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Décisions

CA Paris, 9e ch. B, 25 juin 1997, n° 96-05207

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Beauquis, M. Barrau

Avocats :

Mes Varaut, Carli, Lemaire, Dubois

TGI Paris, 12e ch., du 7 mars 1996

7 mars 1996

Rappel de la procédure :

La prévention :

D Cyrille est prévenu d'avoir à Paris, de courant mars à mai 1994, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, en qualité de dirigeant de la société Even-Média :

1°) en violation des dispositions du chapitre 1er du titre II de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971, donné des consultations en matière juridique, en créant et en mettant en œuvre un service de consultations juridiques par serveur téléphonique intitulé " La ligne de l'avocat ",

2°) de s'être livré au démarchage en vue de donner des consultations en matière juridique en faisant paraître, dans divers journaux, notamment " Télé 7 jours " du 17 au 24 mars 1994 et " Le Galibot de Douai " du 9 mars 1994, une publicité mentionnant : " La ligne des avocats <téléphone>" réponses à vos questions gratuitement, litiges et renseignements, vie privée et professionnelle, conseils personnalisés " un avocat vous répond ".

T Jean-Luc est prévenu d'avoir :

1°) à Herblay, de courant mars à mai 1994, en tant que PDG de la société CDT, sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation et la consommation du délit d'infraction à l'article 66-2 de la loi du 31 décembre 1971 ci-dessus spécifié, commis par D Cyrille en fournissant le numéro de téléphone surtaxé aboutissant à un service juridique d'avocats et en exploitant ce service,

2°) sur le territoire national, courant mars 1994, en qualité de PDG de la société CDT livré au démarchage en vue de donner des consultations en matière juridique en faisant paraître, dans divers journaux, à la demande de la société Even-Média, notamment dans " Télé 7 Jours " du 17 au 24 mars 1994 et " Le Galibot de Douai " du 9 mars 1994, une publicité mentionnant " La ligne de l'avocat <téléphone>" réponses à vos questions gratuitement, litiges et renseignements, vie privée et professionnelle, conseils personnalisés " Un avocat vous répond ".

Le tout par application des articles 54, 66-2, 72 de la loi 71-1131 du 31/12/1971, 121-6, 121-7 du Code pénal, 1er du décret 72-785 du 25/08/1972, 66-4, 72 de la loi 71-1130 du 31/12/1971.

Le jugement :

Le tribunal par jugement contradictoire, a déclaré :

D Cyrille coupable de :

- consultation juridique ou rédaction d'acte sous-seing privé sans respect des conditions, faits commis de courant mars à mai 1994 à Paris,

- démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique, fait commis de courant mars à mai à Paris,

T Jean-Luc coupable de :

- complicité de consultation juridique ou rédaction d'acte sous-seing privé sans respect des conditions, faits commis de courant mars à mai 1994, à Herblay,

- démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique, faits commis courant mars 1994, sur le territoire national,

- à condamné :

D Cyrille aux peines de 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 F d'amende,

T Jean-Luc aux peines de 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 F d'amende,

- à ordonné à l'égard de T Jean-Luc et D Cyrille, la publication du jugement dans " Télé 7 Jours ", " Le Figaro ", " Le Monde ", " Le Galibot ", dans la limite de 4 000 F, par extrait, le tout aux frais des condamnés ;

- a assujetti la présente décision à un droit fixe de procédure de 600 F ;

- a reçu les parties civiles en leur constitution et à alloué :

- à l'Ordre des Avocats au Barreau de Paris un franc à titre de dommages et intérêts et 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

- à l'Ordre des Avocats au Barreau de Douai 30 000 F à titre de dommages et intérêts et 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur T Jean-Luc, le 15 mars 1996, sur les dispositions pénales et civiles.

Monsieur le Procureur de la République, le 15 mars 1996, contre Monsieur T Jean-Luc.

Monsieur D Cyrille, le 18 mars 1996, sur les dispositions pénales et civiles.

Monsieur le Procureur de la République, le 18 mars 1996, contre Monsieur D Cyrille.

Décision :

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme,

Considérant que les prévenus et le Ministère public ont régulièrement interjeté appel du jugement rendu le 7 mars 1996 par le Tribunal de grande instance de Paris ; que ces appels formés dans le délai légal sont recevables ;

Au fond,

Considérant que les premiers juges, après rappel de la prévention ont exactement relaté les circonstances de la cause ; qu'il convient à cet égard de se référer aux énonciations du jugement entrepris ;

Qu'il suffit de rappeler que les 22 et 24 mars 1994, les Ordres des avocats près les Cours d'appel de Paris et de Douai ont porté plainte, en dénonçant la publicité parue dans le magasine " Télé 7 Jours " et " Le Galibot de Douai " pour un serveur téléphonique, dénommé " La ligne des avocats ", offrant de fournir gratuitement des réponses aux questions posées par les correspondants ; que les plaintes dénonçaient l'infraction à la prohibition du démarchage par un avocat, le caractère mensonger de la publicité, en ce que les correspondants devaient acquitter le montant de la communication surtaxée, d'une part, et se voyaient d'autre part proposer un entretien personnel avec un avocat, moyennant communication de leur numéro de carte bancaire, et un tarif de 240 F, et s'interrogeaient sur la qualité des personnes appelées à répondre ainsi par voie téléphonique ;

Considérant que l'enquête réalisée a révélé que le numéro de téléphone surtaxé avait été attribué à la société Even-Média, établie à Herblay, et dirigée par Monsieur D Cyrille ; que l'idée de la création et de l'exploitation du serveur appartenait à ce dernier, qui avait délégué par voie contractuelle la promotion de ce service et la publicité à la société CDT, dirigée par T Jean-Luc, et la prestation proprement dite de la société CRPA ;

1°) Sur le délit de consultations juridiques irrégulières :

Considérant que le jugement dont appel, par des dispositions devenues définitives, a condamné Monsieur Guiberteau, directeur de cette dernière société, et Madame Chemineau, recrutée par celle-ci pour répondre aux questions des correspondants, alors qu'elle n'avait plus la qualité d'avocat, ayant cessé d'exercer cette profession depuis plusieurs années ;

Considérant que pour solliciter oralement et par voie de conclusions écrites sa relaxe, Monsieur D Cyrille fait valoir qu'il ne saurait lui être imputé d'avoir volontairement enfreint la loi du 31 décembre 1971, en organisant des consultations juridiques fournies par une personne ne possédant pas la qualité d'avocat, la responsabilité de cette irrégularité incombant selon lui à la seule société CRPA, à qui il avait délégué la gestion du service, par un contrat du 1er janvier 1994, qui stipulait expressément que la société gestionnaire s'engageait dans les termes suivants :

- " à mettre à disposition son service de consultation composé d'avocats,

- assumera l'entière responsabilité de son service d'avocats et veillera à ce que soient respectées les règles déontologiques imposées par l'Ordre des Avocats, notamment les avocats engagés par le gestionnaire ne pouvant en aucun cas de consultation par le service audiotex uniquement, comme en cas de consultations directes donner leurs noms et leurs coordonnées, ni les noms et coordonnées d'autres avocats ",

- garantit la société Even-Média au cas où sa responsabilité serait engagée par l'Ordre des Avocats,

- s'oblige à n'engager que des avocats, c'est-à-dire des personnes qui ont obtenu le Certificat d'Aptitude à la Profession d'Avocat (CAPA), qui ont prêté le serment d'avocat, et qui exercent actuellement cette activité ".

Considérant qu'il appartenait à D Cyrille, en tant qu'offreur du service de s'assurer de ce qu'il n'exerçait régulièrement ; qu'il ne peut prétendre s'exonérer de sa responsabilité en invoquant les dispositions contractuelles, insusceptibles de le préserver des conséquences pénales de ses propres actes ; qu'en outre, il n'avait consenti à la société CRPA qu'une délégation limitée, au fonctionnement matériel du service, les redevances produites par l'utilisation du serveur téléphonique devant être encaissée par Even-Média, et partiellement ristournées à CRPA, qui ne devait quant à elle, encaisser que les montants des consultations personnalisées, et en reverser une quote-part à Even-Média ;

Considérant qu'il en résulte que les premiers juges ont à juste titre retenu à la charge de D Cyrille l'infraction réprimée par l'article 72 de la loi du 31 décembre 1971 ;

Considérer que la société CDT dirigée par T Jean-Luc s'est engagée par contrat à :

" Assurer la médiatisation du numéro kiosque téléphonique " ;

Que sa rémunération consistait en un reversement partiel des redevances touchées par Even-Média de France Télécom, Even-Média s'engageant en outre à prendre en charge les différents frais afférents à l'utilisation du service, à l'exception de l'abonnement téléphonique, restant à la charge de son partenaire ; qu'ainsi étaient dévolus à la société CDT les actes qui constituaient le seul mode d'exploitation du produit conçu par D Cyrille ;

Que si le prévenu souligne dans ses écritures l'erreur de fait qu'auraient commise les premiers juges en retenant pour caractériser la complicité de consultations juridiques irréguliers, la fourniture du numéro de téléphone surtaxé,

Il résulte de la convention signée entre les deux sociétés qu'en prenant en charge les redevances mensuelles du numéro kiosque envers France Telecom, les frais de câblage et de modification, et en assurant la présentation au public de ce service, Monsieur T Jean-Luc a bien accompli les actes matériels de complicité qui lui sont reprochés ;

Considérant qu'il soutient en outre n'avoir eu aucune intention délictuelle, ignorant le défaut de qualité d'avocat du juriste recruté par une société avec laquelle il n'entretenait pas de relations directes ; mais considérant qu'en tant que responsable de la promotion du service, et donneur d'ordre en vue de la publication des encarts dans les journaux, il endossait la charge de s'assurer de la sincérité des informations publiées, et ne peut invoquer sa propre défaillance dans le respect de ses obligations pour s'exonérer de sa responsabilité ;

2°) Sur le délit de démarchage prohibé :

Considérant que, de la même façon, Monsieur D Cyrille soutient que, n'ayant personnellement donné aucun ordre de publicité et s'en étant remis sur ce point à la société CDT, en exécution des dispositions contractuelles liant cette société à Even-Média, il ne saurait lui être reproché aucun manquement à la prohibition du démarchage en vue de prestations d'avocats ; qu'en outre, il fait valoir, à l'appui de ses conclusions de relaxe que le texte d'incrimination prohibe une telle publicité lorsqu'elle s'exerce par voie de " tracts, lettres, affiches, films télévisées " ; que ce texte n'interdisant pas la publicité dans la presse écrite, les agissements reprochés au prévenu ne tomberaient pas sous le coup de l'interdiction ;

Que de même, Monsieur T Jean-Luc affirme que le tribunal aurait fait une confusion entre les notions de démarchage et de publicité, et aurait à tort qualifié en l'espèce les faits de démarchage, alors qu'ils ne relèveraient que d'une publicité par voie de presse écrite, donc licite ;

Considérant toutefois que l'article 1er du décret du 25 août 1972 définit le démarchage au sens de l'article 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 comme : " le fait d'offrir ses services en vue de donner des consultations . " juridiques ; que cette définition générale, suivie d'une énumération non limitative de procédés de démarchage, indiqués à titre d'exemple implique que soit retenu comme fait de démarchage toute offre de service de cette nature, quel qu'en soit le procédé ;

Considérant que le texte de l'encart publié à l'initiative des prévenus ne saurait s'analyser en une simple publicité mais bien comme une proposition de consultation gratuite et de conseils personnalisés, et que les premiers juges ont exactement qualifié ces parutions d'actes de démarchage ;

Considérant que l'auteur principal de ce délit est Monsieur D Cyrille, de qui émanait l'offre de services ; que Monsieur T Jean-Luc a prêté aide et assistance à celui-ci en établissant la maquette de l'encart destiné à la publication, validée et approuvé par Monsieur D Cyrille, puis en exécutant les démarches nécessaires à sa publication ; qu'il doit donc être retenu comme complice de ce délit ;

Sur la peine :

Considérant que la cour, faisant des circonstances de l'espèce une appréciation différente de celle des premiers juges infligera aux deux prévenus une sanction sous forme d'une peine d'amende ;

Sur l'action civile :

Considérant que l'Ordre des Avocats au Barreau de Paris sollicite la confirmation du jugement entrepris, et demande l'attribution d'une somme supplémentaire de 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, ainsi qu'une mesure de publication complémentaire visant l'arrêt de la cour, dans la même limite de 4 000 F par extrait que celle retenue par les premiers juges ;

Considérant que l'Ordre des Avocats au Barreau de Douai sollicite la confirmation de la décision, ainsi que l'attribution d'une somme de 10 000 F au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Considérant qu'il convient de confirmer la décision dont appel, en ce qu'elle a considéré comme certain le préjudice subi par les ordres des avocats, et alloué aux parties civiles le montant de leurs demandes ;

Que la mesure la plus appropriée pour parfaire la réparation du préjudice subi apparaît une mesure de publication des décisions intervenues, dans les revues ayant publié les encarts par lesquels ont été réalisées les infractions ; que cette mesure sera donc limitée à l'hebdomadaire " Télé 7 Jours " et au " Le Galibot de Douai " ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, et en second ressort ; En la forme : Reçoit les appels des prévenus et du Ministère public ; Au fond : Confirmant pour partie, et réformant pour partie la décision entreprise ; Sur l'action publique : Déclare D Cyrille coupable entre les mois de mars et mai 1994 de consultations juridiques irrégulières, et de démarchage en vue de donner des consultations juridiques, Le condamne à la peine de vingt mille francs d'amende (20 000 F) ; Déclare T Jean-Luc coupable de complicité de ces délits commis entre les mois de mars et de mai 1994, le condamne à la peine de vingt mille francs d'amende (20 000 F) ; Sur l'action civile : Confirme le jugement dont appel, sur le montant des dommages et intérêts accordés aux parties civiles, ainsi que les sommes allouées au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Dit n'y avoir lieu à accorder aux parties civiles de sommes supplémentaires sur le fondement de cet article ; Ordonne à l'égard des prévenus la publication par extraits du jugement et de la présente décision dans les revues " Télé 7 Jours " et " Le Galibot de Douai " dans la limite de 4 000 F pour chaque insertion, à la charge des condamnés. Le tout par application des articles 54, 66-2, 72 de la loi 71-1131 du 31/12/1971, 121-6, 121-7 du Code pénal, 1er décret 72-785 du 25/08/1972, 66-4, 72 de la loi 71-1130 du 31/12/1971, 512, 515 du Code de procédure pénale.