CA Douai, 4e ch. corr., 22 juin 1988, n° 727
DOUAI
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chantry
Conseillers :
MM. Delaude, Levy
Avocats :
Mes Doussot, Grillet
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Jean Claude S, prévenu, et la société X, civilement responsable, puis le Procureur de la République, et encore la Fédération des familles de France nord, partie civile, ont successivement et régulièrement interjeté appel d'un jugement du 2 octobre 1987, par lequel le Tribunal correctionnel de Lille, saisi de poursuites, par le Procureur de la république, à l'encontre de Jean Claude S, a statué comme il sera dit ci-après ;
Jean Claude S était prévenu d'avoir :
A Roubaix et sur le territoire national en sa qualité de président directeur général de la SA " X " courant 1985 à avril 1986,
Diffusé ou fait diffuser des publicités comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la portée des engagements pris par l'annonceur, l'existence des biens qui font l'objet de la publicité en l'espèce.
a) En laissant croire à tous les prospectés dans le cadre de l'opération publicitaire " Grand jeu des numéros de la chance " qu'ils sont gagnants de l'un des neuf lots principaux reproduits par un dépliant (véhicules Renault, foulard, sac Hermès, pyjama, smoking, montre et collier, vanity cuir) alors qu'il savait que la quasi-totalité d'entre eux ne recevrait qu'une palette de maquillage dès lors que les gagnants des lots principaux avaient été identifiés par un pré-tirage avant le lancement de l'opération,
b) En laissant croire à tous les prospectés dans le cadre de l'opération publicitaire intitulée " Remise de diplôme " qu'ils sont gagnants de l'un des six lots reproduits sur un dépliant (veste en renard bleu, collier en or massif, manteau de vison, bague 3 ors, panier gourmet, caisse de bouteilles de champagne) alors qu'il savait que la quasi-totalité d'entre eux ne recevraient qu'un bracelet 3 coloris dès lors que les gagnants des lots principaux avaient été identifiés par un pré-tirage avant le lancement de l'opération,
c) En prétendant que la palette de maquillage mise en jeu dans le cadre de cette opération publicitaire " Grand jeu des numéros de la chance " avait une valeur marchande de 90 F alors que cet article était acheté par X au prix unitaire de 6,86 F soit 8,13 TTC.
A Roubaix courant janvier à avril 1986 et sur le territoire national :
En sa qualité de Président-directeur général de la SA X établi ou tenu une loterie non autorisée par la loi, en l'espèce en diffusant dans le public une opération publicitaire intitulée " Grand jeu des numéros de la chance " mettant en jeu différents lots, répartis entre les participants en fonction du hasard et attribués aux gagnants moyennant une participation financière de leur part (commande d'articles du catalogue ou à défaut de commande, envoi d'une somme de 11 F en timbres).
Faits prévus et punis par les articles 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 410 du Code pénal et la loi du 21 mai 1836.
Par jugement dont appel ledit tribunal :
A déclaré Jean Claude S coupable des délits visés à la prévention ;
L'a condamné à une amende de dix mille francs ;
A ordonné la publication de sa décision,
A déclaré la SA X, civilement responsable.
En statuant à l'égard des parties civiles :
A condamné Jean Claude S à payer à la Fédération des familles de France Nord la somme de 1 000 F à titre de dommages-intérêts, et celle de 2 000 F, au titre de l'article 475-1 du CPP, à Mme Gendrier la somme de un franc à titre de dommages-intérêts,
Et statuant sur la demande reconventionnelle de Jean Claude S et de la SA X, les en a déboutés ;
Plaidant la relaxe, Jean Claude S et X concluent à nouveau à l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la FFFN et à sa condamnation pour procédure abusive et trouble commercial chiffrant respectivement leurs prétentions, selon leurs dernières écritures, à la somme de 3 000 F, pour X, à celle de 10 000 F pour Jean Claude S, celui-ci sollicitant en outre une somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
La Fédération des familles de France Nord, sollicite la confirmation sur la culpabilité, réformation sur le montant de son préjudice estimé par elle, selon sa demande initiale à 10 000 F, condamnation du prévenu et du civilement responsable au paiement envers elle de la somme de 4 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP.
Mme Gendrier, sollicite confirmation du jugement, en outre condamnation du prévenu, et du civilement responsable au paiement envers elle d'une somme de 4 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP.
LA COUR, sur les faits, se réfère expressément aux énonciations des premiers juges, lesquels les ont exactement exposés.
Sur la publicité mensongère :
La loi d'incrimination vise " toute publicité " et la constitue, tous procédés dont le but est de solliciter la clientèle, sans que la préexistence de rapports contractuels entre l'annonceur et celle-ci puisse lui faire perdre ce caractère ;
Tel est manifestement le cas des procédés ici en discussion qui ne sauraient exclusivement constituer, comme tentent de le soutenir les appelants, une démarche gracieuse en faveur de leurs cocontractants, mais dont, comme l'ont dit les premiers juges à juste raison, la principale finalité est de promouvoir les ventes, le nombre des gagnants par ce moyen " démarchés ", soit 6 000 000 dans un cas et 4 000 000 dans l'autre étant à cet égard particulièrement éloquent ;
A tort aussi les appelants soutiennent-ils qu'en l'absence d'une vente ou d'une prestation de services à titre onéreux le texte d'incrimination n'est pas applicable.
En effet outre qu'il ne ressort pas de la lecture, et d'une juste interprétation de ce texte que ne sont impérativement concernés que des opérations à caractère onéreux, un tel moyen ne saurait autrement prospérer dans le cas de l'espèce dès lors que se trouve établie la circonstance que les jeux organisés par X ont servi de support à une vaste opération commerciale lancée à l'occasion de la sortie de son catalogue et tendant à la passation de commandes auprès de cette société ;
Pour être punissable la publicité suppose, sous quelque forme que ce soit, une allégation mensongère ou de nature à induire en erreur sur l'un des éléments limitativement énumérés au texte d'incrimination et constituant l'objet de la tromperie.
Dans l'un et l'autre jeu le client est avisé qu'il a gagné l'un des lots reproduits sur le dépliant qui lui est adressé, X ne prenant d'autre engagement que celui de lui remettre ce lot, sans qu'il y ait pour le gagnant une quelconque obligation d'achat ;
Force est de constater, qu'il n'est ici aucune allégation mensongère, chaque client étant réellement bénéficiaire de l'un ou l'autre de ces lots avec l'assurance de pouvoir se le faire remettre ;
C'est en cet état que pour retenir S Jean Claude dans les liens de la prévention le tribunal a énoncé que les informations données aux clients ne leur permettaient pas de déterminer l'étendue des chances qu'ils avaient de participer au gain des lots principaux, qu'ils auraient du être informés du pré-tirage dès réception du premier envoi contenant le bon de participation, que la présentation ambiguë et l'équivoque du document qu'ils recevaient étaient de nature à les induire en erreur ;
Quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur le procédé utilisé et s'il faut convenir qu'il eut été plus loyal de la part de l'organisateur d'informer avec davantage de précisions les participants sur les modalités du " jeu ", la cour ne saurait suivre les premiers juges en ce qu'ils posent comme postulat que le participant devrait être en mesure de déterminer ses chances, alors que la chance ne procède par définition que du hasard, notion dont tout " consommateur moyen et normalement intelligent " peut avoir une suffisante perception ;
En l'espèce et sans qu'il soit d'importance comme l'indique la prévention, qu'il y ait eu pré-tirage et que l'organisateur des jeux avait lui même connaissance du nom des gagnants des lots principaux, il n'apparaît pas, sauf aussi à postuler de manière désobligeante pour lui le degré de sa raison, que soit de nature à induire en erreur ce même consommateur, une démarche publicitaire au moyen de laquelle il est informé qu'il a participé à un concours et qu'il lui revient l'un des lots, lequel d'ailleurs si minime qu'aient été ses chances peut être l'un des lots principaux ;
La cour enfin cherchera en vain où il y a allégation mensongère ou de nature à induire en erreur, lorsqu'il est dit que la valeur marchande d'une palette de maquillage est de 90 F, alors que ce prix est effectivement celui indiqué à l'époque par X dans son catalogue et que nulle raison ne peut justifier que les clients de cette entreprise soient tenus par elle informés des conditions de sa gestion financière ;
Nulle infraction à l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 n'étant en l'espèce constituée, la cour de ce chef, réformera les premiers juges.
Sur l'infraction de loterie prohibée :
Elle suppose comme l'ont justement énoncé les premiers juges la réunion de quatre éléments : l'offre au public, une espérance de gain, déterminée par le hasard, un sacrifice pécuniaire du participant ; il sera liminairement observé que, contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, le texte d'incrimination ne comporte aucun impératif d'antériorité de sorte qu'il est en l'espèce indifférent que l'intervention du hasard ait précédé l'offre de l'opération ;
Il est d'ores et déjà acquis aux débats que les opérations dont s'agit s'inscrivent dans le cadre d'une vaste opération à caractère publicitaire ayant atteint plusieurs millions de personnes de sorte que, comme l'ont dit les premiers juges, dont les motifs n'appellent, sur ce point, aucune critique, l'élément de l'infraction que constitue l'offre d'une opération au public se trouve établi ;
Les appelants ne peuvent avec succès soutenir que le mécanisme de la loterie, qu'ils qualifient de Sweepstake, par l'intermédiaire d'un pré-tirage, ne génère aucune espérance de gain ;
En vain dans ce cas s'interrogerait-on sur la finalité d'une telle opération agrémentée d'une mise en scène dont l'organisateur pouvait faire l'économie en indiquant " d'entrée de jeu " à chaque participant le lot qu'il avait effectivement gagné, alors que de toute évidence le but recherché en le laissant en l'état dans l'ignorance de ce que le sort lui avait réellement réservé, était de faire naître en lui l'espérance que celui-ci lui avait été spécialement favorable.
Dans un jeu le participant devait pour recevoir son lot retourner " le certificat de gagnant " ou faire connaître par téléphone le numéro qui lui avait été attribué,
Dans l'autre, en l'absence de commande, il avait la faculté soit de se manifester par téléphone, soit de retourner son titre de gagnant en y joignant une somme de 11 F en timbres, l'un et l'autre moyen s'apparentant à celui auquel sont invités à recourir les heureux bénéficiaires de certains jeux télévisés organisés avec un support publicitaire ;
Cependant pour être punissable au sens de la loi du 21 mai 1836 la loterie doit encore revêtir un caractère onéreux et elle n'a pour le participant ce caractère que si sa participation se matérialise par un sacrifice pécuniaire et que si ce sacrifice est consenti en contrepartie de l'offre qui lui est faite ;
Ce lien commutatif et nécessaire entre l'offre et le sacrifice pécuniaire n'existe pas lorsque, comme en l'espèce, le participant a, à l'instant où l'offre l'a atteint été informé de ce que le hasard avait déjà de manière gratuite pour lui, déterminé son sort, et que l'opération, abstraction faite de ses conséquences attendues au plan commercial, n'a d'autre retentissement que celui de le placer devant le choix d'entrer ou non en possession de ce qui s'avère n'être qu'une libéralité dont de la plus importante à la plus modeste, il peut estimer la valeur ;
Nulle infraction à la loi du 21 mai 1836 n'étant en l'espèce établie par la cour, aussi de ce chef, réformera les premiers juges ;
Ainsi, sans qu'il y ait lieu de rechercher l'imputabilité des faits, Jean Claude S, la SA X devront-ils être respectivement relaxés et mis hors de cause.
Par voie de conséquence les constituions de parties civiles de la FFFN et de Mireille Gendrier ne peuvent prospérer.
L'action publique ayant été mise en mouvement par le Ministère Public les demandes de dommages-intérêts de Jean Claude S et de la SA X ne sont pas recevables, non plus que les demandes fondées sur l'article 475-1 du CPPC, aucune infraction n'étant retenue à l'encontre de la FFFN.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, le prévenu et son conseil ayant eu la parole les derniers. Infirmant le jugement déféré, Relaxe Jean Claude S, Déboute la Fédération des familles de France Nord et Mme Mireille Gendrier, Et statuant sur les demandes de Jean Claude S et de la société X, Les déclare mal fondées et en conséquence les rejette, Laisse les frais à la charge du Trésor Public.