Livv
Décisions

CA Besançon, ch. corr., 28 mai 1996, n° 323

BESANÇON

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Waultier

Conseillers :

MM. Garrabos, Perron

Avocat :

Me Doussot.

TGI Montbéliard, ch. corr., du 12 mai 19…

12 mai 1995

Par déclaration du 17 mai 1995, le Ministère public a régulièrement interjeté appel d'un jugement rendu le 12 mai 1995 par le Tribunal correctionnel de Montbéliard, qui a:

Sur l'action publique:

- rejeté la question préjudicielle,

- renvoyé M. Alain D des fins de la poursuite sans peine ni dépens,

- mis la société X hors de cause

1°- Procédure et prétentions des parties

M. Alain D, régulièrement cité à personne, présent et la SA X, civilement responsable de M. D, régulièrement citée à personne qualifiée, représentée, sollicitent la confirmation de la décision déférée sur la relaxe prononcée à l'encontre de M. D et la mise hors de cause de la société X.

Le Ministère public requiert l'infirmation de la décision, de déclarer M. D coupable de l'infraction reprochée, de le condamner à 25 000 F d'amende, de prononcer la publication de la décision à intervenir et de déclarer la SA X civilement responsable de son préposé.

2°- Prévention

M. D est prévenu d'avoir à Audincourt (25), en octobre 1993, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les conditions d'octroi d'un lot, en l'espèce un téléviseur, d'un bien ou d'un service,

fait prévu et réprimé par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al.1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation;

3°- Discussion

A - Exposé des faits

Le 12 janvier 1994, Franck Gérard déposait plainte à l'encontre de la société X, sous l'enseigne Y pour les faits suivants: Mme Franck Gérard avait reçu courant octobre 1993 une correspondance de cette société lui annonçant qu'elle venait de gagner un téléviseur couleur; il était indiqué que Mme Gérard était invitée à participer à un jeu gratuit sans obligation d'achat, doté de 20 téléviseurs Schneider d'une valeur de 3 990 F chacun, qu'une enveloppe scellée lui était attribuée personnellement contenant soit un rouleau blanc, soit un rouleau bleu; que " pour les possesseurs d'un rouleau blanc, c'était malheureusement perdu " mais que les gagnants des 20 téléviseurs trouveront dans leur enveloppe un rouleau bleu sur lequel figure le numéro désigné gagnant compris entre 1 et 20, qu'un huissier avait lui-même collé sur la notice technique du téléviseur; qu'ainsi " si vous avez ce rouleau bleu gagnant, vous venez de gagner un des 20 téléviseurs Schneider ".

M. Gérard au nom de son épouse estimait avoir légitimement gagné l'un des 20 téléviseurs en jeu, pour avoir trouvé un rouleau bleu et avoir été informé qu'il venait de gagner un téléviseur.

M. V, responsable du marketing de la société X déclarait:

- qu'il s'agissait en réalité d'une loterie avec pré-tirage, par Me Berna, huissier de justice, qui avait tiré au sort les gagnants des 20 téléviseurs avant l'envoi des documents, tenu au secret jusqu'à la clôture du jeu le 30 novembre 1993 et que ces dispositions étaient contenues dans le règlement complet annexé à la lettre adressée à M. Gérard;

- que si dans la correspondance il est écrit " Oui, si vous avez ce rouleau bleu gagnant, vous venez de gagner un des vingt téléviseurs Schneider ", il était indiqué deux lignes au-dessus " un rouleau bleu sur lequel figure le numéro gagnant compris entre 1 et 20 que Me Berna a lui-même collé sur la notice technique du téléviseur ";

- que dans l'attestation de l'huissier de justice produite par M. Gérard, il est bien certifié le collage sur les 20 notices techniques de téléviseur Schneider 20 rouleaux bleus authentifiés par le numéro gagnant;

- que seul le n° 19 avait été tiré au sort, qu'ainsi les possesseurs de rouleaux bleus porteurs du n° 19 gagnaient seuls les 20 téléviseurs,

- que M. Gérard qui, s'étant vu attribuer le n° 11, ne pouvait prétendre à cette attribution n'ayant été informé que de sa sélection à concourir.

M. D, directeur de marketing confirmait les déclarations de M. VV, et assumait son éventuelle responsabilité pénale.

Le Service de la Répression des fraudes estimait que les faits relatés étaient susceptibles de constituer l'infraction de publicité de nature à induire en erreur car la publicité relative à ce jeu était difficilement compréhensible, tout consommateur ayant reçu un rouleau bleu était fondé à penser qu'il avait gagné un téléviseur, les précisions figurant au règlement n'étaient pas de nature à le détromper, étant écrites en style volontairement confus et qu'il pouvait être compris que seuls 20 des concurrents ayant un rouleau bleu gagnaient un téléviseur.

B - Décision

Il résulte de la procédure et des débats:

- que Mme Gérard a reçu en octobre 1993 une correspondance nominative avec enveloppe dite scellée comportant l'indication " si elle contient un des 20 rouleaux bleus gagnants collé par l'huissier de justice lui-même, c'est gagné, l'un de 20 téléviseurs Schneider est à vous " ... " Y a le plaisir de vous inviter à participer à ce jeu gratuit sans obligation d'achat, doté de 20 téléviseurs Schneider 55 cm, d'une valeur de 3 990 F chacun ! pour les possesseurs d'un rouleau blanc, c'est malheureusement perdu ! par contre, les gagnants des 20 téléviseurs trouveront dans leur enveloppe un rouleau bleu sur lequel figure le numéro désigné gagnant compris entre 1 et 20 que Me Berna, huissier de justice a lui-même collé sur la notice technique du téléviseur. Oui, si vous avez ce rouleau bleu, vous venez de gagner un des 20 téléviseurs Schneider 55 cm ! Dans ce cas pour permettre d'engager immédiatement la procédure d'enregistrement, nous avons obligatoirement besoin de votre propre validation. Pour cela renvoyez-nous collée sur votre bon de participation la vignette dûment remplie de la garantie de mise à disposition. Ce document apporte aux 20 gagnants la garantie absolue de la livraison des téléviseurs à dater du 1er janvier 1994 ";

- que les documents adressés à Mme Gérard, au caractère publicitaire évident pour invitation répétée à commander des articles de l'enseigne Y, ont une seule personnalisation informatique et font partie en mêmes termes d'une large diffusion dans le cadre d'une opération commerciale; dès lors il ne saurait s'agir d'un courrier personnel mais bien d'une publicité générale;

- que les termes contenus dans la lettre d'accompagnement sus-énoncée, apparaissent à la lecture par un consommateur moyen comme l'information du gain d'un des 20 postes de télévision, indication reprise à plusieurs reprises avec la caution d'un huissier de justice, alors que le renvoi de la validation ne permettait que la mise à disposition d'un des téléviseurs mis en jeu;

- que ce document ne comporte aucunement l'indication du report de lecture du règlement complet du jeu, et notamment à ses articles 6, 7 et 8, règlement qui figure en petits caractères au dos de la pochette plastique de l'enveloppe fermée, et de par sa nature destinée à être déchirée et délaissée;

- que M. Gérard qui s'était vu attribuer le n° 11, compris entre les numéros 1 et 20, pouvait légitimement penser à la lecture des documents au caractère trompeur, être le gagnant d'un des 20 téléviseurs en jeu, alors qu'il n'était pas stipulé qu'un tirage au sort serait effectué ultérieurement pour tous les possesseurs de rouleaux de couleur bleue;ces documents confus étant de nature à induire en erreur le plaignant sur sa qualité de gagnant;

- que le tribunal ne pouvait retenir que M. Gérard n'aurait pu être trompé du fait qu'il n'avait souscrit aucune commande et que le caractère mensonger ne pouvait être apprécié que dans le cadre de la vente de ses produits du fait que ce jeu était stipulé gratuit et sans obligation d'achat.

Dès lorsque la société X a bien usé d'une publicité comportant des présentations de nature à induire en erreur; qu'il appartenait à ses dirigeants de s'assurer, à supposer la pratique non délibérée, que la publicité ne pouvait être faussement interprétée, et que le délit comporte un élément intentionnel résultant même d'une simple négligence, il convient d'infirmer la décision déférée, de déclarer M. D coupable de l'infraction reprochée et de dire la SA X civilement responsable.

Au regard de la nature des faits reprochés, et de l'absence d'antécédent judiciaire, il y a lieu de ne prononcer qu'une peine d'amende, mais d'ordonner la publication de la présente décision dans un journal régional.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de toutes les parties, Déclare l'appel recevable, Infirmant le jugement entrepris, Déclare M. D coupable de l'infraction reprochée, En répression, le condamne à vingt mille francs d'amende (20 000 F), Ordonne la publication par extrait de la présente décision, aux frais du condamné, dans le journal l'Est Républicain en caractères standards et dit que le coût de cette publication ne devra pas dépasser la somme de 4 000 F, Dit la société X, civilement responsable, Constate que M. D est redevable d'un droit fixe de procédure de 800 F auquel est assujetti le présent arrêt.