Cass. crim., 8 mars 1990, n° 87-81.049
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Palacin, Union civique féminine et sociale, Union locale des consommateurs, UFC Que choisir
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Ract-Madoux
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, SCP Urtin-Petit, Rousseau-Van Troeyen, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Liard.
LA COUR: - Statuant sur les pourvois formés par Palacin Philippe, l'Union civique féminine et sociale, l'Union locale des consommateurs, l'Union fédérale des consommateurs Que Choisir ?, parties civiles, contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 16 janvier 1987, qui, après avoir relaxé Gilbert L des chefs de publicité de nature à induire en erreur et de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise, les a déboutées de leurs demandes; - Joignant les pourvois, en raison de la connexité; - Vu les mémoires en demande et en défense; - Sur le pourvoi de l'Union fédérale des consommateurs Que choisir ?: - Attendu qu'aucun moyen n'est produit;
Sur le pourvoi des trois autres parties civiles; - Sur les seconds moyens de cassation pris de la violation de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale:
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré non établi le délit de tromperie prévu et réprimé par la loi du 1er août 1905 et, à cet égard, a débouté les parties civiles demanderesses de leurs demandes;
"aux motifs que la loi du 1er août 1905 suppose l'existence d'un contrat ou d'un acte onéreux qui n'existe pas en l'espèce, s'agissant d'une remise gratuite de bague à tous participants au jeu n'ayant pas gagné l'un des trois autres prix; qu'on peut regretter en l'espèce la présentation exagérément flatteuse d'un objet acheté en RFA pour le prix de 9,30 F pièce, cet élément de fait ne pouvant cependant être retenu pour prononcer une condamnation;
"alors que, en exigeant pour l'application de la loi du 1er août 1905 l'existence d'un contrat ou d'un acte onéreux, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qui n'existe pas;
"alors, surtout, qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué qu'il y avait eu tromperie sur la valeur et les qualités substantielles d'un prix offert aux participants à une loterie publicitaire; qu'étaient ainsi caractérisés et le contrat requis par l'article 1er de la loi du 1er août 1905 et la volonté d'induire en erreur les cocontractants éventuels; que, de ce chef encore, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui en résultaient nécessairement;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société X, entreprise de vente par correspondance, dirigée par Gilbert L, a adressé à environ 2 millions de personnes des dépliants, qui mentionnaient "Vous avez gagné l'un de ces 4 prix oui l'un de ces 4 prix super est à vous: un chèque de 100 000 F, 15 jours pour deux personnes aux Antilles, une bague avec un vrai diamant, une Peugeot 205 GL"; qu'il était précisé: "une bague avec un vrai diamant: la bague que vous voyez ici est agrandie environ deux fois, elle est garnie d'un diamant brut de 1/100 de carat environ, collé sur verre facetté 8/8";
Attendu que les juges relèvent que certains participants recevaient une bague étiquetée "garantie véritable diamant" et "constituée d'un anneau de laiton surmonté de griffes enfermant une pierre d'imitation en verre taillé sur lequel était collée une pastille métallique dans laquelle était collé un petit cristal de diamant brut mais que d'autres n'ont pas même obtenu l'objet ainsi décrit, soit que X se dispensât de la leur adresser, soit qu'il s'agît de bagues démunies du cristal de diamant, voire ornées d'une pierre d'imitation en plastique";
Attendu que pour relaxer le prévenu du chef d'infraction à la loi du 1er août 1905, la cour d'appel énonce que l'application de ce texte suppose un contrat ou un acte à titre onéreux qui n'existe pas en l'espèce;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations d'où il résulte qu'un des éléments constitutifs du délit de tromperie faisait défaut, la cour d'appel a justifié la décision; d'où il suit que les moyens doivent être écartés;
Mais sur les premiers moyens de cassation pris de la violation des articles 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré non établi le délit de publicité mensongère poursuivi et, à cet égard, a débouté les parties civiles demanderesses de leurs demandes;
"aux motifs qu'il n'est pas contesté que les jeux incriminés faisaient partie d'une opération publicitaire et commerciale destinée à augmenter les ventes de la société X; que la loi du 27 décembre 1973 n'est applicable qu'aux ventes et prestations de services onéreux; qu'en l'espèce, il s'agissait de prix offerts gratuitement aux participants après tirage au sort; que, dès lors, seules pourraient être sanctionnées pour publicité mensongère les allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, insérées, par exemple, dans le catalogue envoyé en même temps que le certificat de gagnant, à l'exclusion de celles qui peuvent être décelées dans les documents servant de support à la loterie; qu'on peut regretter, à cet égard, que figure en troisième position sur une liste de 4 gagnants ayant été tirés au sort tous les éventuels attributaires de bagues, fait étant de nature à laisser croire à ceux-ci, d'une part, qu'ils conservaient une chance de gagner l'un quelconque des 4 prix annoncés 100 000 F ou un voyage de 15 jours pour 2 personnes aux Antilles, ou une bague avec un diamant, ou une Peugeot 205 GL, d'autre part, que la bague présentée "avec un diamant" et même dans le dépliant "avec un vrai diamant" avait une valeur dont elle était en réalité complètement dépourvue; que, néanmoins, cette pratique pour aussi contestable qu'elle soit sur le plan moral, ne tombe pas sous le coup de la loi du 27 décembre 1973;
"alors que ces constatations établissent une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur la portée des engagements pris par l'annonceur, à savoir l'offre d'une bague avec un diamant présentant une certaine valeur, peu important à cet égard la gratuité du prix offert au destinataire de la publicité; que la cour d'appel a ainsi caractérisé en tous ses éléments le délit prévu et réprimé par l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, ainsi violé;
Vu lesdits articles; - Attendu que toute publicité, dès lors qu'elle comporte des présentations ou indications fausses ou de nature à induire en erreur, est constitutive du délit prévu et réprimé par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973;
Attendu qu'après avoir rappelé les faits ci-dessus mentionnés, la juridiction du second degré a également relaxé le prévenu du chef de publicité de nature à induire en erreur en énonçant que ce délit, pour être constitué, suppose une vente ou une prestation de service à caractère onéreux, alors que les opérations incriminées étaient gratuites et ne correspondaient à aucun contrat;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle relevait par ailleurs que les mentions figurant sur le dépliant laissaient croire aux éventuels attributaires de bagues que celles-ci avaient une valeur dont elles étaient en réalité dépourvues, et que dès lors la publicité litigieuse comportait des indications inexactes relatives à la portée des engagements pris par l'annonceur, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus énoncé; que la cassation est encourue de ce chef;
Par ces motifs: casse et annule l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, en date du 16 janvier 1987, mais en ses seules dispositions civiles relatives au délit de publicité de nature à induire en erreur, et pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée; renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy.