CA Paris, 5e ch. B, 18 mai 1995, n° 93-5852
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Warnet (Epoux)
Défendeur :
Laurent
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
MM. Bouche, Lefevre
Avoués :
SCP Fanet, SCP Garrabos Alizard
Avocats :
Mes Volkringer, Benhamou.
Considérant que les époux Daniel Warnet ont fait appel d'un jugement contradictoire du 8 décembre 1992 du Tribunal de grande instance de Melun qui les a condamnés à verser à Bernard Laurent 33 716,40 F avec intérêts au taux légal à compter du 11 juin 1991 ainsi que 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que les époux Daniel Warnet exposent que leur père et beau-père Louis Warnet, atteint de la maladie de Parkinson, a accepté le 27 septembre 1990 un devis de 56 216,40 F établi par l'artisan Bernard Laurent et concernant la fourniture et l'installation dans la cage d'escalier de son pavillon d'un fauteuil mobile, qu'un acompte de 12 000 F a été versé lors de la commande le 27 septembre 1990, mais que Louis Warnet est décédé le 25 décembre 1990 avant toute installation de l'appareil ;
Qu'ils soutiennent que Louis Warnet, en phase terminale de son affection, n'était plus en état de contracter valablement lorsqu'il a passé la commande, et qu'au surplus, la vente est nulle pour avoir été conclue à l'occasion d'un démarchage à domicile sans que la règle de l'adjonction d'un formulaire de rétractation imposée par la loi du 22 décembre 1972 soit respectée ;
Qu'ils demandent à la cour d'infirmer la décision déférée, de déclarer nul le contrat de vente du 27 septembre 1990 et de condamner Bernard Laurent à leur rembourser la somme de 12 500 F avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 1990 et à leur verser 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que Bernard Laurent conclut à la nullité de l'appel sans en fournir la raison ce qui dispense la cour de l'obligation d'une réponse ;
Qu'il expose subsidiairement qu'il a été contacté le 30 août 1990 par téléphone par la belle-fille du docteur Louis Warnet qui souhaitait recevoir une documentation concernant l'installation d'un appareil "Montescalier" constitué d'un fauteuil fabriqué sur mesure se déplaçant sur un rail fabriqué également sur mesure, qu'il a adressé à Louis Warnet la documentation demandée ainsi qu'une fiche de renseignements, que Louis Warnet lui a adressé le 3 septembre 1990 une lettre comportant diverses précisions et en annexe la fiche dûment remplie, qu'il a établi en conséquence le devis et l'a adressé le 10 septembre 1990 à Louis Warnet, que le devis a été accepté le 27 septembre 1990 à l'occasion d'une visite de contrôle qu'il a opérée, et qu'il a reçu à cette occasion un acompte de 12 500 F ;
Qu'il ajoute qu'il a réclamé en vain dès le lendemain un complément d'acompte, qu'il a informé également en vain Louis Warnet le 28 novembre 1990 de ce que le fauteuil était fabriqué et pouvait être livré et posé et qu'il a proposé encore en vain à Daniel Warnet après le décès de Louis Warnet de conserver le matériel en déduisant 10 000 F toutes taxes comprises du prix convenu ;
Qu'il soutient qu'il ne s'est rendu au domicile de Louis Warnet le 27 septembre 1990 qu'en vue de prendre des mesures destinées à la réalisation d'un travail et nullement pour conclure une vente ; qu'il en déduit que la loi du 22 décembre 1972 n'est pas applicable ; qu'il conteste toute altération du consentement de Louis Warnet et prétend que, fabriqué sur mesure, le fauteuil ne peut être installé nulle part ailleurs ;
Qu'il demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner les époux Warnet à lui verser 10 000 F correspondant au solde qui serait dû sur la commande du 27 septembre 1990, les intérêts au taux légal sur cette somme à compter de la mise en demeure du 27 juin 1991, 20 000 F de dommages et intérêts et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que les premiers juges ont écarté l'application des dispositions de la loi du 22 décembre 1972 tendant à assurer la protection des consommateurs à l'occasion de démarchage et de vente à domicile au seul motif que le déplacement pour contrôle de mesures de l'artisan Bernard Laurent au domicile du docteur Louis Warnet avait un rapport direct avec l'activité artisanale exercée ;
Que l'article 8-e de la loi du 22 décembre 1972 qu'ils ont cité, exclut cependant de son champ d'application non pas les ventes ou prestations ayant un rapport direct avec l'activité professionnelle du démarcheur ce qui lui ôterait toute portée, mais celles qui "sont proposées pour les besoins d'une exploitation agricole, industrielle ou commerciale ou d'une activité professionnelle" c'est-à-dire celles qui concernent l'activité lucrative du client qui est présumé connaître suffisamment son métier pour n'avoir pas besoin d'une protection spécifique;
Qu'il n'est pas allégué que le docteur Louis Warnet disposait de connaissances en mécanique permettant d'inclure la commande d'un fauteuil élévateur de handicapé qui était destiné au malade qu'il était dans le champ de ses activités professionnelles ; qu'il se trouvait en réalité dans la situation d'un simple particulier devant disposer de la protection instituée par la loi du 22 décembre 1972 ;
Considérant que le docteur Warnet a demandé à Bernard Laurent par lettre du 3 septembre 1990 l'envoi d'un " devis approximatif " ; qu'il a reçu par courrier daté du 10 septembre 1990, selon Bernard Laurent, ou s'est vu présenter le 27 septembre 1990, selon les époux Warnet dont l'affirmation est confortée par l'absence de toute trace d'envoi sur l'original versé aux débats, un devis qui comportait une option et ne pouvait établir à lui verser seul qu'un accord avait été conclu ;
Qu'il n'est pas contesté que le devis a été accepté, option barrée, le 27 septembre 1990 à l'occasion d'une visite que Bernard Laurent a rendue au docteur Warnet à son domicile ; que ce devis concerne la fourniture et l'installation d'un fauteuil ; que Bernard Laurent ne fournit à la cour aucune justification de ce que le coût de l'installation soit tel qu'il fasse du travail de pose plus qu'un accessoire de la vente du fauteuil et de son rail de circulation ; qu'il ne le prétend d'ailleurs pas ; qu'il ne saurait disconvenir qu'il a conclu le 27 septembre 1990 une vente à domicile ;
Considérant que la demande d'envoi d'une documentation, l'envoi préalable d'un devis à supposer encore qu'il soit établi, et la prise sur place de quelques mesures qui n'ont eu aucune influence sur un prix prédéfini, ne sauraient suffire à écarter l'application des dispositions générales de la loi du 22 décembre 1972;
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'aucun formulaire de rétractation n'a été remis au docteur Louis Warnet; que la vente litigieuse est nulle; que Daniel Warnet en sa qualité d'héritier du défunt, est en droit de demander restitution de l'acompte de 12 500 F versé avec intérêts au taux légal à compter du paiement au besoin en tant que dommages et intérêts;
Qu'il serait inéquitable par ailleurs que les appelants conservent la charge de leurs frais irrépétibles ;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme la décision déférée, Déclare nulle la vente conclue le 27 septembre 1990 entre le docteur Louis Warnet et l'artisan Bernard Laurent, Condamne Bernard Laurent à verser à Daniel Warnet la somme de 12 500 F avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 1990, Condamne Bernard Laurent à verser aux époux Daniel Warnet 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Le condamne en tous les dépens, Admet la société civil professionnelle Fanet, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.