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Décisions

CA Agen, 1re ch., 25 novembre 1991, n° 55-91

AGEN

arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Technofrance (SARL)

Défendeur :

Lasjaunias

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fourcheraud

Conseillers :

MM. Cazes, Lateve

Avoués :

SCP Tandonnet, SCP Narran

Avocats :

Mes Levi, Cabiran-Marty

CA Agen n° 55-91

25 novembre 1991

Attendu que la SARL Technofrance a régulièrement interjeté appel du jugement contradictoire rendu le 18 septembre 1990 par le Tribunal d'instance de Cahors qui s'est déclaré compétent et, estimant qu'il y avait lieu à l'application des lois du 22 décembre 1972 et du 10 janvier 1978 sur la protection des consommateurs au litige opposant Patrick Lasjaunias à la SARL Technofrance, a condamné la SARL Technofrance à rembourser à Patrick Lasjaunias la somme qu'il avait versé à titre d'acompte, soit 13 020 F avec intérêts légaux à compter de l'assignation et, estimant qu'il y avait eu dol pour obtenir le consentement de la part de la SARL Technofrance vis-à-vis de son considérant-contractant, à 2 000 F de dommages-intérêts ainsi que 2 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'estimant que le démarchage fait par les représentants de la SARL Technofrance à l'égard de Monsieur Patrick Lasjaunias, artisan boulanger-pâtissier, pour lui vendre un appareil de fabrication automatique de glaces italiennes, à son domicile, qui est également son lieu de travail, est un démarchage exclu du champ d'application de la loi du 22 décembre 1972, comme étant fait entre professionnels pour des ventes de marchandises ou d'objets qui sont proposés pour les besoins d'une exploitation commerciale ou d'une activité professionnelle, la SARL Technofrance le 12 janvier 1988 est parfaitement valable et en conséquence condamner Patrick Lasjaunias auprès de la société Technofrance la somme de 70 000 F avec intérêts au taux légal, à compter du 18 janvier 1988, outre celles de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'estimant devoir bénéficier des lois de 1972 et de 1978 sur le démarchage à domicile et avoir rempli les conditions prévues par ces textes pour l'annulation du contrat, à savoir avoir effectivement annulé la commande de l'appareil Technogel et le crédit sollicité pour payer le complément du prix de cet appareil, par lettre recommandée avec AR du 15 janvier 1988, c'est-à-dire dans un délai inférieur à sept jours à compter de la signature du contrat, et subsidiairement, en cas de non application de ces textes, avoir été victimes de manœuvres dolosives, au sens du troisième alinéa de l'article 1134 du Code civil, qui vicient le contrat qui doit donc être annulé pour dol, Monsieur Patrick Lasjaunias conclut à la confirmation du jugement ainsi qu'à la condamnation de la SARL Technofrance à 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce :

Attendu qu'il résulte des documents régulièrement communiqués que le 12 janvier 1988, Monsieur Claude Lhotte, démarcheur de la société Eurodiffusion devenue depuis la société Technofrance, s'est présenté au domicile de Monsieur Patrick Lasjaunias à Sauzet (Lot), qui est en même temps le lieu d'exploitation de son activité artisanale de boulanger-pâtissier et, après être rester seul avec lui, hors la présence de sa mère, obtenait un bon de commande pour un appareil de distribution de glace 2 parfums + 1 panaché d'une valeur de 83 020 F et un chèque d'acompte de 13 020 F ; que sur ce bon figurait la mention " comptant à la livraison " alors qu'un crédit était simultanément proposé, ainsi que la mention " la présente commande est ferme et irrévocable " ;

Attendu que le dol de l'article 1134 du Code civil s'applique à l'exécution des contrats et non à leur élaboration ; que Patrick Lasjaunias ne rapporte pas, par ailleurs, la preuve d'un vice du consentement ; qu'en effet, il est adulte, capable et installé dans la vie professionnelle ; que rien n'interdit le démarchage à domicile et la vente à un particulier, un agriculteur, un commerçant ou à un artisan d'appareils même forts chers ; que la vente à domicile est néanmoins réglementée ;

Attendu que le litige porte sur l'application de la loi du 22 décembre 1972 ; que la loi vise à protéger les consommateurs des abus du démarchage à domicile, non pas en prohibant ce dernier, mais en donnant un délai de réflexion obligatoire pour permettre au consommateur de s'assurer de son bon choix ; que dès lors les exceptions à la loi doivent être interprétées restrictivement ; que l'exception de l'article 8 ne s'applique qu'à celui qui contracte dans l'exercice de son activité professionnelle et pour des objets ou marchandises de son activité qu'il est censé connaître et selon les pratiques commerciales habituelles qui impliquent souvent des livraisons répétées sans formalités particulières ;

Attendu qu'une machine automatique de distribution de glaces ressort de l'activité de glacier ; qu'elle peut être l'activité complémentaire d'un pâtissier, un objet étranger à l'activité ; qu'il s'agit en effet, non pas d'un objet qui permet la revente d'un produit fabriqué ailleurs, mais d'un appareil qui produit effectivement des glaces ;

Attendu que Patrick Lasjaunias, boulanger pâtissier de la commune de Sauzet qui ne compte que 232 habitants, n'exerce son activité de pâtissier que comme revendeur puisque la pâtisserie lui est livrée par un pâtissier de Puy-l'évêque, que son activité d'artisan est celle de boulanger et qu'il ne faut que commercialiser des pâtisseries produites ailleurs ;

Qu'il bénéficie donc de la protection de la loi du 22 décembre 1972 qui s'applique à son cas et lui donne un délai de réflexion nonobstant toute clause contraire réputée non écrite ; que vu la taille de la commune et du commerce, le démarcheur de la société Eurodiffusion ne pouvait l'ignorer et il lui appartenait de donner connaissance des dispositions de la loi a son cocontractant ; qu'en omettant d'appliquer les dispositions impératives de la loi de 1972, la SARL Technofrance a causé un préjudice à son cocontractant, Monsieur Patrick Lasjaunias dont elle doit réparation, et c'est à juste titre que le premier l'a condamnée à des dommages-intérêts ;

Attendu que nonobstant cette lacune, Patrick Lasjaunias a usé de son droit de rétractation dans le délai imparti par la loi puisque la commande est du 12 janvier 1988 et la lettre d'annulation du 15 janvier de la même année ;

Attendu donc que l'acompte de 13 020 F, qui n'aurait pas dû être encaissé, doit être restitué avec intérêts de droit à compter de l'assignation ;

Attendu que l'appelante qui succombe sera condamnée aux dépens ; qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Patrick Lasjaunias ceux des frais d'appel non compris dans les dépens dont il a fait l'avance et qu'il convient de lui allouer 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit la SARL Technofrance en son appel, Au fond l'en déboute, Confirme le jugement déféré par changement de motifs, Condamne en outre la SARL Technofrance à payer 4 000 F à Monsieur Patrick Lasjaunias sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne l'appelante aux entiers dépens d'appel qui pourraient être recouvrés par Maître Naran dans les formes et conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure judiciaire.