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Décisions

CA Paris, 2e ch. A, 10 janvier 1994, n° 91-022706

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Poulain

Défendeur :

JV Promotion (Sté), Pech de Laclause (ès qual.), Caixabank CGIB (SA), Motel de la Clape (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Honorat

Conseillers :

Mmes Duvernier, Dintilhac

Avoués :

SCP Lagourgue, SCP Parmentier Hardouin, SCP d'Auriac Guizard, SCP Verdun Gastou, SCP Faure Arnaudy

Avocats :

Mes Dreyfus, Ribadeau Dumas, Baruc, Naval, Poupelin.

TGI Paris, 2e ch., 1re sect., du 17 juin…

17 juin 1991

Par acte de Maître Bernard Pech de Laclause, notaire à Narbonne, du 4 juillet 1984, Henri Poulain représenté par Norbert Rieu en vertu d'une procuration sous seing privé du 3 mai précédent, acquit de la SARL du Motel de la Clape dite SMC dont la SA Administration Gérance Equipement Immobilier est la gérante, elle-même représentée par son directeur général Augustin Delnomdedieu, un studio constituant le lot n° 658 d'un ensemble immobilier dénommé " Résidence Le Barberousse " sis à Guissan-Place, commune de Gruissan.

Le prix de 200 000 F en fut payé à concurrence de 180 000 F au moyen d'un prêt consenti par la banque pour la Construction et l'Equipement dite CGIB devenue ultérieurement la Caixabank DGIB pour sûreté et garantie duquel celle-ci fit publier le 4 septembre 1984 à la conservation des Hypothèques de Narbonne une inscription de privilège du prêteur de deniers sur l'immeuble acquis.

Le 22 octobre 1986, Henri Poulain assigna devant le Tribunal de grande instance de Paris la SARL du Motel de la Clape, la CGIB ainsi qu'une SARL JV Promotion aux fins de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- dire nuls et de nul effet l'acte de vente, l'acte de prêt et l'inscription sus-visés,

- condamner les sociétés du Motel de la Clape et JV Promotion à lui payer les sommes de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner solidairement les trois défenderesses aux frais et dépens de l'instance.

Au soutien de ces demandes, il exposa qu'ayant reçu à son domicile de Fribourg-en-Brisgau la visite d'un certain Pelaezse disant représentant d'une société JV Promotion, celui-ci lui avait fait valoir les avantages d'un placement financier dans les appartements mis en location dans le sud de la France et lui avait fait signer le 3 mai 1984 un acte sous seing privé qui " rapidement présenté comme une simple réservation de lot qui n'engageait à rien constituait en réalité un mandat donné à un Monsieur Rieu d'acquérir moyennant le prix principal de 200 000 F TTC un appartement situé dans la résidence Motel de la Clape à Gruissan et d'emprunter à la banque la somme de 180 000 F destinée à financer le prix d'achat de l'immeuble ".

Il fit valoir :

- Sur le mandat

- que celui-ci " portant en l'espèce tant sur la signature d'un acte de vente que sur l'inscription du privilège du prêteur de deniers c'est-à-dire sur deux actes authentiques, devait manifestement à peine de nullité revêtir la forme authentique ",

- que l'acte litigieux signé par (lui) à son domicile de Fribourg en Brisgau, au cours d'une opération de démarchage, n'était pas conforme aux dispositions requises à peine de nullité par l'article 2 de la loi d'ordre public du 22 décembre 1972 et du 13 juillet 1979,

- que cet acte, en violation de l'article 1325 du Code civil, semblait n'avoir été établi qu'en un seul exemplaire.

- sur les actes de vente et de prêt

- que leur nullité résultait de la nullité de la procuration,

- que l'acte de vente était également nul pour dol, lequel résultait des affirmations mensongères contenues dans une " convention de garantie locative " constatée par un document à en-tête de la société JV Promotion portant le cachet d'une SARL Soreco ainsi que pour absence de consentement, la procuration litigieuse lui ayant été présentée comme 'une simple réservation de lots ne l'engageant en rien ".

Le 4 mai 1990, la Caixabank-CGIB assigna en garantie Maître Pech de Laclause, lequel ne constitua pas avocat.

Les trois sociétés défenderesses conclurent au rejet des demandes.

Par jugement réputé contradictoire du 17 juin 1991, le tribunal, après avoir ordonné la jonction des deux procédures, rejeta les prétentions de Henri Poulain en retenant :

- sur la procuration : qu'unilatérale, elle n'était pas soumise à la formalité de l'article 1325 du Code civil et qu'elle n'était pas non plus subordonnée à l'exigence d'un acte authentique ni aux dispositions des lois du 22 décembre 1972 et du 13 juillet 1979,

- sur la vente et le prêt : que l'absence de consentement et le dol ne pouvaient être retenus en l'espèce.

Henri Poulain interjeta appel de cette décision le 25 septembre 1991.

A l'appui de ce recours, il fait valoir :

- sur le mandat

- que celui-ci " ne peut être valable que s'il est accepté par le mandataire et qu'en conséquence l'acte contesté eût dû être signé de Monsieur Rieu et être établi en plusieurs exemplaires " conformément à l'article 1325 du Code civil,

- qu'ayant signé un mandat établi en blanc, " la présence d'un notaire était indispensable pour mettre en garde le mandant en lui révélant la portée de l'acte sur lequel il apposait sa signature ",

- que " conformément à la loi du 13 juillet 1979, les mentions obligatoires exigées par ce texte (indication du coût total du crédit) doivent être nécessairement connues de l'emprunteur, cette exigence étant d'ordre public ",

- que la procuration litigieuse n'était pas conforme aux dispositions des articles 2 et 3 de la loi du 22 septembre 1972 applicables en matière d'opérations de vente ou de construction d'immeuble.

- sur les actes de vente et de prêt

- que nuls parce qu'établis en exécution d'un mandat nul, ils le sont également parce que son consentement fut surpris par le dol caractérisé en l'espèce par une garantie locative annuelle émanant tantôt de la société JV Promotion tantôt de la société Soreco (qui auraient les mêmes dirigeants) " sans précision de durée alors qu'en fait, ladite garantie ne fut respectée que pendant une année ".

La société Motel de la Clape conclut à la confirmation pure et simple du jugement déféré et sollicite l'attribution d'une somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts et d'une somme de même montant sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société JV Promotion qui souligne que les arguments soulevés en appel sont identiques à ceux ayant donné lieu à un jugement de débouté du Tribunal de grande instance de Paris et en déduit que le présent recours est manifestement dilatoire, demande la confirmation de la décision entreprise et le versement d'une somme de 15 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Caixabank-CGIB soutient que l'appel est mal fondé et justifie la condamnation de Henri Poulain à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle précise que " si, par impossible la cour estimait que l'action introduite à l'origine à (son) encontre devait être déclarée recevable et fondée, en même temps que constater que Maître Pech de Laclause a incontestablement commis une faute de nature à engager sa responsabilité, notamment en ne vérifiant ni la capacité ni les pouvoirs de Monsieur Rieu à engager valablement Monsieur Henri Poulain ni la réalité du consentement de celui-ci ".

Elle en déduit que, dans ce cas, Maître Pech de Laclause devrait être condamné à lui payer la somme de 180 000 F avec intérêts au taux de 17,4499 % l'an à compter du 5 août 1984 et jusqu'au jour du parfait paiement sous déduction du montant des échéances réglées par l'emprunteur et devrait en outre la garantir de tous dommages et intérêts complémentaires qui pourraient être mis à sa charge.

Maître Pech de Laclause fait valoir :

- sur les demandes principales : que les demandes en nullité des différents actes visés par l'appelant ne concernent que les parties à ces actes et que sa responsabilité qui ne peut être recherchée que pour les conséquences d'un éventuel manquement à ses obligations ne saurait être retenus en l'espèce, l'appelant s'étant engagé en pleine connaissance de cause et " les actes passés en conséquence de ces engagements (étant) parfaitement valables ".

- sur l'appel en garantie de la Caixabank-CGIB :

- que, dans l'hypothèse où les actes de vente et de prêt seraient annulés, il appartiendrait à l'emprunteur de restituer le montant du prêt annulé à la banque qui ne pourrait ainsi subir un préjudice qu'en cas de défaillance de celui-ci ;

- que, dans le cas où seule, la sûreté serait annulée, l'empreunteur n'en resterait pas moins tenu au remboursement des échéances du prêt, son éventuelle défaillance justifiant alors seule un préjudice pour la banque.

Il demande outre la confirmation du jugement, la condamnation in solidum du " demandeur principal " et de la Caixabank-CGIB à lui verser une somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce

Sur le mandat

Considérant que, par acte sous seing privé du 3 mai 1984, annexé à l'acte de vente du 4 juillet 1984 indiquant faussement qu'il a été reçu 'en la forme authentique " et qu'il constitue " un acte en brevet sur deux pages ", Henri Poulain constitua pour mandataire spécial Norbert Rieu auquel il donna pouvoir d'acquérir un studio dans la résidence Le Motel de la Clape, moyennant le prix principal de 200 000 F, d'emprunter la somme de 180 000 F pour ce faire et de consentir toutes garanties hypothécaires et réelles au profit de l'établissement prêteur sur ce bien ;

Considérant que Henri Poulain, entre autres moyens, sans distinguer devant la cour comme il le fit devant le tribunal le principal du subsidiaire, fait valoir que cette procuration n'était pas conforme aux prescriptions d'ordre public des articles 2 et 3 de la loi du 2 décembre 1972 sur le démarchage à domicile ;

Considérant sur la nullité, au regard de la loi du 22 décembre 1972, du mandat d'acquérir et d'emprunter consenti à la suite du démarchage non contesté à domicile et lieu de travail, qu'il convient d'observer que ce démarchage tendait à faire signer, non pas une simple convention portant directement sur la propriété d'un bien immobilier, telle une promesse de vente, qui aurait en tout état de cause dû être réitérée par un acte signé, en tant qu'acquéreur par les personnes objet du démarchage, par devant un notaire auquel elles auraient alors pu demander toutes informations ou conseils, mais un mandat donné à une personne, dont il n'est d'ailleurs pas établi qu'elle ait été connue du mandant, de passer un acte de vente et de contacter un prêt ;

Qu'une telle convention avait donc pour objet direct une prestation de services qui tombe sous le coup de la loi du 22 septembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et vente à domicile ;

Considérant en tout état de cause que l'article 1er de cette loi dont la rédaction actuelle résulte de la loi du 23 juin 1989, et qui prévoyait dans sa rédaction initiale rappelée dans les conclusions d'appel de la société JV Promotion, " que quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage à domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, pour proposer à la vente, la location ou la location vente de marchandises ou objets quelconques ou pour offrir des prestations de services est soumis aux dispositions du présent texte " est en l'absence de limitation ou d'exclusion, applicable aux biens immobiliers comme mobilier, les motifs qui ont conduit le législateur à intervenir en matière de démarchage à domicile existant à tout le moins autant pour les premiers que pour les seconds, ce qui a d'ailleurs été confirmé par le législateur lui-même dans la rédaction actuelle de l'article 1er résultant de la loi du 23 juin 1989, dont au surplus il apparaît qu'en ce qui concerne cet article, elle a un caractère interprétatif et donc s'applique rétroactivement ;

Qu'à ce titre, le mandat litigieux aurait dû, à peine de nullité, comporter les mentions relatives notamment aux noms du fournisseur et du démarcheur, à l'adresse du fournisseur et du lieu de conclusion du contrat, à la désignation précise de la nature et des caractéristiques des services proposés, aux conditions d'exécution du contrat, à la faculté de renonciation et comprendre un formulaire détachable destiné à faciliter l'exercice de celle-ci ;

Qu'à défaut de l'observation de ces dispositions le mandat dont s'agit est entaché d'une nullité qui affecte les actes subséquents de prêt et de vente avec toutes conséquences de droit ;

Sur la demande de la société Caixabank-CGIB

Considérant que cette société dont il ne saurait être contesté comme le fit à tort Henri Poulain qu'elle respecta à l'égard de celui-ci les obligations mises à sa charge par la loi du 13 juillet 1979 et notamment celle de lui indiquer le coût total du crédit (524 412 F en l'espèce), fait valoir que l'annulation des actes litigieux lui cause un préjudice résultant de la faute qu'aurait commise Maître Pech de Laclause en ne vérifiant ni la capacité ni les pouvoirs de Norbert Rieu à engager valablement Henri Poulain ni la réalité du consentement de ce dernier ;

Considérant que les notaires sont tenus d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes rédigés par eux ;

Qu'en l'espèce, Maître Pech de Laclause commit une faute en ne vérifiant pas la régularité du mandat ;

Mais considérant qu'il convient de relever que la société Caixabank-CGIB ne justifie pas en l'état d'un préjudice certain et actuel consécutif au manquement invoqué dans la mesure où il n'est pas établi que le montant de sa créance ne lui sera pas réglé ;

Sur les autres demandes

Considérant que les intimés qui succombent seront déboutés de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur les dépens

Considérant que les sociétés Motel de la Clape, JV Promotion et Caixabank-CGIB qui succombent, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel les concernant ;

Que Maître Pech de Laclause, notaire, intimé provoqué qui a accepté sans réserves l'annexion au contrat notarié de vente d'un contrat notarié de vente d'un mandat équivoque des acheteurs, dans la mesure où il faisait référence dans les mentions imprimées à un mandat passé devant notaire qui était passé en fait sous seing privé, supportera la charge de ses dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, Réformant le jugement entrepris et statuant à nouveau, Dit nul et nul effet le mandat délivré le 3 mai 1984 par Henri Poulain à Norbert Rieu ; Dit en conséquence également nuls et de nul effet : - l'acte de prêt consenti le 25 juin 1984 par la société Caixabank-CGIB à Henri Poulain ; - l'acte de vente conclu le 4 juillet 1984 par le Ministère de Bernard Pech de Laclause, notaire à Narbonne, entre la SARL Le Motel de la Clape et Henri Poulain, relatif à un studio d'environ 16 m², plus situé au rez-de-chaussée sur quai, avec petite terrasse d'environ 4 m², portant le n° 11, délimité par les lots 657 et 659, représentant les 8-1000° des parties privatives et les 11-10 000° de la propriété du sol et des parties communes, constituant le lot 658 de l'état & de division du 1er avril 1976 et de son modificatif d'un ensemble immobilier dénommé " Résidence le Barberousse " sis à Gruissan-Place, commune de Gruissan, cadastré section AV n° 6 pour une superficie de 88 ares 65 centiares, formant le lot 4 de la zone d'autorisation préférentielle de la station touristique de Gruissan, quartier du port ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne in solidum les sociétés Caixabank-CGIB, JV Promotion et Motel de la Clape aux dépens de première instance et d'appel à l'exception de ceux de Maître Pech de Laclause qui conservera la charge de tous ses dépens ; Admet la SCP Lagourgue, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.