CA Paris, 5e ch. C, 28 janvier 2000, n° 1998-01289
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
O'Dylia (SA)
Défendeur :
Sisley (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgrange
Conseillers :
MM. Bouche, Savatier
Avoués :
SCP Duboscq- Pellerin, SCP d'Auriac-Guizard
Avocats :
Mes Mille, Forte.
La société Sisley fabrique et vend des produits de cosmétique et parfumerie au travers de distributeurs sélectifs. La société O'Dylia, qui exploite 12 points de vente dans la région parisienne, est l'un d'eux depuis plusieurs années.
Le 11 février 1997, les parties sont convenues qu'une remise de fin d'année de 10 % serait accordée à la société O'Dylia si ses achats atteignent un montant minimum de 2 300 000 F pour l'année 1997, et qu'une démonstratrice de la société Sisley serait à la disposition de la société O'Dylia à temps complet dans ses magasins. Il était précisé que cette démonstratrice devra se consacrer uniquement à la vente et travaillera cinq jours consécutifs dans le même point de vente selon un planning défini d'un commun accord et à l'avance. Il était aussi stipulé que si au cours de l'année, il s'avérait que la société O'Dylia n'était pas en mesure de réaliser l'objectif, ou si la démonstratrice manquait de marchandise, la société Sisley se réservait le droit de la retirer.
Le 6 mai 1997, les parties s'opposaient lors d'une rencontre. Le jour même, la société O'Dylia écrivait, par lettre recommandée, à son fournisseur pour lui indiquer qu'elle refusait toute entente sur les prix de revente et pour protester contre le rappel de la démonstratrice intervenu ce jour là. La société Sisley lui écrivait par une télécopie datée du 6, mais transmise le lendemain, qu'elle constatait que l'accord était rompu du fait de la société O'Dylia et qu'elle lui reprochait d'avoir déplacé la démonstratrice du magasin d'Evry à celui de la Place d'Italie sans qu'elle ait été consultée et le manque de marchandises dont celle-ci disposait dans l'un et l'autre des magasins.
Le 14 mai 1997, la société Sisley adressait une lettre recommandée avec accusé de réception à la société O'Dylia pour lui exprimer la série de griefs qu'elle avait entendu lui soumettre lors de la rencontre du 6 mai 1997 et rapporter le déroulement de celle-ci. Elle contestait lui avoir proposé une entente sur les prix de revente. Elle concluait sa lettre en lui confirmant être d'accord pour faire suite au désir, exprimé par son partenaire ce jour là, de cesser leurs relations commerciales et qu'elle était prête, le cas échéant, à reprendre ses marchandises.
La société O'Dylia passait alors une commande de marchandises qui n'était pas honorée par la société Sisley, malgré une ordonnance de référé en date du 27 juin 1997 lui enjoignant de respecter les accords du 11 février 1997 et de satisfaire les commandes normales de la société O'Dylia.
Le 7 août 1997, la société Sisley assignait celle-ci en résolution des conventions les liant et le 29 août 1997, elle lui écrivait en lui indiquant sa décision d'interrompre toute relation commerciale avec elle.
Une seconde commande, datée du 5 septembre 1997, restait sans suite.
Par jugement du 21 novembre 1997, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a constaté l'impossibilité de poursuivre les relations commerciales entre les parties, constaté la résiliation du contrat par la société Sisley, débouté cette dernière de sa demande de résolution, et l'a condamnée à verser à la société O'Dylia la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de son appel, la société O'Dylia fait valoir dans ses dernières écritures en date du 4 novembre 1999, auxquelles il est renvoyé :
- que le tribunal a statué "extra petita", la résiliation n'étant pas demandée,
- que celle-ci n'est pas intervenue comme il était prévu aux conditions générales de vente,
- que la lettre du 29 août 1997 n'est pas une lettre de rupture,
- que les griefs formés par la société Sisley ne sont pas fondés, alors que c'est celle-ci qui a manqué à ses obligations,
- que son fournisseur n'était pas fondé à refuser de lui vendre ses produits.
La société O'Dylia conclut pour demander :
- qu'il soit jugé que les relations contractuelles doivent être exécutées comme prévues,
- que la société Sisley soit condamnée à lui payer la somme de 3 803 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'inexécution du contrat de mai 1997 au jour de l'arrêt à intervenir,
- que, subsidiairement, en cas de rupture, elle soit condamnée à lui payer la somme de 10 000 000 F de dommages-intérêts,
- qu'elle soit condamnée à lui verser la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Sisley fait valoir dans ses dernières écritures en date du 17 novembre 1999, auxquelles il est renvoyé, que la société O'Dylia n'apporte aucun élément de preuve quant à ses allégations sur la tentative de lui imposer des prix ou des conditions discriminatoires. Elle prétend que c'est celle-ci qui a manqué à ses obligations contractuelles, ce qui justifie la résiliation du contrat. Elle indique qu'elle n'était pas tenue d'honorer les commandes en cause qui n'avaient pas un caractère normal.
Elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation des conventions, à son infirmation en ce qu'il l'a condamnée à payer des dommages-intérêts, au rejet des demandes de la société O'Dylia et à la restitution de la somme de 500 000 F qu'elle a versée. Elle demande que celle-ci soit condamnée à lui payer la somme de 100 000 F en réparation de son préjudice moral outre celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que les parties étaient liées par l'accord matérialisé le 11 février 1997 ; que celui-ci prévoyait, notamment, les conditions de la mise à la disposition de la société O'Dylia d'une démonstratrice de la société Sisley, comme il a été dit dans l'exposé des faits ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites et des circonstances de la cause que la société O'Dylia a manqué à ses obligations quant à l'emploi de celle-ci ; qu'elle ne conteste pas les affirmations circonstanciées de la société Sisley sur le brusque changement d'affectation de la démonstratrice le 6 mai 1997, en cours de journée, laquelle a été déplacée du magasin d'Evry à celui de la Place d'Italie sans qu'elle en ait été avertie à l'avance et sans l'accord de son employeur ; que cette infraction aux obligations qu'elle avait souscrite est caractérisée ; qu'au regard des comptes-rendus des démonstratrices produits, cela s'était déjà produit pour la semaine du 1er au 5 avril 1997 ;
Considérant que de ces rapports, qui n'ont pas été établis pour les besoins de la cause et relatent de semaine en semaine leur activité, il ressort aussi que les démonstratrices rencontraient des difficultés d'approvisionnement, les magasins manquant des produits de la marque Sisley ; que ce fait n'est pas contredit par les deux procès-verbaux d'huissiers de justice produits qui sont sans grande signification dès lors qu'ils concernent seulement deux des 12 magasins, qu'ils sont trop imprécis, notamment quant au nombre de chacun des produits présents, et que, dressés à la demande de la société O'Dylia, il était facile à celle-ci de présenter un assortiment complété par des transferts de marchandises d'un magasin à l'autre, ce qu'elle pratiquait, comme le révèle les rapports des démonstratrices ;
Considérant que la société O'Dylia ne saurait imputer à son fournisseur ce défaut de réassortiment en prétendant que seule la représentante de celui-ci passait les commandes; qu'en effet, cela ne ressort pas de leurs conventions et il apparaît au vu des factures produites par la société O'Dylia que, si de nombreuses commandes étaient passées par son intermédiaire, il s'agissait souvent de commandes urgentes liées aux animations en cours, ce que mentionnent nombre de ces factures, de sorte que c'était au contraire pour pallier les carences du dépositaire agréé que la représentante du fournisseur intervenait pour accélérer les transmissions des commandes ;
Que, d'ailleurs, il est établi, notamment par l'attestation de M. de Chaudenay, qui avait été le représentant de la société Sisley chargé de suivre la société O'Dylia jusqu'en juin 1996, laquelle a été rédigée alors qu il avait quitté cette entreprise et donc retrouvé son indépendance à son égard, que les relations entre les parties n'avaient pas été dénuées de difficultés dans les années récentes ; que, dès lors, on ne voit pas comment la société O'Dylia aurait donné mandat à la représentante de la société Sisley pour commander, librement et sans contrôle, des marchandises qui lui seraient facturées ; que vainement la société O'Dylia tente d'en apporter la preuve par la production de nombreuses attestations établies par son personnel, celles-ci n'étant pas crédibles dans la mesure où elles émanent de salariées soumises à son autorité et qu'elles sont rédigées dans des termes rigoureusement identiques excluant tout caractère de spontanéité ;
Qu'enfin, à supposer qu'il en fut ainsi, il lui appartenait de prendre les mesures pour pallier les défaillances de son mandataire et de prendre l'initiative de passer elle-même les commandes pour être en mesure de respecter son obligation de présenter à la vente un assortiment suffisant des produits de son fournisseur ;
Considérant, encore, que ce défaut d'approvisionnement résulte de l'examen des montants des produits achetés en 1997,puisque pour le mois de janvier il n'est justifié d'aucun achat, qu'en février ils ont été de 316 252 F, en mars de 45 629 F, en avril de 22 534 F et pour la première quinzaine de mai de 87 000 F ; qu'à l'examen de ces chiffres, il apparaît que l'objectif de vente, fixé à un montant de 2 300 000 F pour l'année, serait difficile à atteindre, puisqu'il suppose un volume d'achats mensuel moyen de 195 000 F ; qu'à ce titre, aussi, le retrait de la démonstratrice était justifié au regard de l'accord du 11 février 1997 qui le prévoyait ;
Considérant qu'ainsi, la société Sisley était fondée à résilier cette convention, comme celle-ci le prévoyait, du fait de l'inexécution des obligations de la société O'Dylia, ce qu'elle lui a notifié par sa lettre du 29 août 1997 ;
Considérant que cette dernière soutient que la société Sisley aurait manqué à ses obligations en refusant de livrer les commandes qu'elle lui a passées les 15 mai et 5 septembre 1997 ;
Considérant, cependant, qu'il résulte des motifs précédents que la société O'Dylia ne remplissait pas l'obligation résultant des conditions générales de vente qui prévoient que "le dépositaire agréé s'engage à tenir à tout moment dans le point de vente un assortiment suffisant de chacune des références commercialisées par la société Sisley" ;
Considérant, en outre, que la société O'Dylia n'apporte aucun élément de nature à prouver que son personnel était qualifié pour offrir à la clientèle "un service de conseil et de démonstration correspondant au prestige de la marque distribuée", comme le prévoyaient aussi les conditions générales de vente; qu'au contraire, il apparaît qu'il n'en était rien, les représentants et les démonstratrices de la société Sisley s'en plaignant régulièrement dans leurs comptes rendus ; qu'au grief de la société Sisley, exprimé dans sa lettre du 21 mai 1997, selon lequel depuis plus d'un an, aucun membre des équipes de la société O'Dylia n'a assisté à une formation, elle ne répond pas ; qu'à l'offre de formation faite par cette lettre, pour les cours des 26 mai, 9 et 23 juin suivant, elle a répondu le 30 mai pour demander un nouveau planning de sessions de formation à compter de début juillet ; qu'ainsi, ayant perdu l'assistance de la démonstratrice mise à sa disposition, la société O'Dylia ne pouvait plus justifier remplir son obligation relative à la qualification de son personnel;
Considérant qu'il ressort des termes des lettres adressées par la société Sisley à la société O'Dylia, notamment de celle du 14 mai 1997, envoyée en recommandée avec accusé de réception, que cette dernière a été mise en demeure dans les formes de l'article 1.3 des conditions générales de vente, de sorte que la décision, exprimée le 29 août 1997, de la société Sisley d'interrompre ses relations commerciales avec elle ne contrevient pas aux dispositions de cette clause contractuelle ; qu'elle est justifiée par les manquements de la société O'Dylia qui ont été relevés ;
Considérant, enfin, qu'il ne saurait être reproché à la société Sisley de n'avoir pas livré les marchandises objets de la commande du 15 mai 1997 ; qu'en effet, cette commande lui est apparue, à juste titre, comme étant de pure circonstance, puisqu'elle était émise en réplique à la lettre de la société Sisley du 14 mai 1997 énonçant les griefs que celle-ci formait, dont celui relatif au défaut de réassortiment; qu'elle était d'un montant très modeste au regard des objectifs fixés, puisque son montant s'établissait à la somme de 87 131,10 F pour l'ensemble des 12 points de vente de la société O'Dylia ; qu'elle ne portait que sur moins d'un tiers des produits de la gamme, et que les quantités commandées étaient faibles et insuffisantes pour une répartition dans tous les magasins ; qu'en l'état de la crise affectant les relations des parties, la société Sisley était fondée à différer la livraison pour mieux évaluer les intentions de son partenaire et apprécier s'il se donnait les moyens de respecter les obligations prévues aux conditions générales de vente, ce qu'elle lui a demandé de justifier en lui adressant celles- ci le 21 mai 1997, pour que la société O'Dylia lui confirme "à nouveau" son intention de les respecter, tout en dénonçant le caractère "symbolique" de la commande ; qu'ainsi, comme le soutient la société Sisley, cette commande n'avait pas un caractère normal ;
Considérant qu'en ce qui concerne la commande du 5 septembre 1997, la société O'Dylia ne fait pas la preuve de ce qu'elle remplissait à nouveau les obligations prévues aux conditions générales de vente, qui, seules, autorisent les distributeurs à exiger que le fournisseur les agrée et leur livre les commandes qu'ils leur adressent; que faute d'en justifier, la société O'Dylia ne saurait reprocher au fournisseur d'avoir considéré que sa commande n avait pas un caractère normal, de sorte qu'il n'était pas tenu d'y donner suite ;
Considérant enfin, que la société O'Dylia se borne à alléguer que la société Sisley aurait eu une attitude discriminatoire à son égard et aurait contrevenu aux principes du droit de la concurrence sans établir en quoi la résiliation intervenue pour sanctionner les manquements de la société O'Dylia à ses obligations et le refus de livrer qu'elle lui a opposé, revêtiraient un tel caractère ;
Considérant qu'il en résulte que le jugement qui n'a pas méconnu l'objet du litige, doit être confirmé en ce qu'il a jugé que la résiliation des conventions liant les parties, invoquée par la société Sisley dans sa lettre du 29 août 1997, était intervenue ; qu'il y sera ajouté que cette résiliation est valable et qu'il sera infirmé en ce qu'il a mis à la charge de celle-ci des dommages-intérêts ; qu'en effet, comme il a été dit, la résiliation est intervenue du fait de la société O'Dylia, à raison de ses manquements aux obligations qu'elle avait contractées, alors qu'aucune faute imputable à la société Sisley n'a été relevée ; que les demandes de dommages-intérêts formées par la société O'Dylia seront donc rejetées et celle-ci sera condamnée à restituer la somme de 500 000 F qu'elle aurait reçu de ce chef en exécution du jugement ;
Considérant que la société Sisley n'apporte pas la preuve du préjudice moral dont elle se prévaut pour atteinte à sa marque ; qu'elle se borne à l'alléguer sans expliquer quel retentissement pour celle-ci a pu avoir l'attitude de la société O'Dylia ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande de ce chef;
Considérant que l'équité commande que la société O'Dylia soit condamnée à verser à la société Sisley une somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR Confirme le jugement, mais seulement en ce qu'il a jugé que la société Sisley avait résilié les conventions la liant à la société O'Dylia, Y ajoutant, Dit que cette résiliation est valablement intervenue, Rejette les demandes de dommages-intérêts formées par les parties, Condamne la société O'Dylia à restituer à la société Sisley la somme de 500 000 F sur justification de son versement, Condamne la société O'Dylia à payer à la société Sisley la somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel et dit que l'avoué concerné pourra les recouvrer comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.