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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 19 mars 1997, n° 9405137

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Blanche Porte Civad et Compagnie (SCS)

Défendeur :

Benard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Falcone

Conseillers :

MM. Charbonnier, Grandpierre

Avoués :

SCP Hamel Fagoo, SCP Gallière-Lejeune

Avocats :

Mes Noubel, Domingot.

TGI Dieppe , du 10 nov. 1994

10 novembre 1994

Statuant sur l'appel interjeté par la société Blanche Porte, Civad et Cie contre le jugement rendu le 10 novembre 1994 par le Tribunal de grande instance de Dieppe qui l'a condamnée à payer à Arlette Dufour, épouse Benard, la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et la somme de 4 000 F par application des dispositions de l'article 700 du NCPC;

Attendu que la société Blanche Porte, Civad et Cie, qui sollicite l'infirmation du jugement, demande qu'Arlette Benard soit déboutée de toutes ses réclamations;

Qu'à l'appui de son recours et après avoir exposé qu'elle est une entreprise de vente par correspondance et qu'à ce titre, entre le 17 août et le 31 décembre 1993, elle a organisé une loterie intitulée " tirage exceptionnel du blanc " dont les prix étaient distribués par un pré-tirage et que toute personne pouvait participer sans effectuer aucune commande, elle fait valoir que les documents adressés à ses clients ne laissent place à aucune équivoque sur la nature et le fonctionnement du jeu; qu'en particulier le document intitulé " titre de propriété " faisait office de bon de participation; qu'Arlette Benard avait été, comme d'autres clients, sélectionnée par pré-tirage, son numéro n'ayant pas été tiré au sort, la susnommée n'a donc pas reçu, et ne saurait prétendre au gain correspondant et qui consistait en une maison;

Que la société Blanche Porte, Civad et Cie ajoute qu'elle n'a commis aucune faute dans la présentation de son jeu et qu'un lecteur normalement attentif ne pouvait être induit en erreur;

Attendu qu'Arlette Benard, formant appel incident, demande que la société Blanche Porte, Civad et Cie soit condamnée à lui verser la somme de 420 000 F augmentée des intérêts capitalisés au taux légal du 21 mars 1994, date de l'assignation;

Qu'à cette fin, elle soutient que la société Blanche Porte a commis une faute en l'informant de façon affirmative qu'elle avait gagné une maison d'une valeur de 420 000 F et en soutenant, ultérieurement, qu'il s'agissait d'un événement hypothétique; qu'en outre, et le courrier qui lui a été adressé étant dépourvu de toute ambiguïté, son préjudice s'élève à la somme de 420 000 F, valeur du lot, que, par des agissements déloyaux, la société Blanche Porte, Civad et Cie n'a pas été en mesure de lui livrer;

Attendu, en fait, qu'entre le 17 août et le 31 décembre 1993, la société Blanche Porte, Civad et Cie a organisé une loterie intitulée " tirage exceptionnel du blanc ", dont les prix étaient attribués par un pré-tirage sous le contrôle de Maître Bue, huissier de justice à Roubaix; qu'à l'occasion de cette opération, Arlette Benard a reçu divers documents, à savoir, un bon de commande sur lequel figurait un extrait du règlement, la règle du jeu et un inventaire des lots, un titre de propriété, une photographie du lot le plus important et un pli scellé;

Que le pli scellé annonçait à Arlette Benard:

" Chère Madame, Maître Bue ... vient de désigner les numéros gagnants des 10 titres de propriété donnant droit aux 10 superbes lors mis en jeu par la Blanche Porte.

" Aussi, ne perdez pas une minute ! Regardez vite si le numéro personnel de votre titre de propriété figure dans la liste ci-contre et à quel lot il correspond, " si ce numéro a été désigné gagnant par Maître Bue, vous êtes propriétaire ";

Qu'en regard de ce texte, figuraient les numéros de dix titres de propriété correspondant aux lots mis en jeu;

Que parmi des documents adressés à Arlette Benard, se trouvait également une pièce intitulée " titre de propriété " portant son numéro personnel 177 04629, numéro correspondant, dans la liste figurant en marge du pli scellé, à la maison;

Attendu que ce courrier faisait ainsi apparaître que Maître Bue venait de procéder au tirage; que la formule " si vous êtes propriétaire ", était de nature à laisser supposer au destinataire du pli qu'il lui suffisait de vérifier que son numéro personnel correspondait au numéro figurant dans la liste jointe pour être au nombre des gagnants; que, de la sorte, les mentions et la présentation de la lettre faisaient penser à un consommateur normalement diligent que la liste des dix numéros portés sur le pli scellé correspondait aux numéros effectivement gagnants lors du pré-tirage effectué par Maître Bue;

Attendu encore que, comme l'ont retenu les premiers juges, le document portant le numéro personnel du participant à la loterie était intitulé " titre de propriété ", et qu'une telle qualification était de nature à entretenir la confusion alors que la mention, figurant sur ce titre en très petits caractères et indiquant qu'il faisait office de bon de participation, n'excluait nullement cette interprétation; que la règle du jeu, qui figurait à part, au bas du bon de commande, n'était pas de nature à dissiper l'illusion créée par la lecture de la lettre dont le destinataire du pli pouvait croire que lui était annoncée la phase 4 de la règle, à savoir le tirage au sort de son numéro personnel; que, de surcroît, le numéro personnel figurant sur le " titre de propriété " d'Arlette Benard était mentionné au-dessus de l'indication du lot ayant la plus grande valeur de manière à entretenir la confusion;

Attendu qu'il ressort de l'ensemble de ces circonstances que la société Blanche Porte, Civad et Cie a commis une faute qui consiste à avoir fait parvenir à sa cliente un message dont les termes volontairement équivoques étaient de nature à la persuader du gain d'une maison, lot le plus important, et à l'inciter à faire retour d'un bon accompagné d'une commande effective de marchandises;

Que cette faute a causé à Arlette Benard un préjudice moral caractérisé par la vaine croyance du gain d'une maison d'une valeur de 420 000 F; qu'à ce titre, il convient de lui allouer la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts;

Que le jugement sera confirmé en ce qu'il porte condamnation de la société Blanche Porte, Civad et Cie et infirmé quant au montant de l'indemnité;

Et attendu que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du NCPC; que succombant en ses prétentions, la société Blanche Porte sera déboutée de sa réclamation; qu'en revanche, elle sera condamnée à payer à Arlette Benard les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront fixés, en équité, à la somme de 4 000 F;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu le 10 novembre 1994 par le Tribunal de grande instance de Dieppe au profit d'Arlette Dufour, épouse Benard; L'émendant quant au montant de l'indemnité; Condamne la société Blanche Porte, Civad et Cie à payer à Arlette Benard la somme de trente mille francs (30 000 F) à titre de dommages et intérêts; Déboute la société Blanche Porte, Civad et Cie de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du NCPC et la condamne, par application de ce texte, à verser à Arlette Benard la somme de quatre mille francs (4 000 F); Condamne la société Blanche Porte, Civad et Cie aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Gallière-Lejeune, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.