Livv
Décisions

CA Paris, 15e ch. B, 30 juin 1994, n° 93-11587

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dutre (veuve Guille)

Défendeur :

Popelska, Sellier, Century 21 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Salzmann

Conseillers :

Mmes Briottet, Giroud

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Menard Scelle Millet

Avocats :

Mes Camoin, Paille-Ardilly.

TGI Fontainebleau, du 10 mars 1993

10 mars 1993

Arlette Dutre veuve Guille, Jacqueline Vincent veuve Dutre et Nathalie Dutre étaient co-indivisaires d'une maison à usage d'habitation sis à Ormesson, 48 rue de la Vallée.

Les co-indivisaires étant désireuses de vendre cet immeuble, Arlette Guille a confié à la SARL Century 21 Cottage Immobilier un mandat de vente sans exclusivité le 9 novembre 1991 pour une période de trois mois.

Le 1er février 1992 un compromis de vente était signé en l'étude de Me Gueugnon, notaire à l'Aigle (61 300), entre les co-indivisaires et les consorts Schmid-Boer, pour le prix de 450 000 F ; sous réserve de la réalisation de la condition suspensive tenant à l'obtention de prêts par les acquéreurs, l'acte authentique devait être régularisé au plus tard le 11 avril 1992.

Des difficultés ont opposé les co-indivisaires et les consorts Schmid-Boer, et l'acte notarié n'a pas été dressé à la date convenue.

Le mandat du 9 novembre 1991 étant devenu caduc, Arlette Dutre a signé, au profit de Century 21 Cottage Immobilier, en second mandat intitulé " mandat confiance ", valable pour une période irrévocable de trois mois avec exclusivité ; ce document porte en tête la mention " à Nemours, le 4 mai 1992 " ; il précise la rémunération du mandataire et la fixe à 45 000 F, à la charge du vendeur.

Le 22 mai 1992, la société Century 21 Cottage Immobilier a fait signer un compromis de vente portant sur l'immeuble, pour le prix de 495 000 F, aux consorts Popelska-Sellier qui ont versé entre ses mains la somme de 20 000 F qui devait s'imputer sur le prix de vente.

Les difficultés avec les consorts Schmid-Boer ayant trouvé une solution amiable, l'acte authentique de vente de l'immeuble a été signé entre eux et les co-indivisaires le 11 juillet 1992 en l'étude de Me Gueugnon.

C'est dans ces circonstances de fait que le 10 juillet 1992, la société Century 21 Cottage Immobilier et les consorts Popelska-Sellier ont fait assigner Arlette Dutre devant le Tribunal de grande instance de Fontainebleau.

Par jugement du 10 mars 1993, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

1°) déclaré valable le mandat de vente avec exclusivité du 4 mai 1992,

2°) constaté qu'Arlette Dutre n'a pas signé la promesse de vente du 22 mai 1992,

3°) ordonné la restitution de l'acompte de 20 000 F par Cottage Immobilier aux consorts Popelska-Sellier,

4°) condamné Arlette Dutre à payer :

- au Cottage Immobilier, la somme de 45 000 F avec intérêts légaux à compter du jugement, et celle de 3 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC,

- aux consorts Popelska-Sellier, la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F par application de l'article 700 du NCPC,

5°) débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

Arlette Dutre qui a relevé appel a prié la cour, par conclusions du 6 août 1993 de :

- constater la nullité du mandat exclusif de vente du 4 mai 1992,

- en tant que de besoin, constater la nullité de la vente du 22 mai 1992 entre elle et les consorts Popelska-Sellier,

- en conséquence, infirmer le jugement,

- statuant à nouveau, condamner la société Century 21 Cottage Immobilier à lui payer la somme de 10 000 F en réparation de son préjudice moral,

- condamner solidairement les intimés à supporter les dépens et à lui payer l'indemnité de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Selon écritures du 7 avril 1994, les consorts Popelska-Sellier ont conclu :

1°) à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a :

- déclaré valable le mandat du 4 mai 1992,

- condamné Century 21 Cottage Immobilier à lui restituer la somme de 20 000 F,

2°) par appel incident

- la condamnation d'Arlette Dutre à leur payer la somme de 60 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 10 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC,

- à la restitution de la somme de 20 000 F sous astreinte de 1 000 F par jour à compter du prononcé de l'arrêt.

Bien que régulièrement assignée, avec dénonciation des conclusions les 30 novembre 1993 et 21 avril 1994, la société Century 21 Cottage Immobilier n'a pas constitué avoué.

MOTIFS

1°) Sur les demandes d'Arlette Dutre

Considérant que l'appelante fait valoir :

- que l'agence immobilière a commis un abus de blanc seing puisqu'elle lui a fait signer à son domicile le 2 mai 1992 un mandat sans exclusivité, alors que le mandat daté du 4 mai 1992 est devenu un mandat exclusif,

- que le 4 mai 1992, elle se trouvait sur son lieu de travail à l'Aigle, localité située à plus de 200 Kms de Nemours,

- que le mandat est nul pour avoir été conclu en violation des dispositions de la loi du 22 décembre 1972 sur le démarchage, rendue applicable aux opérations ayant pour objet la vente ou la construction d'un immeuble par la loi du 23 juin 1989 ;

Considérant qu'il ressort des attestations du fils et de la belle-fille d'Arlette Dutre, dont la teneur n'est pas contestée, que le 2 mai 1992 l'appelante a été démarchée à son domicile par l'agence immobilière pour le second mandat, qu'elle a précisé que son notaire et elle-même continuaient à s'occuper de la vente et qu'elle ne pourrait apporter à l'agence les documents nécessaires que le samedi suivant ;

Qu'il est également établi par les attestations de son employeur et de ses collègues de travail que le 4 mai 1992, Arlette Dutre se trouvait sur son lieu de travail à l'Aigle de 8 h 30 à 12 h et de 13 h 30 à 18 h, ce qui rend peu plausible, sinon impossible qu'elle ait pu signer le mandat ce même jour à Nemours, localité distante de plus de 200 km.

Que la loi du 22 décembre 1972 sur le démarchage s'applique aux agents immobiliers venant proposer leurs services au domicile des particuliers, s'agissant d'une offre de prestation de services ;

Que ne figurent pas dans le mandat litigieux les mentions exigées à peine de nullité par l'article 2 de ladite loi relatives à la faculté de renonciation et aux conditions d'exercice de cette faculté, ni le texte intégral des articles 2, 3 et 4 de la loi;

Que le mandat litigieux étant en conséquence nul, le Cottage Immobilier ne peut obtenir ni commission, ni dommages-intérêts de la part d'Arlette Dutre ;

Considérant que le préjudice moral allégué par l'appelante n'est pas caractérisé ; que sa demande en dommages-intérêts ne peut dès lors prospérer ;

2°) Sur les demandes des consorts Popelska-Sellier

Considérant que les consorts Popelska-Sellier sont en droit de réclamer à l'agence immobilière restitution de la somme de 20 000 F versée entre ses mains lorsqu'ils ont signé le compromis du 22 mai 1992 ; qu'en effet ce compromis n'a jamais été signé par les co-indivisaires propriétaires de l'immeuble ; que l'agence qui retient cette somme indûment et sans aucun titre devra la restituer sous astreinte, selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt ;

Considérant encore qu'au regard des tiers, le mandat litigieux daté du 4 mai 1992 apparaissait régulier ; qu'en signant un nouveau mandat avec l'agence, Arlette Dutre a laissé croire aux consorts Popelska-Sellier que l'immeuble pouvait encore être acquis, alors que le compromis de vente signé avec les consorts Schmid-Boer n'avait pas été dénoncé ; qu'elle a ainsi commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard des consorts Popelska-Sellier ;

Considérant que ces derniers réclament la somme de 60 000 F à titre de dommages-intérêts, en faisant valoir ;

- qu'ils étaient propriétaires d'un bien immobilier qu'ils ont dû vendre en toute hâte,

- qu'ils ont exposé des frais pour se reloger dans l'attente de pouvoir en définitive acquérir l'immeuble en cause ;

Mais considérant que les consorts Popelska-Sellier ont agi de façon précipitée, alors que le compromis de vente du 22 mai 1992 n'avait pas été signé par les vendeurs ; que par là même ils ont contribué pour une large part à la réalisation du préjudice qu'ils invoquent ; que compte tenu de ces considérations et au vu des éléments d'appréciation soumis à la cour, Arlette Dutre devra leur payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ;

3°) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du NCPC.

Considérant qu'il convient de condamner la société Century 21 Cottage Immobilier aux dépens exposés par Arlette Dutre et cette dernière aux dépens exposés par les consorts Popelska-Sellier ;

Que sur le fondement de l'article 700 du NCPC, la société Century 21 Cottage Immobilier devra verser l'indemnité de 6 000 F à Arlette Dutre ; que cette dernière devra de son côté payer la somme de 6 000 F aux consorts Popelska-Sellier ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, à l'exception de celle ordonnant la restitution de la somme de 20 000 F par la société Century 21 Cottage Immobilier aux consorts Popelska-Sellier ; Ajoutant à cette disposition, ordonne ladite restitution dans les huit jours de la signification du présent arrêt, sous astreinte définitive de 1 000 F par jour de retard passé ce délai ; Statuant à nouveau : Constate la nullité du mandat de vente du 4 mai 1992 ; Dit que la société Century 21 Cottage Immobilier n'a pas droit au paiement de la somme de 45 000 F ; Déboute Arlette Dutre veuve Guille de sa demande en dommages-intérêts ; Condamne Arlette Dutre veuve Guille à payer aux consorts Popelska-Sellier ; 1°) la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ; 2°) l'indemnité de 6 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC ; Condamne la société Century 21 Cottage Immobilier à payer à Arlette Dutre veuve Guille l'indemnité de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Condamne la société Century 21 Cottage Immobilier aux dépens de première instance et d'appel exposés par Arlette Dutre veuve Guille et autorise la SCP Fisselier Chiloux Boulay, Avoués à recouvrer ceux d'appel conformément à l'article 699 du NCPC ; Condamne Arlette Dutre veuve Guille aux dépens de première instance et d'appel exposés par les consorts Popelska-Sellier et autorise la SCP d'avoués Menard Scelle Millet à recouvrer ceux d'appel conformément à l'article 699 du NCPC.