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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 9 mars 2001, n° 1999-20286

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Office d'Annonces ODA (SA)

Défendeur :

Bauris et Fils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault (faisant fonction)

Conseillers :

Mme Bernard, M. Picque

Avoués :

Me Huyghe, SCP d'Auriac-Guizard

Avocats :

Mes Fauquet, Pardo.

T. com. Paris, du 21 juin 1999

21 juin 1999

N'ayant pas été réglée par la SARL Bauris et Fils (société Bauris), des insertions publicitaires concernant plusieurs localités, insérées dans l'édition 1997 des annuaires des Alpes Maritimes "pages jaunes" (éditions Est et Ouest) et "pages blanches", la SA Office d'Annonces (société ODA) a assigné l'annonceur devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de le voir condamner à lui payer 32 760,99 F majorés des intérêts légaux à compter du 1er septembre 1997 outre 5 000 F de frais irrépétibles.

Par jugement du 21 juin 1999, la juridiction consulaire a estimé que " l'ensemble de cette affaire relevait de la loi Sapin " et a débouté les parties de toutes leurs demandes sauf à condamner l'ODA à payer 5 000 F de frais non taxables à la société Bauris.

L'ODA a interjeté appel. Dans le dernier état de ses écritures signifiées le 17 janvier 2001, l'ODA soutient, en réponse à l'exception soulevée par l'intimée, que le Tribunal de commerce de Paris était compétent en vertu de la clause d'attribution insérée dans le bon de commande souscrit par l'agence Média France Azur ce qui engageait sa mandante, la société Bauris. Il fait ensuite valoir que celle-ci a, le 16 décembre 1996, donné mandat à l'agence de publicité Média France Azur (Média Azur) pour souscrire ses ordres d'insertion d'espaces publicitaires dans les annuaires de France Télécom en s'engageant à lui remettre les fonds correspondants en différents termes s'échelonnant de décembre 1996 à juin 1997. En exécution de ce mandat l'agence Média Azur a souscrit pour le compte de la société Bauris, le 5 février 1997, auprès de l'ODA pris en sa qualité de régisseur exclusif de la publicité dans les annuaires de France Télécom, un ordre d'insertion d'un montant de 32 760,99 F, dont le paiement était incorporé dans un règlement global objet d'une traite à échéance du 30 juillet 1997 qui est revenue impayée. L'ODA prétend que la société Bauris avait été informée que l'agence de publicité ne paierait effectivement le régisseur que le 30 juillet 1997 et fait valoir que celle-ci, en sa qualité de mandante, est tenue d'exécuter les engagements de sa mandataire Média Azur et doit s'acquitter du paiement des prestations d'insertion publicitaire accomplies par le régisseur de publicité. Pour justifier qu'il n'avait aucun intérêt à entretenir des relations privilégiées avec Média Azur, l'Office indique que son propre service de commercialisation est en concurrence avec les agences de publicité pour le recueil des ordres d'insertion auprès des annonceurs et qu'en l'espèce, l'intermédiation de l'agence a été imposée par la société Bauris. L'ODA déduit de cette situation concurrentielle que le tribunal ne pouvait pas lui faire reproche d'avoir accordé à Média Azur un crédit de 100 % sur six mois alors que l'annonceur a lui-même imposé à son agence un règlement échelonné qui est arrivé à terme un mois seulement avant la date d'échéance consentie à Média Azur pour le paiement et correspondait, de surcroît, à la période de parution des annuaires concernés. La société Office d'Annonces soutient aussi, qu'en ses qualités de déposante et de mandante il appartenait à la société Bauris de procéder à des vérifications sur la solvabilité du dépositaire, la loi Sapin ayant donné à l'agence le statut de mandataire de l'annonceur et ayant privé le support publicitaire de tout recours à l'encontre de l'intermédiaire en dehors d'un engagement ducroire. Elle en déduit qu'elle n'aurait pu exiger le paiement immédiat par Média Azur que si l'annonceur avait donné, à cette dernière, mandat de payer immédiatement le support en lui remettant simultanément l'intégralité des fonds et en informant le régisseur de ces dispositions. L'ODA conclut à la pleine infirmation de la décision entreprise et sollicite la condamnation de la société Bauris à lui payer 32 760,99 F augmentés des intérêts légaux à dater de la mise en demeure du 1er septembre 1997 outre 10 000 F de frais irrépétibles.

La société Bauris, dans des conclusions signifiées le 21 novembre 2000, soulève l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'elle n'a pas ratifié le bon de commande qui stipulait l'attribution de compétence à la juridiction consulaire parisienne. Elle fait valoir que la lettre du 12 juillet 1997 lui indiquait que la commande avait été réglée conformément au mandat ce que confirmait la facture du 28 juillet qui mentionnait un compte client de valeur 0 F. L'intimée estime que l'Office ne rapporte pas la preuve du caractère certain de la créance qu'il allègue à son encontre en ce qu'il ne produit qu'une lettre de change impayée d'un montant global regroupant le prix de plusieurs insertions sans justifier du prétendu non-paiement de celui la concernant alors qu'elle s'est intégralement acquittée du prix de l'annonce entre les mains de l'agence de publicité. L'annonceur soutient aussi que l'Office d'Annonces entretenait des relations privilégiées avec l'agence Média Azur qui était animée par un de ses anciens salariés. Il dénonce la complaisance, à ses yeux, de l'ODA dans les délais de paiement qui ont été accordés sans avoir pris en compte le calendrier des versements effectifs par l'annonceur. La société Bauris estime que les accords ODA Média Azur laissaient à cette dernière un avantage " considérable " de trésorerie en lui permettant de conserver pendant plusieurs mois le produit des versements partiels antérieurement effectués par les annonceurs. L'intimée soutient que cet avantage a été consenti par l'ODA à l'agence Média Azur au mépris de l'interdiction édictée par la loi Sapin et que cette faute délictuelle commise par le vendeur d'espace est à l'origine du défaut d'encaissement par ses soins du prix des insertions publicitaires. La société Bauris en déduit que son paiement entre les mains de l'agence doit en conséquence être considéré comme libératoire.

Elle conclut:

- à titre principal, à l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris en sollicitant le renvoi de l'affaire devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence;

- subsidiairement, elle demande la confirmation de la décision attaquée et 20 000 F de frais irrépétibles.

Sur quoi,

Sur la compétence,

Considérant que le jugement entrepris ne fait pas état d'un moyen d'incompétence qui aurait été soulevé lors des débats en première instance; que l'intimée n'a pas produit ses écritures devant le tribunal par lesquelles elle aurait soulevé cette exception dès l'origine du débat; qu'il n'a pas été justifié que le tribunal aurait été saisi d'une requête en rectification d'erreur matérielle ou en omission de statuer; que la cour de céans n'a pas davantage été saisie d'une demande en ce sens sur une éventuelle omission de statuer des premiers juges; qu'à l'occasion d'un incident sur le même sujet soulevé devant le conseiller de la mise en état, la société Bauris a indiqué " qu'aucune conclusion du chef de l'incompétence n'a été déposée devant le tribunal de commerce mais que ce moyen a été soulevé in limine litis lors de l'audience des plaidoiries (...) " ce que son adversaire a contesté; qu'il a été relevé à cette occasion que la société Bauris prétendait avoir décliné oralement la compétence de la juridiction consulaire lors de l'audience de " plaidoirie " devant le juge rapporteur, le 2 avril 1999, alors qu'il ressort des énonciations du jugement entrepris qu'elle avait antérieurement conclu sur le fond le 28 décembre 1998;

Considérant que la société Bauris ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d'avoir soulevé une exception d'incompétence devant le tribunal;

Que dès lors, une telle demande, intervenant après avoir conclu sur le fond en première instance, est irrecevable devant la cour;

Sur le fond,

- Sur le caractère libératoire du paiement entre les mains de l'agence de publicité et de la facture du 28 juillet 1997:

Considérant qu'il est constant que, par acte du 16 décembre 1996, la société Bauris a donné mandat à l'entreprise Média Azur de souscrire auprès de l'ODA des insertions publicitaires dans les annuaires des Alpes Maritimes de 1997 lequel stipulait un montant global de facturation de 33 967,29 F TTC dont 1 206 F TTC en rémunération des prestations de l'agence de publicité, le solde (32 761,29 F TTC) devant revenir à l'ODA; qu'il prévoyait également un règlement échelonné par la société Bauris entre les mains de la société Média Azur en six échéances espacées du jour de la souscription du mandat au 30 juin 1997;

Considérant qu'en exécution de ce mandat, Média Azur a souscrit, le 5 février 1997, un bon de commande auprès de l'ODA pour des insertions au nom de "Godin cheminées" et "cheminées Godin" moyennant le prix de 32 760,99 F TTC en spécifiant " 1 traite au 30/07/97 ";

Que les règlements effectués par l'annonceur entre les mains de l'agence Média Azur, prise en sa qualité de mandataire de la société Bauris, n'ont pas d'effet libératoire de l'obligation directe de paiement du mandant vis-à-vis du support en exécution des obligations souscrites en son nom par le mandataire;

Considérant que la facture ODA du 28 juillet 1997 dont se prévaut l'annonceur fait état du règlement mais que la mention "LCR AU 30/07/97 " qui y est portée, indique que celui-ci résulte d'une traite non encore échue au jour de l'émission du document; que dès lors ladite facture ne peut pas avoir un effet libératoire, l'effet de commerce étant revenu impayé;

- Sur l'avantage interdit par la loi Sapin:

Considérant que le regroupement de plusieurs commandes d'insertions ne constitue pas, à priori pour l'agence de publicité, un avantage interdit par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, la recherche d'une meilleure efficacité de traitement des commandes entre l'agence et l'Office entrant dans les préoccupations normales des relations d'affaires: que ce faisant l'ODA n'a pas commis de faute au regard de cette législation;

Mais considérant qu'il ressort des explications de l'Office d'Annonces lui-même que le paiement par l'entreprise Média Azur, concernant cette facture de 32 761,29 F TTC, a été indu dans un règlement global avec quatre autres factures se rapportant à des clients de la même agence de publicité pour un total de 167 037 F TTC au moyen de l'émission d'une seule lettre de change-relevé (papier) de pareil montant créée le jour même de la souscription du bon de commande de l'insertion (05/02/97) à échéance du 30 juillet 1997 ; que celle-ci est revenue impayée selon avis du Crédit Lyonnais du 31 juillet suivant ;

Considérant par ailleurs que l'ODA avait connaissance des termes du mandat donné le 16 décembre 1996 par la société Bauris à Média Azur;qu'en conséquence il avait connaissance des règlements partiels d'ores et déjà effectués par l'annonceur entre les mains de l'agence de publicité et savait que le mandat ne prévoyait nullement la possibilité pour l'agence de négocier avec le support des délais différents de règlement;

Que dès lors le regroupement du règlement de plusieurs factures concernant des donneurs d'ordre différents avec un différé d'échéance de 6 mois par rapport aux premiers versements effectués par les différents annonceurs, constitue un accord spécifique entre l'Office d'Annonces et l'agence de publicité, intervenu à l'insu de la société Bauris;que cet accord direct entre l'agence et l'ODA est venu se superposer au lien contractuel mandant/mandataire existant entre l'annonceur et Média Azur;

Qu'outre le simple regroupement administratif des commandes, ODA a consenti, à l'insu du mandant, un aménagement particulier pour l'exécution du mandat de paiement donné par la société Bauris à l'agence de publicité en faisant, de surcroît, courir à l'annonceur l'aléa d'un non-paiement de la traite à son échéance;que le régisseur n'entendait pas, en revanche, partager ce risque avec la société Bauris puisqu'une fois celui-ci réalisé, l'Office a voulu conserver son recours direct en paiement contre le mandant dont il n'ignorait pourtant pas qu'il avait déjà fait antérieurement parvenir les fonds entre les mains de l'agence de publicité laquelle avait pu les conserver par devers elle grâce au délai supplémentaire de paiement directement consenti par l'ODA à l'insu de l'annonceur et au mépris de la sécurité des paiements antérieurement effectués par ce dernier;

Considérant que les conventions doivent s'exécuter de bonne foi;qu'il résulte des éléments ci-dessus rappelés, qu'ODA n'a pas exécuté de bonne foi ses obligations à l'égard de la société Bauris et s'est ainsi privé de la possibilité d'exiger de son co-contractant, l'exécution de sa propre obligation de paiement du prix de l'insertion au support;

Qu'il convient, en conséquence, de confirmer la décision entreprise par substitution de motifs;

Considérant, aussi, qu'il est équitable, en l'espèce, de laisser à chaque partie la charge définitive des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour assurer sa défense;

Par ces motifs, LA COUR, Dit irrecevable l'exception d'incompétence, soulevée pour la première fois en cause d'appel, après avoir débattu sur le fond du litige en première instance ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne l'Office d'Annonces aux dépens ; Admet la SCP d'Auriac-Guizard au bénéfice de l'article 699 du NCPC.