CA Paris, 25e ch. A, 29 octobre 1998, n° 97-3677
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Movitex "Edmée de Roubaix" (SA)
Défendeur :
Van Den Abeele
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briottet
Conseillers :
Mmes Deurbergue, Bernard
Avoués :
SCP Gaultier-Kistner-Gaultier, SCP Verdun-Gastou
Avocats :
Mes Doussot, Vandermeeren, Bazy.
Par jugement du 11 octobre 1996, le Tribunal de grande instance d'Evry a condamné la société Movitex "Edmée de Roubaix" à payer à Mme Van Den Abeele la somme de 100 000 F abondée des intérêts au taux légal à compter de sa décision, et ce à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par des manœuvres fautives, ainsi que la somme de 8 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
La SA Movitex a relevé appel. Elle expose qu'elle a organisé du 15 janvier au 29 mai 1992 un jeu intitulé "Grand Jeu du Soleil", qui accompagnait le catalogue général adressé aux clients comme à chaque début de saison. Elle estime que ce jeu respectait la loi Neiertz de 1989 et son décret d'application: jeu gratuit, bon de commande distinct du bon de participation, etc., et se déroulait en 3 étapes, les deux dernières étant des relances du jeu pour les clients n'ayant pas encore participé à l'opération.
Elle indique que c'est sur relance, que Mme Van Den Abeele s'est crue gagnante du premier lot de la première catégorie Prestige, soit la Peugeot 405 GRD. L'appelante soutient pourtant, d'une part, que le mécanisme du jeu était parfaitement clair et ne pouvait induire personne en erreur, - en droit, d'autre part, que Mme Van Den Abeele qui a participé au jeu, (contrat aléatoire), ne saurait se prévaloir d'une responsabilité délictuelle et ne peut fonder sa demande que sur le terrain contractuel, et qu'en tout état de cause, la société n'a commis aucune faute. Développant ses moyens, la SA Movitex précise, en particulier, quant au jeu, que la seule lecture du règlement adressé à chaque phase du jeu, laissait apparaître que l'attribution de la Peugeot 405 GRD restait seulement dans l'ordre des probabilités, les participants étant clairement informés qu'il s'agissait d'un pré-tirage et que les gagnants ne seraient connus qu'à la clôture du jeu. Elle ajoute qu'il était également clairement dit dans les autres documents, qu'au stade du jeu le destinataire ne pouvait pas savoir quel prix il avait gagné. La SA Movitex relève par ailleurs que Mme Van Den Abeele, consommateur moyennement avisé, n'a pu être trompée par ce mécanisme, le fait qu'elle ait gratté 3 soleils, lui donnant droit à un prix dans la catégorie Prestige, dotée de nombreux lots, et non au premier prix, comme l'exprimaient nettement: le tableau mettant en relation les catégories et le nombre de soleils, la photo représentant la Peugeot 405, le certificat du gagnant et la lettre de rappel.
La SA Movitex s'élève encore contre le jugement entrepris qui a stigmatisé une approche générale publicitaire ne visant pas spécialement Mme Van Den Abeele, a confondu la grille de résultats avec la liste des gagnants dans d'autres régions, et a considéré qu'il n'était pas fait état d'un jeu dans les documents reçus par Mme Van Den Abeele, alors que le règlement figure sur l'enveloppe d'envoi et que le mot jeu est employé à de nombreuses reprises dans lesdits documents. En conséquence, la SA Movitex demande, par infirmation de la décision entreprise, le débouté de toutes les demandes présentées par Mme Van Den Abeele et la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Mme Van Den Abeele maintient que la SA Movitex a engagé sa responsabilité délictuelle et que ses agissements sont bien fautifs. Elle déclare que les documents qu'elle a reçus, étaient rédigés de telle manière qu'elle a pu légitimement penser qu'elle allait recevoir le premier lot de la catégorie Prestige, soit une Peugeot 405 GRD ou sa valeur en un chèque de 100 000 F. Elle précise, en outre, que le certificat de gagnant était revêtu de différents visas qui lui conféraient un aspect officiel. L'intimée en déduit qu'elle a été victime d'une publicité trompeuse, puisqu'elle n'a reçu, en définitive, qu'un article de pacotille. Elle observe que les pratiques de la SA Movitex sont d'autant plus critiquables qu'elles avaient pour but unique d'obtenir les documents envoyés à l'occasion de cette loterie commerciale.
Mme Van Den Abeele réitère donc que cette tromperie, lui a non seulement causé un choc moral, au constat de la manipulation dont elle avait fait l'objet, mais aussi un préjudice matériel dans la mesure où persuadée d'avoir gagné un lot de 100 000 F, elle s'est livrée à des achats, véhicule automobile, terrain, dépassant ses possibilités financières. Elle argue que le lien de causalité entre la faute commise par la SA Movitex et son préjudice est incontestable. Mme Van Den Abeele réclame ainsi, la confirmation du jugement entrepris et en sus, la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil, ainsi que la condamnation de la SA Movitex à lui payer la somme de 50 000 F pour résistance abusive et la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La SA Movitex répond que le consommateur moyen ne pouvait être trompé car il suffisait de savoir lire et d'avoir un minimum d'instruction pour comprendre le règlement et le mécanisme du jeu. Elle redit que le règlement du jeu était reproduit sur l'enveloppe d'envoi et parfaitement accessible, permettant d'en prendre connaissance avant même de découvrir les documents du jeu, lesquels révélaient qu'il s'agissait bien d'une loterie avec pré-tirage.
Elle note aussi que l'intimée n'a subi aucun préjudice en rapport puisqu'elle a été informée le 10 juillet 1992 par la société, soit bien avant les achats de la Ford et de la maison, qu'elle n'avait pas gagné l'un des lots principaux.
Elle réitère qu'en aucun cas, Mme Van Den Abeele ne pouvait avoir la certitude d'avoir le premier prix de la catégorie Prestige, les gagnants des lots principaux dans cette loterie avec pré-tirage étant désignés au sort avant l'envoi des documents publicitaires par Me Berna, huissier de justice, qui garde ces noms au secret. Enfin, la SA Movitex affirme à nouveau que le jeu a respecté en tous points les dispositions de la loi Neiertz notamment quant à l'inventaire lisible des lots.
Par sommation du 31 juillet 1998 et itérative sommation du 7 septembre 1998, Mme Van Den Abeele a requis la communication de toutes les pièces de la SA Movitex en original. Il n'y a pas été déféré par la SA Movitex.
L'ordonnance de clôture de la mise en état est intervenue le 24 septembre 1998. Postérieurement Mme Van Den Abeele a reconclu et communiqué une pièce.
Sur quoi,
Considérant qu'en application de l'article 783 du NCPC seront rejetées des débats, les conclusions et communication de pièces tardives de Mme Van Den Abeele. Que seront également écartées des débats, le règlement du jeu-concours "Le Grand Jeu du Soleil" organisé par la SA Movitex, l'extrait du règlement, et tous les documents produits en original par l'appelante en cause d'appel, dès lors que cette dernière n'a pas déféré aux sommations de communiquer des 31 juillet 1998 et 7 septembre 1998 les concernant et qu'il est établi formellement par les énonciations du jugement entrepris que le règlement n'avait pas été versé aux débats en première instance.
Considérant donc qu'il résulte des pièces régulièrement produites par les parties que la SA Movitex, société de vente par correspondance à l'enseigne "Edmée de Roubaix" avait organisé un jeu du 15 janvier au 29 mai 1992 de type "Sweepstake" dans lequel le client destinataire d'un catalogue de vente par correspondance, se voyait attribuer un numéro lui donnant accès à un certain nombre de lots tirés au sort parmi les bons de participation renvoyés. Que la régularité formelle du document adressé à Mme Van Den Abeele et se présentant sous la forme d'une première page de journal, au regard des articles L. 121-36 et L. 121-41 du Code de la consommation n'est pas contestable.
Considérant que dans ce document susvisé, daté du 10 janvier 1992 suivant le visa de la Direction des Jeux, la SA Movitex a offert à Mme Van Den Abeele de participer au Grand Jeu du Soleil, contrat aléatoire.
Que la société s'engageait à fournir à Mme Van Den Abeele un prix dans la catégorie "Prestige" correspondante aux 3 soleils obtenus par grattage à un endroit précis du même document, si Mme Van Den Abeele lui renvoyait un bon de participation sur lequel était collée une vignette rouge à découper toujours dans ce même support. Que Mme Van Den Abeele a transformé cette offre en contrat en acceptant de retourner le bon de participation, manifestant ainsi sa volonté de s'engager. Que dès lors, les manquements dont se prévaut Mme Van Den Abeele, ressortent de la mise en jeu d'une responsabilité contractuelle de la SA Movitex, comme cette dernière l'a fait valoir à juste titre en cause d'appel.
Considérant que les contrats doivent être exécutés de bonne foi. Que les parties doivent agir loyalement l'une envers l'autre, sans fraude ni malice.
Considérant qu'en l'espèce:
- le montage habile de plusieurs documents: jeu, lettre du directeur de la clientèle, certificat de gagnant, photos des lots et plus particulièrement du premier prix la voiture Peugeot 405 GRD, vignette à coller sur le bon de participation, en un seul placard publicitaire de la dimension d'une page de quotidien;
- la rédaction très personnalisée de tous les messages contenus dans ce placard;
- la réitération agressive en gros caractères et à plusieurs endroits sur les documents que Mme Van Den Abeele a gagné au Grand jeu du Soleil, dans la catégorie Prestige;
- la mise en relief par des caractères gras et plus importants que les autres que dans la catégorie Prestige, un prix consiste en une Peugeot 405 GRD sous l'encart "découvrez votre résultat" et au dessus de deux autres encarts l'un indiquant toujours en caractère gras "Bravo Mme Abeele", et l'autre qui le suit immédiatement montrant le véhicule 405 GRD dont le bas est caché par l'annonce: "Dernière minute, votre document porte la mention" spécial gagnant "Utilisez immédiatement l'enveloppe spéciale jointe. Nous vous rappelons que la Peugeot 405 GRD ne peut être remise que si elle est officiellement réclamée. La Direction remise des lots";
- l'emplacement du certificat de gagnant sous cette photo de la voiture, avec, encore, mise en exergue, le nom de Mme Van Den Abeele et le prix de la catégorie Prestige: La Peugeot 405 GRD, constituent autant de circonstances qui, par les visas assortissant le certificat de gagnant, la croyance erronée que le véhicule Peugeot, grand prix de la catégorie Prestige lui avait déjà attribué personnellement et qu'elle n'avait qu'à le réclamer.
Considérant, en effet, que seule une lecture très attentive des documents, à laquelle ne se livre pas nécessairement un consommateur peu ou moyennement avisé, permettait de comprendre, en l'absence du règlement du jeu, dont il n'est pas démontré qu'il ait été adressé à l'intimée concomitamment au placard publicitaire, que le certificat de gagnant ne garantissait qu'un prix au Grand Jeu du Soleil dans la catégorie, indication imprimée toujours en petits caractères sous la mention "Peugeot 405 GRD", était encore soumise à aléa, - qu'aucun renseignement n'étant fourni par l'appelante sur la catégorie socio-professionnelle à laquelle appartient Mme Van Den Abeele, il sera retenu que cette dernière n'était qu'un consommateur très moyennement avisé quant à ces loteries commerciales destinées à inciter leurs destinataires à retourner tout ensemble bon de commande effective et bon de participation au jeu.
Considérant qu'il est ainsi établi que la SA Movitex n'a pas été un contractant loyal puisqu'aussi bien elle n'a pas informé de façon claire et précise Mme Van Den Abeele de ses chances minimes de gagner le premier prix de la catégorie "Prestige" ce, malgré sa présélection, mais encore que ses agissements confinaient à la publicité mensongère; que ce faisant, la SA Movitex a engagé sa responsabilité.
Considérant que le seul dommage contractuel prévisible est réparable, qu'au moment de la conclusion du contrat avec la SA Movitex Mme Van Den Abeele ne pouvait normalement pas s'attendre à gagner nécessairement le premier prix de la catégorie Prestige, mais pouvait escompter un lot de cette catégorie, d'une valeur raisonnable et non inexistante, comme celle du lot qu'elle a effectivement reçu. Que le dommage qu'elle a subi sera indemnisé à hauteur de la somme de 15 000 F.
Considérant qu'il n'apparaît pas qu'en relevant appel de la décision entreprise, la SA Movitex, qui obtient une réformation partielle, ait agi de mauvaise foi ou dans une intention malicieuse; qu'il n'y a lieu, dès lors, à l'octroi de dommages-intérêts complémentaires.
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elle sont exposés en cause d'appel, la décision entreprise étant toutefois maintenue en ses dispositions relatives à l'article 700 du NCPC.
Par ces motif: LA COUR, Contradictoirement, Réforme le jugement entrepris, Dit que la SA Movitex "Edmée de Roubaix" a engagé sa responsabilité contractuelle envers Mme Van Den Abeele; Condamne la SA Movitex à payer à Mme Van Den Abeele, à titre de dommages-intérêts la somme de 15 000 F abondée des intérêts au taux légal à compter de la présente décision; Débouter Mme Van Den Abeele de sa demande de capitalisation des intérêts et de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive; Confirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives à l'article 700 du NCPC mais déboute les parties de leurs demandes en appel faites en application de ce même texte; Condamne la SA Movitex "Edmée de Roubaix" aux entiers dépens de première instance et d'appel. Dit que ces derniers seront recouvrés directement par la SCP Verdun-Gastou, avoué, conformément à l'article 699 du NCPC.