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Décisions

Cass. crim., 16 janvier 1992, n° 91-81.610

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Maron

Avocat général :

Mme Pradain

Avocats :

SCP Rouviere, Lepitre, Boutet.

TGI Nanterre, 15e ch., du 6 mars 1990

6 mars 1990

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par F Alain, la société X, civilement responsable, contre l'arrêt n° 148 de la cour d'appel de Versailles, en date du 14 février 1991, qui a déclaré le premier coupable de publicité de nature à induire en erreur et d'organisation de loterie prohibée, l'a condamné à 100 000 F d'amende et à des mesures de publicité, a prononcé sur les réparations civiles et a dit la seconde civilement responsable; - Vu le mémoire produit commun aux demandeurs; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1, 2, 3 et 4 de la loi du 21 mai 1836, 44 de la loi du 27 décembre 1973, 9 de la loi du 23 juin 1989, 45, 46, 47 et 52 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 31 du Code de procédure pénale,

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité des poursuites invoquées par le prévenu;

" aux motifs que les poursuites ont été initiées par le parquet de Nanterre saisi d'une plainte de l'Union Féminine Civique et Sociale (UFCS) et rien n'interdisait à la DCCRF déjà saisie dans le cadre de poursuites contre F du chef de publicité mensongère, de faire connaître au parquet mandant, les infractions qu'elle avait appréhendées dans le cadre de ses investigations; que l'exception soulevée doit être rejetée puisqu'il ressort de la procédure que le parquet de Nanterre avait mis en mouvement l'action publique du chef de publicité mensongère, chargé la DCCRF d'une enquête et que ce service avait l'obligation de dénoncer les infractions relevées à l'occasion de ses investigations; qu'enfin le ministère public est toujours investi du pouvoir de qualifier les faits qui lui sont signalés et notamment de dire qu'ils constituent non une publicité mensongère mais une infraction à la loi sur les loteries;

" alors que si le ministère public est habilité à procéder à toutes investigations utiles, il n'en demeure pas moins qu'il a l'obligation de les effectuer ou de les faire effectuer par toute personne ou service compétent pour ce faire; que dès lors en confiant à la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des enquêtes et rapports en matière de loterie, domaine dans lequel ce service était, au moment des faits, expressément incompétent, le ministère public a entaché la procédure d'une nullité d'ordre public devant entraîner la nullité des condamnations prononcées ";

Attendu que, pour écarter l'exception de nullité de la procédure, régulièrement soulevée par le prévenu, les juges du second degré exposent, par motifs propres et adoptés, que la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, enquêtant sur des faits de publicité mensongère, pour lesquels elle était, dès avant l'intervention de la loi du 23 juin 1989, compétente, a découvert l'existence d'autre infractions, ce dont elle a, comme elle en avait le devoir, avisé le ministère public; qu'ils en concluent à bon droit que les actes ainsi accomplis, argués de nullité, étaient réguliers;

Que le moyen, dès lors, doit être écarté;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1, 2, 3 et 4 de la loi du 21 mai 1836, 410 du Code pénal, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale,

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré F coupable du délit de loterie prohibée en ce qui concerne les jeux " La Carte aux Trésors " et " La Bouteille de Champagne " et l'a en répression condamné à une peine d'amende de 100 000 F, ainsi qu'à des réparations civiles solidairement avec la société X déclarée civilement responsable tout en ordonnant sa publication par extraits dans trois journaux;

" aux motifs que la société X encourt condamnation pour loterie prohibée si se trouvent réunies les quatre conditions suivantes dans le lancement de ses campagnes publicitaires: existence d'une offre publique, espérance d'un gain, intervention du hasard et existence pour le participant d'un sacrifice pécuniaire; que les trois premières conditions sont caractérisées dans les quatre cas examinés; que pour l'existence d'un sacrifice pécuniaire pour le participant, c'est là l'élément le plus discuté par F et sa société; que la Cour adopte l'analyse faite par les premiers juges et les conclusions qu'ils en tirent: lorsque la participation financière des candidats se réduit au simple affranchissement de la lettre contenant le bon de participation adressé par le client à l'organisateur du jeu, le délit de loterie prohibée n'est pas constitué; que c'est le cas de " La Roulette de la Chance " et de " La Renault 25 15e anniversaire "; qu'en revanche, lorsqu'il est demandé même la modique somme de 12,00 F pour " frais de mise à disposition de leur lot " le délit est constitué même si cette exigence n'est imposée qu'aux participants ne désirant pas commander; que le sacrifice financier demandé, même à titre facultatif, introduit bien la notion de loterie; que la modicité de la mise est cause du succès de toute création en matière de loterie pour peu que l'attrait du lot soit grand, or, en l'espèce, plus de 100 000 F (" La Roulette de la Chance "), une grosse voiture (" Renault 25 15e anniversaire "), une petite voiture utilitaire (" La Bouteille de Champagne ") ou une voiture moyenne (" La Carte aux Trésors ") sont éminemment attractifs;

" alors, d'une part, que la participation exigée du participant n'ayant d'autre effet que de lui permettre d'entrer en possession de ce qui n'est qu'une libéralité et n'étant pas la contrepartie de l'offre qui lui était faite, ce qui excluait que l'opération ait un caractère onéreux, la cour d'appel ne pouvait, en l'absence de l'un des éléments de l'infraction, déclarer le prévenu coupable du délit de loterie prohibée dans le cadre des jeux " La Carte aux Trésors " et " La Bouteille de Champagne "; qu'il en allait d'autant plus ainsi que les lots étaient mis à la disposition gratuite de leurs bénéficiaires dans les magasins de la société X (" La Bouteille de Champagne "), ce qui démontrait de plus fort l'absence de caractère onéreux de l'opération; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen;

" alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait en tout état de cause se dispenser de rechercher, comme l'y invitaient F et la société X dans leurs conclusions délaissées, si la somme réclamée pour mise à disposition du lot gagné ne correspondait pas uniquement aux frais autonomes de manutention, d'emballage et d'expédition engagés pour dispenser le consommateur de se déplacer dans un magasin pour l'y retirer, ce qui excluait, d'une part que le lot ait un autre caractère que celui de libéralité, et d'autre part que cette participation soit, comme l'a estimé la cour d'appel, la cause du succès de la loterie; qu'ainsi l'arrêt n'est pas légalement justifié ";

Attendu que, pour dire constituée, à la charge du prévenu l'infraction d'organisation de loterie prohibée, la Cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, estime souverainement, par motifs propres et adoptés, " qu'il est établi que la somme de douze francs demandée pour frais de mise à la disposition englobe le prix de revient du lot gagné par le participant au jeu; qu'il ne s'agit plus d'une libéralité mais d'une façon ingénieuse de faire financer la loterie par les participants ";

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision; que le moyen, dès lors, sera écarté;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions,

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré F coupable du délit de publicité mensongère en ce qui concerne le jeu " La Renault 25 15e anniversaire " et l'a en répression condamné à une amende de 100 000 F ainsi qu'à des réparations civiles solidairement avec la société X civilement responsable tout en ordonnant sa publication par extraits dans trois journaux;

" aux motifs adoptés que le " grand jeu " " La Renault 25 15e anniversaire " a fait l'objet d'un envoi à environ un million de personnes; que le document affirme en grosses lettres rouges sur la partie gauche " vous avez gagné " avec en-dessous la photo et le signe R 25; qu'en-dessous est écrit en grosses lettres rouges " ou " suivi de la phrase " le pendentif coeur doré à l'or fin garni d'un rubis véritable " avec à côté la photo du bijou dans un écrin accompagné d'un certificat de garantie; qu'à côté du véhicule R 25 dans une cartouche est écrit: " Découvrez immédiatement en frottant du doigt la case ci-dessous "; que la case grattée laisse découvrir soit la mention " R 25 TS Colette Montclair ", soit le lot secondaire constitué par le pendentif; que sur le haut du document est marqué sur toute sa largeur en lettres grises; " Si votre numéro de carte grise a été retenu le 18 janvier 1988 "; que sur la partie droite figure la reproduction d'une carte grise au nom et à l'adresse du destinataire de l'envoi avec en bas un numéro de carte grise; que la découverte dans la case grattée soit de la mention du lot principal (la Renault 25), soit à défaut du lot secondaire (le pendentif) peut faire penser à son destinataire qu'il a gagné le lot indiqué; qu'en réalité la formule ambiguë " Si votre n° de carte grise a été retenu le 18 janvier 1988 " signifie qu'un tirage au sort a eu lieu avant l'envoi des documents de participation désignant le gagnant non seulement de la Renault 25 avec le numéro adéquat de la carte grise mais également des cinq autres gagnants du pendentif; que la présentation fallacieuse du jeu, laissant entendre qu'à défaut du gain de la Renault 25 si le numéro de la carte grise n'est pas le bon, le participant est assuré d'obtenir le pendentif alors qu'il n'y en a que cinq dans la dotation est de nature à induire en erreur la quasi totalité des participants qui n'obtiendront rien; que dans ces conditions l'infraction de publicité mensongère est constituée;

" et aux motifs propres que les premiers juges ont analysé très exactement le jeu dont s'agit et la Cour ne peut que se référer à cette analyse et aux conclusions qu'ils en ont tirées; la présentation fallacieuse du jeu laissant entendre qu'à défaut du gain de la Renault 25 si le numéro de la carte grise n'est pas le bon, le participant est assuré d'obtenir le pendentif, est bien de nature à induire en erreur la quasi totalité des participants puisque ces derniers n'obtiendront rien en définitive; qu'ainsi l'infraction reprochée est bien constituée;

" alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait considérer que le document litigieux constituait une publicité fallacieuse de nature à induire en erreur dès lors que le message adressé aux participants du jeu commençait par une hypothèse précise reproduite en caractères importants parfaitement lisibles et compréhensibles; " Si votre n° de carte grise a été retenu le 18 janvier 1988 " pour se poursuivre par une double éventualité " Vous avez gagné " " la R 25 " " OU " " le pendentif coeur doré à l'or fin garni d'un rubis véritable "; qu'ainsi la formule hypothétique émise en priorité ne pouvait laisser planer aucun doute dans l'esprit d'un consommateur quant à la nécessité, pour gagner l'un ou l'autre lot, d'avoir été sélectionné au pré-tirage; que de surcroît l'existence d'un pré-tirage et d'un nombre limité de gagnants n'étaient pas de nature à rendre la publicité mensongère; que dès lors en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen;

" alors, d'autre part, que les juges du fond ayant constaté que le document litigieux comportait la formule " si votre n° de carte grise a été retenu le 18 janvier 1988 " " vous avez gagné " " la R 25 " " OU " " le pendentif coeur doré à l'or fin garni d'un rubis véritable ", la cour d'appel ne pouvait, sans contradiction et sans tirer les conséquences légales s'évinçant de ses propres constatations, estimer que le délit était constitué, la formulation ne comportant aucune ambiguïté de nature à induire en erreur; qu'en effet, c'est au prix d'une dénaturation du document litigieux et de la présentation qui en est faite, notamment par les premiers juges dont la Cour a expressément adopté les motifs, que l'arrêt considère que la présentation est fallacieuse et donc de nature à induire en erreur; qu'ainsi l'arrêt n'est pas légalement justifié; qu'il en va d'autant plus ainsi que la cour d'appel ne pouvait se dispenser de répondre aux conclusions d'appel du prévenu critiquant le jugement ";

Attendu que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que, par les motifs repris au moyen, les juges du second degré ont caractérisé l'infraction reprochée en tous ses éléments constitutifs, sans encourir les griefs du moyen qui doit, dès lors, être écarté;

Sur le mémoire additionnel de cassation: - Attendu que le mémoire a été produit postérieurement au dépôt du rapport, le 25 septembre 1991, par le conseiller commis; que, par application de l'article 590 du Code de procédure pénale, il sera déclaré irrecevable;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.