CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 16 mars 1994, n° 455-93
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ordre régional des experts-comptables
Défendeur :
Conférence des Bâtonniers, Ordre des Avocats des Barreaux de Poitiers et autres
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Parenty
Conseillers :
Mlle Lafon, M. Egal
Avoués :
Mes Landry-Tapon, Me Musereau Drouineau Rosaz, SCP Paille-Thibault
Avocats :
Mes Sarda, Korman, Menegaire, Cornevaux, Boncennes, Moreau, Roudet, Gombaud, Gosselin.
Faits et procédure:
Le 18 janvier 1993, le Président de l'Ordre régional des experts-comptables Poitou-Charentes-Vendée diffusait une lettre d'information annonçant au public l'organisation, à la date du jeudi 4 février 1993, d'une "journée porte ouverte" au cours de laquelle les experts-comptables de chacun des cinq départements concernés donneraient des consultations gratuites dans les domaines comptables, social, fiscal, juridique.
Cette lettre était accompagnée d'un dépliant publicitaire qui présentait l'expert-comptable comme un spécialiste pouvant accomplir quatre missions décrites sous les titres suivants:
- missions comptables,
- missions juridiques et fiscales,
- missions sociales,
- missions de conseil en gestion.
Le 29 janvier 1993, l'Ordre des Avocats aux Barreaux de la Charente, de Poitiers, Bressuire, Niort, La-Roche-sur-Yon, Les Sables-D'Olonne, Rochefort-sur-Mer, La Rochelle et Saintes ont assigné devant le juge des référés l'Ordre Régional des experts-comptables Poitou-Charentes-Vendée aux fins d'obtenir l'arrêt immédiat de cette publicité associée à une vaste campagne d'affichage et de presse comme étant manifestement contraire au statut professionnel des experts-comptables et à l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques mais aussi aux dispositions de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 interdisant toute publicité mensongère et à l'article 4 du décret du 25 août 1972 relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d'actes juridiques.
Sont intervenus aux mêmes fins dans l'instance la Conférence des Batonniers de France et d'Outre-Mer, la Fédération Nationale des Union de Jeunes Avocats ou FNUJA, la Confédération Nationale des Avocats ou FNUJA, la Confédération Nationale des Avocats ou CNA, l'Association Française des avocats Conseils d'Entreprise ou ACE, Juri Avenir, l'Institut Français des Avocats Spécialisés du Droit Fiscal et enfin, le Syndicat des Avocats de France ou SAF, lequel en sus, a réclamé l'interdiction pure et simple de la journée en cause.
L'Ordre régional des experts-comptables a soulevé l'incompétence du juge des référés au profit du Tribunal administratif de Poitiers et a pris des conclusions d'irrecevabilité à l'encontre des intervenants. Subsidiairement, il a requis le rejet de l'ensemble de la demande en faisant notamment valoir que la loi n'avait pas instauré un monopole dans le domaine du droit dont seraient exclus les experts-comptables, que la publicité n'était nullement mensongère, que le démarchage à domicile donnait lieu à répression pour les offres individuelles et non pour une publicité collective pratiquée par tous les ordres et enfin que les publicités et interventions reprochées ne permettaient pas de caractériser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite.
Aux termes d'une ordonnance du 3 février 1993, le président du Tribunal de grande instance de Niort, a considéré au contraire que:
- la juridiction judiciaire était bien compétente s'agissant pour l'Ordre régional des experts-comptables d'activités secondaires,
- les interventions des différents syndicats et associations professionnels d'avocats étaient recevables dans la mesure où elles avaient pour objet la défense des intérêts de la profession,
- la demande se trouvait justifiée étant donné surtout que les experts comptables, ayant mis à plat dans leur dépliant toutes les missions, se présentaient en définitive comme des spécialistes du droit aptes à exercer cette activité à titre principal, passant sous silence les restrictions apportées à cet égard par les textes législatifs.
En conséquence, le juge des référés, constatant ainsi que la diffusion incriminée causait un dommage imminent et un trouble manifestement illicite au sens des dispositions de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile, a statué dans les termes ci-après;
1°) jugeons que la publicité organisée par l'Ordre régional des experts-comptables Poitou-Charentes-Vendée en vue de la journée porte ouverte du 4 février 1993 est contraire au statut professionnel des experts-comptables et à l'article 59 de la loi du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, de même qu'aux dispositions de la loi du 27 décembre 1973 et à l'article 4 du décret du 25 août 1972.
2°) confirmons que les experts-comptables ne peuvent donner des consultations juridiques qu'à titre accessoire de leurs prestations comptables et uniquement à destination de leurs propres clients,
3°) interdisons la tenue de cette journée,
4°) condamnons l'Ordre régional des experts-comptables Poitou-Charentes-Vendée à cesser immédiatement cette publicité,
5°) ordonnons la publicité de la présente décision en page départementale, in extenso ou par extrait, au choix des demandeurs et intervenants, dans les journaux locaux suivants:
- pour la Charente
. Sud-Ouest et la Charente Libre
- pour la Vienne
. La Nouvelle République et Centre Presse
- pour les Deux-Sèvres
. La Nouvelle République et le Courrier de l'Ouest
- pour la Vendée
. Ouest-France, Presse Océan, Vendée Semaine
- pour la Charente-Maritime
. Sud-Ouest et la Charente-Maritime,
le coût de chaque insertion ne devant pas dépasser la somme de 8 000 F,
6°) rejetons les demandes tendant à obtenir le fichier des destinataires de la publicité, la diffusion par voie postale de l'ordonnance de même que l'affichage de la décision à la porte d'entrée ou dans le salon d'attente de chacun des Cabinets d'experts-comptables,
7°) ordonnons l'affichage de la présente décision dans les Palais de Justice de chacun des Barreaux demandeurs, en un lieu visible du public pendant une durée d'un mois à compter de la signification de la présente décision,
8°) condamnons l'Ordre régional des experts-comptables Poitou-Charentes-Vendée aux dépens.
Par acte du 8 février 1993, l'Ordre régional des experts-comptables Poitou-Charentes-Vendée a interjeté appel de cette ordonnance en reprenant ses premiers moyens. Il soutient donc que le litige relève de la compétence de la juridiction administrative, subsidiairement que les interventions des associations professionnelles sont irrecevables et le juge des référés incompétent au regard des dispositions des articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile, et plus subsidiairement encore qu'il n'y a pas lieu à référé.
En effet, sur le premier point, l'appelant affirme que les questions de publicité collective et la vigilance sur la publicité personnelle tombent de par la loi dans les prérogatives de l'ordre en tant qu'organisme de droit privé investi d'une mission de service public pour régir l'exercice de la profession et que le premier juge a considéré à tort l'initiative reprochée comme étant une activité secondaire et étrangère à ce même service public.
En ce qui concerne son subsidiaire, l'Ordre régional des experts-comptables restreint ses conclusions d'irrecevabilité aux associations intervenantes qui à son point de vue, ne peuvent agir qu'en cas de préjudice personnel. Il conteste la compétence du juge des référés au motif de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ne peut s'appliquer ici en l'absence d'un dommage imminent et d'un trouble manifestement excessif. A cet égard, l'appelant observe que le principe même de la journée porte ouverte ne faisant l'objet d'aucun grief de la part des huit (ou plutôt neuf) Barreaux et qu'il n'y a eu, ni particulier lésé, ni clientèle détournée, alors qu'étaient simplement offertes des consultations gratuites par une publicité conforme à la loi. L'Ordre Régional invoque, en outre, ses contestations sérieuses émises en défense pour dire que le trouble allégué ne pouvait être qualifié de "manifestement illicite" et que lesdites contestations interdisaient par ailleurs de faire entrer en jeu les dispositions de l'article 808 du nouveau Code de procédure civile.
Subsidiairement sur le fond, l'appelant articule ses moyens en se livrant aux analyses ci-après exposées sous les cinq rubriques suivantes:
I - Sur le droit d'intervention en matière juridique:
Le législateur ayant refusé d'instaurer un monopole de l'activité juridique, c'est à tort que le juge a retenu le caractère toujours accessoire de l'intervention des experts-comptables en ce domaine alors que par exemple, elle est libre pour leurs clients habituels et qu'à l'instar des commissaires aux comptes ils doivent se prononcer sur la régularité des opérations juridiques.
II - Sur la réalité de la publicité:
Selon lui, il n'a jamais été allégué dans les documents publicitaires la possibilité pour les experts-comptables d'intervenir dans le domaine juridique à titre principal et l'omission de l'interdiction de la restriction n'apparaît pas fautive tout comme l'emploi du terme de spécialiste puisqu'aussi bien la loi les autorise à opérer dans des secteurs non réservés à des monopoles.
Il faut d'ailleurs relever que la phrase incriminée débute par les mots "en plus de sa mission comptable" et que seuls des "conseils" ont été évoqués.
III - Sur les consultations gratuites:
Arguant de ce que l'article 54 de la loi du 31 décembre 1990 interdit de donner des consultations juridiques et de rédiger des actes sous seings privés pour autrui que s'il s'agit d'un exercice à titre habituel et rémunéré, l'appelant entend faire admettre que les consultations gratuites sont libres et licites dans tous les domaines.
IV - Sur la publicité trompeuse et le démarchage:
L'Ordre régional des experts-comptables se défend d'avoir jamais annoncé qu'au-delà de la journée du 4 février 1993, ses membres pourraient assurer des services qui leur seraient défendus. Il estime en conséquence qu'il n'y a pas eu publicité trompeuse et que le juge a sanctionné, en réalité, un procès d'intention bien qu'il n'ait été commis aucun détournement de clientèle ou acte illicite et pas plus un démarchage répréhensible.
V - Sur d'autres allégations:
L'appelant reproche également au premier juge d'avoir accepté la communication d'actes susceptibles de caractériser des manques individuels, d'avoir laissé dire que les experts comptables n'étaient pas couverts par une assurance pour leurs missions d'ordre juridique et aussi d'avoir statué "ultra petita".
Enfin, pour démontrer qu'il n'y avait décidément pas à référé, l'Ordre régional des experts-comptables souligne que la décision, basée sur des principes contestés et contestables, préjudicie à l'évidence au principal et qu'elle viole l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui consacre la liberté d'expression et de communication étendue à la publicité collective et même à certaines formes de la publicités individuelles pour les professions libérales - le juge n'ayant en définitive trouvé la preuve du trouble manifestement excessif que dans le seul fait de l'action engagée par les Barreaux et l'intervention de nombreuses organisations professionnelles d'avocats.
La Conférence des Batonniers, l'Institut Français des Avocats Spécialisés du Droit Fiscal, Juri Avenir et les neuf Ordres des Avocats aux Barreaux de la Région Poitou-Charentes et de la Vendée sollicitent ensemble la confirmation pure et simple de l'ordonnance entreprise.
Tout d'abord, les intimés répliquent que si l'Ordre régional des experts-comptables est une personne morale de droit privé investie d'une mission de service public administratif, à laquelle la loi confère à cet effet des prérogatives de puissance publique, tut acte ou opération de sa part ne relève pas pour autant du contrôle de la juridiction administrative et que celle-ci cesse justement d'être compétente lorsque les agissements dommageables de l'ordre se rattachent à la gestion organique de celui-ci ou constituent une voie de fait - ce qui leur paraît être le cas en l'espèce.
Ensuite, ils rétorquent en se référant à une jurisprudence constante que les associations peuvent défendre en justice les intérêts collectifs de la profession, alors que précisément cet objet social figure dans les statuts des associations intervenantes.
Sur le problème de la compétence du juge des référés, les intimés rappellent que selon l'article 809 du nouveau Code de procédure civile, celui-ci a toujours le pouvoir, même en face d'une contestation sérieuse, de prescrire des mesures s'il y a dommage imminent et trouble manifestement illicite. Ceux-ci tiennent ces éléments pour constitués puisqu'à leurs yeux l'Ordre Régional a tenté de remettre en cause le statut des experts-comptables en les désignant comme spécialistes juridiques susceptibles d'intervenir dans tout domaine et pour quiconque, créant de la sorte un dommage imminent au préjudice des avocats dont la profession était à l'évidence visée, observation faite que le caractère gratuit de la journée ne la dépouillait pas de son caractère illicite.
En ce qui concerne le fond, la Confédération des Batonniers, l'Institut Français des Avocats spécialistes du Droit Fiscal Juri Avenir, et les Ordres des Avocats opposent tout à tout à la partie adverse que:
- les prétentions de l'Ordre sur son droit d'intervention en matière juridique sont injustifiées au regard des textes et des travaux parlementaires qui ont maintenu la règle de la séparation du chiffre et du droit, de sorte que les experts-comptables ne sont habilités à donner des consultations et à rédiger des actes sous seings privés que dans la mesure où ces activités sont l'accessoire direct de la prestation fournie;
- la réalité de la publicité dénoncée est bien celle d'une publicité qui proclame la faculté pour les experts-comptables de remplir toutes les missions juridiques sans exception mais passe sous silence les impératifs et restrictions apportés par les textes,
- le caractère gratuit des consultations est peu évident et que l'opération publicitaire représente une infraction aux règles qui restreignent la possibilité pour les experts comptables d'intervenir dans le domaine juridique,
- le démarchage entrepris au moyen d'un publicité ainsi trompeuse est avéré étant donné que le but étant bien d'attirer une nouvelle clientèle en vue de consultations ou d'actes en dehors de la compétence spécifique des experts comptables,
- les documents produits en première instance ont été communiqués régulièrement devant le juge des référés, lequel n'a pas statué "ultra petita" en ordonnant l'interdiction de la journée comme demandé au moins par l'une des parties intervenantes.
L'ACE, la FNUJA, la Confédération Nationale des Avocats et le SAF concluent dans le même sens. En outre, l'ACE réclame la somme de 15 000 F et la FNUJA celle de 8 000 F en remboursement de leurs frais irrépétibles.
L'Ordre régional des experts-comptables réplique d'abord que le litige échappe bien à la compétence du juge judiciaire étant donné:
- d'une part que l'article 23 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 prévoit expressément pour les ordres la possibilité d'effectuer ou d'autoriser une publicité collective et que cette activité qui concourt à un intérêt général caractérisé relève de leur mission de service public,
- d'autre part, qu'il n'existe en la cause aucun élément constitutif d'une voie de fait, laquelle se définit comme une atteinte à la propriété et aux libertés par un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir légal ou réglementaire.
Sur la recevabilité de l'intervention des associations l'appelant déclare se référer à la jurisprudence constante qui selon lui, distingue les capacités de défense des intérêts collectifs professionnels par les syndicats et par les associations.
Il rétorque ensuite qu'en l'absence notamment d'une contestation par les auteurs de l'assignation en référé du principe même de l'organisation d'une journée de publicité collective, l'article 809 du nouveau Code de procédure civile était inapplicable, d'autant que par ailleurs ses contestations interdisaient de reconnaître que le trouble était manifestement illicite.
Enfin sur le fond, l'Ordre régional des experts-comptables précise que l'interdiction faite à ceux-ci d'exercer à titre principal dans le domaine juridique n'est pas contestée et que les divergences d'interprétation entre les parties portent essentiellement sur la nécessité d'un lien ou du caractère accessoire aux prestations réalisées ou aux travaux comptables selon le caractère habituel de la clientèle ou des demandes de prestations ponctuelles. Il soutient que les consultations juridiques sont libres pour les clients habituels et s'ils sont liés à une prestation comptable pour les clients ponctuels alors que les actes sous seing privé peuvent être établis pour les clients habituels à la condition qu'ils constituent l'accessoire direct d'une prestation comptable.
Réaffirmant que les consultations gratuites sont libres, comme l'a précisé Monsieur le Garde des Sceaux Henri Nallet, le 1er mars 1993, en réponse à une question écrite, l'appelant estime que le Premier Juge a basé sa décision sur une simple extrapolation bien qu'il n'était pas possible de déduire de l'annonce que les experts comptables recherchaient à exercer illégalement dans le domaine juridique.
Motifs de la décision:
Sur la compétence de la juridiction judiciaire:
Attendu que les ordres professionnels, tel celui institué par l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 au profit des experts-comptables, sont des organismes de droit privé qui remplissent une mission de service public dans la mesure où ils ont reçu la charge d'assurer l'organisation et la surveillance de l'exercice de la profession qu'ils représentent; qu'à ce titre, leurs activités tombent sous le contrôle du juge administratif qui vérifie la légalité de leurs décisions administratives ou juridictionnelles; qu'il en va ainsi notamment pour les contentieux relatifs au contenu des codes déontologiques, au déroulement des élections ordinales ou à la fixation des cotisations, pour certains actes concernant l'accès à la profession ou son exercice, pour les sanctions disciplinaires ou encore pour les actions en responsabilité contre l'ordre lorsque le dommage allégué est directement lié à la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique;
Attendu cependant que les ordres professionnels ne limitent pas leurs interventions à des actes d'autorité mais accomplissent aussi, hors le cadre de leur mission de service public, des actes de simple gestion qui du même coup, relèvent du contrôle du juge judiciaire, naturellement compétent à l'égard de ces organismes de droit privé; que la mise en œuvre de la journée du 4 février 1993 apparaissait bien entrer dans le champ des activités secondaires, étrangères au service public comme l'a estimé à bon escient le Premier Juge;
Attendu, il est vrai, qu'en vertu de l'article 23 de l'ordonnance précitée, "les conseils de l'ordre peuvent effectuer ou autoriser toute publicité collective qu'ils jugent utile" dans l'intérêt de la profession; que toutefois, force est de constater que cette simple possibilité, dénuée de toute forme de contrainte ou de sanction à l'égard de ses membres, ne constitue pas une mission de service public au sens strict;
Attendu que lancée dans le but évident d'élargir la clientèle des experts comptables, la manifestation aujourd'hui incriminée ne concourait certes pas à la satisfaction d'un intérêt général caractérisé et s'impliquait pas la mise en jeu de prérogatives de puissance publique sous le contrôle de la puissance publique; que faute de réunir ces conditions elle demeurait simple activité de gestion de droit privé, soumise au contrôle du juge judiciaire; que c'est donc à juste titre que le président du Tribunal de grande instance de Niort a rejeté l'exception opposée sur ce point, alors que l'initiative recouvrait la recherche de l'intérêt particulier des membres de la profession par des moyens sérieusement contestés;
Sur la recevabilité des interventions:
Attendu qu'au niveau de la procédure d'appel, l'Ordre régional des experts-comptables discute uniquement la recevabilité des interventions des associations; qu'il ressort néanmoins de l'examen de leur statuts respectifs que ceux-ci prévoient expressément leur droit d'ester en justice pour la défense des intérêts collectifs de leurs membres; que semblables intérêts étant ici en cause, ces mêmes associations doivent être admises à intervenir;
Attendu qu'en les déclarant ainsi recevables avec les autres intervenants le Premier Juge a fait bonne application de la loi et de la jurisprudence; que sa décision doit être également confirmée sur ce point
Sur la compétence du juge des référés:
Attendu que l'ordonnance entreprise s'appuie comme requis par les auteurs de l'assignation sur les dispositions de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile; qu'il est vain de la part de l'appelant d'invoquer dans le fis de ses écritures l'existence d'une contestation sérieuse; qu'en effet, à supposer celle-ci établie ce qui n'est d'ailleurs pas démontré, le juge des référés n'en reste pas moins habilité, selon l'indication expresse du texte, à prendre les mesures propres à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite;
Attendu que les initiateurs de l'action se sont bien placés sur ce terrain puisqu'ils entendaient démontrer que l'organisation de la journée porte ouverte apportait un trouble manifestement illicite et tendait à causer un dommage imminent à la profession d'avocat en remettant en question le statut des experts-comptables au profit de ces derniers dans la délimitation des champs respectifs d'intervention; qu'à ce stade de la discussion, les dénégations de l'appelant ne peuvent rien contre le fait que le juge des référés a retenu à bon droit sa compétence en tant que tel; que reste à vérifier si les éléments du dossier permettaient à celui-ci de satisfaire les demandes d'interdiction et leurs accessoires;
Sur le fond:
Attendu que pour trancher les questions de fond, il est nécessaire de baser la discussion sur les règles posées par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques telle que modifiée par la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990; que dans son article 59, le texte stipule que les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée, ce qui est le cas des experts-comptables, peuvent dans les limites autorisées par la réglementation qui leur est applicable, donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire direct de la prestation fournie;
Attendu que si on se réfère à la réglementation particulière aux experts-comptables et plus précisément à l'article 2 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, ceux-ci sont des techniciens qui font profession habituelle d'organiser, vérifier, apprécier et redresser les comptabilités et les comptes de toute nature avec la possibilité et les comptes de toutes natures avec la possibilité d'analyser par les procédés de la technique comptable la situation et le fonctionnement des entreprises sous leurs différents aspects économiques, juridique et financier; que selon l'article 22 de ladite ordonnance, les experts comptables peuvent également donner des consultations et effectuer des études théoriques et pratiques d'ordre juridique ou fiscal. mais sans pouvoir en faire l'objet principal de leur activité et seulement s'il s'agit d'entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d'ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études ou avis sont directement, liés aux travaux comptables dont ils sont chargés;
Attendu que l'argumentation développée à partir de ces textes par l'appelant paraît vouloir amener la cour à légiférer plus avant sur la champ d'intervention des experts comptables dans le domaine juridique; que bien évidemment, réponse sera donnée à ses moyens; que cependant, rendu en matière de référé, l'arrêt n'aura l'autorité de la chose jugée au principal;
Attendu qu'il est constant que le législateur n'a pas consacré le monopole de droit au bénéfice de la nouvelle profession d'avocat et qu'il a reconnu ou plutôt maintenu la faculté pour l'expert comptable d'intervenir en matière juridique; que toutefois, les textes sont suffisamment clairs pour affirmer que ce même législateur a posé la condition du caractère accessoire direct à la prestation fournie; que l'appelant n'est pas fondé à soutenir que les activités juridiques des experts comptables sont entièrement libres vis-à-vis de leurs clients habituels et seulement conditionnées par des liens avec des prestations comptables pour leurs clients occasionnels;
Attendu que les réponses ministérielles exposées à l'Assemblée Nationale les 21 novembre 1988 et 24 juillet 1989, dont l'appelant fait état, contiennent mention de cette condition; que les déclarations faites par Monsieur Pierre Arpaillange, Garde des Sceaux, le 15 juin 1990, devant ladite Assemblée et celles exprimées par son successeur, Monsieur Henri Nallet le 7 novembre suivant au Sénat, visent aussi la possibilité pour les experts comptables "de fournir des prestations juridiques accessoires à leur activité principale"; que sans contestation possible, les travaux préparatoires de la loi modifiant celle du 31 décembre 1971 font ressortir qu'il n'y a aucune novation juridique par rapport à l'article 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 et qu'encore une fois, selon les termes employés par le Garde des Sceaux lui-même le 15 juin 1990, l'intervention des experts-comptables demeure limitée à "des prestations juridiques liées à leur activité principale";
Attendu que l'Ordre régional des experts-comptables veut, en réalité, tirer de la confrontation des textes de l'article 59 de la loi du 31 décembre 1971 et de l'article 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 la démonstration que doivent être envisagées deux situations différentes selon qu'il s'agit de la consultation juridique ou de la rédaction d'actes sous seing privé; que cette analyse est erronée dès lors que l'on replace, en respectant l'esprit de la loi, l'article 59 dans le cadre des autorisations accordées à titre accessoire;
Attendu que l'interprétation contraire amènerait par exemple à permettre à un architecte de donner à titre habituel et rémunéré des consultations en droit de la construction; qu'il faut décidément considérer que la condition d'accessoire direct de la prestation fournie s'applique aussi bien à la consultation qu'à la rédaction d'actes; que le rejet des amendements présentés au nom de la profession des experts-comptables lors du vote de la loi du 31 décembre 1990 prouve nettement que ceux-ci ne sont point autorisés à exercer sur le terrain juridique en dehors des limites étroites tracées par les dispositions de l'article 59;
Attendu qu'en tout état de cause, l'Ordre régional des experts-comptables de Poitou-Charentes-Vendée ne s'est pas embarrassé de nuances en appelant le public à participer de la journée porte ouverte pour bénéficier de "conseils gratuits pour tous"; que le contenu du seul dépliant publicitaire met à plat toutes les missions y compris celles juridiques sans apporter la moindre indication sur le caractère accessoire et restrictif de l'intervention des experts comptables dans le domaine du droit;
Attendu qu'à l'audience, l'appelant a bien voulu confesser qu'il y avait eu maladresse dans la rédaction de la lettre et du dépliant; que cependant, semblable omission d'un élément essentiel est gravement fautive de sorte que la publicité en devient véritablement tronquée; que nonobstant les explications quelque peu spécieux de l'appelant dans ses conclusions, les experts comptables se sont bel et bien présentés au plus large public comme des spécialistes du droit en passant sous silence les impératifs des textes leur interdisant de remplir une activité juridique à titre principal, ainsi que le Premier Juge l'a pertinemment retenu;
Attendu que le caractère gratuit des consultations offertes ne change rien à celui fautif de la publicité litigieuse; que ces consultations données dans les cabinets mêmes des experts comptables, sans que l'anonymat des personnes soit protégé, n'étaient d'ailleurs aussi gratuites que l'appelant le prétend puisqu'elles pouvaient conduire à retenir une clientèle égarée par la publicité tronquée et du même coup trompeuse;
Attendu qu'au demeurant, les consultations gratuites ne sont pas entièrement libres; que les déclarations du Garde des Sceaux à la date du 1er mars 1993 sur les consultations juridiques émanant des organes de presse ne vont pas dans le sens de la thèse de l'Ordre Régional qui les invoquent; qu'elles doivent être appréciées au regard de l'article 66 de la loi du 31 décembre 1971 qui exige que ces consultations aient pour auteur un membre d'une profession juridique réglementée; que l'article 66-4 n'exclut pas les consultations gratuites de la répression du démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique;
Attendu que le juge des référés ne pouvait que relever, comme il l'a fait, infraction à la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 punissant toute publicité de nature à induire en erreur; que certains journalistes ont eux-même illustré la confusion que la publicité de l'Ordre régional des experts-comptables a ainsi jeté dans les esprits; que l'auteur d'un article de la Charente libre du 30 janvier 1993 s'est livré à un commentaire final ainsi libellé; "que ce soit dans les domaines comptable, social, fiscal ou juridique, les experts comptables répondront à toutes les questions. Une bonne façon pour ces professionnels de se situer dans le nouveau paysage du conseil, à l'heure où les profils et les frontières des professions - experts-comptables, notaires, avocats, conseillers juridiques - tendent à devenir de plus en plus flous";
Attendu qu'en outre, contravention a également été commise au regard du décret n° 72-7885 du 25 août 1972 relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d'actes juridiques; que contrairement à ce qu'avance l'appelante, l'infraction n'implique pas uniquement une démarche au domicile et peut être opérée par des propositions présentées en un lieu public;
Attendu que devant l'ensemble de ces faits dont certains étaient ainsi répréhensibles sur le plan pénal, le juge des référés disposait des éléments suffisants pour caractériser le trouble manifestement illicite et le dommage imminent dénoncés par les représentants des avocats, qui en tant que professionnels du droits, voyaient entrer inconsidérément dans le périmètre de leur activité principale les professionnels du chiffre recherchant manifestement à drainer une clientèle de la plus large manière;
Attendu qu'en ordonnant la cessation de la publicité trompeuse et l'interdiction de la journée, le juge des référés a tiré les conséquences justifiées de cette situation; qu'il ne s'est nullement prononcé "ultra petita" puisque l'interdiction de la manifestation avait été sollicitée au moins par le SAF;
Attendu que sa décision n'apparaît nullement contraire à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme; que si ce texte consacre la liberté d'expression et de communication, il ne l'édicte sûrement pas au mépris des textes législatifs et réglementaires qui ont pour but de sauvegarder la défense des professions organisées et aussi des consommateurs;
Attendu que l'ordonnance de référé ne préjudicie pas plus au principal puisqu'en tout état de cause, il est incontestable que la publicité incriminée apparaissait de nature à induire en erreur par suite de l'absence de la mention d'un élément restrictif qui n'est pas contesté en son principe mais seulement dans ses effets par le défendeur et appelant; que partant, elle mérite pleine et entière confirmation - comme le requièrent aussi bien les intimés que le Ministère Public;
Attendu que l'équité commande de faire droit aux demandes en remboursement de frais irrépétibles respectivement établies par l'Association Française des Avocats Conseils d'Entreprises ou ACE et la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats ou FNUJA, dont la présidente est maintenant assurée par Me Anne Voituriez et non plus par Me Jean-Pierre Léon; que chacune de ces deux associations recevra à ce titre la somme de 3 000 F;
Par ces motifs: LA COUR, Déclare l'appel de l'Ordre régional des experts-comptables Poitou-Charentes-Vendée recevable mais entièrement mal fondé; Confirme en conséquence dans toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 3 février 1993 par le président du Tribunal de grande instance de Niort; Condamne l'Ordre régional des experts-comptables Poitou-Charentes-Vendée à payer la somme de 3 000 F à chacune des deux associations dites Association Française des Avocats Conseils d'Entreprise ou ACE d'une part, Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats ou FNUJA d'autre part, en remboursement de leurs frais irrépétibles; Condamne le même aux dépens d'appel et autorise la SCP Alain Paille - Jean Thibault et la SCP Yves Musereau - Geveniève Drouineau Rosaz à recouvrer ceux dont elles auront fait l'avance sans avoir reçu provision.