CA Douai, 4e ch. corr., 22 juin 1988, n° 725
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
UFC Que Choisir
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chantry
Conseillers :
MM. Delaude, Lévy
Avocats :
Mes Doussot, Baudelot
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Jean-Claude S, prévenu et la société "R" civilement responsable, sont appelantes des dispositions pénales et civiles d'un jugement du 2 octobre 1987 par lequel le Tribunal correctionnel de Lille, saisi de poursuites à leur encontre par citation directe de l'Union fédérale des consommateurs, pour loteries prohibées sur le fondement de la loi du 21 mai 1836 et de l'article 410 du Code pénal:
A, rejetant divers moyens tendant à une fin contraire, déclaré recevable l'action introduite par l'UFC, partie civile,
Relaxé Jean-Claude S pour les deux jeux "Grand jeu des régions" et "Grand tirage de printemps",
Déclaré la SA R civilement responsable,
Déclaré Jean-Claude S coupable de loterie prohibée, dans les jeux "Surprises de la chance" et "Le grand tirage d'automne",
L'a condamné à une amende de 10 000 F,
A ordonné la publication du jugement,
A reçu l'UFC en sa constitution de partie civile,
A condamné Jean-Claude S à payer à l'UFC la somme de 1 000 F à titre de dommages intérêts et celle de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
A débouté la SA R de sa demande reconventionnelle,
Le Procureur de la république, puis la partie civile ont formé appel incident.
Les faits:
Courant 1985 et 1986 la SA R, adressait à ses clients des documents personnalisés les invitant à participer à des jeux assortis de lots de valeur, attribués par tirage au sort;
Quatre jeux sont visés par la partie civile.
"Le jeu surprise de la chance":
Le client est avisé qu'il a gagné "une superbe bague" composée d'une perle nacrée à Majorque, et montée sur un anneau en argent "véritable".
Au courrier sont joints une représentation photographique de la bague et un "certificat de gagnant" lequel décrit le lot et précise qu'il s'agit d'une imitation.
Le client est avisé qu'il n'y a pour lui aucune obligation d'achat et que s'il désire obtenir la bague il lui suffit d'écrire ou de téléphoner en adressant la somme de 11 F pour frais d'envoi.
"Grand jeu des régions":
Le client est informé que le sort lui a attribué "un numéro de chance" lui permettant de se voir attribuer l'un des lots qui lui sont présentés.
Il est avisé qu'il n'y a pour lui aucune obligation d'achat et qu'il peut obtenir son cadeau soit en retournant par courrier la demande d'attribution du lot, soit en faisant connaître par téléphone le numéro de la demande d'attribution.
Il lui est annoncé que les "demandes d'attribution" adressées ou enregistrées par téléphone avant 15 jours participeront au tirage d'un prix supplémentaire.
"Grand tirage de printemps":
Le client est avisé qu'il a gagné l'un des nombreux "lots offerts", dont le premier est au choix une somme de 110 000 F ou une BMW 520, et il lui est conseillé, s'il ne renonce pas à son lot, de retourner sa demande d'attribution.
Un tirage supplémentaire avec lot unique est annoncé pour les bons retournés avant expiration d'un certain délai.
"Grand tirage d'automne":
Comme les jeux précédents il ne comporte aucune obligation d'achat,
Sur le document personnalisé figurent la liste des lots avec les photographies et l'extrait du règlement selon lequel:
- le jeu est ouvert à toute personne ayant reçu un bon de participation,
- chaque participant reçoit un numéro de la chance,
- il lui suffit pour recevoir le lot auquel il a droit de renvoyer par courrier, avec ou sans commande, ce document "demande d'attribution".
Un tirage supplémentaire avec lot unique est annoncé pour tous les bons retournés avant un certain délai.
Comme devant les premiers juges Jean-Claude S et la SA R plaident leur relaxe et mise hors de cause et, in limine, l'irrecevabilité de l'action et de la constitution de partie civile de l'Union fédérale des consommateurs.
Celle-ci maintient ses prétentions telles que formulées et qualifiées par elle initialement à l'acte de poursuite,
Jean-Claude S et la SA R qui s'étaient constitués demandeurs reconventionnels pour procédure abusive et trouble commercial et qui avaient conclu à la condamnation de la partie civile à leur payer respectivement la somme de 50 000 F et celle de 100 000 F, réitèrent leur demande devant la cour, portant respectivement leurs prétentions à la somme de 100 000 F et à celle de 150 000 F, sollicitant en outre une somme de 30 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP.
Sur la recevabilité de l'action de l'UFC:
C'est par des motifs pertinents et que la cour adopte, que les premiers juges, rejetant les moyens contraires soutenus de ce chef par le prévenu et le civilement responsable ont déclaré l'UFC recevable à agir et à se constituer partie civile,
En vain Jean-Claude S et la SA R arguent-ils de l'absence d'une délibération du bureau ou du comité directeur de cette association.
En effet outre que dans le silence des statuts, ce qui est le cas, le président de l'association est habile à la représenter, sans autorisation ou délibération préalable, l'UFC justifie d'une délibération de son conseil conférant expressément à son président un tel pouvoir;
Au fond:
Comme l'ont justement énoncé les premiers juges, l'opération n'est prohibée que si sont constitués et réunis quatre éléments, soit une offre au public, une espérance de gain, déterminée par le hasard, un sacrifice pécuniaire du participant,
La circonstance, commune à la plupart des jeux contestés, que l'offre de participation à été précédée d'un tirage ou d'un premier tirage, est sans effet sur l'incrimination dont aucun des éléments ne peut exclure l'autre en raison de sa seule antériorité.
L'offre au public
L'information donnée au participant qu'il a gagné un lot, qu'il peut ou non le demander et ce suivant des modalités différentes soit qu'il passera commande ou non, qu'il peut à certaines conditions participer à un tirage supplémentaire comporte de toute évidence une offre,
La condition de publicité n'est toutefois pas remplie, est-il soutenu, puisque ces jeux ne sont pas opération de vente et de service au sens de la loi, et que ne sont touchés par elle que des clients présélectionnés.
Outre qu'il n'existe dans le texte d'incrimination aucune disposition limitant celle-ci à des opérations de vente et/ou de service Jean-Claude S et R ne sauraient avec succès soutenir que conservent un caractère privé des actions menées par eux dans le but évident de promouvoir les ventes de leurs entreprises et qui ont dans chaque cas atteint plusieurs millions de "participants" lesquels, si l'on considère au surplus l'ampleur des moyens publicitaires mis en œuvre, constituent manifestement un public au sens de la loi, sans qu'importe qu'ait préexisté ou non des rapports contractuels entre celui-ci et l'entreprise.
L'espérance d'un gain déterminé par le hasard
Il est soutenu que l'opération, par l'intermédiaire d'un pré-tirage ne génère aucune espérance de gain, que le lot doit être acquis uniquement grâce au sort, ce qui n'est pas le cas puisque le hasard n'intervient plus lorsque le client demande l'attribution de son lot,
Sur ce dernier argument, il sera simplement observé que le texte d'incrimination rattache l'intervention du sort au gain lui-même et non à l'espérance de gain dont il ne peut ici être contesté qu'il a été déterminé par le sort, de nulle importance étant le moment où celui-ci est intervenu;
L'espérance de gain est tout autant certaine; en vain autrement s'interrogerait-on sur la finalité d'une semblable opération et sur la nécessité pour lui donner force de recourir à une mise en scène dont l'organisateur pouvait faire l'économie en indiquant "d'entrée de jeu" à chaque participant le lot qu'il avait effectivement gagné, alors que de toute évidence le but recherché, en le laissant dans l'ignorance de ce que le sort lui avait réellement réservé était de faire naître en lui l'espérance que celui-ci lui avait été spécialement favorable;
Un sacrifice pécuniaire
Cependant pour être punissable au sens de la loi de 1836 la loterie doit encore avoir un caractère onéreux et elle n'a pour le participant ce caractère que si sa participation se matérialise par un sacrifice pécuniaire et que si ce sacrifice est consenti par lui en contrepartie de l'offre qui lui est faite.
Ce lien commutatif nécessaire entre l'offre et le sacrifice pécuniaire n'existe pas lorsque s'agissant du jeu "surprise de la chance", puis des trois autres jeux pris dans leur phase première, le participant a, à l'instant où l'offre l'a atteint été informé de ce que le hasard avait déjà, de manière gratuite pour lui, déterminé son sort et que l'opération, abstraction faite de ses conséquences attendues au plan commercial, n'a d'autre retentissement que celui de le placer devant le choix d'entrer ou non en possession de ce qui s'avère n'être qu'une libéralité dont, de la plus importante à la plus modeste, il peut mesurer la valeur;
Il n'est pas davantage de sacrifice pécuniaire dans la participation au tirage supplémentaire, lié au premier, ouvert au bénéfice de ceux ayant fait le choix de se faire attribuer leur lot, et qui n'a d'autre conséquence que de faire un heureux gagnant auquel il n'est strictement rien demandé.
Nulle infraction à la loi du 21 mai 1836 n'étant en l'espèce constituée la cour réformera les premiers juges.
Ainsi, sans qu'il y ait lieu de rechercher l'imputabilité des faits, Jean-Claude S et la SA R doivent-ils être respectivement relaxé et mis hors de cause;
Par voie de conséquence, l'Union fédérale des consommateurs sera déboutée de ses demandes.
Sur l'application de l'article 472 du Code de procédure pénale
Il ne ressort pas des éléments de la cause que l'Union fédérale des consommateurs a mis en mouvement l'action publique de mauvaise foi ou avec une excessive témérité; en conséquence la cour déboutera Jean-Claude S et la SA R de leurs demandes.
L'Union fédérale des consommateurs ne peut être tenue au paiement des frais non recouvrables exposés par ces derniers.
Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Réformant le jugement déféré, Renvoie Jean-Claude S et la SA R des fins de la poursuite. Déboute l'Union fédérale des consommateurs de ses demandes. Déboute Jean-Claude S et la SA R de leurs demandes, Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 475-1 du CPP. Condamne l'Union fédérale des consommateurs aux dépens de première instance et d'appel.