CA Chambéry, ch. civ., 19 janvier 2000, n° 97-00472
CHAMBÉRY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Guigui
Défendeur :
Association confédération nationale du logement
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Alberca
Conseillers :
M. Leclercq, Mme Neve de Mevergnies
Avoués :
Mes Delachenal, Dantagnan
Avocat :
Me Brasseur.
Par déclaration au greffe du 21 février 1997, M. Michel Guigui a relevé appel d'un jugement rendu le 4 février 1997 par le Tribunal de grande instance de Chambéry qui a:
- déclaré irrecevable l'action engagée par la CNL, a l'égard de Mme Sylviane Guigui;
- déclaré en revanche recevable l'action engagée par elle à l'égard de M. Michel Guigui;
- déclaré illicite la clause relative à la présence d'animaux familiers et la clause imposant au preneur de supporter les réparations incombant au bailleur sans réduction de loyer et sans indemnité;
- déclaré abusives les clauses prévoyant le versement d'indemnités en cas de non-paiement du loyer, en cas de départ anticipé avec rupture du contrat par le locataire; les clauses exonérant le bailleur de sa responsabilité en cas d'infiltrations ou de dégâts causés chez les voisins; la clause interdisant au preneur de rechercher ou d'exercer une activité professionnelle, la clause relative à l'état des lieux;
- dit que M. Michel Guigui devra supprimer de ses contrats toutes ces clauses dans un délai d'un mois à compter du jour où le jugement sera devenu exécutoire, sous peine d'une astreinte de 300 F par contrat non rectifié, passé postérieurement à ce délai;
- condamné M. Michel Guigui à payer à la CNL:
* 6 000 F en réparation de son préjudice,
* 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- rejeté l'ensemble des demandes présentées par M. Michel Guigui et par Mme Sylviane Guigui;
- dit que le dispositif du jugement sera publié dans le Dauphiné Libéré et les Petites Affiches de Grenoble et de Dauphiné, à titre de dommages intérêts complémentaires, le coût devant en être supporté par M. Guigui sans qu'il puisse dépasser 5 000 F par publication.
L'Association "Confédération Nationale du Logement" [CNL] agit en suppression de clauses illicites ou abusives contenues dans les baux et ce, en vertu des articles L. 421-1 et L. 421-6 du Code de la consommation et de son agrément par arrêté ministériel du 20 août 1985, renouvelé deux fois depuis.
La CNL souligne que M. Guigui loue à de nombreux étudiants des chambres meublées et qu'il doit être considéré comme exerçant la profession de loueur en meublés et relève, en sa qualité de professionnel, de la réglementation sur les clauses abusives.
La CNL a agi en suppression de nombreuses clauses contenues dans les baux proposés par M. Guigui, avec publication du jugement à intervenir.
M. Guigui relève que la CNL ne justifie pas de son habilitation active; si Mme Guigui demande, en sa qualité d'avocat, sa mise hors de cause, M. Guigui conteste être un loueur professionnel.
Il conteste les reproches à lui faits.
C'est dans ses conditions que le jugement déféré est intervenu.
M. Michel Guigui, appelant, conclut comme suit:
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel de M. Guigui;
- confirmer la décision entreprise, en ce qu'elle a estimé valables les clauses n° 2 et 6 des faits ci-dessus, clauses relatives à l'occupation des lieux par plus d'une personne, et l'interdiction de poser aux balcons et fenêtres, ni linge, fleurs et cages;
- pour le surplus, réformer la décision entreprise;
Au principal,
- rejeter les écritures de la CNL qui ne comportent pas régulièrement l'organe la représentant;
- constater que la CNL n'a versé en appel aucune pièce, justifiant qu'elle remplit bien les conditions exigées par le législateur, savoir qu'elle est une association régulièrement déclarée, qu'elle a pour objet la défense des intérêts collectifs ou individuels de ses membres sur les questions concernant l'habitat et qu'elle a reçu un agrément ministériel;
- constater également que la CNL à l'obligation de par ses statuts de justifier de la qualité des adhérents dont elle prétend assurer la défense;
- constater également, sur ce point, que la CNL n'a versé au débat aucune pièce en justifiant;
- faute pour elle de satisfaire à ces demandes, elle sera déclarée irrecevable en son action;
- constater que dès le rendu de la décision [3-06-96] par le Tribunal de grande instance de Grenoble, dans l'affaire ayant opposé la CNL au beau père de M. Guigui, M. Drahi, tant ce dernier que M. Guigui ont modifié en conséquence le bail [Cf. pièce n° 10];
- constater que courant 1999, le concluant a intégralement remodelé le bail et qu'ainsi, le bail critiqué par la CNL n'est plus proposé aux consommateurs, lors de l'examen de l'affaire par la cour;
- en conséquence, dire et juger que la CNL n'est pas recevable en son action;
- la débouter de toutes ses demandes fins et conclusions;
Subsidiairement,
- constater que M. Guigui a bien modifié les baux, suite au rendu de la décision du Tribunal de grande instance de Grenoble en date du 3 juin 1996 par la production au débat de baux régulièrement signés tant par lui que de nouveaux locataires, bail prenant effet à compter du 1er septembre 1996;
- dire et juger mal fondée en ses demandes la CNL, l'en débouter;
Au principal comme au subsidiaire,
- condamner la CNL au paiement à M. Guigui de 40 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, vexatoire et actes de particulière malveillance, dont il est l'objet de la part de la CNL outre 10 000 F sur le terrain de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront distraits au profit de Maître Delachenal Bruno, avec application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
L'Association confédération nationale du logement conclut à son tour:
- de dire irrecevable et infondé l'appel interjeté par M. Guigui et rejeter l'ensemble de ses demandes;
- de confirmer la recevabilité de l'action de la CNL sur le fondement des articles L. 421-2, L. 421-6 et L. 421-7 du Code de la consommation;
- de confirmer la décision du premier juge en ce qu'il a déclaré illicites ou abusives les clauses suivantes;
- la clause relative à la majoration des 10 % du loyer en cas d'impayé; la clause interdisant d'exercer une activité professionnelle dans la région; les clauses d'exonération du bailleur de toute responsabilité;
- la clause interdisant la possession d'animaux domestiques;
- la clause imposant de supporter les travaux sans indemnité;
- la clause imposant au locataire une indemnité équivalente à 5 mois de loyers en cas de départ anticipé ou d'abandon de projet de location;
- la clause d'état des lieux effectué unilatéralement par le bailleur;
- de dire illicites ou abusives les deux clauses suivantes;
- la clause interdisant l'usage des lieux par plus d'une personne;
- la clause interdisant de fleurir les balcons et fenêtres;
- d'élever à la somme de 50 000 F les dommages-intérêts alloués à l'association;
- d'ordonner la capitalisation des intérêts sur les sommes allouées;
- de confirmer la décision initiale imposant la suppression des clauses illicites ou abusives dans le délai d'un mois à compter de la décision, et sous astreinte qui sera élevée à la somme de 1 000 F par jour de retard après le délai imparti;
- subsidiairement, de donner acte à M. Guigui de ce qu'il aurait supprimé certaines de ces clauses de son nouveau contrat;
- d'ordonner la publication de la décision rendue dans les journaux Dauphiné Libéré, petites affiches de Grenoble et le 38 à concurrence de 10 000 F par insertion et aux fins d'information des tiers;
- de condamner M. Guigui sur le fondement de l'article 700 à une nouvelle indemnité pour la procédure d'appel d'un montant de 10 000 F;
Sur quoi, LA COUR:
1) sur la recevabilité de l'action de la confédération nationale du logement:
a) concernant les clauses abusives:
Attendu que c'est expressément que les articles L. 421-6 et L. 421-7 du Code de la consommation autorisent les associations [mentionnées à l'article L. 421-1] à demander judiciairement la suppression des clauses abusives dans les modèles de conventions habituellement proposées par les professionnels aux consommateurs;
b) concernant les clauses illicites:
Attendu que l'article L. 421-2 du Code de la consommation autorise les associations à solliciter en justice "toute mesure destinée à faire cesser les agissements illicites ou à supprimer dans le contrat ou le type de contrat proposé aux consommateurs une clause illicite";
Que peu importe qu'il y ait ou non poursuite pénale;
Attendu qu'il s'ensuit que la CNL est donc recevable en sa demande;
2) sur la qualité de professionnel de M. Guigui:
Attendu, certes, que M. Guigui exerce la profession de publicitaire;
Qu'il n'est cependant pas contesté que M. Guigui loue habituellement plusieurs studios ou chambres meublées dans un but lucratif, ce qui coïncide avec la définition du loueur professionnel donnée par l'article 2 alinéa 1er de la loi du 2 avril 1949;
3) sur les clauses critiquées:
Attendu que la CNL a poursuivi M. Guigui en suppression de neuf clauses du bail proposé;
Que le premier juge a retenu comme valables deux clauses contestées et a déclaré illicites ou abusives les autres clauses;
Attendu qu'ensuite du jugement déféré, M. Guigui a fait modifier le projet de bail pour le rendre conforme aux exigences légales, et que la demande de la CNL est devenue, en grande partie, sans objet;
a) sur la clause relative au loyer:
Attendu que cette clause prévoyant une majoration de loyer de 10 % en cas d'impayé au 10 du mois a été reprise dans le nouveau contrat;
Que cette clause, étendue par l'Etat lui-même sur le paiement des impôts et taxes, n'empêche aucunement le locataire d'agir en réduction de cette pénalité [article 1152 du Code civil];
Que, contrairement à l'indication du premier juge, cette clause ne saurait être considérée comme abusiveet qu'ainsi, c'est à bon droit que M. Gugui l'a maintenue dans le nouveau contrat en vigueur, selon lui, à compter du 1er septembre 1999;
b) sur la clause prévoyant le versement de trois mois de loyer et la perte de la caution en cas de départ du preneur avant l'expiration du bail ou dans le cas où le preneur décide de ne pas donner suite au bail:
Attendu que le premier juge a retenu que prévoir une pénalité égale à trois mois de loyer pour un bail d'une durée de 12 mois est une clause abusive;
Attendu que M. Guigui a modifié la clause qui prévoit que "le preneur qui accepte" devra une indemnité égale aux loyers restant à courir en cas de départ avant l'expiration du bail, ce qui constitue une clause contractuelle valable;
c) sur la clause exonérant le bailleur de toute responsabilité:
Attendu que concernant la clause exonérant le bailleur de toute responsabilité en cas d'infiltrations dues à des dégâts des eaux causés par le preneur, il n'apparaît pas que cette clause soit abusive, contrairement à l'appréciation du premier juge et c'est à bon droit qu'elle figure dans le nouveau bail;
Que la seule réserve est celle prévoyant "toutes causes", encore qu'il faille relativiser l'indication par référence à la cause du dégât;
Attendu par contre que la clause prévoyant que le preneur devra supporter, sans réduction de loyer et sans indemnité les réparations incombant au bailleur, a été fort logiquement supprimée du nouveau bail car elle était sans contestation particulièrement abusive;
d) sur les clauses relatives à l'usage des lieux loués:
Attendu que le bailleur a entendu exiger de son locataire qu'il ne nuise pas à l'aspect esthétique de l'immeuble par mise en place de linge, pots de fleurs, cages aux fenêtres;
Que cette obligation ne limite pas le droit du locataire à jouir en bon père de famille et qu'ainsi cette clause, reprise dans le nouveau bail, peut être considérée comme valable;
Attendu que concernant l'occupation des locaux par un nombre de personnes limité a ceux figurant au contrat, il s'agit de normes visant à garantir un usage des lieux conforme à leur équipement, et ne peut donc être retenue comme clause abusive;
e) sur la clause interdisant au locataire de rechercher ou exercer une activité professionnelle:
Attendu que s'il est loisible au bailleur d'interdire l'exercice dans les lieux loués d'une profession ou d'un commerce, il ne saurait s'opposer en aucune manière à ce qu'il travaille dans la ville ou dans les environs;
Que M. Guigui a d'ailleurs modifié la clause de sorte que, dans le nouveau bail, elle est valable;
f) sur la clause relative à l'état des lieux:
Attendu que la clause prévoyait qu'un état des lieux contradictoire et un inventaire soient établis à l'entrée du preneur et qu'à défaut, ceux dressés par le bailleur sont réputés valables;
Que ce dernier membre de phrase attaque l'équilibre des parties et, par suite, est abusif;
Que d'ailleurs, M. Guigui l'a supprimée dans le nouveau bail, complétant par la référence à l'article 1731 du Code civil;
g) sur la clause interdisant la présence d'animaux domestiques:
Attendu que cette clause est contraire à l'article 10 de la loi du 9 juillet 1970 et est donc abusive;
Que M. Guigui l'a supprimée dans le nouveau contrat;
Attendu en définitive que sont déclarées valables:
- la clause comportant majoration de 10 % du loyer en cas de non-paiement avant le 10 du mois;
- la clause interdisant de placer sur les balcons et fenêtres linge ou pots de fleurs ou cages;
Attendu que les autres clauses ont été modifiées ou adoptées par M. Guigui de sorte que la demande de la CNL devient sans objet pour l'application du nouveau bail;
Que cependant cette modification du contrat n'est intervenue qu'après prononcé du jugement querellé;
Attendu que certains contrats anciens pouvant être en cours, la CNL est fondée à faire apparaître les clauses illicites ou abusives de ces contrats;
Que tel est le cas de:
* la clause prévoyant le versement de trois mois de loyer;
* la perte de la caution en cas de départ du preneur avant l'expiration du bail ou dans le cas où le preneur décide de ne pas donner suite au bail;
* la clause exonérant le bailleur de toute responsabilité;
* la clause interdisant au locataire de rechercher ou exercer une activité professionnelle;
* la clause relative à l'état des lieux;
* la clause interdisant la présence d'animaux domestiques;
4) sur les demandes de la CNL:
Attendu qu'eu égard aux éléments sus développés, c'est à juste titre que le premier juge a réduit la demande en dommages et intérêts pour ne retenir que la somme de 6 000 F;
Attendu que la décision de publication telle que retenue par le premier juge doit être confirmée, en y ajoutant l'affichage sur la porte de l'immeuble incriminé pendant quinze jours;
5) sur les demandes de M. Guigui:
Attendu que la demande en dommages et intérêts présentée par M. Guigui doit être rejetée, la CNL n'ayant nullement procédé à un dénigrement mais étant fondée pour une large part;
Que d'ailleurs, M. Guigui en procédant à la modifications de son contrat type reconnaît le bien fondé de la demande;
6) sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
Attendu que s'il n'est pas inéquitable que M. Guigui supporte les dépens d'appel, il le serait à l'égard de la CNL à qui il convient d'allouer une nouvelle indemnité de 3 000 F, en sus de celle déjà allouée par le premier juge;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, - Reçoit M. Michel Guigui en son appel, régulier en la forme; - Au fond, ne le déclare que très partiellement fondé; En conséquence: - Confirme le jugement déféré: - en ce qu'il a déclaré illicites la clause relative à la présence d'animaux familiers et la clause imposant au locataire de supporter les réparations incombant au bailleur sans réduction de loyer et sans indemnité; - en ce qu'il a déclaré abusives la clause prévoyant le versement de trois mois de loyer en cas de départ anticipé du locataire, la clause exonérant le bailleur de sa responsabilité en cas d'infiltrations ou dégâts sauf ceux causés par le preneur, la clause interdisant au preneur de rechercher ou d'exercer une activité professionnelle et la clause relative à l'état des lieux, la clause relative à la perte de la caution; - Infirme ledit jugement en ce qu'il a déclaré abusive la clause relative à la clause pénale de 10 % en cas de retard de paiement du loyer; - Confirme le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la suppression de ces clauses dans le délai et aux conditions imposées; - Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. Guigui à payer à la CNL 6 000 F à titre de dommages et intérêts et 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et en ce qu'il a ordonné les publications indiquées au coût fixé; Y ajoutant - Dit que la présente décision sera affichée sur la porte de l'immeuble incriminé pendant une durée de 15 jours et ce, avant le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt; - Déboute M. Guigui de l'ensemble de ses demandes; - Condamne M. Guigui à payer à la CNL une indemnité de 3 000 F pour la procédure d'appel, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; - Condamne enfin M. Guigui aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de Maître Dantagnan, avoué, sur le fondement de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.