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Décisions

CA Versailles, 9e ch., 29 octobre 1998, n° 789-98

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Duperrier, Robert, Poupault, Querez, Caillabet, Dumonchel, Simon, Union fédérale des consommateurs " Que Choisir " de Versailles, Union fédérale des consommateurs " Que Choisir " de la Boucle, Union fédérale des consommateurs " Que Choisir " de la région Mantaise, Consommateurs de Saint-Germain-en-Laye et de ses environs, Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, Procureur général près la Cour d'appel de Versailles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Canivet

Conseillers :

Mme Delafollie, M. Limoujoux

Avocats :

Mes Laraize, Medioni.

TGI Versailles, 5e ch., du 16 juin 1997

16 juin 1997

Rappel de la procédure

Le jugement

Par jugement en date du 16 juin 1997, le Tribunal correctionnel de Versailles a déclaré Samuel A coupable de:

Demandes ou obtentions de paiements ou d'accords avant la fin du délai de réflexion,

Remise de contrats non conformes aux clients lors de démarchages à domicile ou dans un lieu non destiné au commerce du bien ou service proposé,

Faits prévus et réprimés par les articles 2, 5 de la loi 72-1137 du 22 décembre 1972,

Faits commis dans le département des Yvelines et Orgeval, d'octobre 1991 à août 1995,

l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, à une amende délictuelle de 20 000 F,

Sur l'action civile:

a déclaré recevable en la forme la constitution de partie civile de M. Duperrier, M. Robert, M. Poupault, Mme Querez, M. Caillabet, M. Dumonchel, M. Simon, de l'UFC Que Choisir de Versailles, de l'UFC Que Choisir la Boucle, de l'UFC région Mantaise, des Consommateurs de St-Germain-en-Laye et de ses environs,

a condamné M. A à payer à:

- M. Duperrier, la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts;

- M. Robert, la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts;

- M. Poupault, la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts;

- Mme Querez, la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts;

- M. Caillabet, la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts;

- M. Dumonchel, la somme de 6 600 F à titre de dommages et intérêts;

- M. Simon, la somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts;

- à l'UFC Que Choisir de Versailles, la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts et en outre la somme de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- à l'UFC Que Choisir de la Boucle, 3 000 F à titre de dommages et intérêts et en outre la somme de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

- à l'UFC Que Choisir de la région Mantaise, la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts et en outre la somme de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- aux Consommateurs de St-Germain-en-Laye et de ses environs, la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts et en outre la somme de 1 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Appels:

Appel a été interjeté par:

- Samuel A, le 24 juin 1997, des dispositions pénales et civiles du jugement,

- le Ministère public, le 24 juin 1997.

Décision

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi:

Statuant sur les appels susvisés, réguliers en la forme, et interjetés dans les délais de la loi;

Considérant que Samuel A est prévenu d'avoir, d'octobre 1991 à janvier 1995, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sur le territoire national, en qualité de gérant de la SNC Idéco Ile-de-France exploitant à l'enseigne Spacial Cuisines trois magasins à Orgeval, Coignières et Maurepas, laissé ses préposés:

1°) démarcher diverses personnes à leur domicile et leur remettre un contrat ne comportant pas de façon apparente la faculté de renonciation dans les 7 jours ainsi que les conditions d'exercice de cette faculté, et le texte intégral des articles 2 à 5 de la loi 72-1137 du 22 décembre 1972 (articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation);

2°) exiger ou obtenir de ces mêmes personnes, directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, une contrepartie quelconque ou engagement, tel que le versement d'acomptes, avant l'expiration du délai de réflexion de 7 jours;

Faits prévus et réprimés par les articles 2, 4 et 5 de la loi précitée;

Considérant que pour le détail des dates et lieux des infractions, (de 1991 à 1995), la liste des victimes (49) et le montant des acomptes perçus de chacune d'elles (entre 750 et 21 000 F), comme pour l'exposé des faits, il est fait référence aux énonciations du jugement entrepris;

Qu'il suffit de rappeler que les préposés de la société Idéco Ile-de-France, pratiquant le démarchage téléphonique à domicile avec annonce systématique de la remise d'un cadeau prétendument gagné par tirage au sort, et utilisant divers stratagèmes (réduction apparentes de prix, négociations interminables, voire pressions morales) à sont parvenus à convaincre de nombreux clients de souscrire commande d'une installation de cuisine dans des conditions non conformes aux dispositions de la loi du 22 décembre 1972;

Que, pour la période antérieure au 14 avril 1993, date du premier procès-verbal établi par la Direction générale de la Concurrence de la Consommation et de Répression des Fraudes la quasi-totalité des ventes litigieuses étaient conclues au domicile même des clients, tandis que pour la période postérieure, ainsi qu'il résulte du second procès-verbal du 8 novembre 1993 et des nombreuses plaintes ensuite annexées à la procédure, elles s'effectuaient généralement en magasin;

Que, dans le premier cas, un bon de commande de couleur rouge était établi, comportant au verso les termes des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation, et le formulaire de rétractation de l'article L. 121-4 du même Code; que, cependant, et en dépit de la prohibition formelle de l'article L. 121-26 de percevoir des acomptes avant l'expiration du délai de réflexion de 7 jours, les préposés de la société Idéco Ile-de-France se faisaient remettre, de manière quasi-systématique, dès la signature du contrat, une partie du prix de vente;

Qu'ainsi, pour la période 1991/1992, sur les réponses apportées par 40 des 59 clients interrogés par la DGCCRF après le dépôt des 7 plaintes initiales, 36, soit 90 %, révélaient que les vendeurs avaient exigé l'établissement d'un chèque d'acompte étant emporté sur-le-champ dans 28 cas sur 36, et laissé à " la garde " du client dans les 8 autres cas, jusqu'à la visite du pré-installateur technique chargé de vérifier les mesures;

Que, dans la seconde hypothèse, les ventes, qui donnaient également lieu au versement immédiat d'une partie de leur montant, étaient totalement exclues du champ d'application de la loi sur le démarchage à domicile, le bon de commande, de couleur bleue, ne contenant aucune référence à ce texte et ne permettant pas l'exercice de la faculté d'annulation dans les 7 jours;

Considérant, sur l'exception de nullité partielle de la procédure, soulevée im limine litis en première instance, et reprise dans les mêmes termes en appel, que Samuel A soutient que les agents de la DGCCRF ont outrepassé leurs pouvoirs d'enquête; que s'ils étaient compétents pour recevoir les plaintes spontanément adressées par les consommateurs, inférieures à une dizaine, ils ne pouvaient étendre leurs investigations au-delà de cette saisine initiale, et solliciter, comme ils l'ont fait, à partir des indications portées sur les bons de commande qui leur ont été communiqués au cours de leurs premières investigations, le témoignage de nouveaux plaignants; que, pour ce faire, il y avait lieu, selon ses dires, après transmission du dossier au ministère public, de faire diligenter par des officiers de police judiciaire, une enquête préliminaire;

Mais considérant que comme l'a justement dit le tribunal, les vérifications complémentaires entreprises, qui avaient évidemment pour but de mieux apprécier l'ampleur des procédés dénoncés, entrent dans les attributions dévolues aux agents de la DGCCRF notamment par l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui les autorise à demander communication de tous documents professionnels, et à recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications utiles;

Que l'exception, mal fondée, a donc été à bon droit rejetée;

Considérant, au fond, que, contestant les infractions relevées et concluant à sa relaxe, Samuel A se prévaut d'une délégation régulière de pouvoirs donnée à chacun des directeurs des magasins concernés, et du rappel constant à ses préposés depuis 1989, des dispositions de la loi précitée sur le démarchage à domicile; qu'il soutient que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal pour écarter ce moyen, aucune preuve n'est rapportée d'une politique délibérée des dirigeants de la société Idéco Ile-de-France, les infractions retenues, au demeurant infimes par rapport au nombre de ventes effectuées, concernant principalement le magasin d'Orgeval, et n'ayant été relevées qu'à titre exceptionnel dans les deux autres établissements; qu'il fait valoir également que, pour éviter tout " dérapage " de la part de ses vendeurs, il avait spécialement confié, à partir de 1990, à un pré-installateur technique, le soin de récupérer les chèques d'acompte, lors d'une seconde visite cher le client, pour vérifier les mesures prises lors de la commande, après l'expiration du délai de renonciation;

Mais considérant que, comme l'a relevé la DGCCRF, les pratiques litigieuses étaient identiques pour les trois magasins exploités par la société Idéco Ile-de-France; qu'en dépôt des affirmations des directeurs de ces magasins, corroborant unanimement celles de Samuel A, mais contraires à tous les témoignages recueillis, les documents intitulés " confirmation de commande " établis par le pré-installateur technique, et qui faisaient mention de ce qu'aucun versement ne pouvait être effectué avant l'expiration du délai de 7 jours, comportaient des dates de perception d'acomptes ne correspondant pas à celles de la remise effective de ces acomptes par les clients;

Que la responsabilité des directeurs de magasins était limitée à l'endos des infractions économiques, les intéressés n'ayant pas le pouvoir d'encaisser ou de signer les chèques, et la gestion du personnel, la publicité, le marketing, comme la conception des imprimés de commande, étant centralisés au siège de la société;

Que, nonobstant les plaintes déposées dès la fin novembre 1991, les infractions se sont poursuivies sur de nombreux mois, sans que Samuel A justifie de sanctions à l'encontre de ses préposés ni même d'un quelconque contrôle pour s'assurer que les instructions officiellement données étaient respectées;

Que dès lors, comme l'a estimé le tribunal, la délégation de pouvoirs consentie aux directeurs de magasins n'était qu'apparente; que les pratiques dénoncées relevaient d'une véritable politique commerciale de vente forcée, à laquelle étaient d'ailleurs contraints de participer les préposés de la société Idéco Ile-de-France, dont la rémunération était pour moitié constituée des commissions sur les ventes conclues par eux; que tant les moyens mis en œuvre pour mettre les acheteurs en condition de contracter (organisation de loteries et jeux de dés avec gains à imputer sur le prix de la cuisine commandée, accueil par des hôtesses chargées d'occuper les jeunes enfants pendant la durée des tractations avec les parents, octroi de rabais importants pour faire croire à une bonne affaire...), que les tracasseries rencontrées en cas d'annulation de la commande, (refus de restituer les acomptes, voire chantage au licenciement du vendeur...) relèvent d'un même système de vente, et ne sauraient résulter de la seule initiative des directeurs de magasin, ni a fortiori de celle des vendeurs;

Que, de même la modification, à compter de l'établissement du premier procès-verbal de la DGCCRF, du lieu de conclusion de la vente, (en magasin et non plus à domicile), résulte nécessairement d'une volonté délibérée du dirigeant de la société Idéco Ile-de-France d'éluder, par cet artifice, les prescriptions légales et réglementaires sur le démarchage à domicile;

Qu'à cet égard, le moyen tiré de l'erreur de droit, motif pris de divergences de jurisprudence à l'époque des faits, qui auraient conduit Samuel A à ne pas faire application de la loi du 22 décembre 1972 aux ventes conclues en magasin après démarchage par contact téléphonique à domicile, n'est pas admissible; qu'il s'agissait en effet d'un même processus contractuel, avec offre de vente dès ce premier contact, au cours duquel il était demandé, voire exigé, ainsi que l'ont précisé certains plaignants, d'apporter les mesures de la cuisine à installer, pour, évidemment, faire souscrire la commande dès la venue en magasin pour retirer le cadeau promis;

Considérant que le jugement, qui a dit en conséquence imputables à Samuel A les infractions constatées sera confirmé de ce chef;

Considérant néanmoins, sur le défaut d'apparence ou de visibilité, relevé par la DGCCRF, des références aux textes des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation sur les exemplaires des contrats signés à domicile, qu'il ressort de l'examen de ces contrats que ces mentions, de même que celles du formulaire de rétractation, étaient en tous points conformes aux exigences de la loi précitée; qu'en revanche la présentation qui en était faite au consommateur, et leur conditionnement, sous enveloppe plastifiée, rendaient difficile la consultation de ces mentions, inscrites au verso du contrat, dont il fallait, selon une des victimes, détacher les feuilles auto-carbonées pour les découvrir;

Mais considérant que, si cette présentation peut être jugée dolosive sur le plan contractuel, et entraîner le cas échéant la nullité du contrat, elle n'est pas pour autant constitutive d'une infraction aux dispositions des articles précités du Code de la consommation et des textes réglementaires pris pour leur application, qui ne régissent que la manière dont les inscriptions doivent être portées sur les bons de commande; qu'en l'occurrence, ces prescriptions étaient observées;

Que, de ce chef de prévention, Samuel A doit dès lors être partiellement renvoyé;

Considérant, sur les sanctions, que le jugement entrepris a fait une exacte application de la loi au regard notamment de la persistance du phénomène délictueux, qui apparaît même s'être poursuivi au-delà des dates visées à la prévention, deux nouvelles plaintes ayant été versées au dossier visant des faits de 1997;

Considérant, sur les dispositions civiles, qui ne sont pas remises en cause par les parties constituées, qu'il y a lieu également à confirmation;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser aux époux Robert, qui ont sollicité l'application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à l'audience, la totalité de leurs frais irrépétibles;

Par ces motifs, LA COUR Statuant publiquement, par défaut à l'égard de M. Duperrier, de la DGCCRF, de M. Querez, de M. Caillabet, de M. Dumonchel, de l'UFC que choisir la Boucle, de l'UFC région Mantaise, des Consommateurs St-Germain-en-Laye et contradictoirement à l'égard de Samuel A, de M. Robert, de M. Poupault, de M. Simon, En la forme : Reçoit les appels, Au fond : Sur l'action publique : Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Samuel A coupable de l'ensemble des infractions de remise d'un contrat non conforme aux dispositions de la loi du 22 décembre 1972; Renvoie Samuel A des fins de cette prévention en ce qui concerne la remise des contrats comportant les textes de la loi du 22 décembre 1972 (commandes souscrites à domicile); Le dit coupable de cette infraction pour les contrats ne comportant par ces références (ventes conclues en magasin); Dit que l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code pénal a été donné à Samuel A; Confirme ledit jugement en toutes ses autres dispositions; Sur l'action civile : Confirme le jugement entrepris, Condamne Samuel A à verser aux époux Robert la somme supplémentaire de 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.