux prévenus, sauf en ce qui concerne la relaxe partielle de Bruno B, sur les peines d'amende prononcées qui constituent une juste application de la loi pénale, compte tenu du casier judiciaire de Bruno B et des différentes affaires reprochées à Pierre L et sur la mesure de publication, précisée au dispositif du présent arrêt;
Considérant que compte tenu de la date des faits, la demande d'amnistie présentée par le prévenu Pierre L, sera déclarée sans objet.
Sur la demande de confusion de peines de Pierre L
Considérant que selon les dispositions de l'article 132-4 du Code pénal lorsque, à l'occasion de procédures séparées, la personne poursuivie a été reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les peines prononcées s'exécutent cumulativement dans la limite du maximum légal le plus élevé; que toutefois, la confusion totale ou partielle des peines de même nature peut être ordonnée par la dernière juridiction appelée à statuer;
Considérant que Pierre L, poursuivi pour des infractions de même nature, dans 4 dossiers ayant fait l'objet de poursuites séparées, inscrits à la cour sous les numéros de rôle 00-01835, 00-01838, 00-01846 et 00-03037, est reconnu coupable des faits de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur; que la cour décide de refuser la demande de confusion des peines sollicitée par le prévenu et confirmera la condamnation de Pierre L dans la présente affaire à une amende de 100 000 F;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels des 2 prévenus Pierre L et Bruno B et du Ministère public; Confirme la décision des premiers juges ayant ordonné la jonction des procédures inscrites au rôle du Tribunal de grande instance de Paris sous les numéros 9827303167, 9909890334, 9927090210, avec celle portant le numéro 9827303121; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré chacun des prévenus coupable des infractions visées à la prévention, étant précisé que pour Bruno B la période de prévention s'étend d'août 1997 à octobre 1997; Infirme partiellement le jugement attaqué et relaxe Bruno B pour l'infraction de publicité de nature à induire en erreur commise en novembre et décembre 1997, Confirme le jugement entrepris sur la peine prononcée, à l'encontre de Bruno B; Vu les dossiers inscrits à la cour sous les numéros de rôle 00-01835, 00-01838, 00-01846 et 00-03037, dans lesquels Pierre L est reconnu coupable des faits de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, Confirme le jugement ayant condamné Pierre L à une amende de 100 000 F, Ordonne la publication de la présente décision, par extraits, aux frais des condamnés, dans le journal "Le Parisien".