CA Aix-en-Provence, 1re ch. civ. B, 26 septembre 2002, n° 00-03431
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pagus (SARL), Vonck, Laubel
Défendeur :
SACEM (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M.Roudil
Conseillers :
M. Blanc, Mme Delpon
Avoués :
SCP Blanc-Amsellem-Mimran, SCP Ermeneux-Ermeneux-Champly-Levaique
Avocats :
Mes Barles, Gasparri-Lombard, Chatel.
FAITS ET PROCEDURE :
Vu l'ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Draguignan le 1er décembre 1999 entre, d'une part, la société des Auteurs Compositeur et Editeurs de Musique (SACEM), d'autre part, la SARL Pagus, Monsieur Adriaan Vonck et Monsieur Roland Laubel ;
Vu l'appel régulièrement interjeté par la SARL Pagus, Monsieur Adriaan Vonck et Monsieur Roland Laubel le 30 décembre 1999 ;
Vu les conclusions déposées par la SARL Pagus, Monsieur Adriaan Vonck et Monsieur Roland Laubel le 28 avril 2000 ;
Vu les conclusions en réplique déposées par la société SACEM le 28 mai 2002.
La SARL Pagus exploite à Frejus une discothèque dénommée " LE CHEERS " dont la gérance, confiée à Monsieur Roland Laubel jusqu'au 21 juin 1992, est depuis assumée par Monsieur Adriaan Vonck ;
Par acte du 27 mai 1999, la SACEM a fait assigner en référé la SARL Pagus, Monsieur Adriann Vonck et Monsieur Roland Laubel en vue de les faire condamner au paiement d'une provision, sur les sommes qui lui sont dues en raison de l'utilisation, sans autorisation, de son répertoire entre le 1er janvier 1992 et le 31 décembre 1997 et d'obtenir la désignation d'un expert chargé de déterminer le montant des recettes réalisées par la discothèque au cours de cette même période ;
Les défendeurs ont conclu au rejet de la demande, en invoquant le caractère sérieusement contestable de la créance de la SACEM qui abuserait de sa position dominante et ont, subsidiairement, sollicité une expertise afin de démontrer le caractère abusif des tarifs pratiqués ; encore plus subsidiairement, ils ont sollicité la limitation du montant de la condamnation à intervenir et son prononcé à l'encontre de la seule SARL Pagus ;
Par l'ordonnance entreprise, le juge des référés a :
Condamné in solidum, la SARL Pagus et Monsieur Roland Laubel à verser à la SACEM, la somme de 30 067,50 F (4 583,76 euros) à titre de provision sur la redevance due du 1er janvier 1992 au 21 juin 1992 ;
Condamné in solidum la SARL Pagus et Monsieur Adriaan Vonck à verser à la SACEM la somme de 309 732,50 F (47 218,42 euros) à titre de provision sur la redevance du 22 juin 1992 au 31 décembre 1997 ;
Désigné Monsieur Alain Giraud en qualité d'expert, avec pour mission de :
- se faire remettre tous documents comptables,
- déterminé le montant des recettes réalisées par l'établissement de discothèque de la SARL Pagus - du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1997 - en déterminant celles provenant d'autres activités éventuellement ;
Condamné in solidum, la SARL Pagus, Monsieur Adriaan Vonck et Monsieur Roland Laubel à payer à la SACEM, la somme de 5 000 F (762,25 euros) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
La SARL Pagus, Monsieur Adriaan Vonck et Monsieur Roland Laubel, appelants, demandent à la cour :
A titre principal :
De réformer l'ordonnance entreprise ;
De débouter la SACEM de toutes ses demandes au visa des articles 85 et 86 du traité de Rome et en présence d'une contestation sérieuse ;
De condamner la SACEM à leur payer une somme totale de 25 000 F (3 811,23 euros) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Très subsidiairement :
D'ordonner une expertise à l'effet d'établir une comparaison entre les tarifs pratiqués par la SACEM en France et ceux pratiqués par ses équivalents, dans les pays de l'Union européenne ;
De mettre hors de cause Monsieur Laubel et Monsieur Vonck ;
De fixer à 102 800,58 F(15 671,85 euros) TTC, le montant de la provision à laquelle la SACEM peut prétendre pour la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1997 ;
De débouter la SACEM de toute autre demande ;
De condamner la SACEM aux dépens.
Ils soutiennent que la SACEM commet un abus de position dominante au regard des critères de l'article 85 du traité de Rome tel qu'interprété par la cour de justice européenne, ainsi que le démontrent les documents produits aux débats, établissant la différence des tarifs pratiqués entre la France, les Pays-Bas et l'Allemagne ;
Que ces documents sont au moins de nature à démontrer que l'obligation dont la SACEM se prévaut, est sérieusement contestable ;
Qu'en toute hypothèse, la provision susceptible d'être accordée à la SACEM ne peut être fixée au montant réclamée par celle-ci en raison du désaccord des parties sur la base de calcul des tarifs, mais doit être déterminée en fonction du chiffre d'affaires de la seule activité de discothèque de la SARL Pagus ;
Qu'aucune faute personnelle ne peut être reprochée tant à Monsieur Laubel qu'à Monsieur Vonck, lesquels ont tout mis en ouvre pour trouver un arrangement amiable avec la SACEM.
La société SACEM, intimée, demande à la cour :
De confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
De condamner in solidum la SARL Pagus et Messieurs Vonck et Laubel, à titre personnel, à lui payer la somme de 5 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
De les condamner également in solidum, au paiement des entiers dépens.
Elle fait valoir que sa demande est justifiée au regard des prérogatives légales qui lui sont accordées par le Code de la propriété intellectuelle, la licéité de ses pratiques tarifaires ayant été reconnue par le Conseil de la concurrence ;
Que les appelants ne démontrent pas en quoi ces pratiques seraient contraires au droit communautaire de la concurrence et tentent seulement d'échapper à leurs obligations à son égard, en invoquant ce moyen purement dilatoire ;
Qu'en particulier, les appelants ne démontrent pas la réunion des conditions qui, selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, seraient nécessaires à la caractérisation d'un abus de position dominante de sa part (comparaison des tarifs de tous les états membres de l'union européenne sur une base homogène démontrant le caractère élevé des tarifs pratiqués par la SACEM en l'absence de faits justificatifs) ;
Que l'abus de position dominante ne peut être présumé, l'allégation de son existence ne permettant pas davantage de caractériser une difficulté sérieuse que mettrait obstacle à la compétence du juge des référés ;
Qu'en diffusant des œuvres musicales relevant de son répertoire sans son autorisation, Messieurs Vonck et Laubel se sont, chacun pour la période de gestion qui le concerne, exposés personnellement à des poursuites pénales du chef du délit de contrefaçon et ont commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil, engageant leur responsabilité in solidum ;
Qu'en qualité de dirigeants de droit de la SARL Pagus, Messieurs Laubel et Vonck ont engagé leur responsabilité personnelle in solidum avec la société ;
Que les appelants ne lui ont jamais adressé les éléments nécessaires au calcul de la redevance des droits d'auteur et l'ont ainsi contrainte, à leur réclamer une provision conforme à ses règles générales d'autorisation et de tarification et à solliciter la désignation d'un expert, en vue de procéder à une liquidation précise des droits.
MOTIFS DE LA DECISION :
L'ordonnance entreprise doit être confirmée en toutes se dispositions, les moyens critiques avancés par les appelants, ne s'avérant pas pertinents ;
Il convient à cet égard de relever :
Que les appelants ne contestent pas les droits de propriété intellectuelle dont la SACEM exerce la mise en œuvre ni la qualité à agir de cette société ;
Que la question de la position dominante de cette société a fait l'objet de plusieurs recours tant au niveau européen que devant les juridictions nationales, qui ne permettent pas de caractériser l'abus invoqué ;
Que l'arrêt de la cour de justice des communautés européennes du 9 avril 1987, invoqué, s'il reconnaît une position dominante à la SACEM que celle-ci ne conteste pas et énonce qu'elle se trouverait en infraction avec le traité de Rome si elle se livrait à des pratiques abusives, en particulier en imposant des conditions non équitables, ne se prononce pas, en revanche, sur l'existence de telles conditions et précise que le niveau des redevances ne fait pas partie des problèmes qui lui ont été soumis ;
Qu'à la suite de diverses questions préjudicielles posées par des juridictions nationales sur la comptabilité de certaines pratiques de la SACEM avec le traité de Rome, notamment son article 86, la Cour de justice des Communautés européennes a dit, pour droit, par arrêt du 13 juillet 1989 :
" Que l'article 86 du traité doit être interprété en ce sens qu'une société nationale de gestion de droits d'auteur se trouvant en position dominante sur une partie substantielle du marché commun, impose des conditions de transactions non équitables lorsque les redevances qu'elles appliquent aux discothèques sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées dans le cadre des autres états membres, dans la mesure où la comparaison des niveaux de tarifs a été effectué sur une base homogène. Il en serait autrement si la société de droit d'auteur en question, était en mesure de justifier une telle différence en se fondant sur des divergences objectives et pertinentes entre la gestion des droits d'auteur dans l'état membre concerné et celle dans les autres états membres. " ;
Qu'il ressort de cette disposition que la SACEM abuserait d'une position dominante si les tarifs par elle pratiqués se trouvaient sensiblement plus élevés que ceux appliqués par les autres sociétés d'auteurs des autres états membres à la condition que cette comparaison soit effectuée sur une base homogène sauf si elle établissait que cette différence provient de divergences objectives et pertinentes de gestion ;
Que ni le traité de Rome, ni l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'instaure une présomption d'abus de position dominante même à l'égard des entreprises ayant une telle position et il appartient aux contestants d'établir cet abus et de démontrer que les redevances réclamées par la SACEM sont sensiblement plus élevées que celles pratiquées par les autres sociétés d'auteur des autres pays de l'union européenne par une comparaison de ces tarifs sur une base homogène;
Qu'aucune pièce concernant les tarifs pratiqués à l'étranger relativement aux discothèques, par les organismes assimilables à la SACEM, n'est produit aux débats, en sorte que cette preuve n'est pas rapportée ;
Que l'éventualité d'un tel écart, à rechercher par voie d'expertise selon les appelants, ne saurait donner par elle même, matière à une contestation sérieuse exclusive de la compétence du juge des référés ;
Qu'au surplus la SACEM démontre que les tarifs appliqués ont fait l'objet de larges négociations et accords avec les professionnels concernés lesquelles tiennent compte des exigences du traité de Rome ;
Que l'absence de tous paiements par la SARL Pagus, en l'absence de conclusions entre la SACEM et celle-ci d'une convention type ou autre contrat général de représentation par application de l'article 43 alinéa 2 de la loi du 11 mars 1957 tels qu'élaborés pour la mise en œuvre de ses accords ou dans la cadre de celles-ci, caractérise un trouble manifestement illicite dès lors qu'il est acquis aux débats, que l'exploitation de la discothèque a donné lieu à la diffusion d'œuvres musicales dont la SACEM est chargée de percevoir les droits afférents ;
Que sur ce fondement la responsabilité personnelle des gérants coexiste avec celle de l'établissement ;
Que les sommes visées dans l'ordonnance n'excèdent pas le tarif forfaitaire applicable lorsque les éléments comptables nécessaires pour calculer les droits ne sont pas communiqués par l'exploitant ;
Il n'y a pas lieu enfin, d'ordonner la mesure de nouvelle expertise sollicitée par les appelants, celle-ci ne se concevant que dans le cadre d'une contestation à venir du montant définitif des droits exigibles de la SARL Pagus, tel qu'il pourra être déterminé par l'expertise en cours, en sorte que cette demande s'avère prématurée ;
Les appelants supporteront les entiers dépens d'appel et seront condamner à payer à la SACEM une somme de 1 500 euros pour frais irrépétibles.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement ; Reçoit en la forme, l'appel ; Confirme la décision entreprise ; Condamne in solidum la SARL Pagus, Monsieur Laubel et Monsieur Vonck à payer à la SACEM une somme supplémentaire de 1 500 euros (mille cinq cents euros) pour frais irrépétibles ; Rejette les autres demandes plus amples ou contraires ; Condamne in solidum, la SARL Pagus, Monsieur Laubel et Monsieur Vonck aux entiers dépens d'appel et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.