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Décisions

CA Paris, 9e ch. A, 13 mai 1996, n° 96-00435

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre (faisant fonction)

Conseillers :

M. Morel, Mme Radenne

Avocats :

Mes Arène, Gambier.

TGI Créteil, 11e ch., du 9 nov. 1995

9 novembre 1995

Rappel de la procédure :

La prévention,

Denis E est prévenu d'avoir :

- entre le 7 août 1993 et le 31 août 1993 abusé de la faiblesse ou de l'ignorance de Monsieur et Madame Hauroo (origine étrangère, mauvaise maîtrise de la langue française et de la législation française, état de grossesse de Madame Hauroo, nécessité d'urgence d'isoler le logement) pour leur faire souscrire par le moyen de visites à domicile des engagements au comptant ou à crédit, des engagements en l'espèce, l'aménagement des combles, alors que Monsieur et Madame Hauroo se trouvaient dans des circonstances ne leur permettant pas d'apprécier la portée de ceux-ci ou de déceler les ruses et artifices déployés pour les convaincre à souscrire ; faits prévus par les articles L. 122-8, L. 122-9 du Code de la consommation et réprimés par l'article L. 122-8 du Code de la consommation ;

- dans les mêmes circonstances de lieu et de temps avant le délai de réflexion légal, exigé et obtenu de Monsieur et Madame Hauroo, l'engagement de travaux susvisés ; faits prévus par l'article L. 121-28, L. 121-26 du Code de la consommation et réprimés par l'article L. 121-28 de ce même Code ;

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a relaxé E Denis :

Des faits d'abus de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée : souscription d'un engagement, délit commis du 7 août 1993, à Paris, infraction prévue par l'article L. 122- 8, L. 122-9 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 122-8 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 122-8 du Code de la consommation ;

Des faits de demande ou obtention de paiement ou d'accord avant la fin du délai de réflexion-démarchage, commis du 7 août 1993 au 31 août 1993, à Paris, infraction prévue par l'article L. 122-8, L. 121-26 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 122-8 du Code de la consommation ;

A débouté Monsieur et Madame Hauroo, de leur constitution de partie civile.

A laissé les dépens de l'action civile à la charge des parties civiles.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur et Madame Hauroo, le 14 novembre 1995 contre Monsieur E Denis ;

Monsieur le Procureur de la République, le 14 novembre 1995 contre Monsieur E Denis ;

Décision :

La cour après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme :

Considérant qu'au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure, les appels interjetés, par le Ministère public et par les époux Hauroo parties civiles, sont réguliers, qu'ils seront donc déclarés recevables en la forme ;

Au fond :

Considérant qu'au cour des mois d'août 1993, E Denis et Madame Bonnard, décédée depuis lors, ont démarché à plusieurs reprises les époux Hauroo, pour le compte de la société Confort Plus dont E Denis était le gérant, que le 8 août 1993, E Denis leur a promis de leur livrer gratuitement une cheminée et leur a fait signer un bon de commande relatif à l'aménagement des combles pour un total de 94 000 F TTC ; que sur le bon de commande figurait la liste des matériaux : isolation, habillage, cloisons, salle de bain comprenant douche, lavabo, robinetterie, WC, plomberie, arrivée, évacuation, électricité (boîtier, fusibles, prises), bloc porte, vélux, conduits à habiller, cheminée à définir livrée hors pose, que ce devis ne détaillait pas le prix des fournitures et ne faisait pas état du coût de la pose et de la main d'œuvre, qu'il n'indiquait pas davantage le prix hors taxe ; qu'il résulte, néanmoins des déclarations des parties civiles et du prévenu qu'il avait été convenu entre les parties que l'aménagement des combles serait réalisé par la société Confort Plus, le prix de 94 000 F TTC comprenant tant le coût des matériaux que celui de l'installation ;

Considérant que selon les déclarations des parties civiles, E Denis s'est fait remettre, le jour même de la signature du bon de commande, un chèque de 20 000 F représentant l'acompte qu'elles devaient personnellement verser, le solde du prix devant être financé par un crédit sur 9 ans qu'E Denis s'était fait fort d'obtenir ; que les époux Hauroo ont donc complété, toujours le 8 septembre 1993, une demande de crédit auprès de la société Pétrofigaz, demande de crédit refusée, que c'est dans ces conditions qu'E Denis, après avoir surchargé le bon de commande, notamment quant à sa date et aux conditions de prêt qui devenait remboursable sur 6 ans, a adressé une nouvelle demande de crédit à la banque PKO qui a fait une offre de prêt, que celle-ci a été acceptée par les époux Hauroo, le 16 août 1993 ;

Considérant que le 8 septembre 1993, Confort Plus livrait une partie des matériaux et émettait une facture, toujours non détaillée, d'un montant de 94 000 F TTC que les époux Hauroo, faisant confiance à E Denis signaient la facture en double exemplaire, que sur l'exemplaire destiné à l'organisme de crédit valant bon de livraison, E Denis ajoutait, à l'insu des parties civiles à côté du prix, la mention " hors pose ", ce qui lui permettait d'obtenir de l'organisme de crédit le déblocage du montant du prêt, que par la suite, la société Confort Plus qui était déclarée en liquidation judiciaire, le 14 février 1994, la date de cessation des paiements étant fixée au 3 août 1992, n'effectuait pas les travaux et ne livrait pas le solde des marchandises, que toutefois l'organisme de crédit observant qu'au vu du bon de commande et de la facture, le financement ne concernait que les marchandises dont les époux Hauroo avaient reconnus être livrés en signant la facture, refusait de suspendre les remboursements ;

Sur quoi LA COUR

Sur abus de faiblesse ou de l'ignorance de personnes démarchées,

Considérant qu'il est constant que les époux Hauroo, couple d'origine mauricienne, maîtrisant mal la langue française et se trouvant dans la nécessité urgente de faire isoler et aménager les combles avant l'hiver puisque Madame Hauroo déjà mère d'un enfant en bas âge et asthmatique était enceinte de huis mois, se trouvaient, lorsqu'ils ont été démarchés par le prévenu, dans un état de faiblesse et d'ignorance, ne leur permettant pas d'apprécier la portée de leurs engagements et de déceler les ruses et artifices déployés par E Denis notamment en leur promettant une cheminée qui n'a jamais été livrée et en rédigeant un bon de commande, volontairement imprécis, ne laissant pas clairement apparaître que la société Confort Plus assurerait, pour le prix de 94 000 F TTC, non seulement la fourniture des matériaux mais encore la réalisation des travaux ;

Que dans ces conditions les éléments matériels et intentionnels du délit d'abus de faiblesse prévu par l'article L. 122-8 du Code de la consommation sont caractérisés,que la cour entrera donc en voie de condamnation de ce chef ;

Sur la perception d'un acompte au mépris des dispositions de L. 121-6 du Code de la consommation,

Considérant que les époux Hauroo ont toujours affirmé qu'E Denis avait exigé, le jour de la signature du bon de commande, la remise d'un chèque de 20 000 F à titre d'acompte, chèque qui, à leur demande, n'a pas été encaissé et leur a été restitué par le prévenu contre remise de deux chèques de 10 000 F chacun encaissés respectivement les 4 et 30 septembre 1990, que malgré les dénégations du prévenu, les déclarations des parties civiles sont confirmées par les ratures figurant sur le bon de commande laissant apparaître la mention " acompte 20 000 F " raturée et remplacée par " acompte 10 000 F à percevoir le 04/09/1993, acompte 10 000 F à percevoir le 30/09/1993 " ;

Qu'en conséquence, la cour déclarera E Denis également coupable de ce chef de la prévention ;

Sur la peine

Que la cour, tenant des antécédents judiciaires du prévenu, de la gravité des faits et de la nécessité d'indemniser les victimes prononcera une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve, avec les obligations prévues à l'article 132-45° du Code pénal ;

Sur l'action civile

Considérant que dans leurs écritures les époux Hauroo sollicitent la condamnation d'E Denis à leur verser les sommes suivantes :

- 19 000 F en indemnisation des frais de chauffage qu'ils ont dû exposer,

- 10 000 F avec intérêts au taux légal au titre de l'acompte indûment perçu par le prévenu,

- 10 000 F en réparation du non-respect de ses obligations contractuelles,

- 20 000 F en réparation du préjudice tant moral que physique subi,

- 130 376, 88 F en réparation du préjudice financier,

- 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Considérant que la cour ne peut indemniser les époux Hauroo qu'en raison du préjudice qu'ils ont directement subi à raison des faits dont le prévenu est reconnu coupable, qu'en conséquence, les parties civiles ne peuvent, notamment pas prétendre à obtenir réparation du non-respect des obligations contractuelles incombant en réalité à Confort Plus, que la cour trouve en la cause les éléments d'appréciation suffisant pour fixer, toutes causes confondues, le préjudice subi par les époux Hauroo du fait des agissements délictueux de E Denis, à 100 000 F, qu'il leur sera également alloué, au titre des frais irrépétibles, la somme de 5 000 F.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en second ressort ; En la forme Reçoit les appels des parties civiles et du Ministère public ; Au fond infirmant le jugement entrepris, Déclare E Denis coupable des infractions prévues et réprimées par les articles L. 122-8 et L. 121-26 du Code de la consommation. En répression le condamne à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans avec les obligations prévues à l'article 132-45 5° du Code pénal. Sur l'action civile, condamne E Denis à payer aux parties civiles la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Déboute les parties civiles du surplus de leurs demandes. Le tout en application des articles L. 121-26, L. 121-28, L. 122-8 du Code de la consommation, 132-40 et suivants du Code pénal, 512 et suivants du Code de procédure pénale.