Ministre de l’Économie, 21 février 2003, n° ECOC0300179Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Editions Quo Vadis
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 17 janvier 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition de la société Imprimerie Raynard (ci-après " Raynard ") par la société Editions Quo Vadis (ci-après " Quo Vadis "), auprès de la société Multipap, dans le secteur de la fabrication et la commercialisation de calendriers. Ce projet d'acquisition a été formalisé par un contrat signé le 6 décembre 2002.
I. - les parties et l'opération
Raynard, entreprise cible, est une société anonyme active dans différents métiers de la papeterie. Cette société fabrique et commercialise des calendriers (plus de 60 % de son chiffre d'affaires), des produits de " PLV " (produits contrecollés support de publicité sur les lieux de vente) (cf. note 1) , des produits de cartonnage, des jeux, et exerce également une activité d'imprimerie de labeur. Raynard, qui détient des participations dans les sociétés Ludapi (création de jeux, détenue à 66,8 %) et ARES (commercialisation en Guadeloupe, détenue à 20 %), a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires s'élevant à 16 millions d'euros (quasi exclusivement en France).
Quo Vadis, entité acquérante, est une société anonyme spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'agendas en France et à l'étranger. Cette société est détenue en totalité par la société anonyme cotée en bourse Exacompta-Clairefontaine, elle-même détenue par la société holding Etablissements Charles Nusse à hauteur de 80,5 % (détenue par les membres de la famille Nusse) et à hauteur de 19,5 % par le public. Exacompta-Clairefontaine est la société holding d'un groupe composé d'un nombre important de sociétés industrielles et commerciales, actives dans de nombreuses branches du secteur de la papeterie, dont notamment la fabrication de cahiers (avec notamment la marque phare " Clairefontaine "), des articles de bureau (registres, fiches bristol), des articles de classement (chemises et classeurs), du papier laser, des articles façonnés avec notamment la marque Rhodia (blocs-notes, papier à lettres), ou encore des articles millésimés (organiseurs, calendriers). Le groupe Exacompta-Clairefontaine est composé, notamment, des sociétés suivantes : SA Sopano, SA Registres Le Dauphin, SA Manuclass, SA Flambo, SA Papeteries de Clairefontaine, SA Clairefontaine Rhodia, SA Papeteries Verilhac Frères, SA Papeteries Sill, SA Papeteries de Mandeure, SA Papyrus, SA Everbal, SARL Afa, SA Lalo, SA ABL, SA Kronos, SA Sofac, SA Grafocarte, SA Calendriers Jean Lavigne, SA Cartorel. Le groupe Exacompta-Clairefontaine a procédé en outre à des nombreuses acquisitions ces dernières années, dont notamment, au cours des trois dernières années, les sociétés Claircell Classement (articles de classement), Facimprim, Les Impressions Offset (registres, formulaires...) et Herbin Sueur (fabrication d'encres).
Le groupe Exacompta-Clairefontaine, qui emploie plus de 3 300 personnes, a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires total de 539 millions d'euros (dont plus de 370 millions en France).
En vertu de l'accord précité, Multipap, le vendeur, et Quo Vadis, l'acheteur, se sont engagés, de manière irrévocable, à transférer 100 % des actions de la société Raynard. L'opération constitue ainsi une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du du Code de commerce en ce qu'elle entraîne le transfert total du contrôle de Raynard au profit exclusif du groupe Exacompta-Clairefontaine, via Quo Vadis.
Compte tenu des chiffres d'affaires précités, réalisés lors du dernier exercice clos par Exacompta-Clairefontaine et par Raynard, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. - marchés concernés
La présente opération concerne le secteur de la fabrication et de la commercialisation d'articles de papeterie, et plus particulièrement celui de fabrication de calendriers, unique secteur sur lequel l'opération entraîne des chevauchements d'activités significatifs (cf. note 2).
Au sein des articles de papeterie, on distingue, habituellement, sept grandes familles de produits.Ainsi, le Conseil de la concurrence, qui a eu l'occasion de se prononcer sur le secteur de la papeterie dans sa décision n° 99-D-32 du 25 mai 1999 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de certains articles de papeterie, souligne que, selon " les termes d'une étude de filière réalisée à la demande de la Fédération des industries papetières, les produits dits de papeterie peuvent être classés en plusieurs "familles" qui groupent des gammes de produits variés utilisés pour l'équipement de bureau professionnel ou domestique, les activités scolaires ou de loisirs : familles "papier" (papiers en ramette, pour dessin, "listings", d'emballage, d'hygiène et d'entretien), "façonnés" (blocs de correspondance, enveloppes et pochettes, cahiers, carnets, répertoires, feuillets, copies, fiches bristol, manifolds, registres, piqûres comptables, bobines pour machines de bureau, agendas et articles millésimés), "écrire et corriger" (craies, ardoises, crayons graphites et couleurs, porte-mines et mines, stylos, marqueurs, gommes et produits de correction), "dessin et loisirs" (instruments de traçage et mesure, mobilier de dessin et tous les produits destinés aux beaux-arts), "classement" (classeurs, relieurs informatiques, dossiers suspendus, étagères, blocs de classement, parapheurs, trieurs), "matériel pour l'école et le bureau" (colles, étiquettes, agrafages, perforateurs, reliures, films pour rétroprojection, ficelles, sous-main), "consommables bureautiques et informatiques" (accessoires informatiques, toners, rubans) et "carterie" (cartes postales, cartes et carnets de voux, emballages cadeaux, étiquettes fantaisie, invitations, faire-part, menus, albums) ".
Compte tenu des activités respectives des parties à l'opération, celles-ci considèrent que l'opération entraîne des chevauchements d'activités significatifs uniquement au sein de la famille des " façonnés ", et exclusivement sur le marché des calendriers, qu'elles considèrent comme pertinent, sur lequel Raynard et Exacompta (via sa filiale Lavigne) sont simultanément et significativement présentes.
Du côté de l'offre, on peut noter que le Conseil de la concurrence remarque, dans la décision précitée, que " les produits composant les "familles" de "la filière papeterie en France" correspondent à des utilisations voisines mais ils ne sont pas complètement substituables entre eux. L'offre des fabricants est segmentée par familles de produits comme indiqué dans l'étude de la fédération professionnelle précitée ". On peut en outre noter que, du côté de l'offre, les lignes de fabrication ne permettent pas de produire les différents articles façonnés. Par exemple, et selon les résultats du test de marché, il n'est pas possible de produire, avec la même ligne de fabrication, des calendriers et des agendas, qui font par ailleurs partie de la même famille de produits.
Du côté de la demande, le Conseil de la concurrence a eu l'occasion de noter que, " pour l'utilisateur final, la substituabilité des produits entre familles ou même à l'intérieur d'une famille est faible. Ainsi, au sein de la famille des façonnés, l'utilisateur final distingue plusieurs produits non substituables entre eux, qui constituent des marchés pertinents au sens du droit de la concurrence : enveloppes, cahiers, copies, agendas, etc. ".
Compte tenu de ces éléments, et du fait que Raynard, entreprise cible, ne fabrique pas d'autres produits que des calendriers, il est possible de circonscrire l'analyse aux activités relatives à la fabrication de calendriers.
On pourrait s'interroger sur une segmentation plus fine encore du marché des calendriers en fonction, d'une part, du canal de commercialisation et, d'autre part, des types de calendriers. Les calendriers sont en effet vendus via différents canaux de commercialisation : vente au détail (via notamment les papetiers, les fournituristes ou les grandes surfaces), vente directe aux entreprises pour une utilisation à titre publicitaire ou vente pour colportage. Il ressort notamment du test de marché que la vente de calendriers (essentiellement des almanachs) en vue d'une utilisation pour colportage (sapeurs-pompiers, La Poste...) présente des caractéristiques relativement différenciées à l'égard des autres catégories de calendriers. Toutefois, compte tenu des activités des entreprises concernées par l'opération, il n'est pas nécessaire, pour les besoins de l'analyse de la présente opération, de segmenter plus finement le marché de la vente de calendriers en fonction du canal de distribution, dans la mesure où, quelles que soient la définition adoptée et la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
On distingue enfin habituellement, au sein des calendriers, quatre grandes catégories de produits : les planches bancaires (cf. note 3) (ou calendriers muraux), les calendriers illustrés (cf. note 4), les sous-main et les almanachs.On peut noter à cet égard que Raynard est plutôt actif dans la fabrication de planches bancaires alors que Lavigne produit principalement des calendriers illustrés et des almanachs. Toutefois, il n'est pas nécessaire, en l'espèce, de trancher la question de savoir si ces quatre familles de produits constituent ou non des marchés distincts dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
S'agissant de la définition géographique, les parties considèrent qu'il convient d'adopter, pour des raisons tenant à des différences constatées tant du côté de l'offre (cf. note 5) que du côté de la demande, une approche nationale. Compte tenu du fait que Raynard était principalement actif en France, et sans qu'il soit besoin de trancher la question de la dimension précise du marché des calendriers, l'analyse de la présente opération sera circonscrite à ses effets sur le marché français des calendriers.
III. - analyse concurrentielle
D'un point de vue général, l'opération permet au groupe Exacompta-Clairefontaine de renforcer sensiblement sa présence sur les marchés relatifs aux articles millésimés, et plus particulièrement sur le marché retenu des calendriers. La part de marché de la nouvelle entité passe ainsi (en cumulé) et selon les informations communiquées par les parties de [0-10] % à [30-40] %, en volume hors almanachs, les parts de marché étant légèrement supérieures si on réintègre les almanachs.
Si l'on considère le marché des calendriers pris isolément, l'opération n'est pas de nature à octroyer à la nouvelle entité un quelconque pouvoir de marché dans la mesure notamment où elle laisse subsister un nombre conséquent d'opérateurs concurrents crédibles, dont notamment les groupes Boissier-Cecab, Hamelin (via Lecas), Oberthur, Sopan ou Planchet, qui disposent de parts de marché allant de 5 à 20 %. On peut relever en outre que les barrières à l'entrée ne sont pas insurmontables sur le marché des calendriers : les contraintes réglementaires sont relativement faibles, les matières premières sont aisément disponibles, les coûts fixes irrécupérables, en termes notamment de dépenses de recherche et développement, de mise en place d'un système de distribution ou de dépenses en publicité et promotion, ne sont pas dirimants, notamment pour des opérateurs déjà présents sur des marchés proches de celui concerné par l'opération.
L'opération n'est pas de nature en outre à conférer à Exacompta-Clairefontaine un avantage concurrentiel, par la mise en œuvre d'un effet de levier, en s'appuyant sur sa forte position sur d'autres marchés, connexes à celui des calendriers.Le Conseil de la concurrence, dans la décision précitée, a ainsi eu l'occasion de noter que " les fabricants de façonnés se cantonnent rarement à la commercialisation des seuls produits qu'ils fabriquent : pour satisfaire à la demande, ils doivent proposer une large gamme de produits, ainsi que le montrent catalogues et conditions de vente ". Les concurrents interrogés ont, dans cette optique, relevé qu'il existait des liens de connexité importants entre le marché des calendriers, d'une part, et celui des agendas, d'autre part, en raison notamment de la nature même des produits vendus. En effet, ces articles sont des produits millésimés, qui peuvent être vendus aux mêmes clients, à la même période de l'année et suivant les mêmes méthodes de commercialisation.
On peut cependant raisonnablement exclure tout risque d'atteinte à la concurrence en raison d'un quelconque effet congloméral résultant de l'opération. On peut ainsi relever que le groupe Exacompta-Clairefontaine proposait déjà les deux produits (agendas et calendriers), sans que sa forte position sur le marché connexe, des agendas, lui ait permis de prendre des parts de marché très significatives sur le marché des calendriers.On peut en outre relever qu'il existe un nombre important de concurrents qui proposent déjà ces deux types de produits, dont notamment le groupe Hamelin (via Lecas), Sopan, Plancher ou encore Oberthur. A contrario, le fait de ne fournir que des calendriers n'était pas de nature à constituer un handicap majeur pour d'autres acteurs. Ainsi, Raynard, qui ne proposait que des calendriers, bénéficie de parts de marché importantes sur le marché des calendriers en dépit de l'absence de tout effet de gamme susceptible de jouer à son profit.
Du côté de la demande enfin, les parties ont souligné que seulement 10 % des clients se fournissaient en même temps en agendas et calendriers auprès du même fournisseur.
Compte tenu de ces différents éléments, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché affecté. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, la part de marché exacte a été remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
NOTE (S) :
(1) Cette activité est exercée de manière complémentaire à l'activité principale de fabrication de calendriers, sur les mêmes lignes de fabrication.
(2) En effet, selon les informations communiquées par les parties, les entreprises concernées fabriquent les produits suivants : (i) pour Exacompta-Clairefontaine : registres, manifolds, fiches bristol, liasses, cahiers, classeurs, blocs, copies, enveloppes, ramettes de papier, bobines, papiers spécifiques, agendas, calendriers, plans et cartes, imprimés administratifs et imprimerie de labeur ; (ii) pour Raynard, produits millésimés, dont principalement des calendriers, imprimerie de labeur, produits PLV, cartonnage et jeux.
L'opération emporte aussi des chevauchements d'activité dans le secteur de l'imprimerie de labeur.
L'activité des parties à l'opération reste cependant très faible dans ce secteur et très largement circonscrite à la fourniture de services auprès des sociétés des groupes auxquels elles appartiennent.
(3) Calendriers semestriels sous forme cartonnée, rectangulaires, recevant le plus souvent la marque des sociétés clientes.
(4) Calendriers qui comportent autant de pages que de mois, comportant une illustration (photographie, reproduction...).
(5) Les planches bancaires sont, par exemple, des produits spécifiquement français.