Ministre de l’Économie, 20 décembre 2002, n° ECOC0300132Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Bertelsmann
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 15 novembre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition par Reinhard Mohn GmbH (ci-après " RHM "), via la société Eurodirect Marketing Letter Shop (ci-après " EDMLS "), d'un ensemble de sociétés, à savoir Eurodirect Ile-de-France (ci-après " IDF "), Marketing Direct Informatique (ci-après " MDI "), Informatique Optimisation Systèmes (ci-après " IOS ") et SMR-EIFA, dénommées collectivement ci-après " les sociétés cédées ". Ce projet d'acquisition a été formalisé par un contrat de cession d'actions signé en date du 8 novembre 2002.
I. - Les parties et l'opération
RHM, l'acquéreur, est une société holding, filiale directe de Bertelsmann AG (ci-après " Bertelsmann "). Bertelsmann est un groupe international opérant dans le secteur de la communication et des médias, en particulier dans les domaines de la radio et de la télévision, de l'édition, de la production musicale, de la vente de livres et de disques en club, du commerce électronique et des services aux entreprises. Au titre de ces services aux entreprises, Bertelsmann est présent en France, via sa filiale commune avec RHM, Arvato Services France (ci-après " ASF "), dans les activités de services de marketing, de gestion de la relation client pour compte de tiers, et notamment de traitement de courrier pour compte de tiers (autrement dénommé " routage "). Sur le dernier exercice comptable complet (cf. note 1), Bertelsmann a réalisé un chiffre d'affaires consolidé mondial de 16 685 millions d'euros, dont 9 162 millions au niveau communautaire et 1 075 millions réalisés en France.
Les sociétés cédées sont, pour l'heure, des filiales du groupe Eurodirect Marketing (ci-après " EDM "). EDM est actif dans la gestion de la relation client pour compte de tiers. A ce titre, il opère au travers des quatre " métiers " que sont la location d'adresses, le traitement de courrier de marketing direct pour compte de tiers (ou " mailing "), le fulfilment (service complet du traitement d'informations et d'objets) et l'éditique de gestion.
Les sociétés cédées opèrent en matière de traitement de courrier de marketing direct pour compte de tiers : IDF et SMR-EIFA au titre de leur activité de routage, IOS et MDI au titre des services supports informatiques liés à l'activité de routage. Elles correspondent au pôle parisien de l'activité de mailing d'EDM. Sur l'exercice 2001, les sociétés cédées ont réalisé un chiffre d'affaires de 19,5 millions d'euros, en France exclusivement.
EDMLS, véhicule de l'acquisition, est une société holding de droit français dont le capital est réparti entre, d'une part, RHM, à hauteur de 60% et, d'autre part, EDM. Bien qu'EDM soit présent dans EDMLS à hauteur de 40%, il apparaît au regard des statuts de cette dernière que RHM en a le contrôle exclusif. Au surplus, l'article 11 des statuts d'EDMLS prévoit que RHM et EDM disposent respectivement d'options d'achat et d'options de vente dont l'exercice doit permettre à terme (cf. note 2) à RHM de détenir 100% du capital d'EDMLS.
En vertu de l'accord précité, le contrôle des sociétés cédées est transféré au profit d'EDMLS, donc au profit exclusif de RHM, et de ce fait de Bertelsmann. L'opération constitue ainsi une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Il convient de souligner que la présente cession constitue la deuxième phase d'une opération initiée en 2001. Aux termes d'un contrat en date du 18 décembre 2001, EDM a cédé à RHM, par le biais d'EDMLS, holding créée ad hoc, ses filiales opérant en matière de routage dans l'Est de la France, à savoir les sociétés Europost, Routage et Diffusion, et enfin Eurodirect Routage. Cette cession avait fait l'objet d'une présentation détaillée au ministre au titre de l'article L. 430-1 dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi NRE du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques.
En l'espèce, il n'est pas utile de s'interroger sur l'éventuelle application de l'article 2 du décret du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce, qui définit les modalités de calcul du chiffre d'affaires par référence à l'article 5, et notamment, son deuxième alinéa (cf. note 3), du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises. En effet, que les deux accords successifs soient ou non considérés comme une seule opération, il est acquis qu'elle(s) ne revêt(ent) pas une dimension communautaire. De plus, l'opération résultant de l'accord du 8 novembre 2002, objet de la présente notification, entre dans le champ d'application des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce.
II. - La définition des marchés
A. - Les marchés de services
Les sociétés cédées, et Bertelsmann, via ASF, exercent des activités de traitement du courrier pour compte de tiers. Ces activités recoupent, pour partie des services proposés, le secteur du routage en général. Le routage comprend à la fois la préparation pour des tiers d'envois postaux en nombre et le routage de presse aux abonnés. Il convient dès à présent d'écarter le routage de presse du champ des marchés de services concernés étant donné la spécificité du service proposé et le fait que les parties ne sont pas actives en ce domaine.
Dans une décision récente (cf. note 4), le ministre a défini l'activité de traitement de courrier pour compte de tiers comme un service qui permet à une entreprise d'externaliser la gestion de tout ou partie de sa chaîne documentaire. Ce service est constitué d'un ensemble de prestations qui s'insèrent, dans le processus de traitement des envois postaux, entre la définition d'un message par l'émetteur de courrier et la prise en charge de l'envoi postal, domaine réservé de La Poste.
Selon les parties, le traitement du courrier pour compte de tiers comprend deux activités principales : le traitement du courrier de gestion, qui consiste en l'envoi et la réception du courrier de gestion tels que factures ou relevés de compte, et le marketing direct ou publipostage. Le ministre s'est interrogé, dans la décision précitée, sur le point de savoir s'il était pertinent de définir un marché selon le type de courrier traité, sans toutefois trancher la question.
Il convient tout d'abord de souligner que les entreprises majeures actives dans le traitement de courrier de marketing direct ont en fait intégré à leur activité de routage traditionnelle une activité de traitement de messages à partir de données informatiques qui leur permet de traiter les flux de courrier de gestion (cf. note 5). Ce mouvement de convergence est corroboré par le fait que, de plus en plus souvent, courriers de marketing direct et de gestion sont associés dans un même envoi.
Toutefois, au cas présent, les parties considèrent que le marché pertinent est celui du traitement du courrier de marketing direct pour compte de tiers, seul marché sur lequel l'opération entraîne des chevauchements d'activité entre elles. Les parties arguent à l'appui de cette définition de marché que le courrier traité diffère fondamentalement d'une catégorie à l'autre : quand le courrier de gestion est destiné à une clientèle déjà acquise, le courrier de marketing direct a, quant à lui, une vocation de démarchage et de sollicitation. Selon les parties, cette différence de nature du courrier implique des différences dans les contraintes opérationnelles (calendrier fixe et régulier sollicitant une réservation des capacités de production et plus grande exigence quant au degré d'exactitude s'agissant du courrier de gestion). Les parties soulignent enfin que la structure de la demande pour ces deux types de courrier n'est pas la même. Ainsi, l'offre de traitement de courrier de marketing direct peut s'adresser à toute entreprise, quelle que soit sa taille, alors que l'offre de traitement du courrier de gestion s'adresse plutôt à de très grandes entreprises.
En tout état de cause, il convient de préciser que le traitement du courrier de marketing direct pour compte de tiers, courrier adressé, ne saurait être intégré au marché de la distribution des imprimés sans adresses (ci-après " ISA ") tel que défini par le ministre (cf. note 6). Par nature, les ISA se distinguent des courriers de marketing direct en ce sens que leur distribution ne nécessite pas un fin ciblage des destinataires du message publicitaire et que les opérations de conditionnement y afférant sont beaucoup plus limitées. De surcroît, quand la distribution du courrier adressé est, dans la mesure où son poids est inférieur à 350 grammes, une activité exclusive de l'opérateur historique chargé des missions de service universel (cf. note 7), celle des ISA est ouverte à la concurrence.
Dans son acception étroite, le service de traitement de courrier de marketing direct pour compte de tiers consiste en une prestation de routage traditionnelle, intégrant donc la collecte, le regroupement, le prétri et le dépôt des correspondances auprès des bureaux de poste. Il peut cependant être affirmé qu'en matière de courrier marketing, l'offre de routage évolue vers une prestation intégrée et complète. Ainsi, aux prestations traditionnelles s'ajoutent à minima la conception des plis, entendue au travers des activités de brochage, façonnage et collage des documents, de l'adressage et de la mise sous pli. Un glissement perceptible de l'activité de traitement de courrier de marketing direct vers des services à plus forte valeur ajoutée est, de plus, caractérisé par une offre de plus en plus complète des acteurs majeurs du secteur, incluant des services, depuis l'étude marketing à la gestion des bases de données clients et l'envoi des marchandises, en passant par la prise en charge totale de la logistique. Cette typologie sommaire de l'offre est un reflet simplifié d'une réalité plus complexe. Dans les faits, nombre d'acteurs du routage de courrier de masse (cf. note 8) assurent une gamme plus ou moins étendue de services selon leur positionnement sur le marché, et n'intègrent aux prestations de routage traditionnelles qu'un ou plusieurs des services énumérés en amont.
En conséquence, la question d'une éventuelle segmentation de l'activité de traitement de courrier de marketing direct pour compte de tiers selon le type ou la nature des services ajoutés à la prestation traditionnelle peut être posée. Mais en l'espèce, la question d'une telle segmentation de l'activité de traitement de courrier marketing direct pour compte de tiers peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.
B. - Le marché géographique
Selon les parties, l'activité de traitement de courrier pour compte de tiers, sans considération du type de courrier traité, est de dimension nationale. Elles fondent cette délimitation sur le fait que les routeurs sont des intermédiaires entre leurs entreprises clientes et les réseaux postaux, et que ces mêmes réseaux sont en grande partie exploités par des opérateurs en situation de monopole sur leur marché national. Malgré la libéralisation à venir du secteur postal, et l'ouverture progressive des monopoles postaux nationaux à la concurrence, qui, selon Bertelsmann, tendraient à une européanisation du secteur, les parties prennent acte du nombre marginal de routeurs affichant déjà la volonté de se positionner sur d'autres marchés nationaux et écartent donc une hypothétique dimension communautaire de l'activité concernée.
III. - L'analyse concurrentielle
Sans préjudice d'une analyse concurrentielle pertinente au cas d'espèce, il peut être constaté l'absence de données fiables sur le secteur du routage en général, et du traitement de courrier de marketing direct pour compte de tiers en particulier. En effet, le secteur est difficile à appréhender du fait de sa forte hétérogénéité et les limites de l'activité avec les professions connexes (gestion de fichiers d'adresses, logistique, édition laser, tri postal) sont floues.
Si l'on considère le traitement de courrier de marketing direct pour compte de tiers selon une acception large, depuis un éventail complet de prestations à destination des annonceurs, du conseil en relation client et étude marketing à l'injection des correspondances à destination des clients dans le réseau postal, en passant par la logistique, le nouvel ensemble représente alors, en 2000, [10-20]% du chiffre d'affaires global généré par l'activité (cf. note 9). Sur ce même marché sont actifs des opérateurs de taille équivalente, tels que Compagnie Directe II et le groupe Diffusion Plus, avec respectivement [10-20]% (cf. note 10) [10-20]% du chiffre d'affaires généré.
Selon une acception plus étroite, l'activité de traitement de courrier de marketing direct peut n'être entendue qu'au travers des activités de fabrication, adressage, mise sous pli et injection dans le réseau postal. Deux méthodologies peuvent alors être retenues pour évaluer la représentativité du nouvel ensemble dans l'activité. Selon la première, le nombre de courriers traités par les opérateurs est rapporté au volume total d'envois postaux de marketing direct tel que mesuré par La Poste ; le nouvel ensemble intervient alors en amont, sur la base de données concernant l'année 2001, pour [10-20]% des envois traités par La Poste. Selon la seconde, le chiffre d'affaires du nouvel ensemble (cf. note 11) est rapporté au chiffre d'affaires global généré par l'activité (cf. note 12) ; la représentativité du nouvel ensemble est alors quantifiée à hauteur de [20-30]%. Là encore, le nouvel ensemble, bien qu'acteur majeur de l'activité envisagée, est concurrencé par des opérateurs de taille équivalente.
Il apparaît donc que, en toutes hypothèses de délimitation des marchés, le nouvel ensemble restera confronté à la concurrence de nombreux opérateurs spécialisés dans le traitement de courrier de marketing direct pour compte de tiers, dont les principaux sont Diffusion Plus, Koba, Inter Routage, Routex et RDSL.
Bertelsmann est également actif sur des marchés qui peuvent être considérés comme connexes à l'activité de traitement de courrier de marketing direct pour compte de tiers. Au travers de sa filiale ASF, il est actif dans le secteur des centres de contacts téléphoniques et dans le secteur du colisage (stockage et distribution de produits à destination des points de vente ou des clients finaux). Par l'acquisition de nouvelles sociétés de routage de marketing direct, Bertelsmann renforce donc sa position de " routeur intégré ". Il offre un panel complet de prestations en matière de gestion de la relation client. Toutefois, il est légitime de mettre en exergue la tendance générale des acteurs du secteur considéré à opérer une évolution de leur offre vers une prestation intégrée et complète. Aux acteurs énumérés précédemment s'ajoutent à ce titre des sociétés issues des entreprises de vente par correspondance. Certains vépécistes, qui avaient développé des ateliers de routage pour leurs besoins propres, commencent en effet à démarcher une clientèle extérieure à leur groupe et à se positionner en concurrents directs des parties sur le secteur du routage. Tel est le cas de Diam, filiale du Groupe Pinault Printemps Redoute, qui intègre donc le traitement de courrier de marketing direct et le colisage.
En conclusion, il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
NOTE (S) :
(1) 30 juin 2000/30 juin 2001.
(2) A l'horizon fin 2004.
(3) En son deuxième alinéa, l'article 5 du règlement précité dispose, en matière de calcul du chiffre d'affaires, que " deux ou plusieurs transactions, (...) qui ont lieu au cours d'une période de deux années entre les mêmes personnes ou entreprises sont à considérer comme une seule opération de concentration intervenant à la date de la dernière transaction ".
(4) Lettre du ministre relative à l'affaire Belgian Post Group/Symbiose en date du 12 avril 2002, publiée au BOCCRF du 24 juin 2002.
(5) Selon le Syndicat national des entreprises de logistique de publicité directe, ces opérateurs assurent environ un tiers de la totalité des flux de courrier de gestion confiés à des prestataires spécialisés, les laséristes " purs " représentant le solde.
(6) Décision Médiapost/Delta Diffusion du 14 août 2001, publiée au BOCCRF du 29 mars 2002.
(7) Directive 97-67-CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997.
(8) Courriers envoyés en grand nombre par un même expéditeur.
(9) Source : calcul réalisé par un retraitement de statistiques relevées par Xerfi.
(10) Cette part de marché est quelque peu surévaluée du fait de l'impossibilité d'isoler la part du chiffre d'affaires générée par les seules activités de marketing direct de celle, même marginale, liée au courrier de gestion.
(11) Sur la seule activité concernée.
(12) Estimation issue d'une étude de marché de La Poste de 1998.