Ministre de l’Économie, 14 octobre 2002, n° ECOC0300153Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Directeur général de la société éditrice du Monde
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Madame le directeur général,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 9 septembre 2002, vous avez notifié la prise de participation de 30 % du groupe des Publications de la Vie catholique par la société éditrice du Monde.
La société éditrice du Monde est une société par actions simplifiée française détenue par le groupe Le Monde (ci-après " Le Monde "). Les principales activités du groupe sont la vente de publications et la vente d'espaces publicitaires dans lesdites publications. Le Monde possède, notamment, les titres suivants : Le Monde, Le Monde de l'éducation, Midi libre, Le Monde diplomatique, Manière de voir, Courrier international, Le Monde 2, Cahiers du cinéma... Le Monde a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires global de 403,9 millions d'euros dont 363,2 en France.
La société Les Publications de la Vie Catholique (ci-après " PVC ") est une société anonyme française détenue actuellement par plusieurs actionnaires : Famille Hourdain*, M. Houssin, G. Laplagne, J. Bayet, F. Villeguérin (" les Fondateurs "), la société civile de Participation du groupe PVC, trois associations du personnel et autres. Ses activités principales sont aussi la vente de publications et la vente d'espaces publicitaires. Ses principaux titres sont La Vie, Télérama, Voiles et voiliers, Je lis déjà... Elle a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires global de 282,3 millions d'euros dont 272,9 en France.
L'opération se décompose en deux parties. Tout d'abord, la cession par les Fondateurs de 1 541 actions représentant 30 % du capital de PVC et ensuite, la cession éventuelle d'actions pouvant totaliser jusqu'à 1 909 actions, encore détenues par les Fondateurs de PVC après la première cession, suivant les termes d'un pacte d'actionnaires entre les Fondateurs et Le Monde [...]. En contrepartie, certains pouvoirs de gestion sont accordés au Monde. Les Fondateurs possèdent un droit de veto sur toutes les décisions**. [...]. Au vu des termes du contrat et du pacte d'actionnaires, après l'opération, PVC sera conjointement détenue par les Fondateurs et Le Monde. [...]
Cette opération confère le contrôle conjoint de PVC par Le Monde et par les Fondateurs de PVC, jusque-là exclusivement détenu par ces derniers, et constitue donc une opération de concentration contrôlable au sens des articles L. 430-1 et suivants du du Code de commerce.
Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du du Code de commerce sont franchis et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations.
Les parties distinguent, tel que cela a déjà été fait par le Conseil de la concurrence (cf. note 1) et la Commission européenne (cf. note 2) , pour chaque type de presse, entre les marchés du lectorat (offre de publications), les marchés de l'achat d'espaces publicitaires et le marché des petites annonces.
* Erreur matérielle : lire : " Hourdin " au lieu de : " Hourdain ".
** Erreur matérielle : lire : " sur certaines décisions ".
1. Les marchés du lectorat
D'après les parties, il convient de distinguer entre la diffusion en France et la diffusion à l'étranger. Seul le Monde diffuse quelques titres à l'étranger. Sur le secteur de la diffusion en France, les parties proposent de distinguer les catégories suivantes retenues par Diffusion Contrôle : les quotidiens nationaux ; les quotidiens régionaux et départementaux ; les hebdomadaires régionaux, la presse télévision, la presse féminine, la presse d'actualité, la presse people, la presse loisirs, la presse jeunes, la presse famille, la presse masculin mode et charme, la presse commerce, la presse immobilier, la presse associations, syndicats et groupements et, enfin, la presse étrangère.
Tant le Conseil de la concurrence que la Commission distinguent des marchés distincts pour la presse quotidienne nationale, la presse quotidienne régionale, la presse magazine, la presse spécialisée et la presse gratuite. En outre, pour la presse magazine, une définition plus fine du marché peut être retenue selon son contenu éditorial, en considérant des marchés distincts pour : les hebdomadaires d'actualité politique et générale, les hebdomadaires de télévision, les journaux féminins, les magazines économiques et financiers, les publications spécialisées grand public et les publications spécialisées professionnelles (cf. note 3).
Si l'on adopte la segmentation proposée par les parties, l'opération ne conduirait à des chevauchements que sur deux sous-catégories définies par Diffusion Contrôle. Ainsi, au sein de la presse loisirs, sur la sous-catégorie " Loisirs Tourisme et Voyages ", la nouvelle entité réaliserait 5,9 % du volume de diffusion payée en France en 2001, avec les titres Terres de vins (Le Monde) et Ulysse (PVC). Au sein de la presse d'actualité, sur la sous-catégorie assez hétérogène " Actualités générales ", l'addition des mensuels du Monde Dossiers & Documents, Manière de voir, Le Monde diplomatique, Le Monde Initiatives et la Sélection hebdomadaire du Monde et de l'hebdomadaire La Vie conduirait la nouvelle entité à réaliser 14,3 % du volume de diffusion payée en France. De plus, en regroupant les sous-catégories " Actualités News " (sur laquelle seul Le Monde est présent avec Le Monde 2 et l'hebdomadaire Courrier international) et " Actualités générales ", la nouvelle entité réaliserait 14,8 % du volume de diffusion payée en France en 2001.
Si l'on devait retenir les définitions adoptées par le Conseil de la concurrence et la Commission, l'opération ne donne lieu qu'à des chevauchements d'activité insignifiants. Si l'on analyse les marchés sur lesquels chacune des parties est significativement présente, on relève que l'autre partie en est absente : PVC est, notamment, absente du marché de la presse quotidienne nationale ou régionale ; Le Monde est, notamment, absent du marché de la presse hebdomadaire d'information générale et politiquequi, d'après l'avis du Conseil de la concurrence n° 93-A-13, comprend six titres : L'Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, L'Evénement du jeudi (titre aujourd'hui disparu, mais auquel s'est substitué l'hebdomadaire Marianne), Le Figaro Magazine et Télérama (cf. note 4).
Concernant la dimension géographique des marchés du lectorat, ils sont au plus nationaux compte tenu de l'importance de la langue, des spécificités culturelles et de l'accent mis sur les nouvelles nationales.On pourrait, de plus, envisager une dimension géographique locale, notamment pour le marché des quotidiens régionaux et départementaux.
Cependant, la question de la délimitation exacte des marchés peut rester ouverte étant donné que, quelles que soient les définitions retenues, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence dans la mesure où les chevauchements d'activité entre les parties sont nuls ou faibles.
2. Les marchés de l'achat d'espaces publicitaires
Les parties font tout d'abord valoir que les différentes formes de publicité sont en concurrence et que les annonceurs arbitrent entre les différents supports constitués par la presse (35 % des investissements publicitaires), la radio (12,3 %), la télévision (36 %), l'affichage (15,6 %) et le cinéma (1,1 %).
S'il n'est pas contesté qu'un annonceur peut être amené à arbitrer entre ces différentes formes de publicité, il n'en demeure pas moins que chaque média présente des caractéristiques techniques propres et des prix très différents. Les différents supports publicitaires ne sont donc pas substituables (cf. note 5) . Le Conseil de la concurrence a par ailleurs considéré, dans son avis précité, que la presse quotidienne n'est pas substituable à la presse magazine, en raison notamment de contraintes techniques liées à l'utilisation de papiers différents.
Les parties considèrent qu'il convient de distinguer entre la publicité commerciale, les offres d'emploi et la publicité financière. PVC n'est pas présente sur le marché des offres d'emploi.
Pour ce qui est de la catégorie publicité commerciale, les parties proposent de diviser le marché en fonction du secteur d'activité des annonceurs (cf. note 6) . Cette approche semble pertinente dans la mesure où, du point de vue d'un annonceur, la substituabilité des titres dépend du profil sociologique et des centres d'intérêt du lectorat. Si l'on retient cette approche, le secteur le plus dépendant des parties pour ses investissements publicitaires est le secteur de l'édition, avec 13,4 % des investissements. Les chiffres fournis par les parties concernent l'ensemble de la presse, sans segmenter entre presse quotidienne et presse magazine. Toutefois, si, conformément à l'avis du Conseil, on considérait qu'une telle segmentation est pertinente, elle aurait pour effet de diminuer la part de marché des parties, en supprimant toute addition entre Le Monde et PVC.
Le Conseil de la concurrence, dans son avis précité, avait retenu une autre approche du marché de la publicité dans la presse magazine, en considérant que deux hebdomadaires pouvaient être considérés comme concurrents dès lors qu'ils avaient plus de 25 % d'annonceurs en commun. Si l'on retient une telle définition, il n'y a pas d'addition de parts de marché entre les supports édités par PVC et les supports édités par Le Monde. En effet, le Conseil avait défini un marché spécifique de l'achat d'espaces publicitaires aux supports suivants : L'Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, L'Evénement du jeudi, Le Figaro Magazine, Télérama et L'Expansion. Aucun de ces titres n'appartient au groupe Le Monde.
En tout état de cause, quelle que soit l'approche que l'on retient, l'opération n'est pas susceptible de soulever des problèmes de concurrence sur un quelconque marché d'achat d'espaces publicitaires. De ce point de vue, on peut également relever que la demande bénéficie d'une puissance d'achat significative : 62 % du chiffre d'affaires du Monde Publicité est réalisé avec les cinq principales centrales d'achat d'espaces.
Pour ce qui est de la publicité financière, Le Monde détient 7,3 % de ce marché et PVC, au travers de Télérama, n'est quasiment pas présente (0,01 %). Il n'y a donc pas d'addition significative de parts de marché.
Pour les mêmes raisons, il n'est pas nécessaire de préciser la dimension géographique de ces marchés.
3. Le marché des petites annonces
Ce marché, tel qu'il a été identifié par le Conseil de la concurrence dans l'avis précité, regroupe des petites annonces portant sur des domaines variés tels que l'immobilier, les annonces légales, le carnet, la formation et carrière, la gastronomie, les spectacles ou les restaurants... On pourrait donc s'interroger sur une distinction plus fine du marché des petites annonces en fonction notamment de leur objet.
Cependant, et bien que Le Monde, avec un chiffre d'affaires de plus de 18 millions d'euros (essentiellement réalisé par Le Midi libre) constitue un acteur important sur ce marché, l'opération ne donne pas lieu à un chevauchement significatif d'activité. En effet, PVC, avec un chiffre d'affaires de 2,4 millions d'euros en 2001, n'est active sur ce marché que de manière marginale.
En conséquence, au cas particulier, la question d'une délimitation plus fine du marché des petites annonces peut être laissée ouverte car, compte tenu de la faible activité de PVC sur ce marché et quelle que soit la définition finalement retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
Pour les mêmes raisons, il n'est pas nécessaire de préciser la dimension géographique de ce marché.
En conclusion, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Madame le directeur général, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
NOTE (S) :
(1) Avis n° 93-A-13 du 6 juillet 1993 relatif à la prise de participation de la Société générale occidentale dans le capital de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point.
(2) Voir notamment les décisions de la Commission IV/M.665 CEP/Groupe de la Cité du 29 novembre 1995, IV/M.1401 Recoletos/Unedisa du 1er février 1999 et IV/M.1445 Gruner+Jahr/Financial Times/JV du 20 avril 1999.
(3) Avis n° 93-A-13 du 6 juillet 1993 relatif à la prise de participation de la Société générale occidentale dans le capital de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point ; Décision de la Commission IV/M.665 CEP/Groupe de la Cité du 29 novembre 1995.
(4) On peut relever que jusqu'à une date récente, Télérama était considéré par la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) comme un hebdomadaire de télévision, non admissible à ce titre aux tarifs postaux privilégiés réservés aux publications d'information politique et générale. Toutefois, en décembre 2001, cette commission a classé Télérama dans la catégorie des hebdomadaires d'information politique et générale.
(5) Lettre du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie du 13 août 1999 aux conseils de la société Decaux SA relative à une concentration dans le secteur de l'affichage publicitaire, BOCCRF n° 16 du 26 septembre 1999 et avis n° 93-A-13 du 6 juillet 1993 relatif à la prise de participation de la Société générale occidentale dans le capital de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point.
(6) Source : " pige " SECODIP.