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Décisions

Ministre de l’Économie, 20 décembre 2002, n° ECOC0300178Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société IBM France

Ministre de l’Économie n° ECOC0300178Y

20 décembre 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 6 novembre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition de la société Matra Datavision (ci-après " MDTV ") actuellement filiale à 100 % de la MP 13, elle-même filiale du groupe EADS, par la société IBM France, dans le secteur de la fourniture de services de conseil et de compétences techniques en gestion du cycle de vie des produits (" Product Lifecycle Management ", ci-après PLM). Ce projet a été formalisé par un contrat de cession d'actions signé entre les parties le 15 novembre 2002.

I. - les parties et l'opération

MDTV, entité cible, est une société de droit français active dans le secteur des services informatiques et en nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), spécialisée dans la mise en place de logiciels de conception et fabrication assistée par ordinateur (ci-après " CFAO ") et dans la fourniture de services dans le domaine de la gestion du cycle de vie des produits. Elle commercialise notamment des logiciels de CFAO et de gestion de données techniques (cf. note 1), édités par Dassault Systèmes et distribués par IBM depuis 1981, en vertu d'un contrat de licence. Elle est actuellement filiale à 100 % de la société MP 13, filiale du groupe EADS. Les activités de la filiale italienne EADS Matra Datavision SPA et de la filiale Open Cascade SA sont exclues du périmètre de l'acquisition. Aussi, préalablement à la réalisation de l'opération, MDTV cèdera l'ensemble des actions qu'elle détient dans ces deux sociétés.

L'entreprise MDTV a réalisé, sur l'exercice 2001, un chiffre d'affaires mondial de 86,3 millions d'euros, dont [>15] millions en France.

IBM France, acquéreur, est une filiale du groupe IBM. Le groupe IBM est un acteur mondial du secteur du développement, de la production et de la commercialisation de systèmes, d'équipements, de logiciels et de services informatiques et NTIC. Il est notamment leader mondial des services de conseil et de services informatiques par l'intermédiaire de sa filiale IBM Global Services. Le groupe a en outre acquis en octobre 2002 PwC Consulting, branche mondiale de conseil, services informatiques et nouvelles technologies de l'information et de la communication de PriceWaterhouseCoopers, opération qui a fait l'objet d'une autorisation de la Commission européenne le 23 septembre 2002.

IBM a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires mondial de 91 912 millions d'euros. Au niveau communautaire, le groupe affiche un chiffre d'affaires de [...] millions d'euros, [>15] millions d'euros étant réalisés en France.

En vertu du contrat de cession d'actions précité, IBM doit acquérir le contrôle exclusif de MDTV. L'opération constitue donc une concentration économique au sens de l'article L. 430-1 du du Code de commerce. Au regard des chiffres d'affaires des entreprises concernées, il apparaît que les seuils communautaires ne sont pas franchis, mais qu'en revanche les seuils de chiffres d'affaires tels qu'énoncés à l'article L. 430-2 du du Code de commerce sont quant à eux franchis. L'opération projetée entre donc dans le champ d'application des articles L. 430-3 et suivants du du Code de commerce. Il convient d'ajouter que le projet d'acquisition de MDTV par IBM fait l'objet d'une notification aux autorités de concurrence d'Allemagne.

II. - la définition des marchés

A. - Les marchés de services informatiques et des NTIC

Le groupe IBM fournit un très vaste éventail de services informatiques spécialisés ; il est actif notamment dans le domaine des services en matière de développement de logiciels et d'intégration. MDTV commercialise des logiciels, essentiellement de conception et de gestion de la production et du cycle de vie d'un produit, et fournit des services d'intégration de ces logiciels.

Au sein du marché global des services informatiques et NTIC, la Commission européenne considère qu'il est possible de distinguer sept segments (cf. note 2) . Elle reconnaît toutefois (cf. note 3) que la pertinence de cette segmentation a tendance à s'estomper, au fur et à mesure du développement de l'offre d'une gamme complète (" package ") de fourniture de produits et de services informatiques par les entreprises.Le secteur est en outre caractérisé par une très forte substituabilité du côté de l'offre. La Commission européenne suggère également qu'il pourrait être nécessaire de délimiter le marché en fonction de la taille des entreprises clientes.

Selon les parties, le marché pertinent est constitué de l'ensemble des services informatiques et NTIC.Les activités de MDTV s'inscriraient, au sein de ce marché, dans le segment du développement de logiciels et des services d'intégration de logiciels, et plus spécifiquement de la fourniture de logiciels et services " PLM ", c'est-à-dire de l'ensemble des logiciels, méthodologies et services destinés aux entreprises qui visent à faciliter :

l'intégration des processus de développement des produits et des connaissances associées sur toute la durée du cycle de vie des produits ;

l'optimisation de la collaboration entre toutes les fonctions concernées.

De plus, au sein de ce segment, une séparation pourrait être envisagée entre édition et commercialisation de logiciels PLM d'une part et fourniture de services PLM d'autre part dans la mesure où les prestations sont distinctes et où des opérateurs différents interviennent pour chacune d'elles. Toutefois, les entreprises fournissant des produits et des services PLM confirment généralement l'unité de l'offre de services dans la gamme PLM, qui vient compléter l'offre ERD (intégration complète des services informatiques d'une société). Bien qu'elles indiquent notamment que, sauf liens contractuels particuliers, les offres de deux entreprises de services d'intégration PLM sont substituables pour un même logiciel, il peut toutefois être mis en avant que des liens de partenariat assez forts existent entre des sociétés éditrices de logiciels PLM et des entreprises fournissant des services PLM. En outre, il existe peu de logiciels basiques directement utilisables par une entreprise cliente, mais plutôt des produits - interfaces qui s'adaptent, à travers la fourniture de services d'intégration spécialisés et d'autres produits logiciels, de façon spécifique à chaque domaine d'application. Aussi, les projets PLM sont des investissements lourds dont le développement s'étend sur plusieurs années. Plusieurs entreprises actives dans le domaine des programmes PLM (cf. note 4) distinguent dans leur présentation commerciale leur branche " fourniture de logiciels et services PLM " au sein de leur offre plus générale de services informatiques et NTIC. Du côté de la demande, les domaines d'application des logiciels et services PLM couvrent pratiquement tous les secteurs manufacturiers. Les entreprises de toutes tailles ont recours à ces produits, même si les gros projets sont portés par des grandes entreprises.

L'ensemble de ces éléments montre qu'édition et commercialisation du logiciel PLM d'une part et fourniture de services PLM d'autre part tendent à être des prestations intégrées et qu'une telle segmentation peut donc être écartée. Toutefois, ces éléments pourraient conduire à définir un marché spécifique de la fourniture de logiciels et de services PLM. Néanmoins, il s'agit d'un marché jeune où toutes les entreprises actives dans la fourniture de logiciels et de services PLM sont également actives sur les autres segments de services informatiques et NTIC. De nombreuses entreprises de logiciels et de services informatiques sont entrées sur ce marché en très forte expansion, au cours des douze derniers mois. La délimitation d'un marché spécifique de la fourniture de logiciels et de services PLM peut par conséquent devenir moins pertinente au fur et à mesure du développement de cette activité.

En l'espèce, la question de l'éventuelle segmentation de l'activité de services informatiques et NTIC peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.

B. - Le marché géographique

La très forte internationalisation sur le marché des services informatiques et NTIC, soulignée par plusieurs décisions de la Commission européenne, est confirmée par les études de marché disponibles. La zone géographique considérée, comme dans les décisions de la Commission, sera le marché européen. Toutefois, la fourniture de services PLM demande une connaissance spécifique de l'entreprise et du produit, à un niveau local. Il n'est pas évident pour l'instant que l'internationalisation des services informatiques et NTIC soit suffisante pour établir une dimension géographique du marché au niveau de l'Espace économique européen (EEE), et qu'il n'existe pas de marché français.

En l'espèce, il n'est pas nécessaire de déterminer précisément l'étendue exacte du marché géographique dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.

III. - l'analyse concurrentielle

Si l'on considère le marché global des services informatiques et NTIC dans l'EEE, IBM détient [0-10] % des parts de marché et MDTV seulement [0-10] %, ce qui conduirait à une part de marché très légèrement supérieure à [0-10] % pour la nouvelle entité issue de l'opération.

Si l'on retenait la définition la plus étroite du marché pertinent, à savoir le marché de la fourniture de logiciels et de services informatiques et NTIC en PLM en France, MDTV est le leader du marché. Son chiffre d'affaires représente [10-20] % du chiffre d'affaire global généré en France par l'activité de PLM. A la suite de l'opération, la nouvelle entité détiendrait moins de [10-20] % de parts de marché, toutes choses égales par ailleurs.

Quel que soit le marché considéré et quelle que soit la dimension géographique retenue, le nombre d'intervenants est particulièrement élevé, et en constante augmentation. Beaucoup d'entreprises concurrentes de la nouvelle entité disposent d'une forte puissance économique et financière (T-systems, EDS). Parallèlement, une frange concurrentielle vive des moyennes entreprises existe.Ainsi, plus de la moitié de l'activité est détenue par des entreprises ne disposant que d'un faible poids.

En outre, les barrières à l'entrée ne peuvent potentiellement apparaître que pour des très gros projets de programmes PLM, nécessitant des services d'intégration spécifiques. En revanche, pour la plus grande part de l'offre de logiciels et de services PLM, des entreprises actives dans le domaine des services informatiques et NTIC peuvent facilement élargir leur offre afin de fournir une gamme de services PLM aux entreprises. Le très grand nombre d'entrants sur le marché depuis douze mois valide cette hypothèse ; l'évolution attendue du marché dans les années à venir est en outre extrêmement dynamique.

De plus, l'analyse de marché ne permet pas de mettre en évidence un avantage concurrentiel résultant du processus d'intégration verticale entre fourniture du logiciel et fourniture des services découlant de l'opération.Le développement de partenariat entre des entreprises éditrices ou chargées de commercialiser des logiciels et des entreprises d'intégration est fréquemment observé sur le marché. Il semble en revanche possible que l'absence soit d'une intégration verticale soit d'une alliance entre éditeurs de logiciels et fournisseurs de services logiciels, soit de nature à constituer un obstacle pour une entreprise souhaitant entrer sur le segment de la fourniture de services PLM.

Dassault Systèmes est le leader en France sur le segment de la fourniture de logiciels PLM (plus de 20 % de parts du chiffre d'affaires total généré par cette activité) et IBM a noué de nombreux contrats (1) de commercialisation des produits logiciels PLM édités par Dassault Systèmes. Toutefois, le segment de la fourniture de logiciels PLM est très concurrentiel avec un très grand nombre d'intervenants, qui se caractérise par un fort dynamisme depuis deux ans. Pour un nouvel entrant sur le segment de la fourniture de services PLM, les contrats d'intégrations ou alliances avec une ou plusieurs sociétés éditrices de logiciels sont tout à fait possibles. En conclusion, il apparaît, au regard de l'ensemble des éléments développés, que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

(1) Avec notamment les sociétés [...].

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

NOTE (S) :

(1) Logiciel Catia : CFAO, analyse et évolution du produit ; logiciels Enovia et Smarteam : gestion de l'information et des données tout au long de la vie du produit.

(2) Affaires COMP/M.1901 - Cap Gemini/Ernst&Young COMP/M.2609 et HP/Compaq.

Les sept segments sont :

- services de management en NTIC ;

- processus de gestion et de transaction en NTIC ;

- développement et intégration de logiciels (" software ") ;

- conseil en NTIC ;

- maintenance de logiciels (" software ") ;

- maintenance de systèmes (" hardware ") ;

- éducation et formation.

(3) Affaire COMP/M. 2946 - IBM/PwC Consulting.

(4) IBM, SAP/Cimdata.