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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 14 février 1996, n° 2616-94

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

France Direct Service (SA)

Défendeur :

Fonvieille

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. Exertier, Brignol

Conseillers :

MM. Boutie, Kriegk, Mme Tribot Laspierre

Avoués :

SCP Boyer Lescat, Me Cantaloube

Avocats :

SCP Klein-Montagard, SCP Marcou-Ichard.

CA Toulouse n° 2616-94

14 février 1996

Par arrêt du 18 octobre 1995 auquel il est fait ici expressément référence pour l'exposé des faits et des prétentions des parties, la cour a ordonné la réouverture des débats à son audience du 20 décembre 1995 afin, d'une part, que puissent être apportées des précisions complémentaires sur la faute délictuelle reprochée à Mme Fonvieille à la société FDS et, d'autre part, que soit soumise à contradiction l'éventualité de rechercher la responsabilité contractuelle de cette société. En exécution de cet arrêt les parties ont conclu et régulièrement échangé leurs conclusions avant la clôture fixée au 15 décembre 1995.

Cependant, le 18 décembre 1995, la société FDS, qui avait déposé des conclusions additionnelles le 15 décembre 1995, a demandé la suppression d'un paragraphe figurant dans les écritures déposées par Mme Fonvieille le 7 décembre 1995. Il convient d'office, aucune cause grave n'étant en outre invoquée, de déclarer irrecevables ces conclusions tardives.

I- Moyens des parties

1- La société FDS

La société FDS, se fondant sur les dispositions de l'article 46 du nouveau Code de procédure civile, demande d'abord à la cour, avant tout débat au fond, de se déclarer incompétente pour apprécier sa responsabilité contractuelle à l'égard de Mme Fonvieille.

Au fond, sans contester avoir adressé une offre de contrat et sans contester non plus que, du moins pour certains jeux et notamment pour le jeu MW91, sa cliente a accepté l'offre en retournant son bon de participation, elle demande de juger qu'elle n'a pas manqué à ses obligations contractuelles, le numéro de participation attribué n'ayant pas été tiré au sort. La société FDS ajoute que la rencontre des consentements n'a pu avoir lieu puisque Mme Fonvieille a commis une erreur sur le sens et la portée de certains termes du contrat. Précisant à cet égard que " là où il y a malentendu, il ne peut y avoir contrat ", elle observe qu'en invoquant une prétendue présentation inexacte et trompeuse du contrat à conclure, présentation qui lui aurait donné la fausse espérance de recevoir une somme d'argent déterminée, Mme Fonvieille se place sur le terrain de la responsabilité pré-contractuelle qui, en droit, est toujours de nature délictuelle ou quasi-délictuelle.

S'agissant de la responsabilité délictuelle, la société FDS renvoie à ses écritures antérieures en précisant toutefois, au visa de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, que les prétentions de Mme Fonvieille doivent être cantonnées à son assignation initiale devant le Tribunal de grande instance de Castres qui ne concernait que trois jeux concours : MW91 (" a ") clôturé le 30 juin 1992, M492 (" d ") clôturé le 30 septembre 1992 et M992 (" h ") clôturé le 30 décembre 1992. En outre, en réponse aux interrogations de la cour dans son arrêt du 18 octobre 1995 sur la réalité des concours et des versements de lots, elle produit aux débats deux attestations de son cabinet d'expertise comptable selon lesquelles elle a distribué des sommes importantes pendant les exercices considérés (par exemple, pour l'exercice 1992/93, 1 620 385 F au titre des lots principaux et 9 195 928 F au titre des lots de consolation).

2- Mme Fonvieille

Mme Fonvieille s'en tient à ses précédentes demandes en observant que, sur le terrain contractuel ou sur le terrain délictuel, la jurisprudence considère que le préjudice doit être réparé en allouant à la victime la valeur du lot annoncé.

Toutefois, sur l'exception d'incompétence soulevée par la société FDS elle fait valoir, d'une part qu'elle est irrecevable pour n'avoir pas été invoquée au début du litige et, d'autre part, qu'il y a bien eu livraison puisqu'elle a reçu à deux reprises un lot de consolation de 5 F.

Au fond, elle conteste que le litige soit limité aux trois jeux retenus par la société FDS Elle indique que les pièces relatives aux autres jeux (jeux du 29 janvier au 26 juillet 1993 correspondant aux pièces numérotées de 13 à 15 dans l'arrêt du 18 octobre 1995) ont été régulièrement communiquées en première instance par note du 29 juillet 1993, que la société FDS en fait elle-même état dans ses conclusions du 5 juillet 1995 et qu'en tout état de cause ces pièces ne correspondent pas à des prétentions nouvelles mais sont destinées seulement à justifier la prétention initiale.

Sur les documents versés par la société FDS pour établir le caractère effectif du paiement des lots aux gagnants, elle observe " qu'un débit de compte bancaire ne veut strictement rien dire dès lors que les sommes gagnées peuvent parfaitement être affectées à un compte d'attente avant d'être restituées au bout d'un certain temps ". Elle ajoute avoir joint cinq des gagnants d'un gros lot unique de 250 000 F qui lui ont tous cinq indiqué n'avoir rien reçu et elle produit l'attestation régulière de l'un d'entre eux (Madame Goursolle) confirmant par écrit ses déclarations téléphoniques.

3- Le procureur général

Le procureur général maintient ses précédentes conclusions tendant à la condamnation de la société FDS à payer à Mme Fonvieille une somme de 25 000 F à titre de dommages-intérêts pour faute délictuelle, les offres publicitaires ayant été de nature à induire le consommateur en erreur sur la portée des engagements pris par l'annonceur. Il considère en outre, au vu des documents qui lui ont été communiqués et spécialement de deux d'entre eux (3° et 10° de l'arrêt du 18 octobre 1995), que la société FDS a commis une infraction à la loi du 21 mai 1836. Il précise que " même si cette infraction n'a pas été poursuivie, elle n'est pas moins constitutive d'une faute qui engage la responsabilité de ladite société ".

En revanche, en raison du caractère ambigu des courriers, il ne lui paraît pas possible de discerner un engagement unilatéral de volonté par lequel la société FDS se serait obligée à délivrer à Mme Fonvieille le montant du prix en espèces annoncé.

II- Motifs

1- Sur l'exception d'incompétence

En droit, l'article 46 du nouveau Code de procédure civile doit, en cause d'appel, s'apprécier par référence à l'article 79 du même Code. Or cette dernière disposition n'est applicable qu'en cas d'infirmation du chef de la compétence. Dès lors, la cour, régulièrement saisie d'un appel contre une décision émanant d'une des juridictions de son ressort dont la compétence n'a pas été discutée et ne pouvant alors être privée de la possibilité de requalifier les faits, n'a-t-elle pas à se dessaisir au profit d'une autre cour qu'elle rendrait compétente par le seul effet de sa décision de requalification.

En l'espèce, la compétence du Tribunal de grande instance de Castres n'a jamais été discutée puisque, statuant en matière délictuelle, il constituait la juridiction dans le ressort de laquelle le dommage avait été subi. La compétence territoriale n'étant que subséquente à la qualification des faits, on ne saurait indirectement ni interdire à la cour de statuer au fond en se trouvant liée par la qualification initiale ni la contraindre à saisir une autre cour d'autant que, puisqu'elle n'infirmerait pas alors du chef de la compétence, sa décision ne s'imposerait pas à la cour de renvoi.

2- Sur l'objet du litige

En droit, les dispositions de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile n'interdisent pas à une partie de former une demande incidente jusqu'à la clôture de l'instruction.

En l'espèce, et comme il a déjà été indiqué dans l'arrêt du 18 octobre 1995, Mme Fonvieille a effectivement invoqué, devant le Tribunal de grande instance de Castres, avant l'ordonnance de clôture, des éléments de fait couvrant la période allant jusqu'au 28 juin 1993 et donc postérieurs à son acte introductif d'instance du 5 octobre 1992. Encore que ses prétentions initiales n'en eussent pas été modifiées, de tels éléments pourraient être considérés comme constituant des demandes additionnelles en ce que, pris isolément, ils seraient de nature à justifier à eux seuls la demande. Mais, outre que la société FDS avait été notamment informée le 29 juillet 1993 de la production de pièces nouvelles et mise ainsi en situation de se défendre (étant observé qu'elle était elle-même l'auteur de ces pièces, ce qui est en contradiction avec l'affirmation de ses écritures selon lesquelles elle n'en aurait pas eu connaissance), elle n'a, ni devant le tribunal ni devant la cour, demandé leur retrait. Au contraire, elle a fait elle-même état des jeux concours qu'elle avait proposés jusqu'à septembre 1993. Enfin, comme elle en convient dans ses dernières conclusions en semblant renoncer à son moyen, les pièces litigieuses lui ont été officiellement communiquées par bordereau du 25 octobre 1995.

En conséquence, il convient, en tant que de besoin, de rejeter le moyen de la société FDS tiré de la prise en considération de pièces postérieures à l'acte introductif d'instance.

3- Au fond

En droit, s'il est de principe que, pour produire effet, l'engagement unilatéral doit exprimer la volonté de son auteur, cette volonté peut, pour une société commerciale, résulter de promesses précises et ostensiblement affichées dès lors que celles-ci s'inscrivent dans sa stratégie publicitaire et ont ainsi été manifestement délibérées.

En l'espèce et à se tenir à l'un seul des envois effectués par la société FDS à Mme Fonvieille, à savoir celui du 25 mars 1992 (3° de l'arrêt du 18 octobre 1995), il se déduit nécessairement des termes affirmatifs et non ambigus utilisés (par exemple : " notification officielle d'un gain de 250 000 F "), de leur mise en valeur par un habile montage publicitaire (établissement d'un spécimen de chèque d'un montant de 250 000 F à l'ordre de la seule Mme Fonvieille parmi six autres personnes désignées), du choix des couleurs ou des caractères d'imprimerie survalorisant le gain et encore de l'habilité psychologique du rédacteur du courrier (ainsi était- il demandé à Mme Fonvieille d'accepter que son nom serve à des fins publicitaires), que la société FDS voulait faire entendre à sa cliente, afin d'obtenir une commande, qu'elle avait gagné la somme promise. Il résulte en outre de l'analyse des autres publicités, telle qu'effectuée dans l'arrêt du 18 octobre 1995, que la plupart de celles-ci présentaient sensiblement les mêmes particularités.

Certes, la société FDS conteste fermement avoir eu l'intention de payer 250 000 F à Mme Fonvieille. Cependant cette société, dont la stratégie commerciale était manifestement délibérée et réfléchie, n'avait pu se méprendre sur la portée d'un engagement qui était aussi clairement affiché et réitéré (envois incessants de courriers portant sur 19 jeux concours se présentant sous des formes similaires sans qu'il soit possible, en l'absence de règlement compréhensible et lisible, de les distinguer les uns des autres).

Il convient d'ajouter que la société FDS est mal venue à soutenir que la rencontre des volontés n'a pu se réaliser en raison de l'erreur commise par Mme Fonvieille sur son engagement, dès lors que cet engagement se déduisait inévitablement des documents reçus. Au contraire, la rencontre des volontés s'est produite puisque par plusieurs courriers (16 janvier, 21 mars, 29 mars et 1er juillet 1992), dont certains recommandés, Mme Fonvieille avait réclamé son prix.

En conséquence, il y a lieu de constater que la société FDS est tenue par son engagement accepté par Mme Fonvieille de la condamner à payer à cette dernière la somme promise de 250 000 F.Le jugement déféré sera ainsi confirmé par substitution de motifs.

4- Sur les frais irrépétibles

En équité, il convient de faire droit à la demande formée par Mme Fonvieille au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Vu l'arrêt du 18 octobre 1995, Déclare irrecevables les conclusions déposées par la société " France Direct Service " le 18 décembre 1995 ; Rejette l'exception d'incompétence soulevée par cette société et, en tant que de besoin, le moyen tiré de la prise en considération de pièces postérieures à l'acte introductif d'instance ; Confirme par substitution de motifs, le jugement du Tribunal de grande instance de Castre du 1er avril 1994 ; Condamne la société " France Direct Service " à payer à Mme Fonvieille la somme de 10 000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Cantaloube Ferrieu, avoués, dans les conditions fixées par l'article 699 du même Code.