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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 17 décembre 1998, n° 97-02948

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

France Direct Service (SA), Ezavin (ès qual.), Garnier (ès qual.)

Défendeur :

Dupuis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Brignol

Conseillers :

Boyer, Charras

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, SCP Mallet

Avocats :

Mes Klein, Gervais.

TGI Toulouse, du 8 avr. 1997

8 avril 1997

Madame Dupuis a participé à divers jeux organisés par la société France Direct Service (FDS) à laquelle elle a passé plusieurs commandes d'un montant total de 1 583,10 F, sans encaisser le gain de 250 000 F promis. C'est ainsi que le 02/11/1995, Madame Dupuis a assigné devant le Tribunal de grande instance de Toulouse la société FDS en soutenant que ses documents publicitaires constituent une tromperie de nature à induire en erreur et pour obtenir sa condamnation, avec exécution provisoire, au paiement de 250 000 F à titre de dommages et intérêts. La société France Direct Service s'est opposée à cette demande en soutenant que le procédé publicitaire est économiquement justifié et juridiquement licite.

Elle a notamment fait valoir à propos du jeu " sweeptake anniversaire " (YG 94) que Madame Dupuis n'avait pas été tirée au sort et avait donc reçu 5 F. A propos du grand jeu des 250 000 F (ACDC 94 Y 694) elle a indiqué que le numéro attribué à Madame Dupuis n'avait pas été tiré au sort, de sorte qu'elle a reçu 5 F.

Elle a également indiqué que la rédaction du message publicitaire dans son ensemble, y compris l'extrait du règlement officiel qui en fait partie intégrante, exclut que puisse être induit en erreur un consommateur moyennement avisé. De plus selon elle, le préjudice ne peut être constitué par le montant du prix que le destinataire aurait cru, à tort, avoir gagné.

Par jugement du 8 avril 1997, la juridiction a fait partiellement droit à la demande, et a condamné la société France Direct Service à verser à Madame Dupuis 100 000 F à titre de dommages et intérêts et 6 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a notamment retenu, au vu des courriers reçus par Madame Dupuis et de celui qu'elle a retourné le 15 novembre 1994 que la société FDS ne pouvait qu'induire en erreur un consommateur normalement avisé, sur la portée du gain obtenu.

De plus, selon la juridiction, la société FDS, en adressant un document à caractère trompeur, compte tenu des termes utilisés, a convaincu la destinataire qu'il lui avait été attribué un prix de la valeur, ce qui n'était pas le cas ; ce procédé ne saurait se substituer à une publicité loyale nécessaire à l'information.

Ainsi il est apparu au tribunal que la société FDS avait commis principalement une tromperie, génératrice, pour Madame Dupuis d'un préjudice moral et d'un préjudice matériel constitué par la privation du don promis et par le fait qu'elle avait fait diligenter les travaux de réparation de la maison en pensant pouvoir disposer du gain. Ce préjudice a été estimé par le premier juge à 100 000 F sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Le 21 mai 1997, la société FDS a relevé appel de ce jugement alors que le 14/04/97 le Tribunal de commerce de Grasse a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société FDS.

Maître Ezavin en qualité d'administrateur et Maître Garnier en qualité de représentant des créanciers sont intervenus à l'instance en soulignant que la demande de Madame Dupuis ne pouvait aboutir qu'à la fixation de sa créance, sous réserve de se soumettre à la formalité de la déclaration.

Sur le fond ils ont précisé d'en rapporter à justice.

L'appelante a conclu à la réformation, et après avoir rappelé l'incidence de la procédure collective, a demandé que Madame Dupuis soit déboutée et a sollicité reconventionnellement un franc de dommages et intérêts, outre 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Elle précise tout d'abord que les jeux concours constituent un moyen de communication avec le client potentiel, destiné à compenser l'absence de contact avec lui, et qu'ils ne sont pas une fin en soi, mais seulement un procédé de promotion publicitaire. Elle souligne que leur caractéristique première est la gratuité de la participation.

Elle rappelle ensuite le déroulement des opérations des jeux concours et précise qu'elle organise 2 fois par an une cérémonie officielle dite de " Remise des prix du Printemps et Automne " auxquelles elle convie à ses frais le gagnant des jeux clôturés le semestre précédent. Elle produit 2 attestations de son cabinet d'expertise comptable concernant les budgets affectés à ces jeux concours.

Il lui apparaît que ce procédé publicitaire est économiquement justifié et juridiquement licite puisque la participation est gratuite, sans obligation d'achat.

Elle rappelle que Madame Dupuis est sa cliente depuis 1994, qu'elle a passé 9 commandes pour 1 300 F et qu'elle a participé à 13 jeux à propos des jeux revendiqués par Madame Dupuis l'appelante fait valoir :

- sur le jeu " Sweptake anniversaire YG 94 " ce jeu a été clôturé le 30.06.95, organisé sur 2 tours dont la liste est rappelée aux documents publicitaires.

Elle rappelle les articles 7 et 8 ainsi que l'extrait du règlement et indiqué qu'au verso de la lettre personnalisée il est indiqué à plusieurs reprises l'existence d'un second tour doté du " grand prix de 250 000 F auquel le destinataire pourra participer en faisant retour de son bon de participation.

Il lui apparaît, en conclusion, que l'attribution des lots principaux dépend du tirage au sort, que sous réserve de faire retour des bons de participation chaque destinataire est certain de recevoir au titre du premier tour au moins 5 F, et chaque destinataire pourra également participer au second tour doté d'un prix unique de 250 000 F.

Elle ajoute qu'il ressort du Procès-verbal de constat du 16/02/95, que le numéro attribué par Madame Dupuis n'a pas été tiré au sort, de sorte qu'elle a bénéficié du prix de 5 F au titre du premier tour ;

- sur le grand jeu des 250 000 F (MY 6 94)

Ce jeu a été clôturé le 31/12/94, organisé du 2 tours dont la liste est rappelée aux articles 7 et 8 de l'extrait du règlement officiel, qui fait partie intégrante des documents publicitaires.

Elle rappelle les articles 7 et 8 et l'extrait du règlement.

Il lui apparaît en conclusion que l'attribution des lots dépend du sort ; que sous réserve de faire retour du bon de participation, chaque bénéficiaire est certain de recevoir au titre du 1er tour, au moins 5 F, et chaque destinataire pourra également participer au 2e tour doté d'une prix de 250 000 F.

Elle ajoute qu'il ressort du procès-verbal du constat du 17 novembre 1994, que le numéro attribué à Madame Dupuis n'a pas été tiré au sort, de sorte qu'elle a bénéficié du prix de 5 F au titre du 1er tour.

Abordant le litige, l'appelante soutient que l'ambiguïté d'un texte publicitaire et le risque d'erreur, doivent être appréciés in abstracto par référence au consommateur moyen normalement intelligent et attentif,

Sans se soucier in concreto du consommateur effectivement partie à l'instance.

Elle produit diverses décisions de jurisprudence à l'appui de sa thèse et demande la réformation.

Elle souligne que non seulement il n'y a pas de faute mais que de plus, il n'y a pas de préjudice indemnisable.

Elle ajoute que Madame Dupuis n'a fourni aucun justificatif à propos des réparations et que l'aurait-elle fait, un éventuel embellissement de sa maison n'est pas constitutif d'un préjudice ;

Elle voit mal quel préjudice pourrait résulter de l'organisation concours à participation gratuite et facultative.

Il lui apparaît que la juridiction n'a pas été saisie de bonne foi et elle sollicite la condamnation reconventionnelle de Madame Dupuis à lui payer 1 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, outre 5 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

Madame Dupuis conclut au contraire à la confirmation de l'analyse faite par le Tribunal, en constatant que les documents publicitaires qui lui ont été adressés constituent une tromperie de nature à l'induire en erreur et ne se conforme pas à l'article 121-36 du Code de la consommation.

Elle rappelle que le comportement commercial fautif de la société FDS a déjà été sanctionné par la Cour de Toulouse et par la Cour de cassation.

Selon elle, il convient de retenir en conséquence la responsabilité de FDS sur ces envois mensongers.

Elle demande qu'en conséquence sa créance soit fixée à 260 000 F correspondant d'une part, à la somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts et à la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 NCPC.

Elle expose que certaine d'obtenir 250 000 F elle n'a pas hésité à faire rénover des pièces de sa maison, en février et mars 1995 pour 108 575,92 F. Elle précise qu'elle était demandeur d'emploi et que le préjudice financier et moral qu'elle subit résultent directement des agissements de FDS, elle est fondée à demander sa condamnation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à 250 000 F.

Dans les conclusions d'appel additionnelles du 18/09/98, la société FDS appelante, Maître Ezavin et Maître Garnier, intervenants volontaires, il est précisé que par arrêt du 22/01/98, la Cour d'Aix-en-Provence a confirmé Maître Garnier, en qualité de représenté des créanciers et a désigné Maître Ezavin en qualité de Commissaire à l'exécution du plan. Il convient donc de lui donner acte de ce qu'il interviendra désormais en cette qualité de Commissaire à l'exécution du plan de la société France Direct Service.

Ainsi qu'elle en justifie, Madame Dupuis a déclaré sa créance à hauteur de 106 000 F, par lettre recommandée AC du 25/09/97, entre les mains de Maître Garnier représentant des créanciers de la société FDS.

A la fin de septembre 1994, l'intimée a reçu de nombreux documents publicitaires émanant de l'appelante et notamment un courrier intitulé " Bulletin de retrait du prix " officiel précisant ; " Félicitation ! " Oui c'est maintenant officiel, vous avez gagné un prix en espèces.

" Il n'y a ni astuces, ni tromperie, vous pouvez réclamer votre chèque immédiatement ".

A ce courrier était joint un fac similé de chèque d'un montant de 250 000 F, correspondant au gain du premier tour du grand jeu.

Il n'est pas contesté que Madame Dupuis ait retourné l'ensemble de documents nécessaires à l'obtention de ce chèque, y joignant également une commande de 194,60 F.

Il est encore établi, qu'en réponse à son précédent courrier, Madame Dupuis a reçu une nouvelle de FDS portant " Bon de réclamation de gains " et " Promesse de paiement en espèces, du 2e prix, dûment écrite en noir sur blanc au recto ".

De plus et ainsi que le souligne l'intimée cette lettre comportait une liste officielle des gagnants au nombre desquels figure, en toutes lettres, le nom de Madame Nicole Dupuis entouré d'un ovale noir, renvoyant par une flèche à un "Prix garanti jusqu'à 250 000 F, correspondant au 2e prix du grand jeu."

Dans cette lettre FDS poursuivait :

" Vous pouvez donc vous réjouir et laisser éclater votre joie, car le 2e prix vous est assuré, si vous répondez sous 10 jours ".

Enfin cette lettre était signée du directeur général, Christian Legrand, du directeur des gains Philippe Rivière et du directeur financier Michel Reisnier.

Madame Dupuis après avoir répondu dans le délai a reçu un autre fac-similé de chèque de 250 000 F et s'est strictement conformée aux indications données par FDS, pour recevoir son gain et a retourné une nouvelle commande de 215,50 F.

Aussi, est-il étonnant de constater que Madame Dupuis a reçu un nouveau courrier de FDS lui notifiant qu'elle avait gagné un prix en espèces et qu'elle ne l'avait pas encore réclamé, et qu'un chèque lui sera adressé si elle complète l'acte de réclamation figurant au dos de la lettre (n° 315485943).

Il est d'ailleurs établi que FDS a régulièrement adressé à Madame Dupuis des courriers pour qu'elle réclame son gain de 250 000 F, jusqu'au mois de mars 1993 ce que celle-ci n'a pas manqué de faire.

Il est d'ailleurs établi que FDS a régulièrement adressé à Madame Dupuis des courriers pour qu'elle réclame son gain de 250 000 F jusqu'au mois de mars 1993 ce que celle-ci n'a pas manqué de faire, accompagnant d'ailleurs régulièrement ses envois de nouvelles commandes, ainsi qu'elle y a été invitée, et convaincue que celles-ci ne feraient qu'accélérer la procédure de paiement. C'est ainsi que le septembre 1994 à mars 1995 elle passait commande pour un montant global de 1 538,10 F, sans pour autant recevoir le gain promis de 250 000 F et elle conteste fermement avoir reçu le moindre chèque de 5 F, contrairement à ce qu'affirme FDS, sans toutefois produire la moindre pièce justificative du paiement des dits chèques.

Ainsi qu'elle le souligne, Madame Dupuis, a pu dans ces conditions légitimement croire qu'elle avait effectivement gagné une somme de 250 000 F. En effet, FDS lui a explicitement rappelé qu'elle était gagnante de ce prix, qu'il lui suffisait de le réclamer, qu'un chèque de ce montant lui serait immédiatement envoyé. Au demeurant FDS n'a fait qu'authentifié ce gain en lui adressant un fac-similé de chèque de 250 000 F, prenant en outre le soin de préciser " il n'y a ni astuces, ni tromperie ".

De plus le nom de Madame Dupuis figurait sur la liste des 3 gagnants dont 2 avaient réclamé leur prix, alors que le prix de 250 000 F gagné par Madame Dupuis paraissait " non réclamé ".

L'ensemble de ces éléments était effectivement de nature à faire naître dans l'esprit de Madame Dupuis une fausse certitude, puisqu'elle recevait des documents parfaitement personnalisés, rédigés en termes affirmatifs, dénués de toute ambiguïté et la désignant comme gagnante avérée.

C'est également avec pertinence que l'intimée fait observer le nombre curieux du numéro de participants qui lui sont attribués et qu'elle souligne l'impossibilité qui en résultait pour elle de distinguer les différents jeux auxquels elle participait, puisqu'il lui était attribué un numéro de paiement différent sur chaque document émanant de FDS.

Il faut aussi noter que sur le même document figure au recto un bulletin de participation et au verso un bon de commande.

De plus Madame Dupuis n'est pas valablement démentie lorsqu'elle précise que la société FDS ne se contentait pas d'une simple incitation à la commande mais qu'elle assujettissait la réception du gain ou cadeau à la commande, de façon explicite, ainsi que le démontre les divers documents invoqués par Madame Dupuis dont elle reprend quelques passages.

Il résulte que FDS a su entretenir habilement une confusion entre la participation du jeu concours et la commande d'objet sur catalogue ce qui révèle un comportement fautif.

Il est ainsi établi, par l'ensemble des éléments de la cause, que Madame Dupuis légitimement convaincue de l'imminence de la perception du gain de 250 000 F, plusieurs fois officiellement annoncée, appuyée par la production du fac-similé de chèque correspondant au même montant, a pu entamer des travaux de restauration de son habitation. A cet égard, et contrairement à ce que soutient l'appelante, Madame Dupuis produit des factures d'un montant total de 108 575,82 F.

Or, ainsi qu'elle l'indique, Madame Dupuis demandeur d'emploi, depuis plus d'un an et demi, n'aurait pas entrepris de tels travaux et c'est bien le gain auquel elle pouvait légitimement croire et la somme dont elle pensait pouvoir rapidement disposer qui l'ont conduite à former, puis à réaliser ce projet de réparation.

Dans ces conditions, la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à 100 000 F le préjudice financier et moral subi par Madame Dupuis, résultant directement des agissements de FDS et dont elle est recevable à demander réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement déféré tout en tenant le jugement déféré tout en tenant compte de la procédure collective, d'allouer à l'intimée la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 et de condamner la société FDS aux dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier, le déclare mal fondé ; Confirme jugement du 08/04/97 ; Donne acte à Maître Ezavin de son intervention en qualité de Commissaire à l'exécution du plan et à Maître Garnier de son intervention en qualité d'administration ; Fixe aux sommes retenues par le tribunal les créances de Madame Dupuis , Fixe à 3 000 F (trois mille francs) la créance de Madame Dupuis au titre de l'article 700 NCPC ; Condamne la société France Direct Service aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Malet conformément à l'article 700 NCPC.