CA Metz, ch. civ., 3 décembre 1992, n° 69-91
METZ
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Graff (Epoux)
Défendeur :
Max Cuisines (SARL), UCB (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Merle
Conseillers :
Mme Staechele, M. Dannenberger
Avocats :
Mes Burgun-Bettenfeld, Fontana, Nodee, Zachayus.
Les époux Graff ont, suivant bons de commandes des 7 juillet 1990 et 3 août 1990, commandé à la société Max Cuisines, des éléments de cuisine sur mesure d'un prix de 80 000 F et des éléments de salle de bains d'un montant de 20 000 F, un acompte de 4 000 F ayant été versé lors de la commande des éléments de salle de bains.
Il était prévu que la première commande devait être financée par un crédit, une offre de crédit de la société CREG ayant été signée le 07.07.1990 par l'intermédiaire de Max Cuisines.
Cette entreprise a procédé à la livraison, les éléments commandés se révélant inadaptés, en sorte que les époux Graff ont refusé de signer le bulletin de livraison.
Ils indiquaient avoir appris par la suite que la compagnie UCB leur avait consenti un prêt de 80 000 F, les fonds ayant été débloqués au profit de la SARL Max Cuisines, à la suite d'un ordre de versement du 20 juillet 1990 qu'ils contestaient avoir signé.
Les époux Graff ont saisi le Tribunal d'instance de Sarrebourg d'une demande tendant à la vérification de leurs signatures figurant sur une offre de prêt de l'UCB.
Par jugement prononcé le 08.07.1991 le Tribunal d'instance de Sarrebourg a rejeté cette demande et invité les parties à prendre position sur le fond du litige.
Suivant déclaration d'appel remise au greffe de 08.01.1992 les époux Graff ont fait appel de ce jugement.
Les époux Graff ont donc saisi le Tribunal d'instance de Sarrebourg d'une demande tendant :
- à l'annulation des ventes des 07.07.1990 et 03.08.1990,
- à la condamnation de la société Max Cuisines à leur restituer l'acompte de 4 000 F et ce, avec intérêts de droit à compter de la demande ;
- à l'annulation du contrat de prêt UCB ;
- à la condamnation des sociétés Max Cuisines et UCB au paiement d'une somme de 4 000 F sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- avant dire droit à la suspension de l'exécution du contrat de crédit UCB ;
Par jugement prononcé le 28.10.1991, le Tribunal d'instance de Sarrebourg a débouté les époux Graff de leurs demandes tendant à voir constater la nullité des contrats de vente des 7 juillet et 3 août 1990 ainsi que du contrat de prêt UCB, ordonné une expertise concernant l'exécution de son obligation de livraison par la société Max Cuisines.
Selon déclaration d'appel remise au greffe de la cour le 08.01.1992, Monsieur et Madame Graff ont relevé appel de cette décision.
Les deux procédures ont été jointes par décision du 6 mars 1992.
Monsieur et Madame Graff concluent à l'infirmation des deux jugements par eux frappés d'appel, avant dire droit à l'institution d'une procédure de vérification d'écritures ou à défaut d'une expertise graphologique de l'offre de crédit en date du 20.07.1990 produite par l'UCB, au fond au prononcé de la nullité de cette offre préalable ainsi que des deux contrats de vente conclu avec la société Max Cuisines, à la condamnation solidaire de cette dernière et de l'UCB aux dépens et au paiement d'une somme de 4 000 F sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ils estiment :
- que c'est à tort que le tribunal d'instance a rejeté leur demande de vérification d'écritures, rappelant que lorsqu'ils ont passé commande de leur cuisine le 07.07.1990, Madame Graff a signé également une offre préalable de crédit auprès de la société CREG ;
- qu'ayant appris que c'est l'UCB qui avait assuré le financement de cette opération puis débloqué les fonds au profit de la société Max Cuisines, Madame Graff avisait l'UCB qu'elle seule avait signé l'offre de prêt et lui déclarait les documents contractuels, à réception desquels elle-même et son époux constataient que les signatures y figurant étaient fausses ;
- que la cour ne peut se satisfaire de simples similitudes ;
- que le contrat de crédit ne peut donc leur être opposé.
Ils contestent la validité du bon de commande du 07.07.1990 en invoquant l'article 11 de la loi du 10.02.1978, posant le principe d'une dépendance entre le contrat de crédit et le contrat de vente ainsi financé, or l'offre préalable du CREG n'ayant jamais été acceptée, et celle, même plus avantageuse de l'UCB, n'ayant été signée par eux, la vente doit être considérée comme n'ayant pas été signée par eux, la vente doit être considérée comme n'ayant pas été réalisée.
Ils font valoir que la lettre adressée le 31.01.1990 par Madame Graff à l'UCB ne peut être considérée comme une acceptation du crédit, puisqu'elle y demandait des précisions sur ce crédit ignoré d'elle.
Ils reprochent à la société Max Cuisines de n'avoir pas respecté les dispositions de la loi du 22.12.1972 réglementant le démarchage à domicile, qui imposent à peine de nullité au vendeur de faire figurer certaines indications sur le bon de commande, notamment celles concernant le prix global et les modalités de paiement du prix et les mentions permettant de connaître le coût des opérations de crédit ; ils affirment que ces mentions ne se trouvent pas sur le bon de commande du 07.07.1990 ni sur celui du 03.08.1990.
Ils prétendent également que la vente du 03.08.1990 est nulle parce que le bon de commande, mentionnant les époux Graff comme étant les acheteurs, n'a été signé que par Madame Graff seule, et parce que ce bon de commande est dépourvu de formulaire de rétractation.
La SA UCB conclut pour sa part à la confirmation du jugement du 28.10.1991 et à la condamnation solidaire des époux Graff aux dépens et à lui payer la somme de 3 558 F TTC au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'un prêt de 80 000 F a été accordé aux époux Graff en vue de l'acquisition d'une cuisine intégrée et que les fonds ont été normalement versés à l'entreprise, celle-ci ayant attesté de la livraison et de la pose.
Elle fait état du courrier à elle adressé par Madame Graff, celle-ci ayant donc confirmé la validité de son engagement.
La société Max Cuisines, en liquidation judiciaire selon jugement du 16.10.1991 a été régulièrement assignée en la personne de son liquidateur Maître Nodée. Or celui-ci n'a pas comparu ni constitué avocat. Il y aura donc lieu de statuer à l'encontre de la société Max Cuisines et de Maître Nodee par arrêt réputé contradictoire.
Sur quoi, LA COUR :
Attendu qu'il est constant que les époux Graff ont été démarchés par Monsieur Hager, représentant de la SARL Max Cuisines ;
Attendu qu'il résulte des documents contractuels versés aux débats :
- qu'un bon de commande a été établi au nom de Monsieur Daniel Graff et signé par lui de 07.07.1990 en vue de l'acquisition d'une cuisine d'une prix de 8 000 F ;
- que le même jour, une offre préalable de crédit émanant de la société CREG a été signée respectivement par Madame Graff en qualité d'emprunteur et par Monsieur Graff en qualité de coemprunteur ;
- que le 03.08.1990, Monsieur Graff a signé un bon de commande établi à son nom en vue de l'acquisition de meubles de salle de bains pour le prix de 22 000 F un acompte de 4 000 F étant versé par le client ;
- qu'une offre préalable de crédit de l'UCB a été établie le 20.07.1990 en vue de financer la cuisine commandée le 07.07.1990 ;
que le 21.09.1990 la société Max Cuisines, affirmant avoir installé la cuisine ainsi vendue, a demandé à l'UCB de lui verser les 80 000 F prêtés aux époux Graff, ce qui a été fait le 25.09.1990;
- que Madame Graff a ensuite écrit à l'UCB pour faire connaître à cet organisme que c'est elle qui avait contracté un prêt et non son mari, pour préciser que les échéances devaient être prélevées sur son compte privé et pour demander que lui soit précisé le montant des mensualités à payer ;
- que par une lettre de leur avocat de première instance en date du 04.12.1990 les époux Graff ont mis en demeure l'UCB de leur fournir les pièces les liant à cet organisme ;
- qu'ayant reçu les documents demandés, ils ont le 14.01.1991, indiqué à l'UCB que les signatures portées sur l'offre de prêt du 20.07.1990 étaient fausses, et ont fourni un exemplaire de leur signature ;
- que néanmoins, l'UCB a adressé aux époux Graff le 20.02.1991, une correspondance leur faisant connaître que la première mensualité d'un montant de 1 353,04 F viendrait à échéance le 20.03.1991 un tableau des échéances étant annexé à ce courrier ;
Sur la nullité des contrats de vente conclus avec la société Max Cuisines :
Attendu que l'article 2 de la loi n° 721137 du 22.12.1972 dispose que le contrat remis au client au moment de la conclusion du contrat doit à peine de nullité comporter notamment les mentions concernant le prix global à payer et les modalités de paiement, et en cas de vente à crédit le taux normal de l'intérêt et le taux effectif global déterminé dans les conditions prévues par la loi du 28.12.1986 sur l'usure ;
Que ce même texte impose que figure sur le contrat la faculté de renonciation prévue à l'article 3 de la loi, ainsi que les conditions d'exercice de cette faculté et de façon apparente le texte intégral des articles 2-3 et 4 de la loi ;
Que le contrat doit en outre comprendre un formulaire détachable destiné à faciliter l'exercice de la faculté de rétractation ;
Or attendu que le simple examen des bons de commande des 07.07.1990 et 03.08.1990 démontre que les mentions prescrites à peine de nullité ont été omises par la société Max Cuisines et que l'encadré destiné à l'annulation de la commande ne répond pas aux exigences légales ;
Attendu au surplus que la lecture du bon de commande du 03.08.1990 fait apparaître encore que la société Max Cuisines a contrevenu aux dispositions de l'article 4 de la loi précitée du 22.12.1972 qui interdit la perception par le vendeur de la part du client d'une quelconque somme, contrepartie ou engagement ayant l'expiration du délai de réflexion de sept jours édicté par l'article 3 ; qu'il n'est pas contesté qu'un acompte de 4 000 F a été versé le 03.08.1990 lors de la signature du bon de commande ;
Attendu qu'il suit qu'il y a lieu de déclarer nulles les deux ventes conclues dans ces conditions ; qu'il est en effet inopérant que les acheteurs se soient prévalus de cette nullité postérieurement à la livraison, alors que les écritures des appelants non contestées par la société Max Cuisines et son liquidateur révèlent que les clients ont refusé de signer le bon de livraison pour non conformité des marchandises commandées cette non conformité étant elle- même démontrée par l'expertise effectuée en vertu de l'exécution provisoire et en exécution du jugement du 28.10.1991 ;
Sur la nullité du contrat de prêt conclu avec l'UCB le 20.07.1990 :
Attendu qu'en cas d'offre de crédit affecté au financement de l'acquisition d'un bien ou à la fourniture d'une prestation de services, l'article 9 de la loi n° 78-22 du 10.01.1978, relative à l'information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit, dispose que lorsque le contrat principal est résolu ou annulé, le contrat de prêt est lui- même résolu ou annulé de plein droit ; que par suite, le contrat de vente de la cuisine ayant été déclaré nul il y a lieu de déclarer également nul le contrat de prêt liant les époux Graff à l'UCB, sans qu'il soit besoin de mettre en ouvre une procédure de vérification d'écritures ou d'ordonner une expertise graphologique ; qu'au demeurant et surabondamment, la comparaison des signatures figurant sur les bons de commande et l'offre de crédit CREG avec les signatures apposées sur l'offre de crédit litigieuse du 20.07.1990 démontre de façon évidente, et contrairement à ce qu'à jugé le tribunal d'instance dans son premier jugement du 08.07.1991, que les signatures des époux Graff ont été grossièrement imitées ;
Que, par ailleurs, il est curieux de constater que cette offre est datée du 20.07.1990, alors que le contrat de vente concernant cette cuisine a été passé le 07.07.1990 et que le même jour les époux Graff ont signé auprès de la société CREG une offre préalable de crédit auquel il n'a pas été donné suite ; que par ailleurs, si ce document, qui mentionne expressément le montant de mensualité due soit 1 311,76 F, avait été signé par les appelants, il n'aurait pas été nécessaire que Madame Graff s'enquiert auprès de l'UCB du montant des mensualités à prélever sur son compte, étant précisé que sur cette offre de crédit, c'est le mari qui figure en qualité d'emprunteur, alors que sur l'offre de crédit CREG signée le 07.07.1990 c'est Madame Graff qui a la qualité d'emprunteur, ainsi qu'elle l'a fait observer à l'UCB ;
Sur les conséquences de l'annulation des contrats litigieux :
Attendu que les contrats de vente et de prêt étant déclarés nuls, il y a lieu de replacer les parties dans la situation où elles se trouvaient avant leurs conclusions et de dire que les parties devront en tirer toutes conséquences de droit ;
Attendu qu'il convient de condamner l'UCB aux dépens ;
Que l'équité commande en outre de mettre à la charge de l'UCB une indemnité de 4 000 F pour frais irrépétibles ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant après en avoir délibéré, publiquement et par arrêt réputé contradictoire à l'égard de la SARL Max Cuisines et de Maître Nodée ès qualité de liquidateur à liquidation judiciaire de cette société : juge recevable et bien fondé l'appel formé par Monsieur et Madame Graff à l'encontre de jugement rendus par le Tribunal d'instance de Sarrebourg ; infirme le jugement du 08.07.1991 en ce qu'il a refusé de faire droit à demande de vérification d'écritures présentées par les époux Graff et infirme jugement du 28.10.1991 en ce qu'il a débouté les époux Graff de leur demande tendant à la nullité des contrats de vente et de prêt, ainsi que de suspension des effets du contrat de prêt ; et statuant à nouveau : juge sans objet les demandes de vérification d'écritures et de suspension des effets du contrat de prêt UCB. Annule avec toutes conséquences de droit les contrats de vente conclus les 07.07.1990 et 03.08.1990 entre les époux Graff et la société Max Cuisines, ainsi que le contrat de prêt liant l'UCB et les époux Graff ; condamne l'UCB aux entiers dépens et à payer à Monsieur et Madame Graff une indemnité de 4 000 F sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.