CA Montpellier, 1re ch. D, 16 janvier 1992, n° 89-4313
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Midi Libre (SA)
Défendeur :
Alberni
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bezombes
Conseillers :
MM. Divol, Berger
Avoués :
SCP Angellies, Rouquette
Avocats :
Mes Fabre, Ottan
Par jugement du 21 juin 1989, le Tribunal de grande instance de Montpellier tenant pour acquis le fait que le bulletin rempli par Madame Alberni dans le cadre de sa participation au jeu organisé par le quotidien " Midi Libre ", avait été falsifié après la première correction effectuée dans les locaux du journal, qu'il n'était pas exclu de surcroît que la falsification puisse être l'œuvre d'un préposé dudit journal, a condamné la société anonyme Midi Libre à payer à Madame Alberni à titre de dommages et intérêts la somme de 350 000 F correspondant à la valeur de dotation du prix affecté au gagnant du jeu et ce avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 1988, date de l'assignation, et exécution provisoire à hauteur de 100 000 F, outre les sommes de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et de 5 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société anonyme Midi Libre a relevé appel de cette décision et rappelant les fondements juridiques de l'action engagée par Madame Alberni à savoir, au principal les dispositions de l'article 1146 du Code civil et subsidiairement les dispositions de l'article 1382 dudit Code, s'explique tour à tour sur ces divers fondements.
En ce qui concerne les dispositions de l'article 1146, la société Midi Libre fait valoir que le bulletin de Madame Alberni fut dans un premier temps rejeté parce que l'intéressée n'avait pas répondu de façon satisfaisante à une question subsidiaire et ensuite, après que l'erreur au niveau de la formulation de la réponse à donner à cette question ait été reconnue, parce que sa grille de mots croisés était fausse, de sorte que c'est à juste titre que l'intéressée fut écartée de la liste des gagnants.
En ce qui concerne les dispositions de l'article 1382 du Code civil, elle fait valoir que l'instruction ouverte à la suite de la plainte déposée par Madame Alberni a été clôturée par une ordonnance de non lieu, étant donné qu'aucune charge n'a pu être retenue à l'encontre de l'un quelconque des organisateurs ou préposés de Midi Libre, de sorte que c'est à Madame Alberni de rapporter la preuve, ce qu'elle ne fait pas, que la falsification a été l'ouvre d'une personne soumise à son autorité.
Elle conclut de ce fait à la réformation de la décision déférée et demande à la Cour de débouter Madame Alberni de ses prétentions tout en la condamnant à lui payer une somme de 5 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Madame Alberni conclut quant à elle à la confirmation du jugement et demande que la somme qui lui a été allouée à titre de dommages intérêts soit portée de 5 000 F à 20 000 F et que celle qui lui a été allouée au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile soit relevée de 5 000 à 15 000 F.
Elle précise que le correcteur Pinol n'ayant pas relevé d'erreur sur son bulletin à la question 21 ligne 8 et l'expert en écriture désigné par le Juge d'Instruction ayant conclu que le mot NEF apposé à l'origine, s'était vu adjoindre une barre inférieure, il faut considérer que la falsification a eu lieu après la correction Pinol.
Elle reproche donc à Midi Libre, d'une part d'avoir occulté le rapport de l'expert et d'autre part de soutenir qu'elle aurait rempli inexactement sa grille, ce qui tend à remettre en cause le sérieux de la correction du concours.
Sur la responsabilité délictuelle, elle fait valoir :
- que Midi Libre excipe à titre principal d'une mauvaise qualité de la correction de son propre concours et invoque en quelque sorte sa propre turpitude, de sorte qu'à ce seul titre si cet argument était retenu par la cour, la faute civile serait constituée.
- qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir invoqué la falsification de sa grille réponse après proclamation des résultats.
- que la décision de non lieu est intervenue en raison des difficultés d'identification de l'auteur de la falsification.
- que seule une personne appartenant à la Société a pu, matériellement se livrer à la falsification, de sorte qu'à titre subsidiaire la responsabilité de Midi Libre est acquise sur le fondement de l'article 1384 du Code civil du fait de ses préposés ou encore sur le fondement de l'article 1382 du même Code en raison de la correction fantaisiste qui est invoquée.
Discussion
Attendu qu'il est constant comme résultant des conclusions de l'expert Seguy désigné par le Juge d'Instruction que la grille de mots croisés établie par Madame Alberni a fait l'objet d'une falsification par adjonction d'une barre à la partie inférieure de la lettre F du mot NEF qui est ainsi devenu le NEE, de sorte que l'intéressée ne figura pas parmi les gagnants du jeu organisé par le journal Midi Libre ;
Attendu que la Société Midi Libre prétend que dans le cadre du fondement contractuel invoqué au principal par la dame Alberni, elle ne pouvait être condamnée au paiement de dommages intérêts d'un montant équivalent à celui du prix offert dans la mesure où le bulletin de l'intéressée comprenait une réponse inexacte ;
Attendu cependant que l'inexactitude dont s'agit provient d'une falsification dont l'auteur n'a pu être identifié, de sorte que pour voir prospérer son action sur le fondement contractuel Madame Alberni devait rapporter la preuve que son bulletin est parvenu dans les locaux du journal, exempt de toute falsification ;
Attendu que le premier juge a considéré que cette preuve était rapportée par le fait que l'erreur n'avait pas été décelée lors de la première correction effectuée par Monsieur Pinol ;
Attendu cependant que le fait que le premier correcteur n'ait pas retenu de faute dans le bulletin réponse de Madame Alberni, alors que ceux-ci étaient adressés en grand nombre au journal et étaient soumis à une double correction n'établit pas pour autant que le bulletin ait été falsifié postérieurement à cette première opération, dans la mesure où cette omission peut provenir d'une simple erreur d'inattention dudit correcteur ;qu'il s'ensuit que Madame Alberni ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que son bulletin soit arrivé exempt d'erreur dans les locaux du journal et ait été falsifié après son enregistrement ;
Attendu sur les fondements subsidiaires de l'action de Madame Alberni, que le système de la double correction destiné notamment à éviter les erreurs ne saurait être considéré comme une faute d'organisation, de même qu'il ne saurait être fait grief à l'organisateur du concours d'avoir fait appel à des préposés incompétents dans la mesure où l'erreur figurant dans un bulletin n'a pas été décelée lors de la première correction ;
Attendu, enfin, que la preuve n'est pas en l'état rapportée que la falsification ait été opérée dans le cadre du journal et soit le fait d'un préposé indélicat, cette preuve ne pouvant s'induire du seul fait que l'organisateur du concours a indiqué au juge d'instruction qu'il émettait des réserves sur l'honnêteté d'un de ses préposés ;
Attendu que dans ces conditions, il convient de déclarer fondé l'appel interjeté et réformant le jugement déféré, de débouter Madame Alberni de ses prétentions ;
Attendu en revanche que l'équité ne commande nullement qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, Déclare l'appel recevable et fondé, En conséquence, infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, déboute Madame Alberni de ses prétentions, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Madame Alberni aux dépens de Première Instance et d'appel et ce avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Argellies en ce qui concerne les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.