CA Agen, 1re ch., 18 février 1993, n° 179
AGEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Minvielle Diffusion Meubles (SARL)
Défendeur :
Jardin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dauriac
Conseillers :
M. Lateve, Mme Dreuilhe
Avoués :
Sté Narran, Sté Tandonnet
Avocats :
Me Lagaillarde, Sté Moulette.
La SARL Minvielle Diffusion Meubles a régulièrement interjeté appel le 31 mars 1992 à l'encontre de Monsieur André Jardin du jugement rendu le 16 mars 1992 par le Tribunal d'Auch qui :
- a dit que le contrat en date du 27 février 1991 liant les parties et portant commande de meubles, de chambre pour un montant de 26 500 F avec versement d'un acompte de 6 500 F est soumis aux dispositions de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972.
- a déclaré ce contrat nul comme méconnaissant les dispositions de l'article 2 de la loi,
- l'a condamné en conséquence à payer à Monsieur Jardin la somme de 6 500 F en restitution de l'acompte versé, outre les intérêts au taux légal à compter du 27 février 1991.
- a ordonné l'exécution provisoire de sa décision,
L'appelant sollicite, les faits étant constants aux débats et exposés dans le jugement appelé l'infirmation de cette décision.
Il demande à la cour de déclarer parfaite la vente intervenue le 27 février 1991 ; de condamner Monsieur Jardin au solde restant dû soit 20 000 F ; de dire que celui-ci devra prendre livraison de la chose vendue sous astreinte de 500 F par jour de retard puis 10 jours après la signification de l'arrêt à intervenir ; de lui allouer 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
L'appelant prétend que la loi du 22 décembre 1972 modifiée par la loi du 23 juin 1989 ne peut recevoir application que si la signature du contrat a lieu au domicile, à la résidence ou au lieu de travail, ce qui n'est pas le cas en l'espèce étant précisé qu'aucune proposition d'achat n'a été faite lors du contact téléphonique ; qu'ainsi l'intimé ne pouvait bénéficier de la faculté de retractation.
Monsieur André Jardin sollicite, pour les motifs retenus par le premier juge et qu'il reprend expressément la confirmation de la décision entreprise, l'allocation d'une somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts, de 3 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Il conclut subsidiairement à la nullité de la vente, son consentement ayant été vicié par les manœuvres de l'appelant et rappelle que le Président Directeur Général de la SARL Minvielle Diffusion Meubles et son directeur de magasin à Auch, Monsieur Rotger ont été condamnés pour publicité mensongère par le Tribunal correctionnel d'Auch le 25 juin 1992.
Les appelants ont répliqué en indiquant que l'intimé ne pouvait se prévaloir de cette décision de justice qu'ils ont frappée d'appel.
L'ordonnance de clôture est du 25 novembre 1992.
Sur quoi,
Attendu que, pour obtenir réformation du jugement appelé, la SARL Minvielle Diffusion Meubles fait essentiellement valoir que Monsieur Jardin a signé le bon de commande à l'intérieur du magasin ce qui exclurait un démarchage à domicile ;
Qu'en tout état de cause, le démarchage téléphonique dont il a été l'objet avait un autre objet puisqu'il lui annonçait seulement qu'il avait gagné un cadeau qu'il était invité à venir retirer au magasin ; qu'ainsi la vente serait parfaite sans qu'il soit nécessaire de respecter le formalisme exigé par la loi du 22 décembre 1972 et notamment l'exigence d'un formulaire détachable de retractation ;
Mais attendu que cette analyse est erronée ; qu'elle ne peut être retenue pour les motifs suivants ;
Attendu qu'il est constant que Monsieur André Jardin, au chômage, a été contacté au téléphone par cette société qui lui a annoncé qu'il avait gagné un lot à retirer au magasin d'Auch.
Attendu qu'il a également été destinataire d'un prospectus, lui confirmant le cadeau gagné " à venir découvrir auprès de l'un de nos conseillers " et lui annonçant un autre cadeau exceptionnel, savoir une remise à découvrir après grattage, à valoir sur l'achat d'un salon en cuir ou d'une chambre ou d'une salle à manger.
Attendu que ces démarchages téléphonique et épistolaire sont constitutifs d'une technique de vente au terme de laquelle le client, attiré dans le magasin rencontrera le vendeur qui détient son gain et qui, en le lui remettant dans une atmosphère conviviale et détendue, peut l'entreprendre en toute sérénité en vue de réaliser une vente ;
Attendu qu'à cet égard, c'est juste titre que le premier juge a relevé que l'intention de vendre existe dès l'origine chez le commerçant ; qu'elle constitue la finalité de l'opération puisque le client, lorsqu'il répond à la sollicitation ne peut échapper à la rencontre avec le vendeur qui va obligatoirement l'entreprendre ;
Attendu qu'ainsi le décalage temporel entre la manifestation de l'intention de vendre et sa naissance déguisée sous le prétexte de remettre un cadeau est artificiel, de pure opportunité juridique pour tourner les dispositions légales ; qu'il n'altère en aucune manière l'économie réelle de l'opération laquelle est soumise aux dispositions de la loi du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile ;
Attendu qu'il s'ensuit, comme l'a dit le premier juge que la convention liant les parties est soumise aux dispositions de la loi de 1972 qui impose un formalisme rigoureux et exige, notamment à peine de nullité que le contrat comprenne " un formulaire détachable destiné à faciliter l'exercice de la faculté de renonciation dans les conditions prévues à l'article 3 ".
Attendu que le bon de commande rédigé le 27 février 1991 ne comportait pas ce formulaire ; qu'il a justement été déclaré nul ; que la SARL Minvielle Diffusion a en conséquence, justement été condamnée à restituer l'acompte versé avec les intérêts au taux légal ;
Qu'ainsi la décision déférée sera confirmée dans toutes ses dispositions ;
Et attendu qu'en résistant à la demande en interjetant un appel mal fondé et en n'exécutant pas une décision assortie de l'exécution provisoire la SARL Minvielle Diffusion a créé soucis et tracas à Monsieur André Jardin dont la situation financière difficile risquait d'être compromise par ce contrat ; qu'il n'existe un préjudice distinct du préjudice résultant du simple retard à rembourser l'acompte versé, préjudice réparé par les intérêts moratoires ; que la cour a les éléments pour évaluer ce préjudice particulier à la somme de 5 000 F que l'appelant sera condamné à payer à Monsieur André Jardin.
Et attendu qu'il serait particulièrement inéquitable compte tenu de la situation économique de Monsieur André Jardin qui plaide sous le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale de laisser à sa charge les dépens irrépétibles qu'il a dû exposer pour la défense de ses intérêts dans cet appel mal fondé ; qu'il lui serait alloué la somme de 2 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Et attendu que les dépens suivent le sort du principal ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement contradictoirement, en dernier ressort, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Reçoit l'appel régulier en la forme ; le déclare mal fondé, En conséquence, confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, Et, y ajoutant, Condamne la SARL Minvielle Diffusion Meubles à payer à Monsieur André Jardin la somme de 5 000 F (cinq mille francs) à titre de dommages et intérêts et la somme de 2 000 F (deux mille francs) en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La condamne enfin aux entiers dépens ; Dit que les dépens seront recouvrés comme en matière d'aide judiciaire.