CJCE, président, 19 juillet 1995, n° C-149/95 P(R)
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes, Freight Transport Association Ltd, Association des utilisateurs des transports de fret, European Council of Transport Users ASBL, Comité de liaison européen des commissionnaires et auxiliaires de transport du Marché commun
Défendeur :
Atlantic Container Line AB, Cho Yang Shipping Co., DSR-Senator Lines GmbH, Hapag Lloyd AG, MSC Mediterranean Shipping Co., Moeller-Maersk Line, Nedlloyd Lijnen BV, Neptune Orient Lines Ltd, Nippon Yusen Kaisha, Orient Overseas Container Line (UK) Ltd, P & O Containers Ltd, Polish Ocean Lines, Sea-Land Service Inc., Tecomar SA de CV, Transportación Marítima Mexicana SA, Japanese Shipowners'Association, European Community Shipowners' Associations ASBL
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat général :
M. Fennelly
Avocats :
MM. Clough, Pheasant, Bromfield, Kim, Forwood, Ruttley, Waelbroeck.
LE PRÉSIDENT DE LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 12 mai 1995, la Commission a formé, conformément à l'article 168 A du traité CE et à l'article 50, deuxième alinéa, du statut CE de la Cour de justice, un pourvoi contre l'ordonnance que le président du Tribunal de première instance a rendue le 10 mars 1995 dans l'affaire T-395-94 R et par laquelle il a fait partiellement droit à une demande de sursis à l'exécution de la décision 94-980-CE de la Commission, du 19 octobre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.446 - Trans Atlantic Agreement, JO L 376, p. 1, ci-après la "décision 94-980").
2 Les faits qui sont à l'origine du litige sont exposés dans l'ordonnance attaquée dans les termes suivants:
"15 Les requérantes sont les quinze compagnies de transport de ligne maritime qui ont été parties au TAA (Trans Atlantic Agreement), un accord aux termes duquel elles assuraient en commun les transports de ligne internationaux en conteneurs à travers l'Atlantique, entre l'Europe du Nord et les États-Unis d'Amérique, dans les sens Est-Ouest et Ouest-Est. Le TAA est entré en vigueur le 31 août 1992, remplaçant les conférences maritimes qui existaient auparavant. Quatre nouveaux membres ont adhéré à l'accord après son entrée en vigueur.
16 Le TAA s'applique à plusieurs aspects du transport maritime. Il contient, notamment, des règles sur la fixation des taux de fret, sur les contrats de service (qui permettent à un client de s'engager à expédier une quantité minimale de marchandises au cours d'une période, en bénéficiant d'un prix inférieur au tarif normalement applicable) et sur un programme de gestion des capacités (ayant pour objectif de limiter l'offre de transport afin d'assurer la stabilité du marché).
17 Le TAA comprend deux catégories de membres. Les membres de la première catégorie ('membres structurés') font partie des comités qui contrôlent l'application des tarifs et des contrats de service. Ces membres, à l'exception de deux, ont participé aux deux conférences maritimes qui ont précédé la conclusion du TAA. Les membres de la seconde catégorie ('membres non structurés') ne font pas partie des comités susvisés et peuvent conclure des contrats de service indépendants, ce qui n'est pas permis aux 'membres structurés', ainsi que participer aux contrats de service négociés par les 'membres structurés', tandis que ceux-ci ne peuvent pas participer aux contrats conclus par les 'membres non structurés'.
18 Le TAA fixe les tarifs applicables au transport maritime et au transport combiné, qui comprend non seulement le transport maritime mais aussi l'acheminement terrestre, vers ou à partir des côtes, de marchandises à destination ou en provenance d'un point à l'intérieur des côtes. Les tarifs applicables au transport combiné, qui se réfèrent pour chaque opération à un seul contrat de transport, couvrent donc le segment maritime et le segment terrestre.
19 Le 28 août 1992, le TAA a été notifié à la Commission. Les requérantes ont demandé, conformément à l'article 12, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 4056-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4, ci-après 'règlement n° 4056-86'), que lui soit accordée une décision d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité.
20 Par lettre du 24 septembre 1992, la Commission a informé les requérantes qu'elle examinerait aussi l'accord à la lumière des dispositions du règlement (CEE) n° 1017-68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1, ci-après 'règlement n° 1017-68').
21 Entre le 13 octobre 1992 et le 19 juillet 1993, la Commission a reçu de nombreuses plaintes concernant la mise en œuvre du TAA. Ces plaintes émanaient d'exportateurs et d'associations d'exportateurs établis dans différents États membres de la Communauté et opérant vers les États-Unis d'Amérique, des administrations de plusieurs ports européens ainsi que de transitaires et d'associations de transitaires. Ces plaintes formulaient, à l'encontre du TAA, diverses accusations de violation des articles 85 et 86 du traité, mettant en cause, en ce qui concerne la fixation des tarifs, l'imposition de conditions contractuelles non équitables et la limitation artificielle de l'offre de transport.
22 Les plaignants ont demandé à la Commission d'adopter des mesures provisoires, au titre de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 4056-86. Après avoir ouvert la procédure prévue par l'article 23 du règlement, la Commission n'a pas fait droit à ces demandes.
23 Par lettre du 10 décembre 1993, la Commission a notifié aux requérantes une communication des griefs.
24 A la suite des discussions qui ont eu lieu au cours de la procédure précontentieuse, les requérantes ont notifié à la Commission, le 5 juillet 1994, une version modifiée du TAA, le Trans Atlantic Conference Agreement (ci-après 'TACA'). Suite à l'introduction de plusieurs amendements, ce nouvel accord est entré en vigueur le 24 octobre 1994, se substituant au TAA. La Commission n'avait pas, à cette date, terminé l'analyse dudit accord.
25 Le 19 octobre 1994, la Commission a adopté la décision litigieuse. L'article 1er de cette décision constate que les dispositions du TAA relatives aux accords de prix et de capacité constituent des infractions à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Dans son article 2, la décision refuse d'appliquer l'article 85, paragraphe 3, du traité et l'article 5 du règlement n° 1017-68 aux dispositions du TAA visées à l'article 1er. L'article 3 de la décision ordonne aux destinataires énumérés à l'article 6 de mettre fin aux infractions constatées à l'article 1er, l'article 4 leur enjoignant, à son tour, de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou similaire aux accords ou pratiques visés à l'article 1er. Enfin, l'article 5 de la décision impose aux destinataires d'informer, dans un délai de deux mois, les clients avec lesquels ils ont conclu des contrats de service ou d'autres contrats dans le cadre du TAA qu'ils peuvent, s'ils le souhaitent, renégocier les clauses de ces contrats ou les résilier immédiatement."
3 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 23 décembre 1994, quinze compagnies de transport maritime de ligne (ci-après "Atlantic Container Line AB e.a."), parties au TAA, ont, en application de l'article 173 du traité CE, introduit un recours en annulation contre la décision 94-980.
4 Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, elles ont, conformément aux articles 185 et 186 du traité CE, demandé le sursis à l'exécution de la décision litigieuse.
5 Par l'ordonnance attaquée, le président du Tribunal a notamment accordé le sursis à l'exécution des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision 94-980, "dans la mesure où ils interdisent aux requérantes d'exercer conjointement le pouvoir de fixer les taux applicables aux segments terrestres, sur le territoire de la Communauté, dans le cadre des services de transport combiné" (point 4 du dispositif).
6 Dans le cadre du présent pourvoi, la Commission demande au président de la Cour d'annuler cette ordonnance, dans la mesure où elle suspend l'application des articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision 94-980, de rejeter la demande de mesures provisoires et de condamner aux dépens du référé les requérantes devant le Tribunal.
7 Atlantic Container Line AB e.a. ont présenté des observations écrites par acte déposé au greffe le 15 juin 1995. The Japanese Shipowners'Association et The European Community Shipowners' Associations ASBL, parties intervenantes au soutien des conclusions des parties requérantes devant le Tribunal de première instance, ainsi que The Freight Transport Association Ltd, l'Association des utilisateurs des transports de fret et The European Council of Transport Users ASBL, parties intervenantes au soutien des conclusions de la Commission, ont présenté des observations écrites par actes déposés au greffe de la Cour le 16 juin 1995.
8 Par acte déposé au greffe de la Cour le 21 juin 1995, le Comité de liaison européen des commissionnaires et auxiliaires de transport du Marché commun (ci-après le "Clecat") a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
9 Les arguments invoqués par le Clecat à l'appui de sa demande d'intervention faisant apparaître à première vue un intérêt à la solution du présent pourvoi, il y a eu lieu de faire droit à sa demande, ce qui lui a été signifié par lettre du greffe de la Cour du 22 juin 1995.
10 Le Clecat a déposé ses observations écrites sur le présent pourvoi le 30 juin 1995.
11 Dès lors que les observations écrites des parties contiennent toutes les informations nécessaires pour qu'il soit statué sur le présent pourvoi, il n'y a pas lieu d'entendre les parties en leurs explications orales.
Sur la recevabilité
12 Atlantic Container Line AB e.a. soutiennent que le pourvoi est irrecevable pour deux raisons.
13 En premier lieu, le pourvoi aurait été formé sur la base de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice et non conformément à l'article 50 qui serait la disposition applicable.
14 A cet égard, il y a lieu de constater que la mention erronée dans la requête d'une disposition du statut CE de la Cour de justice qui servirait prétendument de base au pourvoi, alors que le règlement de procédure de la Cour n'impose pas la mention d'une telle disposition, constitue une erreur de plume, laquelle a d'ailleurs été rectifiée par la Commission par lettre du 14 juin 1995 adressée au greffe de la Cour. Cette erreur, qui a été sans conséquence sur le développement postérieur de la procédure, ne constitue pas un motif d'irrecevabilité du pourvoi.
15 Cet argument doit donc être rejeté.
16 En second lieu, Atlantic Container Line AB e.a. soutiennent que le pourvoi est irrecevable, au moins en partie, au motif qu'il n'est pas limité à des questions de droit, comme le prescrit l'article 51 du statut CE de la Cour de justice.
17 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, en vertu des articles 168 A du traité CE et 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, un pourvoi ne peut s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation, par le Tribunal, de règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits.
18 Les dispositions susvisées s'appliquant également aux pourvois formés conformément à l'article 50, deuxième alinéa, du statut CE de la Cour de justice, le présent recours doit être limité aux seules questions de droit, à l'exclusion de toute remise en cause de l'appréciation des faits à laquelle le juge des référés s'est livré pour octroyer les mesures provisoires.
19 Les allégations avancées à cet égard par Atlantic Container Line AB e.a. devront cependant être examinées dans le cadre des moyens invoqués par la Commission à l'appui de son pourvoi.
Sur le fond
20 La Commission estime que l'ordonnance est entachée de diverses erreurs de droit quant à l'appréciation du fumus boni juris et de l'urgence, conditions auxquelles l'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal subordonne l'octroi du sursis, quant à la mise en balance des intérêts en présence, quant à l'application du principe de la proportionnalité et quant à sa motivation.
21 A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, conformément aux articles 185 et 186 du traité CE, le juge des référés peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. A cet effet, il tient compte des conditions prévues par l'article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour ou 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, telles que précisées par la jurisprudence.
22 Ainsi, le sursis à l'exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s'il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu'ils sont urgents en ce sens qu'il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu'ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision au principal. Ils doivent, en outre, être provisoires en ce sens qu'ils ne préjugent pas les points de droit ou de fait en litige ni ne neutralisent par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement au principal.
23 Dans le cadre de cet examen d'ensemble, le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l'espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l'ordre de cet examen, dès lors qu'aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d'analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement.
24 C'est au regard de ces considérations qu'il y a lieu de vérifier si, compte tenu des moyens invoqués par la Commission, l'ordonnance attaquée est restée dans les limites ainsi définies et n'est pas entachée d'une erreur de droit.
Sur le fumus boni juris
25 Selon la Commission, l'ordonnance attaquée contient une erreur dans l'appréciation des éléments qui justifient à première vue les mesures provisoires demandées. En considérant, au point 49, que les moyens invoqués par Atlantic Container Line AB e.a. "... apparaissent, à première vue, pertinents et, en tout cas, non dépourvus de fondement", le juge des référés aurait transformé la condition du "fumus boni juris" en une condition de "fumus non mali juris" et, par conséquent, affaibli cette exigence puisque le requérant devrait, le cas échéant, démontrer non pas que les griefs au principal sont à première vue fondés, mais qu'ils ne sont pas manifestement dépourvus de fondement.
26 A cet égard, il y a lieu de relever que plusieurs formules ont été utilisées dans la jurisprudence pour définir la condition tenant au fumus boni juris au gré des circonstances de l'espèce. Celle utilisée par l'ordonnance attaquée et faisant état de moyens non dépourvus à première vue de fondement est identique ou semblable à celle à laquelle a eu recours, à plusieurs reprises, la Cour ou son président(voir notamment, ordonnances du président de la Cour du 13 juin 1989, Publishers Association/Commission, 56-89 R, Rec. p. 1693, point 31; du 10 octobre 1989, Commission/Royaume-Uni, 246-89 R, Rec. p. 3125, point 33; du 28 juin 1990, Commission/Allemagne, C-195-90 R, Rec. p. I-2715, point 19; du 31 janvier 1992, Commission/Italie, C-272-91 R, Rec. p. I-457, point 24; ordonnance de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C-280-93 R, Rec. p. I-3667, point 21). Une telle formule fait apparaître que, de l'avis du juge des référés, les arguments avancés par le demandeur des mesures provisoires ne peuvent pas être écartés au stade de cette procédure sans un examen plus approfondi.
27 De la jurisprudence précitée, il résulte que le juge des référés peut considérer, au vu des circonstances de l'espèce, que de tels moyens justifient à première vue l'octroi du sursis au titre de l'article 185 ou de mesures provisoires au sens de l'article 186.
28 Par ailleurs, la Commission soutient que le TAA constitue une infraction manifeste à l'article 85, paragraphe 1, du traité, que la fixation des tarifs des transports terrestres ne fait pas partie du champ d'application de l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 4056-86 et qu'elle ne peut accorder une exemption individuelle puisque les consommateurs n'en tireraient aucun avantage et que la restriction en question ne serait pas indispensable.
29 Les parties intervenant à l'appui des conclusions de la Commission ajoutent que la manière dont la condition tenant au fumus boni juris a été vérifiée dans l'ordonnance attaquée a conduit à considérer comme fondés "prima facie" des arguments qui sont en réalité indéfendables. Tel serait le cas de l'affirmation d'Atlantic Container Line AB e.a. selon laquelle le marché pertinent pour les transports terrestres de conteneurs, effectués dans le contexte du transport multimodal, est celui des transports maritimes.
30 Il convient de relever que la vérification du bien-fondé des arguments d'Atlantic Container Line AB e.a. visant à établir, à titre principal, que les accords relatifs au transport multimodal, pour autant que celui-ci porte sur les segments terrestres, sont couverts par l'exemption par catégorie prévue à l'article 3 du règlement n° 4056-86 ou que, en tout état de cause, le TAA aurait dû se voir reconnaître le bénéfice d'une exemption individuelle fondée sur l'article 85, paragraphe 3, du traité, ou, dans la mesure où il serait applicable, sur l'article 5 du règlement n° 1017-68, implique l'examen de questions juridiques complexes, dont celle de la détermination du champ d'application respectif des règlements n° s 4056-86 et 1017-68. Ces questions méritent un examen approfondi après des débats contradictoires.
31 L'affirmation de la Commission, selon laquelle le TAA constitue une infraction manifeste à l'article 85, paragraphe 1, du traité, n'est pas pertinente dès lors que se pose, à ce stade, la question de savoir si cet accord peut légalement bénéficier d'une exemption par catégorie ou individuelle.
32 La Commission et les parties intervenant à son soutien font enfin valoir que le reproche, adressé à la Commission par les parties requérantes devant le Tribunal et visé au point 49 de l'ordonnance attaquée, d'avoir appliqué illégalement au TACA ses conclusions relatives au TAA est sans pertinence, dès lors que la décision litigieuse ne concerne que le TAA.
33 Cette dernière allégation est inexacte. En effet, l'article 4 de la décision litigieuse, en enjoignant à Atlantic Container Line AB e.a. de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou de toute pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou semblable aux accords et pratiques visées à l'article 1er de la même décision, couvre incontestablement le TACA, lequel est une version modifiée du TAA.
34 Le premier moyen doit donc être rejeté.
Sur l'urgence
35 Par un deuxième moyen, la Commission soutient que l'appréciation de la condition d'urgence qui se trouve dans l'ordonnance attaquée est entachée de plusieurs erreurs de droit qui conduisent également à un allégement de cette condition.
36 En premier lieu, il ressortirait, selon la Commission, de l'ordonnance attaquée que la simple éventualité d'un préjudice a été prise en considération au titre de l'urgence. Or, selon une jurisprudence constante, le requérant devrait démontrer, sur la base de probabilités suffisantes, le risque d'un préjudice spécifique grave et irréparable.
37 S'agissant de ce premier argument, il y a lieu de constater que l'ordonnance attaquée a correctement rappelé, au point 50 des motifs, la jurisprudence constante selon laquelle le caractère urgent d'une demande en référé doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire.
38 A cet égard, contrairement à ce que soutient la Commission, l'ordonnance ne prend pas en considération un préjudice purement hypothétique, mais un préjudice grave et irréparable qui, au regard des circonstances de l'espèce, est susceptible de se réaliser au détriment d'Atlantic Containers Line AB e.a. en raison de l'exécution immédiate de la décision litigieuse. De surcroît, il ne découle pas de la jurisprudence susvisée que l'imminence du préjudice doit être établie avec une certitude absolue. Il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d'un ensemble de facteurs, qu'elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant(voir, notamment, ordonnance de la Cour, Allemagne/Conseil, précitée, points 32 et 34).
39 L'analyse contenue dans l'ordonnance attaquée à propos de ce préjudice ainsi que l'examen des preuves fournies à son appui requièrent une appréciation en fait qui échappe au contrôle de la Cour, le pourvoi étant limité aux seules questions de droit.
40 Le premier argument doit donc être rejeté.
41 En deuxième lieu, la Commission estime que le demandeur des mesures provisoires doit démontrer l'existence d'un lien de causalité entre la décision litigieuse et le préjudice allégué. Or, en l'espèce, ce préjudice ne résulterait pas forcément de l'application de la décision litigieuse. En effet, d'une part, celle-ci n'obligerait pas les requérantes à pratiquer un tarif particulier pour le transport multimodal; d'autre part, même si le prétendu préjudice était imputable à la décision litigieuse, la Commission aurait indiqué un moyen de l'éviter, à savoir la souscription, par les transporteurs intéressés, d'un engagement de ne pas pratiquer des taux inférieurs aux coûts effectifs pour les services de transport terrestre. Cette solution aurait pu bénéficier d'une exemption individuelle en application de l'article 85, paragraphe 3, du traité et être imposée par le président du Tribunal à titre de mesure provisoire.
42 Cette argumentation doit être rejetée.
43 En effet, il y a lieu d'observer, d'abord, que, si les dommages susceptibles d'être subis par Atlantic Container Line AB e.a. étaient à imputer, au premier chef, au comportement des sociétés destinataires de la décision litigieuse, dans la mesure où elles pratiqueraient des tarifs particuliers pour le transport multimodal, il n'en resterait pas moins que cette situation ne pourrait pas se produire sans l'application de ladite décision. Ensuite, dans l'appréciation des différents éléments constitutifs de l'urgence, présentés par les parties, le juge des référés peut considérer librement ceux qui emportent sa conviction pour justifier sa décision. Aussi bien l'existence d'une mesure alternative à la suspension de la décision, à laquelle se réfère la Commission, pour éviter le préjudice n'est-elle qu'un de ces éléments dont le juge des référés peut tenir compte, mais cette seule circonstance ne peut l'obliger à rejeter la demande de suspension.
44 En troisième lieu, la Commission considère que le point 55 de l'ordonnance attaquée érige en principe général l'affirmation selon laquelle des modifications importantes du cadre dans lequel s'exerce l'activité des destinataires de la décision, par suite de l'adoption de celle-ci, sont susceptibles de créer sur le marché une évolution qu'il serait très difficile de renverser ultérieurement, au cas où il serait fait droit au recours au principal. A ce propos, la Commission fait observer, d'une part, qu'il n'existe aucun principe général en ce sens et, d'autre part, que la jurisprudence à laquelle se réfère le point 55 concerne seulement des accords de distribution verticaux sur le démantèlement desquels il aurait été difficile de revenir parce que les consommateurs n'auraient pas accepté un retour à l'ancien système, alors que, dans le cas d'espèce, il s'agit d'un accord horizontal de fixation des prix, dont le système peut être rétabli sans difficulté.
45 Le point 55 de l'ordonnance attaquée se lit comme suit : "Ainsi que le juge des référés a déjà décidé, de telles situations dans lesquelles l'ensemble des conditions existantes sur le marché sont modifiées par une décision de la Commission, applicable dans un délai relativement court, représentent, pour les destinataires de la décision, un risque de préjudice grave et irréparable, dans la mesure où elles impliquent des modifications importantes du cadre dans lequel s'exerce leur activité. Cette modification est susceptible de créer sur le marché une évolution qu'il serait très difficile de renverser ultérieurement, au cas où il serait fait droit au recours au principal. Inversement, la suspension de l'exécution n'est pas de nature à faire obstacle au plein effet de la décision à partir du moment où le recours au principal serait rejeté (voir, en ce sens, les ordonnances du président de la Cour [du 11 mai 1989], RTE e.a./Commission [76-91 R, 77-91 R et 91-89 R, Rec. p. 1141], points 15 et 18, et du 13 juin 1989, Publishers Association/Commission, 56-89 R, Rec. p. 1693, points 34 et 35, et les ordonnances du président du Tribunal du 16 juin 1992, Langnese-Iglo et Schoeller/Commission, T-24-92 R et T-28-92 R, Rec. p. II-1839, point 29, et du 16 juillet 1992, SPO e.a./Commission, T-29-92 R, Rec. p. II-2161, point 31)."
46 Ce point n'énonce aucun principe général relatif à la condition de l'urgence; de surcroît, les références à la jurisprudence qui y figurent servent seulement à illustrer les conclusions auxquelles le juge des référés est arrivé sur la base d'une appréciation en fait.
47 Le deuxième moyen doit donc être rejeté.
Sur la balance des intérêts
48 Par un troisième moyen, la Commission et les intervenants à son soutien reprochent au président du Tribunal de n'avoir pas suffisamment tenu compte des intérêts des tiers, notamment des chargeurs et des exportateurs européens, lesquels, en raison de l'augmentation des prix imposée par Atlantic Container Line AB e.a., subiront un préjudice considérable. Elle ajoute qu'il n'a pas non plus été tenu compte de l'intérêt général de l'industrie européenne et de l'économie au sens large.
49 La Commission estime que, en tout état de cause, il ne peut être procédé à la mise en balance des intérêts qu'après qu'il a été démontré qu'Atlantic Container Line AB e.a. subiraient un préjudice grave et irréparable, si la décision litigieuse était exécutée immédiatement.
50 Il est constant que le préjudice grave et irréparable, critère de l'urgence, constitue également le premier terme de la comparaison effectuée dans le cadre de l'appréciation de la balance des intérêts. Plus particulièrement, cette comparaison doit conduire le juge statuant au référé à examiner si l'annulation éventuelle de la décision litigieuse par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l'exécution de cette décision serait de nature à faire obstacle à son plein effet au cas où le recours au principal serait rejeté (voir, notamment, ordonnance RTE e.a./Commission, précitée, point 15).
51 En l'occurrence, il est constaté au point 55 de l'ordonnance attaquée que la suspension de l'exécution de la décision litigieuse ne serait pas de nature à faire obstacle au plein effet de la décision litigieuse si le recours au principal était rejeté, mais que, en revanche, l'exécution de la décision de la Commission provoquerait des difficultés d'un autre ordre de gravité, dès lors qu'elle implique une modification importante du cadre des activités d'Atlantic Container Line AB e.a., laquelle est susceptible de créer, sur le marché des transports, une évolution qu'il serait très difficile de renverser ultérieurement dans l'hypothèse où il serait fait droit au recours au principal.
52 Ces motifs démontrent à suffisance que le juge des référés a procédé, en l'espèce, à une appréciation des intérêts en cause en mettant en balance l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des décisions de la Commission en matière de concurrence, l'intérêt des destinataires de la décision à éviter qu'un préjudice grave et irréparable leur soit occasionné ainsi que la nécessité de préserver la stabilité du marché en cause dans son ensemble.
53 Le troisième moyen doit donc être rejeté.
Sur le principe de proportionnalité
54 Dans un quatrième moyen, la Commission estime que l'ordonnance attaquée viole le principe de proportionnalité au motif que les mesures provisoires n'ont pas été limitées à ce qui aurait été absolument nécessaire pour éviter le préjudice allégué. D'une part, les parties requérantes devant le Tribunal auraient disposé d'un moyen moins restrictif à cet égard, à savoir la possibilité de souscrire à un engagement de ne pas appliquer aux segments terrestres d'un transport multimodal des prix inférieurs aux coûts effectifs. D'autre part, la protection des intérêts d'Atlantic Container Line AB e.a. n'aurait pas exigé le sursis à l'exécution des articles 1er, 2 et 3 de la décision litigieuse. Selon la Commission, le sursis aurait pu être limité au seul article 4 de la décision interdisant de recourir, pour l'avenir, à tout accord ou à toute pratique concertée pouvant avoir un objet ou un effet identique ou semblable aux accords et pratiques en cause.
55 Aux points 56 et 57 de l'ordonnance attaquée, il est établi, au regard des circonstances propres à l'espèce et, en particulier, de l'importance économique que revêt le marché des transports maritimes, qu'une modification importante du cadre dans lequel s'exerce l'activité des parties requérantes, telle que celle qu'implique la décision de la Commission, pourrait être constitutive non seulement d'un préjudice grave et irréparable pour les requérantes, mais aussi compromettre la stabilité de ce marché. Il y a lieu d'observer que les affirmations de la Commission ne sont pas de nature à infirmer ces constatations qui, selon le juge des référés, constituent une objection fondamentale à ce que la décision faisant l'objet de la demande de sursis soit immédiatement exécutée, même compte tenu des mesures provisoires alternatives avancées par la Commission.
56 Dans ces conditions, aucune erreur manifeste d'appréciation, au regard du principe de la proportionnalité, ne saurait être imputée à l'ordonnance attaquée. Le quatrième moyen doit donc être rejeté.
Sur la motivation
57 Dans un cinquième moyen, la Commission considère que l'ordonnance attaquée n'est pas suffisamment motivée sur certains points essentiels, tels que la relation de cause à effet entre la décision litigieuse et le préjudice allégué, la prise en compte des intérêts des tiers et la balance des intérêts en général.
58 A cet égard, il convient d'observer qu'il ne peut pas être exigé du juge des référés qu'il réponde expressément à tous les points de fait ou de droit qui auraient été discutés au cours de la procédure en référé. Il suffit que les motifs retenus par lui justifient valablement, au regard des circonstances de l'espèce, son ordonnance et permettent à la Cour d'exercer son contrôle juridictionnel.
59 Compte tenu des développements qui précèdent, consacrés spécialement à l'urgence et à la balance des intérêts, telles qu'elles ont été examinées dans l'ordonnance attaquée, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen comme étant non fondé.
60 Par conséquent, le pourvoi doit être rejeté.
Sur les dépens
61 Conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les moyens invoqués par la requérante ayant été rejetés, c'est à elle qu'il incombe de supporter les dépens de la présente procédure sur pourvoi.
62 Par ailleurs, en application de l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, The Freight Transport Association Ltd, l'Association des utilisateurs des transports de fret, The European Council of Transport Users ASBL et le Clecat, qui sont intervenus au soutien de la Commission, supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DE LA COUR,
ordonne:
1) Le pourvoi est rejeté.
2) La Commission est condamnée aux dépens.
3) The Freight Transport Association Ltd, l'Association des utilisateurs des transports de fret, The European Council of Transport Users ASBL et le Comité de liaison européen des commissionnaires et auxiliaires de transport du Marché commun supporteront leurs propres dépens.