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Décisions

CA Versailles, 8e ch. corr., 20 septembre 1991, n° 601

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Union fédérale des consommateurs, Organisation générale des consommateurs, Association des consommateurs de Neuilly, Confédération syndicale du cadre de vie, Audouin, Arcamone, Bayle, Perruchon, Courdois, Durand, Grosmaire, Guyot, Huder (Epoux), Juvaux, Lievin, Masson, Metra, Peloille (Epoux), Purecek, Travers, Pichou, Rouvidant, Cantin, Jaspart, Le Mauff, George, Chevrier, Baumann, Léger, Bergues, Rousseau, Lahaye, Valton, Combe, Richard, Fratard, Machut, Rollez Plessis, Relo, Ruffier, Allais, Dehaudy, Fumery, Hautenne, Laprade, Levèque, Shwaller, Vervacke, Jacquot, Zouloumian, Guilbert, Frappart, Bourette, Louis, Durand, Dard, Taphanel, Boissy, Robert, Baudet, Rebai, Gardez, Boixadera, Haristoy, Landais, Blanquet, Attard, Crombez, Le Guen, Billy, Pontvianne, Bourdon, Joubert, Boehrer, Valognes, Schmitt, Aubspin, Gachet, Marteau, Guiguet, Sable, Hombert, Polvent, Richard, Galle, Riand, Pierret, Montanari, Pianelli, Porte, Metra, Chantry, Boisse, Lanier, Villard, Dedieu, Pierrot, Brunet, Garcia, Miart, Baghdad, Portmann, Souriac, Berger, Corlin, Van Wassenhove, Malherbe, Gout, Godard, Le Goff, Belliart, Delhaye, Sevenans, Boisseau, Fouasson, Lebrun, Cassin, Toulouse, Lasnier, Billaudel, Tuttin, Madeleine, Herelle, Guezard, Payan, Rausch

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sevenier

Conseillers :

MM. Marill, Limoujoux

Avocats :

Mes Aron, Auvinet-Rateau, Leone Crozat, Mouzon

TGI Nanterre, 15e ch. corr., du 13 mars …

13 mars 1990

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Par jugement en date du 13 mars 1990 le Tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné la jonction des procédures n° 891040047 (R5 Anniversaire) et n° 891040159 (Spécial gagnante).

- a relaxé Alain F du chef de loterie prohibée pour le jeu "la R5 Anniversaire";

- a déclaré Alain F coupable de l'infraction de loterie prohibée pour le jeu "Spécial Gagnante";

- l'a déclaré coupable du chef de publicité mensongère pour les jeux de "Spécial Gagnante" et "R5 Anniversaire";

- a déclaré la SA X civilement responsable;

- a condamné Alain F à la peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis et à 100 000 F d'amende;

- a ordonné la publication du présent jugement par extraits aux frais du condamné dans les journaux suivants: "Que choisir"; "50 Millions de consommateurs"; "Le Figaro"; le total des frais d'insertion des extraits fixés au maximum à 15 000 F;

- l'a condamné aux dépens.

Sur les intérêts civils:

- a rejeté les constitutions de parties civiles de l'association CNAPF Syndicales et des personnes suivantes:

Mmes Boisseau, Fouasson, Cassin, Haristoy, Bourdon, Godard, Richard, Pianelli, Metra, M. Lebrun.

- a reçu les autres parties civiles;

- a condamné Alain F et la SA X solidairement à payer à chacune des associations suivantes:

-- l'UFCS, l'Association des consommateurs de Neuilly, l'UFC, l'UFC de la Loire, la Confédération syndicale des familles, la confédération syndicale du cadre de vie, l'organisation générale des consommateurs, la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et de 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- à chacune des personnes suivantes:

-- Mmes Guezard, Gardez la somme de 500 F à titre de dommages-intérêts et 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- à chacune des personnes suivantes:

-- Mmes Allais, Dehavoy, Fumery, Hautenne, Jacquot, Laprade, Zouloumian, M. Levêque, M. Vervacke, Mlle Shwaller la somme de 500 F à titre de dommages-intérêts et 200 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- à chacune des parties suivantes:

-- Mmes Audouin, Arcamone, Bayle, Perruchon, A. Courtois, Durand, Grosmaire, Guyot, Huder, Juvaux, Lievin, Masson, Metra, Peloille, Purecek, Travers, Pichou, Rouvidant, Cantin, Jaspart, Le Mauff, George, Chevrier, Baumann, Léger, Bergues, Rousseau, Lahaye, Valton, Combe, Richard, Fratard, Machut, Rollez-Plessis, Relo, Ruffier la somme de 500 F à titre de dommages-intérêts et 100 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- à chacune des personnes suivantes:

-- Mmes Guilbert, Billaudel, Tuttin, Madeleine, Robert, Beaudet, Herelle, Rebai, Lasnier, Payan, Ravsch, Boixadera, Louis, Landais, Guen, Joubert, Valognes, Frappart, Blanquet, Billy, Pontvianne, Schmitt, Aubspin, Attard, Boisse, Villard, Lasnier, Dedieu, Pierrot, Brunet, Garcia, Bagdad, Portmann, Souriac, Dard, Berger, Corlin, Nassenhone, Legoff, Taphanel, Delhaye, Gachet, Guiguet, Sable, Hombert, Polvent, Galle, Riand, Pierret, Montanari, Porte, Sevenais, Mathis, Lecarpentier, Canu, Boissy,

-- MM. Bourette, Crombez, Boehrer, Miart, Hanny, Toulouse, Ronval,

-- Mlle Marteau

la somme de 500 F à titre de dommages-intérêts;

- a condamné Alain F aux entiers dépens de l'action civile.

Appels:

Appel a été interjeté par:

- Mme Paul Gardez, partie civile, le 21 mars 1990,

- Alain F, prévenu et X, civilement responsable, le 23 mars 1990,

- le Ministère public, le 23 mars 1990.

Décision:

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant publiquement, a rendu l'arrêt suivant:

Alain F est PDG de la société X, dont l'objet social est la vente de vêtements féminins spécialement de grande taille.

Exploitant un fichier de 800 000 noms environ, la société adresse à cette clientèle potentielle des catalogues et des courriers destinés à susciter des commandes. En outre, afin de stimuler les ventes, la société organise plusieurs fois par an des opérations publicitaires sous forme de loteries dont les gagnants sont d'ailleurs désignés d'avance par tirage au sort sous le contrôle d'un huissier.

Elle a ainsi lancé, en 1988, deux des ces opérations sous les noms de "Spécial Gagnante" d'une part, et de la "R5 Anniversaire" d'autre part.

Conçus en termes fallacieux, portant les destinataires à entendre qu'ils avaient gagné un lot important, les documents s'y rapportant devaient naturellement inciter à remplir le bon de commande joint à l'envoi, encore que la participation au tirage ne fût pas formellement subordonnée à une telle condition.

Les plaintes de personnes trompées et déçues ont afflué tant au Parquet de Nanterre qu'à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

F a été poursuivi au titre de chacune de ces deux opérations pour deux infractions dans chaque cas similaires:

- d'une part organisation de loterie prohibée,

- d'autre part, publicité de nature à induire en erreur.

En effet, dans l'opération dite "la R5 Anniversaire", les documents portaient en très gros caractères: "Il vous a été attribué le n° de la chance". "Retournez-nous immédiatement votre bon de commande et de participation pour savoir si vous avez gagné".

Il était joint un fac-similé de billet de chemin de fer que la cliente était invitée à compléter comme elle devait effectivement l'utiliser accompagné d'un libellé en fac-similé d'écriture manuscrite ainsi rédigé: "le règlement m'interdit de vous en dire plus". "Je joins une demande de titre de transport préétablie par nos soins, à remplir obligatoirement pour permettre à la gagnante de recevoir sa R5 tenue à sa disposition".

Un autre mot ajoutait: "chère Madame, le n° de chance qui vous a été attribué est possédé par la gagnante de la R5 de notre dernier jeu de la R5 Anniversaire".

Dans l'opération dite "Spéciale Gagnante", un "bon de commande et de participation", néanmoins sans obligation d'achat, portait en lettre de type manuscrit la mention "chère cliente, vous êtes l'heureuse gagnante d'un lot. Merci de me répondre dès aujourd'hui, pour me confirmer l'acceptation de votre lot accompagnée de l'une de vos photos et de l'autorisation de publication. Veuillez garder confidentielle cette nouvelle".

Ce document était accompagné d'un fac-similé de lettre manuscrite ainsi rédigé: "Chère madame, oui, je vous écris personnellement pour vous annoncer la bonne nouvelle.

"Vous êtes l'une des gagnantes du dernier jeu X.

"Oui, cette fois, vous avez réellement gagné un lot.

"Non, vous ne rêvez pas, aujourd'hui, la chance a vraiment sonné à votre porte.

"Je joins à cette lettre un bon de commande et de participation "Spécial Gagnante" que vous devez me retourner le plus rapidement possible, accompagné (conformément au règlement du jeu), d'une autorisation de publication.

"S'il vous plaît, ayez la gentillesse de nous joindre une de vos photos comportant au dos, vos nom et prénom.

"Faites le dès aujourd'hui: ce serait dommage de passer à côté d'un tel événement.

"S'il vous plaît, veuillez garder secrète cette information, vos amies, autour de vous ne peuvent pas toutes avoir la même chance.

"Je tiens une dernière fois à vous féliciter et j'attends votre réponse avec impatience".

A cette lecture était annexé un imprimé "à remplir obligatoirement et à joindre au bon de commande et de participation pour recevoir le lot".

Celui-ci offrait trois options:

- oui, je commande et participe,

- non, je ne commande pas, mais participe, j'ai la gentillesse de joindre 12 F de mise à disposition de mon lot (facultatif),

- oui, je commande, et ne veux pas recevoir mon lot.

Entendu le 3 mai 1989 par la police sur instructions du procureur de la République, Alain F s'est reconnu PDG de X et s'est reconnu civilement responsable, mais n'en a pas moins mis en cause le directeur du marketing Gilles G.

Précisément, G avait fait l'objet d'un procès-verbal pour infraction à l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, par la DGCCRF en raison de certains aspects du jeu "La R5 Anniversaire" tombant sous le coup des dispositions relatives à la publicité de nature à induire en erreur, les engagements pris par l'annonceur étant jugé fallacieux.

Invité à s'expliquer le 6 juin 1989, F s'est borné à répondre par lettre qu'il considérait qu'aucune des infractions reprochées n'avait été commise.

L'enquête a permis d'établir que les jeux s'étaient succédés par envois échelonnés pour "Spécial Gagnante":

- du 2 mars au 22 avril 1988,

et pour la "R5 Anniversaire":

- du 17 au 31 mai 1988.

Il a été relevé que néanmoins la date limite de réponse était la même, soit le 31 juillet 1988 pour les deux jeux ce qui créait un chevauchement que diverses prorogations ont accentué, alors que les destinataires étant dans les deux cas les mêmes, ce fait était de nature à leur faire supposer une corrélation qui n'existait pas.

Il a été donné satisfaction aux conclusions déposées par F à l'audience du 1er mars 1991, contestant la mention d'une condamnation effectivement portée par erreur au B1 de son casier judiciaire. Le nouveau bulletin ne porte mention d'aucune condamnation.

Par conclusions déposées à l'audience du 1er mars 1991 et 14 juin 1991 F organise ainsi sa défense:

1°) sur les poursuites en matière de loterie:

Sur la procédure, il fait valoir:

- des moyens de nullité déduits de l'irrégularité des poursuites au motif que la DGCCRF aurait procédé à une véritable enquête alors qu'elle n'avait pas compétence pour ce faire en la matière; elle aurait donc excédé ses pouvoirs et commis un détournement de procédure;

- une exception préjudicielle déduite de la législation communautaire au motif que l'interdiction des loteries serait plus apparente qu'effective et qu'elle serait contraire à la liberté d'établissement et à la libre circulation des personnes, des biens et des services.

Sur les éléments constitutifs de l'infraction, il soutient:

- qu'il n'y aurait pas eu d'offre faite au public,

- que le résultat des jeux n'aurait pas été laissé au hasard;

- qu'il n'aurait été demandé aucun sacrifice financier aux clientes pressenties;

Sur les demandes des parties civiles, il oppose:

- que par sa nature même, la législation du 21 mai 1836 exclurait toute possibilité de constitution de partie civile puisqu'elle énonce une prohibition dans un but de protection de l'ordre social et non d'intérêts particuliers,

Il demande donc l'annulation de la procédure, sa relaxe, le rejet des constitutions de parties civiles et subsidiairement la consultation de la Cour des Communautés européennes.

2°) sur les poursuites en matière de publicité:

- des moyens de nullité déduits de celle des procès-verbaux établis par la DGCCRF qui n'aurait rédigé qu'un procès-verbal de synthèse après plusieurs investigations faites à des dates distinctes, alors qu'il aurait dû être établi un procès-verbal séparé pour chacune des constatations effectuées;

- l'inapplicabilité du texte invoqué aux actes s'agissant non d'opérations de vente, mais d'une distribution de cadeaux sans contrepartie;

Sur le fond, il soutient:

- quant à l'opération "Spécial Gagnante",

qu'aucun élément ne permet à la clientèle de se faire la moindre idée de l'importance du lot qui peut lui être attribué; qu'en l'espèce, le bénéfice d'un lot n'était pas hypothétique;

que la poursuite ajoute au document envoyé des éléments qui n'y figurent pas;

- quant à l'opération "R5 Anniversaire",

que les documents envoyés comportent également une infirmation normale sur les conditions du jeu; qu'il n'y apparaît rien qui soit de nature à induire en erreur;

qu'aucune pièce ne permet de concrétiser la thèse d'un chevauchement des messages propres à chacun des deux jeux qui se sont succédés dans le temps.

Il demande donc l'annulation de la procédure, sa relaxe et le rejet de constitution de parties civiles;

Les parties civiles demandent respectivement:

- l'UFCS, l'ACN, l'ORGECO et Mme Guezard, confirmation du jugement;

- la CSCV et 37 autres personnes physiques:

60 000 F pour la CSCV et 8 000 F pour chacune des personnes physiques à titre de dommages-intérêts;

6 000 F pour la CSCV et 1 000 F pour chacune des personnes physique au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

des mesures de publication, des intérêts de droits, la condamnation de F sous astreinte d'avoir à cesser de tels jeux.

- Pierre Boherer, confirmation du jugement et 2 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- Mme Gardez: 20 000 F de dommages-intérêts et 4 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

La CSCV et les 36 personnes physiques concluant ensemble avec elle font remarquer que F discute en vain l'existence ou non d'un sacrifice pécuniaire de la part de la clientèle, l'article 2 de la loi du 28 mai 1836 interdisant purement et simplement "toutes opérations offertes au public sous quelque dénomination que ce soit pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait acquis par la voie du sort".

L'UFCS, l'ACN, ORGECO et Mme Guezard font remarquer que l'impact de tels jeux sur le chiffre d'affaires est de l'ordre de 20 % d'augmentation.

Par conclusions déposées à l'audience du 14 juin 1991, F réplique:

- que les parties civiles non appelants sont irrecevables à formuler des prétentions excédant ce qu'elles ont obtenu devant le tribunal;

- qu'il ne peut être demandé d'injonction sous astreinte d'avoir à respecter la loi;

- que la CSCV et les 36 personnes physiques concluant ensemble avec elle ne peuvent invoquer la loi n° 89-421 du 23 janvier 1989, qui ne peut disposer que pour l'avenir et ne saurait avoir d'effet rétroactif.

A l'audience de la cour, F confirme que les jeux ont été diffusés à environ 800 000 exemplaires, que les lots attribués aux clientes de "Spécial Gagnante" n'excédaient pas 4 F et que le coût cumulé des documents et de leur expédition était du même ordre. Il précise encore que dans le jeu "La R5 Anniversaire" le coût de la voiture était de 50 000 F à 55 000 F, celui des téléviseurs de 5 000 F environ chacun et que les trois pendentifs lui étaient revenus à 150 à 200 F pièce, soit un investissement total de 60 450 F à 65 600 F sans préjudice des frais de la campagne soit, comme dans l'autre jeu environ 800 000 x 4 = 3 200 000 F. Il affirme que ces opérations ont été en définitive déficitaires.

Le Ministère public requiert confirmation du jugement.

Les parties civiles développent leurs conclusions.

Certaines réclament la restitution de la photo qu'elles avaient envoyée.

F répond que c'est matériellement impossible; il précise en avoir reçu environ 40 000.

Il persiste à demander sa relaxe et le débouté des parties civiles.

Sur la procédure:

L'enquête effectuée par la DGCCRF en matière de publicité mensongère et dont la légalité n'est pas contestable, a été, pour cette administration, l'occasion de la découverte d'une autre infraction dont il lui appartenait de rendre compte au procureur de la République comme l'a, avec raison, relevé le tribunal.

Il convient de remarquer que les documents se rapportant à cette dernière infraction sont intitulés "Rapport" et non "PV d'enquête" et que s'il a été employé, par commodité, des imprimés classiques dits "annexe au PV" sans correction de cette mention, ce seul fait ne saurait suffire à caractériser le document principal en tant que PV. En outre, lesdits rapports n'ont, à aucun moment été utilisés en tant que PV d'infraction.

C'est donc un moyen inopérant de défense que de soutenir qu'il y aurait eu en l'espèce un détournement de procédure alors que l'administration n'a fait que satisfaire à un devoir normal qui lui incombait en vertu des dispositions de l'article 40 al. 2 du Code pénal étant précisé que "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux, et actes qui y sont relatifs".

Le procès-verbal d'infraction relatif à la publicité mensongère a été établi dans les délais normaux le 2 août 1988 et relate parfaitement les opérations effectuées les 11 et 28 juillet précédents et c'est encore un abus que de soutenir qu'il aurait dû être établi un procès-verbal par opération alors que rien dans les textes ne pose une telle exigence ni a fortiori n'édicte aucune nullité pour un tel motif. Il n'est d'ailleurs allégué aucun grief de ce chef, en raison d'aucune inexactitude, omission ou dissimulation.

Les rapports relatifs aux infractions de loterie sont en date des 15 et 29 juillet 1988 et ont été établis comme le prescrit la loi, dans les plus brefs délais. On ne saurait leur reprocher d'être circonstanciés comme le prescrit le texte de l'article 40 du Code pénal.

Quant à l'inapplicabilité du texte relatif à la publicité mensongère aux prétendus jeux, "s'agissant non d'opérations de vente, mais de distribution de cadeaux sans contrepartie", c'est vraiment pousser la notion du mécénat très loin alors que ces libéralités supposées étaient proposées dans le cadre d'une opération de promotion des ventes et que les bons de participation aux prétendues jeux étaient accompagnés d'un catalogue et de bons de commande.

Enfin il ne peut être raisonnablement soutenu que la loi du 21 mai 1836 serait contraire à la législation communautaire en tant qu'elle porterait atteinte "à la libre circulation des personnes des biens et des services" ou au principe de libre établissement. En vain cherche-t-on un quelconque rapport entre une loterie et ces notions, étant observé que, pour la circonstance, les opérations précédemment niées en tant qu'actes commerciaux sont ici posées comme telles. Il ne s'agit, en fait, que de procédés d'ailleurs inacceptables.

Au regard d'une telle évidence, il apparaît tout à fait inutile de consulter la Cour de justice européenne.

Sur le fond:

1°) en ce qui concerne les loteries:

F soutient inexplicablement qu'il n'y aurait pas eu d'offre faite au public alors que les documents des jeux incriminés ont été envoyés à 800 000 personnes sans doute nommément, mais à partir d'un fichier de clientèle excluant toute notion de relation privée.

Il affirme encore contre l'évidence la plus objective des choses que le résultat des jeux n'aurait pas été laissé au hasard alors qu'il indique lui-même qu'il avait été procédé à un pré- tirage où seul le sort aurait déterminé les noms des gagnantes.

Quant à dire qu'aucun sacrifice financier n'aurait été demandé à la clientèle ainsi pressentie, il soutient avec raison qu'on ne saurait, en l'état de la législation au moment des faits qui lui sont reprochés, considérer les frais postaux afférents aux correspondances inchangées à l'occasion des jeux comme constitutifs d'aucune contrepartie propre à lui bénéficier, non plus que les frais justifiés relatifs au remboursement des lots.

Toutefois il convient de retenir que dans le jeu "Spécial Gagnante" il était habilement demandé aux clientes "d'avoir la gentillesse" d'envoyer 12 F à titre de participation aux frais d'envoi. En fait, cela revenait à faire largement acquitter par les personnes sollicitées la plus grande partie des frais de la campagne publicitaire, les frais d'envoi ne s'élevant qu'au tiers de cette somme. Tandis que le colifichet envoyé était d'une valeur infime. Dans ce cas, il y avait bien un sacrifice pécuniaire et au profit de l'entreprise.

Cependant ces appréciations ne viennent que surabondamment caractériser l'infraction au regard des termes de la loi du 21 mai 1836 dont l'article 1 pose le principe: "les loteries de toute sorte sont prohibées" et dont l'article 2 est ainsi rédigé "sont réputés loteries et interdites comme telles: ... toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait acquis par la voie du sort".

L'infraction est donc parfaitement établie tant dans le jeu dit "Spécial Gagnante" que dans celui de "La R5 Anniversaire".

2°) en ce qui concerne la publicité mensongère:

Dans le jeu "La R5 Anniversaire":

Le procès-verbal de la DGCCRF relève que les plaintes comportent le grief du sous-entendu du gain d'un lot important (R5, téléviseur, bijou de valeur) associé au catalogue printemps-été 1988 duquel il fallait, pour participer à la loterie, détacher deux vignettes.

Le dépliant publicitaire porte d'ailleurs au verso un bon dit "de commande et de participation".

Ces éléments ne laissant planer aucun doute sur le caractère publicitaire de l'opération.

La tromperie résulte de la rédaction des documents et de leur présentation.

Il résulte de la tautologie calculée "le n° de chance qui vous a été attribué est possédé par la gagnante de la R5 de notre denier jeu "La R5 Anniversaire" une incitation évidente à se prendre pour cette heureuse gagnante, d'autant que le billet de chemin de fer à remplir et à renvoyer "obligatoirement" pour permettre à la gagnante de recevoir sa R5 tenue à sa disposition" complète l'illusion non sans comporter d'autres tautologies destinées à parfaire l'erreur. Or, cette demande de renvoi du titre de transport est d'une mauvaise foi d'autant plus certaine que X connaissait le nom des gagnantes dès le pré-tirage.

Cette publicité est donc bien de nature à tromper sur la portée des engagements pris par l'annonceur, en ce que celui-ci associe à son catalogue, pour inciter à la commande, l'illusion d'une libéralité importante. Le calcul repose sur l'idée très fondée qu'au regard d'un tel avantage, la cliente sera incitée à la dépense et sera en outre très reconnaissante à l'entreprise.

Dans le jeu dit "Spécial Gagnante":

Une association similaire du catalogue et du jeu démontre de même que dans le cas précédent le caractère publicitaire de l'opération.

Encore qu'en l'espèce, l'obtention d'un lot fût certaine, il ne s'agissait que d'un bijou de pacotille ne valant que quelques francs. La tromperie ne porte donc pas sur la réalité du lot, mais sur la suggestion insistante qu'il était d'importance:

"non, vous ne rêvez pas ! ... vous êtes l'une des gagnantes .

"veuillez garder secrète cette information.

"je tiens à vous féliciter.

"ayez la gentillesse de nous joindre une de vos photos.

une autorisation de publication de la photo était à remplir par la cliente "à titre de témoignage"; et bien entendu, à cette libéralité était associée une remise de 50 F "à déduire immédiatement" de la commande, une belle occasion de feuilleter à nouveau votre catalogue anniversaire printemps-été 1988".

Bien que le procédé diffère légèrement, le raisonnement à l'annonceur est évidemment le même que dans le cas précédent.

La notion de rêve, l'appel au secret, l'illusion créée d'être une élue privilégiée, les félicitations d'un personnage important de la direction, la demande d'une photo assortie d'une autorisation de publication dans le catalogue "à titre de témoignage" sont autant d'incitations à croire à un événement exceptionnel au point qu'il ne manquerait même pas d'être publié.

Là encore, la cliente est induite inéluctablement en erreur sur la portée des engagements pris par l'annonceur et donc selon les prévisions de celui-ci, portée à passer commande dans l'idée d'une large compensation résultant d'un lot mirobolant.

Les infractions sont donc clairement caractérisées sans que l'argumentation de F puisse en rien être retenue, les éléments de nature à induire en erreur n'étant contestés qu'au prix d'une logomachie laborieuse et manifestement contraire au bon sens élémentaire, tandis que l'association de cette forme de publicité à la vente est d'une évidence criante.

Le chevauchement des deux jeux et l'insistance apportée à faire accroire, dans "Spécial Gagnante" qu'il a été obtenu un lot important entrerait bien dans la dialectique à base de confusion et d'équivoque propre au procédé employé dans les jeux incriminés. Toutefois, aucune insistance n'est apportée à créer l'illusion d'une corrélation entre les jeux. Il serait donc excessif de déduire de la seule coïncidence de ces dates un élément frauduleux.

Le tribunal a donc exactement apprécié les faits et la culpabilité et il a fait de la loi pénale une juste application étant en outre observé que des mesures de publications sont en pareil cas particulièrement opportunes.

Sur les demandes des parties civiles:

Les constitutions de parties civiles de l'UFCS, de l'ACN, d'ORGECO et de la CSCV sont recevables et bien fondées.

Celles des personnes physiques intervenues en première instance également.

F oppose en vain que la loi du 21 mai 1836 aurait pour but la protection de l'ordre social et non celui de personnes privées. Cette affirmation, qui pose une incompatibilité inexplicable entre les objectifs poursuivis par les dispositions pénales en tant qu'elles sont destinées à assurer l'ordre social et la protection des personnes privées qui cependant constituent la société, est en contradiction avec les termes de l'article 2 du Code de procédure pénale qui dispose que "l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit, ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction".

Il n'y a pas lieu de reconsidérer les indemnisations accordées tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales, par le tribunal que F ne discute pas autrement.

Par ailleurs, aucune des prétentions des parties civiles non appelantes excédant ce quelles ont obtenu du tribunal n'est recevable.

La situation de Mme Gardez, seule appelante, ne différant en rien de celle des autres personnes privées, n'appelle aucune modification en l'absence de tout élément nouveau de nature à faire reconsidérer le jugement en ce qui la concerne.

En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge des parties civiles les frais de procédure qu'elles ont dû exposer en cause d'appel mais qui doivent être ramenées à de plus justes proportions.

Il convient donc d'attribuer au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale:

- à la CSCV la somme de 3 000 F;

- à chacune des 36 personnes physiques ayant conclu ensemble avec elle, 100 F;

- à Mme Gardez: 2 000 F,

- à M. Boherer: 2 000 F.

Enfin, aucune des constitutions de parties civiles intervenue pour la première fois en cause d'appel n'est recevable.

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de F, de X, UFC, ORGECO, UFCS, ACN, CSCV, Gardez Paule, Louis Jeanne, Robert Christiane, Mmes Pierrot, Billaudel, Frappart, Georges, Durand Luba, Boissy, Dard Nicole, Taphanel, Guiguet, Bourette, Beaudet, Rebai, Allais, Dehaudy, Fumery, Hautenne, Laprade, Lever, Shwaller, Vervacke, Jacquot, Zouloumian, Guilbert, Audouin, Arcamone, Bayle, Perruchon Courtois, Durand Henriette, Grosmaire, Guyot, M. et Mme Huder, Mmes Juvaux, Lievin, Masson, Metra, M. et Mme Peloille, Mmes Purecek, Travers, Pichou, Rouvidant, Cantin, Jaspar, Le Mauff, Georges, Chevrier, Baumann, Léger, Bergues, Rousseau, Lahaye, Valton, Combe, Richard, Fratard, Machut, Rollez Plessis, Relo, Ruffier, Boherer et par défaut à l'égard des autres parties: Dit les appels recevables: Rejette les conclusions de F et de X; Rejette les conclusions de Mme Gardez en ce qu'elles tendent à l'augmentation de son indemnisation telle qu'appréciée par le tribunal; Rejette les conclusions de la CSCV et de Mmes Andouin, Arcamone, Bayle, Perruchon, Courtois, Henriette Durand, Grosmaire, M. et Mme Pellille, Mmes Purecek, Travers, Pichou, Rouvidant, Cantin, Jaspart, Le Mauff, Georges, Chevrier, Baumann, Léger, Bergues, Rousseau, Lahaye, Valton, Combe, Richard, Fratard, Machut, Rollez-Plessis, Relo, Ruffier, en ce qu'elle tendent à l'augmentation de leur indemnisation telle qu'appréciée par le tribunal et à obtenir contre F et X une injonction sous astreinte; Faisant droit aux conclusions de l'UFCS, de l'ACN, de l'ORGECO et de Mme Guezard ainsi que de M. Boherer; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré; Y ajoutant, condamne F et X à payer au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale: - à la CSCV: 3 000 F, - à Mmes Andouin, Arcamone, Bayle, Perruchon, Courtois, Durand, Grosmaire, Guyot, M. et Mme Huder, Mmes Juvaux, Lievin, Masson, Metra, M. et Mme Peloille, Mmes Purecek, Travers, Pichou, Rouvidant, Cantin, Jaspart, Le Mauff, Georges, Chevrier, Baumann, Léger, Bergues, Rousseau, Lahaye, Valton, Combe Richard, Fratard, Machut, Rollez Plessis, Relo, Ruffier, ayant conclu ensemble avec celle-ci: 100 F, - à Mme Gardez: 2 000 F, - à M. Boherer: 2 000 F; Dit irrecevable la demande de majoration de son indemnisation formée par Mlle Louis, non appelante; Condamne solidairement F et X aux dépens liquidés à la somme de 24 690,51 F.