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Décisions

CA Douai, 1re ch., 7 octobre 1996, n° 95-09636

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Civad Blanche Porte (SA)

Défendeur :

Sanchez (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Le Corroller

Conseillers :

Mme Dagneaux, Mericq

Avoués :

Mes Levasseur-Castille-Lambert, Carlier-Regnier

Avocats :

SCP Lebas-Lemistre, Me Sanchez

TGI Lille, du 20 sept. 1995

20 septembre 1995

Par jugement en date du 20 septembre 1995, auquel il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens antérieurs des parties, le Tribunal de grande instance de Lille, a, dans un litige opposant les époux Sanchez à la société Civad Blanche Porte :

- condamné la société Civad Blanche Porte à payer aux époux Sanchez la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires.

Cette décision a été frappée d'appel par la société Civad Blanche Porte qui, développant les moyens qu'elle avait fait valoir en première instance, conclut à la réformation de la décision entreprise.

Les époux Sanchez dans le cadre d'un appel incident, sollicitent une augmentation des dommages et intérêts à eux alloués et la publication de la décision, outre une indemnité procédurale.

L'analyse plus ample des moyens sera effectuée à l'occasion de la réponse qui y sera apportée.

Sur ce

Il résulte des pièces versées aux débats et contradictoirement débattues devant la cour que dans le courant de l'année 1993, les époux Sanchez ont reçu de Civad Blanche Porte, maison de vente par correspondance qui est en réalité une enseigne commerciale exploitée par la société Civad Blanche Porte, des documents concernant une loterie dénommée " Tirage exceptionnel du blanc ".

Cet envoi était composé d'une lettre personnalisée à laquelle se trouvait joint un titre de propriété, d'une photographie représentant une magnifique maison de famille, d'un bon de commande à renvoyer, accompagné du titre de propriété, avec ou sans commande d'articles, ainsi que d'une carte signée du directeur commercial souhaitant au destinataire du pli de " bons achats ".

La lettre personnalisée invitait le destinataire à vérifier si le numéro porté sur le titre de propriété correspondait au numéro affecté à l'un des 10 lots mentionnés en marge de la lettre.

Le numéro du titre des époux Sanchez correspondant, d'après cette liste à la maison qu'ils se trouvaient à même de visualiser, les intéressés ont considéré qu'ils avaient effectivement gagné ce lot.

Cependant, la société de vente par correspondance leur a répondu qu'il n'en était rien et leur a communiqué le numéro gagnant qui s'est avéré être un numéro différent du leur.

Devant la cour les époux Sanchez qui sont appelants incidents et qui sollicitent une augmentation du montant des dommages et intérêts qui leur ont été alloués, ne précisent pas expressément le fondement de leur demande mais se plaigent de ce que l'attitude de Civad Blanche Porte a été équivoque, ce qui implique qu'ils prétendent, que l'on se trouve en présence d'une publicité fallacieuse.

La cour se placera donc sur ce fondement, qui est le seul fondement invoqué devant elle.

A - La faute, première condition de la responsabilité délictuelle de l'organisateur de la loterie dont la responsabilité est recherchée par les époux Sanchez, consiste selon eux, à avoir voulu les tromper en leur présentant de façon affirmative un événement hypothétique, cela en leur faisant parvenir des documents qui les ont prédisposés à croire à la réalité d'un gain qui n'était pas acquis.

L'examen de la lettre d'envoi révèle effectivement qu'elle est rédigée de façon à laisser penser à son destinataire qu'il a toutes chances d'avoir gagné un lot -qui est le lot le plus attractif- cela par l'emploi abusif de l'indicatif présent " vous êtes propriétaires " situé au troisième paragraphe précédé par un premier paragraphe annonçant qu'un huissier de justice vient de désigner les numéros gagnants des titres de propriété et par un deuxième paragraphe qui invite ledit destinataire à se reporter aux numéros imprimés en marge de la lettre dont celui de tête, chance extraordinaire, correspond au numéro du titre de propriété qui lui a été affecté suivi des mots " une maison ".

Cette illusion est confortée par le fait que l'indicatif présent (" vous êtes propriétaires ") est suivi d'un point d'exclamation et précédé par les mots " si ce numéro a été désigné gagnant par maître Bue " qui peuvent être perçus, compte tenu du contexte, comme voulant dire " oui c'est bien vrai ", " ce numéro a été désigné gagnant par Maître Bue, vous êtes propriétaires ! ".

Le fait que sur le titre de propriété se trouve imprimée en caractère beaucoup plus petits la phrase " ce titre de propriété, valable si votre numéro a été désigné par Maître Bue, fait office de bon de participation " et que l'extrait du règlement imprimé au bas du bon de commande indique que pour savoir s'il a gagné, chaque participant doit retourner son titre avec ou sans commande, Civad Blanche Porte s'engageant à vérifier si son numéro correspond à l'un des numéros tirés au sort, ne permet nullement de lever l'ambiguïté qui est délibérément entretenue par la phase invitant chaque joueur à découvrir à quel lot correspond le numéro personnel qui lui a été attribué, lot qu'il peut donc penser avoir gagné : sous le coup de l'émotion et après avoir lu la lettre personnalisée, le destinataire est à même en effet de considérer que les vérifications auxquelles C se propose de procéder sont des vérifications purement matérielles destinées à lui permettre de s'assurer, avant de délivrer le lot, que le numéro est effectivement gagnant et non pas de déterminer s'il s'agit ou non d'un numéro chanceux.

Si la société Civad Blanche Porte, comme elle le prétend, avait voulu clairement indiquer que le numéro affecté au titre n'était pas nécessairement gagnant, elle aurait dû formuler son message d'une autre manière et si elle ne l'a pas fait, c'est par évidence, après avoir fait un choix délibéré, la campagne publicitaire en question, destinée à plusieurs centaines de milliers de consommateurs, ayant nécessairement été préparée avec extrême minutie par des spécialistes au service de ladite société qui, en liaison avec la direction, ont fait les choix qui leur ont pour s'imposer pour la rentabiliser au mieux, en pesant tous les avantages et les inconvénients d'un document publicitaire destiné à une clientèle ciblée dont les goûts et les réflexes sont étudiés.

La cour est donc en mesure de constater que c'est à juste titre que les époux Sanchez reprochent à Civad Blanche Porte de leur avoir fait parvenir des documents publicitaires équivoques dans le fond et dans la forme et dont le but était de créer l'imprécision et la confusion dans leur esprit en cherchant fallacieusement à faire naître chez eux un vain espoir d'un gain mirifique.

B- La seconde condition de la responsabilité délictuelle de l'organisateur d'une loterie est que le destinataire trompé par les documents ait subi un préjudice.

Tel est bien le cas ici où les époux Sanchez, qui ont des revenus modestes, ont subi un choc émotionnel lié à la déception qui a été la leur en constatant qu'ils n'étaient pas devenus propriétaires de la magnifique maison qu'ils pensaient pouvoir habiter.

Ce préjudice, au regard des pièces produites devant la cour et contradictoirement débattues devant elle, sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 3 000 F de dommages et intérêts à même de permettre d'en assurer l'entière réparation.

La cour, en l'état des éléments de la cause, estime équitable d'allouer aux époux Sanchez une indemnité procédurale globale de 8 500 F au titre des procédures de première instance et d'appel.

Par ces motifs Et ceux non contraires des premiers juges, La Cour, Emendant le jugement déféré, Condamne la société Civad Blanche Porte à payer aux époux Sanchez : - la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts, - la somme de 8 500 F à titre d'indemnité procédurale globale pour les procédures de première instance et d'appel, Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés en totalité par la société Civad Blanche Porte dont distraction au profit de la SCP Carlier-Régnier avoués associés, dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.