CA Pau, 1re ch. corr., 17 novembre 1998, n° 750-98
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Crabarie, Martinez, Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Grange
Substitut général :
M. Delpech
Conseillers :
Faissolle, Mme Del Arco
Avocats :
Perrin, Fourcade
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le Tribunal correctionnel de Tarbes, par jugement contradictoire, en date du 17 mars 1998 a:
- joint l'incident au fond,
- rejeté l'exception soulevée,
- déclaré W Ian
coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, courant 1996, à Tarbes (65), infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 Code de la consommation.
Et, en application de ces articles,
L'a condamné à 30 000 F d'amende,
Et, sur l'action civile, a:
- déclaré la société X civilement responsable de W Ian,
- reçu Monsieur Crabarie Jean-Pierre en sa constitution de partie civile,
- déclaré W Ian responsable du préjudice subi par Monsieur Crabarie, Jean-Pierre,
- condamné W Ian et X solidairement à payer à Monsieur Crabarie, Jean-Pierre la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts,
- condamné W Ian et la société X solidairement à verser à Monsieur Crabarie, Jean-Pierre, au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la somme de 2 000 F,
- reçu Madame Michelle Martinez en sa constitution de partie civile,
- déclaré W Ian responsable du préjudice subi par Madame Michelle Martinez,
- condamne W Ian et la société X solidairement à payer à Madame Michelle Martinez la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts,
- les a condamnés également aux dépens de l'action civile.
Ledit jugement a été signifié à Madame Michelle Martinez le 24 avril 1998, à sa personne.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
W Ian, le 24 mars 1998
X prise en la personne de son représentant Légal, le 24 mars 1998
Monsieur le Procureur de la République, le 24 mars 1998 contre W Ian
Monsieur Crabarie Jean-Pierre, le 30 mars 1998
W Ian, prévenu, X, civilement responsable, Monsieur Jean-Pierre Crabarie et Madame Michelle Martinez, parties civile, furent assignés à la requête de Monsieur le Procureur général, par actes en date des 10 septembre, 12 octobre, 14 et 18 septembre 1998, d'avoir à comparaître devant la cour à l'audience publique du 27 octobre 1998;
La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à Tarbes, fut avisée, à la requête de Monsieur le Procureur général, par acte en date du 28 août 1998, d'avoir à comparaître devant la cour à l'audience publique du 27 octobre 1998.
Décision:
Vu les appels réguliers interjetés le 24 mars 1998 par W Ian, prévenu, par X, civilement responsable, et par la Ministère public, et le 30 mars 1998 par Monsieur Jean-Pierre Crabarie, partie civile, à l'encontre du jugement contradictoirement rendu à leur égard, le 17 mars 1998 par le Tribunal correctionnel de Tarbes, signifié le 24 avril 1998 à Madame Michelle Martinez, à sa personne, partie civile;
Il est fait grief au prévenu:
- d'avoir à Tarbes 65, courant 1996, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur une vente par correspondance d'un bien ou d'un service;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 al. 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation;
Sur l'action publique:
1°) Sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par W Ian:
Comme il l'avait fait devant le tribunal, W Ian soulève l'exception "non bis in idem" aux motifs qu'il a été poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Paris pour les mêmes faits et que la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Paris a rendu une décision définitive le 8 octobre 1997, et qu'il s'agit du même message publicitaire que celui qui a fait l'objet des faits poursuivis devant le Tribunal correctionnel de Tarbes;
A cet égard, les premiers juges ont considéré, à juste titre, qu'il convenait de rejeter cette exception de procédure et de statuer sur le fond, en retenant que si les faits délictueux litigieux présentent de toute évidence un lien étroit de connexité avec ceux qui ont déjà été déférés devant les juridictions répressives de Paris et de Grenoble, s'agissant d'une campagne publicitaire unique, avec organisation d'une loterie diffusée pour l'ensemble du territoire national au mois de février 1996, il n'en demeure pas moins qu'ils sont distincts dans la mesure où la publicité se présente d'une manière nominative et individualisée, s'adressant en l'espèce à Madame Martinez et à Monsieur Crabarie;
2°) Au fond:
Madame Martinez et Monsieur Crabarie ont reçu, chacun, en février 1996, de la société X un catalogue et un dépliant en quatre pages portant les indications suivantes:
. Sur la première page: "Grand Jeu X" Concerne: attribution du plus gros chèque mis en jeu. Bravo Madame Martinez ou Bravo Monsieur Crabarie, vous avez gagné le plus gros chèque "au Grand jeu X";
Madame Martinez ou Monsieur Crabarie, je vous le confirme: votre numéro personnel a bel et bien été tiré au sort et vous avez gagné le plus gros chèque possible à ce "Grand jeu X" PS: J'insiste: vous n'avez pas gagné le lot de consolation mais bien le gros lot de consolation mais bien le plus gros chèque mis en jeu. Réclamez-le dès aujourd'hui".
. Sur la troisième page, en ouvrant le document: "Tirage de février 96", en grands caractères gras de couleur noire et rouge: 1er prix: un chèque d'un montant de 35 000 F (soit trois millions cinq cent mille centimes), lots de consolation: un chèque achat de 100 F valable sur le prochain catalogue X".
Dans un encadré, il est indiqué "Garantie de paiement": le versement du chèque de 35 000 F est garantie par huissier de justice... suivi des signatures de la directrice des jeux, de l'huissier de justice et du directeur financier;
. Sur la deuxième page, au recto de "Grand jeu X" et en face de "Tirage de février 1996": règlement du "tirage de février 1996" art. 6: Présentation des lots: un chèque de 35 000 F 10 chèques d'achat de 100 F;
. Sur la quatrième page: au-dessous du bon de commande. Demande de prix Grand jeu X (surligné en rouge) nom du gagnant: Madame Martinez ou Monsieur Crabarie Jeu gratuit sans obligation d'achat Bon de participation au "Tirage de février 1996".
La présentation de ce document en quatre pages et les mentions qu'il comporte ne permettent pas à son destinataire de déceler l'existence de deux jeux distincts, ainsi que le tribunal l'a estimé, suivant un raisonnement que la cour adopte;
En effet, sur la première page qui est censée ne concerner que le "Grand jeu X", il n'est fait aucune allusion à une quelconque division du gros lot entre divers attributaires.
Il est seulement indiqué en haut à droite, verticalement et en lettre d'un millimètre, de manière quasi invisible, que le règlement de ce jeu qui fait état de cette division est à l'intérieur de l'enveloppe, c'est à dire imprimé sur la face interne de l'enveloppe, ce qui est pour le moins indécelable;
Toujours sur cette première page, il est affirmé que le destinataire a gagné au tirage du 23 février 1996, ce qui correspond, quand il ouvre le document aux mentions qui figurent en page 3 indiquant "Tirage de février 1996", la somme de 35 000 F correspondant quant à elle à la notion de "plus gros chèque". De plus, en face de cette page, figure le règlement du "Tirage de février 96" qui vient confirmer le montant du prix gagné;
En outre, sur le bon de commande figure une seule demande de prix mise en évidence par un sur-lignage en couleur pour demander le paiement du lot. De plus, les expressions "demande de prix" et "jeu gratuit" sont employées au singulier dans ce bon de commande. Ainsi, le destinataire du document est conforté dans l'idée qu'un seul jeu était organisé;
L'envoi d'un document unique, l'habileté rédactionnelle, l'emploi de mots particulièrement choisis attirant l'attention, écrits en caractères gras ou de couleur, étaient indiscutablement de nature à créer la confusion et à persuader Madame Martinez et Monsieur Crabarie que leur numéro tiré au sort leur avait permis de se voir attribuer un lot d'une valeur de 35 000 F;
Il s'en suit que le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur est bien constitué, et qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise quant à la qualification des faits et la déclaration de culpabilité;
Eu égard aux circonstances de l'infraction et notamment de l'ampleur de la campagne publicitaire dont s'agit, il convient d'augmenter la peine d'amende prononcée à l'encontre de W Ian à la somme de 35 000 F.
Toutefois, les conditions légales étant réunies, il apparaît équitable d'ordonner la confusion de cette peine avec celle prononcée par la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, section B, le 8 octobre 1997.
Sur l'action civile:
Les premiers juges ont considéré exactement que cette tromperie avait causé à Monsieur Crabarie un préjudice qui est constitué par la privation du don promis et les frustrations nées de cette fausse espérance.
Toutefois, ce préjudice a été sous-évalué par le tribunal et sera réparé de manière adéquate par l'allocation d'une somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts;
Il apparaît équitable d'allouer à Monsieur Crabarie une indemnité supplémentaire de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Il y a lieu de confirmer le jugement déféré sur l'action civile, en ce qui concerne Madame Michelle Martinez, partie civile, non comparante, ni représentée.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à signifier à l'égard de Madame Michelle Martinez, partie civile, et contradictoirement à l'égard des autres parties, Déclare les appels recevables; Au fond: Sur l'action publique: Rejette l'exception soulevée; Confirme le jugement du Tribunal correctionnel de Tarbes du 17 mars 1998 sur la qualification des faits et la déclaration de culpabilité; Réformant sur la sanction prononcée, Condamne W Ian à la peine d'amende de 35 000 F; Dit que cette peine sera confondue avec celle prononcée le 8 octobre 1997 par la Cour d'appel de Paris 13e chambre, section B; Sur l'action civile: Confirme la décision entreprise sur la recevabilité de la constitution de partie civile de Monsieur Jean-Pierre Crabarie et à l'encontre de W Ian et de la Société X et sur l'application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Emendant sur les dommages et intérêts alloués, Condamne W Ian et la Société X, solidairement, à payer à Monsieur Jean-Pierre Crabarie la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et une indemnité supplémentaire de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Confirme le jugement déféré en ce qui concerne Madame Michelle Martinez, partie civile. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné; Fixe la contrainte par corps conformément à la loi. Le tout par application du titre XI de la loi du 4 janvier 1993, les articles 749 et suivants du Code de procédure pénale, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 al. 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la commission.