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Décisions

CA Pau, 1re ch., 21 juin 2000, n° 2760-00

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société des Travaux du Bâtiment Bascolandais (SARL), Abbadie (ès qual.)

Défendeur :

Batailler (époux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simonin

Conseillers :

Mme Massieu, M. Petriat

Avoués :

SCP Longin C., P., SCP de Ginstet-Duale

Avocat :

Me Cousi-Lete.

TGI Bayonne, du 9 juill. 1996.

9 juillet 1996

Attendu que les époux Batailler ont assigné devant le Tribunal de grande instance de Bayonne, la SARL Société de Travaux du Bâtiment Bascolandais (STBB) "Les Demeures de la Côte d'Argent" pour avoir restitution de la somme de 39 900 F outre accessoires, suite à la résiliation de deux contrats signés les 13 mai et 10 juin 1995 pour des travaux de rénovation d'un appartement;

Attendu que par jugement du 9 juillet 1996, le tribunal a fait droit à l'action des époux Batailler;

Attendu que sur appel de la Société de Travaux du Bâtiment Bascolandais (STBB), la cour de céans a rendu le 12 mars 1998 un arrêt par lequel elle:

- infirme le jugement en ce qu'il a retenu l'application des articles L. 331-2 et L. 331-16 du Code de la consommation,

- dit que la résiliation du marché du 10 juin 1995 est intervenue à l'initiative des époux Batailler, au sens de l'article 1794 du Code civil et de la clause n° 14 du contrat,

- avant dire droit sur la demande de restitution de la somme de 39 300 F des époux Batailler, sur le montant de l'indemnité de résiliation et sur les demandes de dommages et intérêts de la STBB, a invité les parties à s'expliquer sur la licéité des modalités de calcul de l'indemnité de dédit, au regard de l'article 1134 du Code civil et de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, et a invité les parties à produire les pièces justificatives de leurs préjudices;

Attendu que Maître Abbadie, ès qualité, réclame:

- 39 300 F, déjà versée par les époux Batailler lors de la signature de l'acte;

- 78 721,55 F en application de l'article 14 du contrat du 10 juin 1995;

- 20 000 F de dommages et intérêts "complémentaires" en réparation du "préjudice matériel et financier subi du fait de l'attitude parfaitement fautive" des époux Batailler;

- 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

(conclusions du 21 octobre 1999).

Attendu que les époux Batailler ont conclu:

- au caractère abusif de la clause n° 14 du contrat,

- subsidiairement à l'inapplicabilité en l'espèce de l'article 1794 du Code civil, le marché ne pouvant recevoir le caractère de marché à forfait au sens de l'article 1793 du Code civil,

- au débouté de Maître Abbadie, faute de justification du préjudice,

- à la condamnation de Maître Abbadie à leur payer 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

(conclusions du 24 janvier 2000).

Attendu qu'il convient de rappeler que pour la "réhabilitation complète d'un appartement à deux niveaux sis 1, impasse Fontaine Marron 64200 Biarritz", les époux Batailler ont signé deux contrats identiques:

- le 13 mai 1995,

- le 10 juin 1995,

et versé un acompte de 39 300 F.

Attendu que les parties indiquent dans leurs écritures qu'elles auraient renoncé au premier contrat;

Attendu que l'article 14, intitulé "résiliation" est ainsi rédigé :

"En dehors du cas prévu à l'article 12, la résiliation du marché à l'initiative du Maître de l'ouvrage, donnera lieu à une indemnisation au profit de l'entreprise, déterminée dans les conditions prévues à l'article 1794 du Code civil, sans pouvoir être inférieure à 20 % de la valeur du présent contrat.

Les sommes déjà versés étant acquises à l'entreprise, en sus de cette indemnité, le maître de l'ouvrage devra la prochaine tranche de paiement en cours et non encore émise";

Attendu que l'article 12 règle les conditions suspensives et il est étranger au présent débat;

Attendu que l'article L. 132-1 du Code de la consommation sur l'application duquel les parties ont été invitées à débattre dispose en son alinéa 1, que:

"Dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels, ou consommateurs, sont abusives des clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Que l'alinéa 3 dispose que:

"Une annexe au présent Code comprend une liste indicative et non exhaustive des clauses qui peuvent être regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions posées au premier alinéa. En cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le demandeur n'est pas dispensé d'apporter la preuve du caractère abusif de cette clause";

Que l'alinéa 6 de ce texte dispose que "les clauses abusives sont réputées non écrites";

Attendu que l'annexe visée au 3ème alinéa énumère les clauses pouvant être regardées comme abusives et cite notamment:

- "celle ayant pour objet ou effet de permettre au professionnel de retenir les sommes versées par le consommateur lorsque celui-ci renonce à conclure ou à exécuter le contrat, sans prévoir, pour le consommateur, de percevoir une indemnité d'un montant équivalent de la part du professionnel lorsque c'est celui-ci qui renonce".

Attendu que dans sa recommandation de synthèse n° 91-02, la Commission des clauses abusives recommande que soient présumées abusives les clauses, contenues dans les contrats proposés par les professionnels ou non professionnels :

- qui autorisent le professionnel à conserver des sommes versées par le non professionnel ou le consommateur, lorsque celui-ci renonce à conclure ou à exécuter le contrat, sans prévoir que lesdites sommes seront restituées au double si le professionnel fait de même,

- qui déterminent le montant de l'indemnité due par le non professionnel qui n'exécute pas ses obligations sans prévoir une indemnité de même ordre à la charge du professionnel qui n'exécute pas les siennes.

Attendu que le contrat du 10 juin 1995 ne contient aucune disposition pour le cas où la STBB renoncera à exécuter ou poursuivre ses obligations;

Attendu qu'il crée ainsi un déséquilibre au détriment des époux Batailler non professionnels et au profit de la STBB, professionnel;

Attendu que pour maintenir sa demande en paiement de:

- 39 300 F, montant de l'acompte versé par les époux Batailler lors de la conclusion du contrat,

- 78 721,55 F correspondant à 20 % du marché,

Maître Abbadie se fonde exclusivement sur l'article 14 du contrat, et pour démontrer qu'il ne s'agit pas d'une clause abusive, soutient que les sommes correspondent à la rémunération d'un travail "considérable" de négociation du marché, de rendez-vous multiples auprès de l'organisme bancaire, de "plans" et de "visite" des lieux, "travail complet qui s'est étalé sur plusieurs mois" ;

Attendu que les démarches commerciales et bancaires ne sont attestées par aucun document;

Attendu qu'au contrat du 10 juin 1995, est annexée une notice descriptive des travaux, ne comportant ni métré ni détail des prix et un plan sommaire d'un appartement dont la provenance n'est pas précisée ; que ces documents ne sauraient justifier le travail "considérable" allégué par la STBB;

Attendu que le devis de la société Artiba produit par les époux Batailler est présenté de manière différente et en l'état, la cour n'est pas en mesure de contrôler, comme le soutiennent les époux Batailler, qu'il aurait servi de modèle au travail de la STBB ;

Attendu en tout cas que celle-ci ne démontre pas avoir exécuté des travaux pour la somme globale de (39 300 F + 78 721,55 F) 118 021,55 F ;

Attendu que les travaux réalisés pour le compte des époux Batailler dans le cadre d'autres chantiers, ne peuvent servir de justification à la présente prétention de Maître Abbadie;

Attendu que Maître Abbadie invoque encore la perte de "marge" sur le chantier litigieux, estimée selon attestation de son expert-comptable à 33,33 % du marché en 1995, soit pour le marché Batailler une perte de 131 149 F inférieure aux indemnités prévues au contrat;

Mais attendu que les époux Batailler répliquent à bon droit que pour être indemnisable un préjudice doit être certain et direct et que le bénéfice de l'entreprise doit être calculé pour chaque cas et non de manière globale qu'ils font encore observer qu'en 1996 la marge globale de la STBB est passée à 17,66 %, et pour les chantiers commencés en 1995 et terminés en 1996 à 23,56 %;

Attendu que s'il est peut être tenu pour acquis que la STBB n'entendait pas exécuter un travail à perte, les chiffres qu'elle fournit sont insuffisants pour contrôler le montant du bénéfice qu'elle aurait réalisé dans le cadre du marché conclu avec les époux Batailler;

Qu'en aucun cas, elle ne démontre que son bénéfice aurait nécessairement été équivalent à la somme contractuellement définie;

Attendu que le déséquilibre entre les droits et obligations des parties au contrat est démontré;

Attendu que l'article 14 du contrat constitue donc une clause abusive qui doit être réputée non écrite;

Attendu que les demandes de Maître Abbadie, fondées sur cette clause, doivent être rejetées;

Attendu qu'il convient de fixer la créance des époux Batailler à l'encontre de la STBB à la somme de 39 300 F outre intérêts au taux légal à compter du 29 mai 1995.

Attendu que les circonstances de la cause excluent de faire bénéficier les époux Batailler des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort; Emendant le jugement prononcé le 9 juillet, Déboute Maître Abbadie ès qualité de ses demandes, fins et conclusions, Fixe à 39 300 F (soit 5 991,25 euros) outre l'intérêt au taux légal à compter du 29 mai 1995 la créance des époux Batailler à l'encontre de la Société de Travaux du Bâtiment Bascolandais, Déboute les époux Batailler de leur demande en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Maître Abbadie ès qualité aux dépens de première instance et d'appel, Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, la SCP de Ginestet Duale, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.