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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 22 novembre 2000, n° 00-01846

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Vuillemin

Conseillers :

MM. Ancel, Nivose

Avocats :

Mes Dubelloy, Bensussan.

TGI Paris, 31e ch., du 15 févr. 2000

15 février 2000

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LA PREVENTION:

H Ehud est poursuivi par citation à la requête du Procureur de la République, pour avoir, à Paris et sur le territoire national, en 1997, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'identité, les qualités ou aptitudes du prestataire en faisant paraître des insertions publicitaires dans les annuaires téléphoniques à des adresses de 19 arrondissements de Paris ne correspondant à aucun établissement secondaire réel mais disposant des numéros de téléphone différents aboutissant tous au siège social par transfert d'appel.

L Pierre est poursuivi par citation à la requête du Procureur de la République, pour s'être, à Paris et sur le territoire national, en 1997, rendu coupable de complicité du délit de publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'identité et les qualités ou aptitudes du prestataire reproché à H Ehud, gérant de la société X en lui fournissant des adresses de domiciliation d'établissements secondaires fictifs lui permettant d'obtenir des numéros de téléphone différents reliés par transfert d'appel à un numéro unique.

LE JUGEMENT:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré:

H Ehud

coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,

faits commis courant 1997, à Paris, et sur le territoire national,

infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 12 1-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-l du Code de la consommation

L Pierre

coupable de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,

faits commis courant 1997, à Paris, sur le territoire national,

infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation, art. 121-6 et 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation, art. 121-6 et 121-7 du Code pénal;

Et par application de ces articles, a condamné:

H Ehud à amende délictuelle de 100 000 F,

ordonné, à titre de peine complémentaire la publication du jugement dans Libération,

L Pierre à amende délictuelle de 100 000 F,

ordonné à titre de peine complémentaire la publication du jugement dans Libération,

a dit que cette décision était assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné.

LES APPELS:

Appel a été interjeté par:

Monsieur L Pierre, le 15 février 2000, sur les dispositions pénales et civiles;

M. le Procureur de la République, le 15 février 2000, contre Monsieur L Pierre;

Monsieur H Ehud, le 21 février 2000, sur les dispositions pénales et civiles;

M. le Procureur de la République, le 21 Février 2000, contre Monsieur H Ehud;

DÉCISION:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels des deux prévenus et du Ministère public, interjetés à l'encontre du jugement entrepris;

Ehud H comparant, assisté de son avocat, expose qu'il est arrivé en France en 1994, est marié et père d'un enfant et demande par voie de conclusions à la cour, de retenir que la société X, dont il était le gérant, avait pour activité la rénovation et la décoration mais n'exécutait aucun travail de dépannage; il précise qu'il a été contacté par l'Office d'annonces de France Télécom (ODA) pour faire de la publicité dans les Pages Jaunes du bottin, et que sur ces indications, il a souscrit des contrats de domiciliation dans 15 arrondissements de Paris, auprès de la société Y; il soutient qu'il n'a jamais eu la volonté de tromper sa clientèle, que la proximité de l'entreprise n'a pas d'influence sur le consommateur et que sa tâche impliquait de réaliser des devis avant de faire réaliser des travaux; il demande en conséquence de constater que les éléments matériels du délit ne sont pas constitués, et conclut à sa relaxe, compte tenu de l'absence d'intention frauduleuse de sa part; subsidiairement, il sollicite une dispense de mention de la peine à intervenir au Bulletin n° 2 de son casier judiciaire

Pierre L comparant, assisté de son avocat, demande à la cour, par voie de conclusions:

- à titre préliminaire de joindre les 4 procédures qui sont fondées sur les mêmes poursuites et de prononcer la confusion des peines, qui seraient prononcées contre lui dans les 4 affaires soumises à la cour,

- sur le fond, il prétend que 1°) la domiciliation d'entreprise n'est pas une activité illégale et qu'aucune disposition n'interdit de fixer un établissement secondaire d'une société commerciale dans les locaux d'une entreprise de domiciliation, 2°) que ce procès est en réalité le procès des entreprises de domiciliation et 3°) que le renvoi d'appel téléphonique est rentré dans les moeurs,

- il soutient sa relaxe compte tenu de l'absence d'élément légal et matériel de l'infraction pour la publicité trompeuse et prétend que les faits de l'affaire, ne permettent pas de démontrer l'intention du prévenu pour le délit de publicité trompeuse,

- à titre subsidiaire, il demande de constater l'amnistie des faits poursuivis;

Le Ministère public rappelle que la publicité mensongère est celle qui véhicule un message publicitaire faux ou déloyal et soutient qu'en l'espèce, le consommateur qui recherche une entreprise de proximité pour les différents services en cause dans cette affaire, a été trompé par les domiciliations fictives dont Pierre L s'est rendu complice par fourniture de moyens; il requiert la confirmation du jugement déféré;

RAPPEL DES FAITS:

Pierre L est président directeur général de la société Y qui est n° 1 en France de la domiciliation d'entreprises a réalisé un chiffre d'affaire annuel de 20 millions de francs en 1998;

Courant 1997 la société A ou B et C, rachetée par la société X, dont Ehud H est le président directeur général ayant pour activité les travaux de rénovation et de décoration, tous corps d'état du bâtiment, a fait paraître dans les annuaires de France Télecom, dans les rubriques "Peinture vitrerie" et "Rénovation immobilière", une liste d'implantations dans différents arrondissements de Paris; Ehud H a indiqué que ces adresses correspondaient à des adresses de domiciliation exploitées par la société Y, dont Pierre L est le responsable;

Ehud H a précisé qu'il avait été démarché par un agent de l'ODA qui lui avait conseillé de prendre plusieurs adresses dans Paris avec une domiciliation et qu'il a arrêté ce système dès qu'il a été averti par les agents de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'illégalité de telles pratiques;

Pierre L a déclaré qu'il fournissait à ses co-contractants une copie du décret de 1985 et verse au dossier, pour sa défense, une lettre du cabinet du Premier ministre lui indiquant qu'au terme d'un avis du Comité de coordination de registre du commerce, et des sociétés (CCRCS), le greffe doit accepter l'immatriculation d'un établissement secondaire sans qu'il y ait lieu de vérifier si l'adresse de cet établissement correspond à celle d'une entreprise de domiciliation et que par conséquent la modification du décret du 05/12/85 n'est pas nécessaire;

Le bulletin n° 1 du casier judiciaire de Pierre L et de Ehud H ne mentionnent aucune condamnation;

Sur ce

Sur l'action publique

Considérant que la cour, adoptant les motifs des premiers juges, constate que la société X a fait paraître dans différents annuaires téléphoniques, des adresses dans 16 arrondissements de Paris alors qu'elle n'avait pas dans chaque arrondissement une activité commerciale réelle mais une simple ligne téléphonique, installée dans les locaux d'une société de domiciliation avec un système de transfert d'appels vers le standard téléphonique de son siège;

Considérant que le consommateur, consultant les annuaires de France Télécom, pouvait légitimement croire qu'il contactait une entreprise dans son arrondissement et qu'il contractait avec une entreprise assez importante, a pu être trompé à cause de l'existence d'une quinzaine d'adresses fictives, sur la qualité ou les aptitudes du prestataire de service auquel il s'adressait; que l'infraction de publicité de nature à induire en erreur est donc constituée, dès lors que l'article L. 121-1 du Code de la consommation interdit toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent notamment sur l'identité, les qualités ou aptitudes des prestataires, la cour estimant que la publication d'une adresse dans les pages professionnelle d'un annuaire à grande diffusion, constitue une publicité;

Considérant que Pierre L, président directeur général de la société Y, a fourni à la société Abel Assistance, des adresses de domiciliation dans 15 arrondissements de Paris, en mettant en avant les mérites d'une publicité gratuite dans les annuaires parisiens, sur le minitel par le 3611, dans les Pages Jaunes de l'annuaire France Télécom et dans l'annuaire Pages Soleil, après une domiciliation téléphonique auprès de sa société qui lui assurerait des remontées commerciales insoupçonnées; que le prévenu qui a déclaré remettre à ses cocontractants, une copie du décret de 1985 sur la domiciliation d'entreprise a incité ces cocontractants à faire de la publicité en sachant que ces établissements secondaires étaient fictifs;

Considérant que les faits dans leur matérialité, ne sont pas sont pas contestés par les prévenus qui reconnaissent avoir fait de la publicité aux différentes adresses fictives procurées à la société X par la société Y; que Pierre L a précisé à la cour que le tarif d'une domiciliation téléphonique correspondait à une somme mensuelle de 200 à 390 F et celui d'une location de bureau à celle de 2 000 F à 4 000 F par mois et a reconnu, savoir que l'entreprise en cause n'avait aucune activité à l'adresse secondaire en précisant que le seul intérêt de cette adresse résultait de l'opportunité de la publicité faite dans les annuaires ou les journaux; qu'il en résulte que les prévenus se sont rendus coupables, Ehud H de publicité de nature à induire en erreur et Pierre L de complicité de ce délit; qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré sur les déclarations de culpabilité et sur la mesure de publication, précisée au dispositif du présent arrêt;

Considérant que pour mieux prendre en compte la personnalité du prévenu Ehud H, qui a rapidement cessé toute publicité, il convient de réduire la peine d'amende prononcée par les premiers juges en le condamnant à une amende de 50 000 F; que par ailleurs, la cour décide de lui accorder la dispense d'inscription de cette condamnation au Bulletin n° 2 de son casier judiciaire en raison des circonstances particulières que le prévenu a fait valoir à l'audience, en prétendant qu'il souhaitait pouvoir obtenir la nationalité française;

Considérant que compte tenu de la date des faits, la demande d'amnistie présentée par le prévenu Pierre L, sera déclarée sans objet;

Sur la demande de confusion de peines de Pierre L

Considérant que selon les dispositions de l'article 132-4 du Code pénal lorsque, à l'occasion de procédures séparées, la personne poursuivie a été reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les peines prononcées s'exécutent cumulativement dans la limite du maximum légal le plus élevé; que toutefois, la confusion totale ou partielle des peines de même nature peut être ordonnée par la dernière juridiction appelée à statuer;

Considérant que Pierre L, poursuivi pour des infractions de même nature, dans 4 dossiers ayant fait l'objet de poursuites séparées, inscrits à la cour sous les numéros de rôle 00-01835, 00-01838, 00-01846 et 00-03037, est reconnu coupable des faits de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur; que la cour décide de refuser la demande de confusion des peines sollicitée par le prévenu et condamnera Pierre L dans la présente affaire à une amende ramenée à 50 000 F, pour tenir compte des infractions en concours;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels des 2 prévenus et du Ministère public, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré chacun des prévenus coupable des infractions visées à la prévention, L'infirme sur les peines prononcées, Condamne Ehud H à une amende de 50 000 F, Ordonne l'exclusion de la mention de la présente condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire du prévenu Ehud H; Vu les dossiers inscrits à la cour sous les numéros de rôle 00-01835, 00-01838, 00-01846 et 00-03037, dans lesquels Pierre L est reconnu coupable des faits de complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, Condamne Pierre L à une amende de 50 000 F, Ordonne la publication de la présente décision, par extraits, aux frais des condamnés, dans le journal "Libération".