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Décisions

CA Paris, 23e ch. A, 25 octobre 2000, n° 99-15308

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Industrielle de Constructions Rapides (SNC)

Défendeur :

L'Auxiliaire (Sté), Guillemonat (ès qual.), Concept Béton (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bernheim

Conseillers :

MM. Dussard, Debary

Avoués :

SCP Verdun- Seveno, SCP Teytaud, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Barthelot de Bellefonds, Zarade, Vianes.

T. com. Créteil, 1re ch., du 13 avr. 199…

13 avril 1999

Dans le cadre de la construction d'un immeuble d'habitation à Suresnes, la société SICRA a commandé, par bon daté du 2 juillet 1997, 10 000 m3 de béton prêt à l'emploi ainsi que divers adjuvants.

Estimant que la qualité du béton fourni ne correspondait pas à ce qui avait été prévu, la SICRA, par actes d'huissier des 16, 18 et 30 décembre 1998, a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Créteil la société Concept Béton, Maître Baronnie, ès-qualités d'administrateur au redressement judiciaire de la société Concept Béton ainsi que la compagnie L'Auxiliaire aux fins de désignation d'expert et de condamnation solidaire des sociétés Concept Béton et L'Auxiliaire à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 4 878 172,55 F.

Par jugement du 13 avril auquel il est fait référence pour l'exposé détaillé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, le tribunal a:

- dit la société SICRA recevable mais mal fondée en ses demandes, l'en a déboutée,

- dit le jugement opposable à Maître Baronnie,

- condamné la société SICRA à payer à la société Concept Béton la somme de 903 163,15 F ou sa contre valeur en euros,

- ordonné l'exécution provisoire sous réserve qu'en cas d'appel il soit fourni une caution bancaire égale au montant de la condamnation,

- condamné la société SICRA à payer à la société Concept Béton la somme de 6 000 F ou sa contre valeur en euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté toutes les parties de leurs demandes, autres, plus amples ou contraires,

- condamné la société SICRA aux dépens.

La société SICRA a interjeté appel de cette décision. Elle invite la cour à l'infirmer, dire la société Concept Béton responsable du préjudice subi par SICRA, en conséquence débouter la société Concept Béton, Maître Baronnie et la compagnie L'Auxiliaire, condamner L'Auxiliaire à payer à SICRA une somme de 1 828 294,84 F HT augmentée des intérêts légaux à compter du 16 décembre 1998, date de la requête initiale, capitalisés à compter du 16 décembre 1999, dire la décision à intervenir opposable à Maître Baronnie ès qualités.

Subsidiairement, elle sollicite une expertise.

Enfin, elle réclame 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'Auxiliaire sollicite l'infirmation du jugement dont appel en ce qu'il a retenu la recevabilité de la demande de SICRA et la dire irrecevable pour cause de prescription faute par elle d'avoir respecté le bref délai de l'article 1648 du Code civil; subsidiairement elle conclut au débouté; elle fait également protestations et réserves sur la mesure d'expertise sollicitée.

Enfin elle réclame 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Concept Béton soutient-elle aussi que la demande de SICRA est irrecevable. Subsidiairement elle conclut au débouté de la demande reconventionnelle de SICRA, lui réclame 150 000 F pour procédure abusive et sollicite sa condamnation à payer à Maître Guillemonat, mandataire liquidateur de Concept Béton, 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR

I. Sur la recevabilité de l'action engagée par SICRA

Considérant que la société Concept Béton, représentée par maître Guillemonat, ès-qualités de mandataire liquidateur de cette société, ainsi que son assureur la société L'Auxiliaire soulèvent l'irrecevabilité des demandes formées contre elles par SICRA, motif pris de ce que celles-ci seraient prescrites, compte tenu des dispositions de l'article 1648 du Code civil; qu'elles soutiennent que SICRA n'aurait pas respecté l'obligation d'assigner à bref délai édictée par ledit article;

Considérant qu'il résulte du dossier que la société SICRA, qui s 'était vu confier la réalisation de travaux comprenant plusieurs niveaux de sous sols à usage de parkings dont la structure est composée de poteaux, voiles et poutres en béton armé de grandes dimensions, coulés in situ ou préfabriqués sur place, a commandé des bétons contrôlés normalisés dit BCN à consistance très plastique (TP) du type BCN 25 et BCN 30 avec ciment CHF ou ciment CPJ et de granularité 0-20, que ces bétons devaient répondre aux spécifications de la norme P 18.305 des bétons prêts à l'emploi;

Considérant qu'en exécution de cette commande la société Concept Béton a effectué 374 livraisons de béton sur le chantier entre le 16 mai 1997 et le 12 septembre 1997;

Considérant que le 4 juillet 1997 est survenu un premier incident lors de la livraison attachée au bon n°6715, des blocs de laitance sèche contenus dans le matériau livré ayant bloqué la pompe à béton du chantier, incident signalé par SICRA à Concept Béton par télécopie et confirmé par lettre du 10 juillet 1997;

Considérant qu'un deuxième incident s'est produit le 10 juillet, SICRA ayant refusé une livraison car " le béton livré au vu du bon 7002 n'était pas conforme à la plasticité demandée et présentait énormément d'hétérogénéité ", qu'un troisième incident est survenu le 17 juillet 1997, correspondant au bon de livraison n°7107, dû, selon SICRA, à un ajout excessif d'eau, qu'un quatrième incident a eu lieu le 21 juillet1997, un contrôle de plasticité effectué par SICRA avant déchargement (bon n° 7291) ayant révélé une insuffisante plasticité du béton;

Considérant que SICRA a par ailleurs fait réaliser par la société Béton Labo Services des essais de résistance sur les livraisons intervenues les 8, 9 et 10 juillet, lesquels ont mis en évidence l'insuffisance de résistance d'une partie des bétons livrés;

Considérant qu'au vu de ces résultats SICRA s'est abstenue de régler plusieurs factures établies par Concept Béton dont elle a mis en cause la responsabilité par lettre du 8 septembre 1997, qu'une expertise amiable organisée contradictoirement le 15 octobre 1997 donnant lieu à un rapport du 22 octobre 1997 entre SICRA, Concept Béton, et un expert du Cabinet Guillermain intervenant pour L'Auxiliaire, assureur responsabilité civile de Concept Béton, n'a pas permis un règlement amiable du litige, que SICRA, par actes d'huissier des 6 et 10 novembre 1998, a fait attraire la société Concept Béton, les organes de son redressement judiciaire ainsi que la compagnie L'Auxiliaire devant le juge des référés aux fins de désignation d'expert;

Considérant qu'il résulte de cet exposé que si certaines livraisons de béton présentaient un défaut de conformité par rapport à la commande si apparent que SICRA s'en est aperçu dès l'arrivée du camion, ainsi que cela résulte des télécopies versées aux débats, datées des 4, 10, 17 et 21juillet1997, faisant état des contrôles effectués contradictoirement, avant déchargement, la majeure partie des livraisons présentaient des vices qui n'ont pu être décelés qu'après analyses techniques effectuées par Béton Labo Services;

Considérant que ces vices sont donc bien des vices cachés, lesquels, faute d'avoir fait l'objet d'une instance engagée à bref délai, ne peuvent plus être valablement invoqués par la société SICRA à l'appui de son action en dommages et intérêts dirigée contre la société Concept Béton et la compagnie L'Auxiliaire, compte tenu des dispositions de l'article 1648 du Code civil, dès lors que l'assignation n'a été délivrée que plus d'un an après la survenance des faits;

Considérant qu'il s'ensuit que seules les livraisons de béton refusées par SICRA, lors de l'arrivée des camions sur le chantier sont susceptibles de donner lieu à indemnisation à son profit, l'acquéreur ne pouvant être tenu d'accepter une chose différente de celle qu'il a commandée, ce qui est bien le cas en l'espèce ainsi qu'il résulte des pièces versées aux débats, qu' il est en effet établi qu'un certain nombre de livraisons ont été refusées, ainsi qu'en font foi les télécopies datées des 4, 10, 17, 21 et 24 juillet 1997 relatives notamment aux livraisons des 8, 9 et 10 juillet 1997;

Considérant que la cour, au vu des éléments dont elle dispose, juge devoir fixer à 100 000 F le préjudice subi par SICRA du fait de ces livraisons défectueuses;

Considérant que la société Concept Béton, en liquidation judiciaire, ne peut faire l'objet d'aucune condamnation;

Considérant qu'en conséquence seule la compagnie L'Auxiliaire, qui ne dénie pas sa garantie, sera condamnée au paiement de cette somme au profit de SICRA;

Considérant que ladite somme sera augmentée des intérêts légaux à compter du 16 décembre 1998, date de la réclamation en justice valant mise en demeure;

Considérant qu'il y a lieu par ailleurs de faire bénéficier la société SICRA des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à hauteur de 10 000 F;

Considérant qu' il sera fait masse des dépens de première instance et d'appel qui seront supportés à hauteur de 90 % par SICRA et de 10 % par L'Auxiliaire et Maître Guillemonat, ès-qualités;

Par ces motifs, LA COUR, Fixe la créance de la société SICRA vis-à-vis de la société Concept Béton représentée par Maître Guillemonat, son mandataire liquidateur, à la somme de cent mille francs (100 000 F), Condamne la compagnie L'Auxiliaire, assureur de la société Concept Béton à payer à SICRA la somme de cent mille francs (100 000 F) augmentée des intérêts légaux à compter du 16 décembre 1998, avec capitalisation de ceux-ci dans les termes de l'article 1154 du Code civil, à compter du 9 février 2000, ainsi que celle de dix mille francs (10 000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande des parties plus ample ou contraire, Fait masse des dépens de première instance et d'appel qui seront supportés à hauteur de 90 % par SICRA et de 10 % par L'Auxiliaire et Maître Guillemonat ès-qualités, Dit que les avoués concernés pourront se prévaloir des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.