CA Orléans, ch. soc., 16 novembre 2000, n° 00-00287
ORLÉANS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Courtanne Bois (SA)
Défendeur :
Afchain
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chollet
Conseillers :
M. Lebrun, Mlle Desous
Avocats :
Mes Demichel, Tardif.
Monsieur Jean-Louis Afchain a saisi le Conseil des prud'hommes d'Orléans des demandes suivantes à l'encontre de la SA Courtanne Bois:
- 216 311,97 F de commissions pour les années 1994 à 1998,
- 21 631,19 F de congés payés,
- résiliation du contrat aux torts de l'employeur,
- 99 852,56 F d'indemnité de préavis,
- 9 077,50 F de congés payés sur préavis,
- 30 258,36 F de rappel de congés payés,
- 363 100,27 F de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 31 855,63 F de commissions sur retour d'échantillonnage,
- 305 392,17 F d'indemnité de clientèle,
- 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société a demandé reconventionnellement:
- 206 334,12 F de trop perçu sur l'avance de contrepartie financière à la clause de non-concurrence,
- 7 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Un jugement du 29 septembre 1999, à la lecture duquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et des moyens initiaux des parties, a reconnu le statut de VRP à Monsieur Afchain, a rejeté la demande de résolution judiciaire, et a condamné la société à payer à Monsieur Afchain:
- 82 996,08 F de préavis, avec les congés payés,
- 30 258,96 F de solde de congés payés,
- 150 901,98 F de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 30 470,59 F de commission de retour sur échantillonnage,
- 114 004,96 F d'indemnité de clientèle,
- 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Cette décision a été notifiée à la société le 26 octobre 1999. Elle en a interjeté appel le 15 novembre 1999.
Elle demande que Monsieur Afchain soit débouté de toutes ses réclamations et condamné à lui payer les 206 334,12 F ci-dessus, ainsi que 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle expose qu'elle a embauché Monsieur Afchain comme attaché commercial le 14 février 1994 et qu'elle l'a licencié pour fautes lourdes le 10 mai 1999.
Elle fait observer qu'en présence d'un contrat écrit d'attaché commercial il appartient à Monsieur Afchain de démontrer qu'il exerçait en fait une activité de VRP, ce qu'il ne fait pas, car, selon ses propres attestations, il n'a pris des commandes que chez quelques clients, l'essentiel de son activité consistant à stimuler les ventes chez des revendeurs ou au dépôt de Paris. Elle ajoute qu'un VRP doit avoir un secteur d'activité déterminé, ce qui n'était pas le cas de Monsieur Afchain, aucun avenant n'ayant défini un secteur, et que celui-ci n'a droit ni à des commissions sur échantillonnage, ni à une indemnité de clientèle.
Elle précise que, selon l'article 3 du contrat, la commission est versée pour moitié à titre d'avance sur une éventuelle compensation financière d'une clause de non-concurrence, alors qu'une telle contrepartie ne figure pas dans la convention collective de l'ameublement, et n'a pas été définie contractuellement. Elle s'estime fondée à réclamer la somme de 206 334,12 F ainsi réglée par erreur.
Elle reproche à Monsieur Afchain d'avoir commis des fautes lourdes en produisant de fausses notes de frais et en détournant du carburant à son détriment. Elle estime qu'il n'y a pas prescription dès lors qu'elle n'a eu connaissance des faits que lorsqu'un rapport a été établi par ses services d'inspection.
Elle ajoute que Monsieur Afchain ne saurait fonder une demande de résiliation judiciaire du contrat, préalable au licenciement, sur des retards dans le paiement de ses salaires, les dates de valeur des chèques ne justifiant pas leur date de réception.
Monsieur Afchain demande la confirmation du jugement, faisant toutefois appel incident afin d'obtenir:
- 216 311,97 F de rappel de commissions,
- 21 631,19 F de congés payés,
- 305 392,17 F d'indemnité de clientèle,
- 363 100,27 F de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 10 000 F supplémentaires en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il estime qu'au-delà de la définition contractuelle des fonctions, il convient de recherche si, dans les faits, il effectuait le travail d'un VRP, ce qu'il démontre par des attestations démontrant qu'il prospectait et prenait des ordres chez des clients, ajoutant que c'est la société qui est responsable du fait qu'un secteur géographique n'était pas défini et qu'en réalité il avait en charge le centre de la France et la région parisienne. Il précise qu'avant d'être licencié, il a demandé au conseil des prud'hommes de constater une rupture du contrat aux torts de l'employeur, lequel lui payait systématiquement son salaire en retard.
Il estime subsidiairement que les fraudes qui lui sont reprochées ne sont pas justifiées et, relevant qu'elles auraient été commise entre avril et juin 1998, qu'elles sont prescrites, la société ne pouvant sérieusement prétendre qu'elle n'en a eu connaissance qu'en mars 1999.
Reprenant les termes de l'article 3 du contrat, il en déduit que la clause, selon laquelle la moitié de son pourcentage sur les ventes lui sera versée à titre d'avance sur une éventuelle compensation financière d'indemnité de non-concurrence, doit être réputée non écrite, sollicitant le versement de la moitié de sa rémunération dont il a ainsi été privé.
Il justifie l'indemnité de clientèle réclamée par le fait qu'il a augmenté le chiffre d'affaires de 300 % en cinq ans.
Il précise enfin que la demande reconventionnelle ne saurait prospérer dès lors que tant la convention des VRP que son contrat prévoient le versement d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence.
Sur ce, LA COUR,
Attendu que le jugement a été notifié à la société le 26 octobre 1999; que son appel, interjeté le 15 novembre 1999, est recevable, de même que l'appel incident;
Sur le statut de VRP:
Que la société Courtanne Bois a engagé Monsieur Afchain comme attaché commercial, statut cadre, à compter du 14 février 1994
Que, selon le contrat, ses fonctions consistaient à:
- définir les techniques commerciales,
- suivre et développer la clientèle en fonction des objectifs de vente (mise en place, animation, évaluation de l'image de marque de la société, recueil d'information sur la concurrence et les besoins de la clientèle),
- assurer le suivi et l'appui commercial des dépôts ventes, s'il en existe,
Qu'en présence de ces énonciations, il appartient à Monsieur Afchain de démontrer qu'en réalité il exerçait les fonctions de VRPtelles que les définit l'article L. 751-1 du Code du travail, qui consistent à prendre des commandes;
Que Monsieur Afchain produit un certain nombre d'attestations;
Que neuf d'entre elles indiquent qu'outre le suivi des relations commerciales tel que décrit au contrat, il prenait des commandes;
Que les autres ne parlent pas de prises de commandes;
Que Monsieur Afchain était en outre chargé de l'animation et de l'appui des dépôts ventes;
Qu'il apparaît donc qu'il ne prenait des ordres que de façon ponctuelle et que l'essentiel de son activité correspondait bien à celle prévue au contrat;
Que par ailleurs l'article L. 751-1 alinéa 4 du Code du travail stipule que les engagements des VRP doivent indiquer la région dans laquelle ils doivent exercer, ce dont il se déduit que l'existence d'un secteur déterminé est un élément essentiel du contrat de VRP;
Qu'en l'espèce, le contrat mentionnait "un secteur géographique qui sera défini à la fin de la période d'essai et qui fera l'objet d'un avenant au contrat";
Qu'un tel avenant n'a pas été rédigé;
Que Monsieur Afchain pouvait, tout comme la société, faire le nécessaire pour l'établissement de cet avenant, ce qu'il n'a pas fait, l'intéressé s'accommodant ainsi de l'absence d'un secteur défini;
Qu'il ne démontre pas qu'en fait un secteur, correspondant à la région Centre et à la région parisienne, lui ait été attribué, l'imprécision d'une telle définition faisant au surplus que l'exigence du texte précité ne saurait être considérée comme remplie, Monsieur Afchain pouvant exercer ces fonctions où bon lui semblait;
Que l'absence de définition d'un secteur mettant ainsi obstacle au statut revendiqué, les demandes au titre des retours sur échantillonnage et d'une indemnité de clientèle ne peuvent être accueillies;
Qu'il convient au surplus de relever que Monsieur Afchain ne saurait obtenir une indemnité de clientèle qu'à la charge de démontrer qu'il a augmenté celle-ci tant en nombre qu'en valeur, ce qu'il ne fait pas;
Sur la rupture du contrat:
Que, le 26 avril 1999, Monsieur Afchain a déclaré rompre son contrat, imputant cette rupture à son employeur, et soutenant que celui-ci méconnaissait son obligation de lui payer son salaire le dix de chaque mois;
Que, si Monsieur Afchain démontre que son salaire était effectivement viré sur son compte quelques jours plus tard, ou que, lorsque des chèques lui étaient remis, un décalage de quelques jours pouvait être observé, il convient de tenir compte des délais de traitement bancaires;
Que les dates de remise de chèques ne font pas apparaître de retard significatif (le plus important étant de huit jours, ceux-ci étant le plus souvent de un, deux ou trois jours);
Que ces manquements, qui ne rendaient pas impossible la poursuite du contrat, ne sont pas assez importants pour entraîner une rupture aux torts de l'employeur;
Que Monsieur Afchain a été licencié pour fautes lourdes le 10 mai 1999;
Que la lettre mentionne que, le 4 janvier 1999, l'employeur a relevé des anomalies sur les notes de frais de Monsieur Afchain en novembre 1998, que, pendant le mois d'avril 1999, il a été amené à vérifier ses notes de frais de 1998 et du premier trimestre 1999, et qu'il a découvert diverses anomalies frauduleuses;
Que la société ne justifiant pas de ce que sa lettre de convocation à l'entretien préalable, datée du 26 avril 1999, ait été adressée à Monsieur Afchain, il convient de se référer à celle du 30 avril 1999; que sont prescrits les faits antérieurs au 28 février 1999, à moins que l'employeur ne démontre qu'il n'en a eu connaissance qu'après cette date;
Que, bien que la lettre de licenciement fasse état d'anomalies jusqu'en mars 1999, elle ne donne des exemples que pour l'année 1998; que, de même, le listing des anomalies relevées ne porte que sur 1998;
Qu'en conclusion, la société ne démontre pas qu'elle n'ait découvert les anomalies qu'après le 28 février 1999, et que les faits sont prescrits, le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse;
Qu'employé depuis plus de deux ans par une entreprise occupant habituellement au moins 11 salariés, les dommages et intérêts devant lui être alloués ne peuvent être inférieurs à six mois de salaire; que son préjudice moral et matériel sera évalué à 200 000 F;
Sur le rappel de salaire, et la demande reconventionnelle:
Que, selon l'article 3 du contrat, Monsieur Afchain avait droit à un traitement mensuel de base de 15 468,10 F par mois; qu'il devait percevoir en sus un pourcentage sur les ventes égal à 1% de 94 % du chiffre d'affaires net encaissé; qu'il était enfin précisé que "le pourcentage sera versé pour moitié à titre d'avance sur une éventuelle compensation financière d'indemnité de non concurrence, et pour l'autre moitié à titre de commission";
Que ces dispositions sont claires et ne nécessitent aucune interprétation, le pourcentage sur les ventes représentant pour moitié des commissions et pour moitié une avance sur une éventuelle compensation financière d'indemnité de non-concurrence;
Qu'il résulte des documents produits que ce pourcentage était de 408 703,53 F, dont 204 351,76 F de commissions, alors que Monsieur Afchain n'a perçu que 384 783 F, dont 192 391,50 F de commissions; que le rappel dû n'est que de 11 960,26 F, le surplus ne pouvant être alloué, l'avance précitée ne constituant pas une commission;
Qu'en revanche la demande de la société en répétition de l'indu doit être accueillie;
Qu'en effet, il est constant que la convention collective de l'ameublement, applicable en la cause alors que le statut des VRP ne l'est pas, ne comporte pas de compensation financière à une clause de non concurrence;
Qu'en outre ni l'article 3 du contrat, ni son article 6 (" la SA Courtanne Bois maintient la clause de non-concurrence, les parties conviennent d'appliquer la convention collective pour la règle d'indemnisation de ladite clause, sous déduction des avances versées chaque trimestre tel qu'indiqué à l'article 3 ") n'instituaient une telle contrepartie;
Que les sommes perçues à titre d'avance sur une compensation qui n'existe pas, n'ayant aucun fondement conventionnel ou contractuel, ne peuvent qu'être restituées à la société, pour un montant de 192 391,50 F;
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
Qu'il convient de confirmer l'allocation de 5 000 F à ce titre à Monsieur Afchain, et de rejeter les demandes complémentaires;
Sur les dépens:
Qu'ils seront partagés par moitié entre les deux parties;
Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevables les appels, principal et incident; Constate que l'allocation d'une somme de 30 528,96 F au titre de congés payés restant dus n'est pas critiquée en cause d'appel; Confirme le jugement du 29 septembre 1999 en ce qu'il a condamné la SA Courtanne Bois à payer à Monsieur Jean-Louis Afchain 82 996,68 F (quatre vingt deux mille neuf cent quatre vingt seize francs soixante huit centimes) d'indemnité de préavis, avec les congés payés afférents, et 5 000 F (cinq mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; L'infirmant sur le surplus; Condamne la SA Courtanne Bois à payer à Monsieur Jean Louis Afchain; 200 000 F (deux cent mille francs) de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 11 960,26 F (onze mille neuf cent soixante francs vingt six centimes) de rappel de commissions; 1 196,02 F (mille cent quatre vingt seize francs deux centimes) d'indemnité de congés payés sur cette somme; Déboute Monsieur Jean Louis Afchain du surplus de ses demandes, et le condamne à rembourser à la SA Courtanne Bois 192 791,50 F (cent quatre vingt douze mille trois cent quatre vingt onze francs cinquante centimes) d'avance sur contrepartie financière de clause de non concurrence; Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel; Dit que les dépens de première instance et d'appel seront partagés par moitié entre les deux parties.