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Décisions

Conseil Conc., 12 juin 1990, n° 90-A-09

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Avis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré en section sur le rapport de M. Weber, dans sa séance du 12 juin 1990, où siégeaient : M. Laurent, président ; MM. Béteille, Pineau, vice-présidents ; MM. Flécheux, Gaillard, Schmidt, membres

Conseil Conc. n° 90-A-09

12 juin 1990

Le Conseil de la concurrence,

Vu les lettres enregistrées le 12 mars 1990 et le 20 avril 1990 sous, respectivement, les numéros A 68 et A 72 par lesquelles le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, d'une double demande d'avis relative, d'une part, au rapprochement des activités commerciales des sociétés Générale sucrière, Commerciale Sucre Union et Sucre Union Distribution et, d'autre part, à la prise de participation de Compagnie française de sucrerie dans le capital de Sucre Union Holding ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application; Vu les pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les intéressés entendus, Retient les constatations (I) et adopte l'avis (II) ci-après exposés ;

1. CONSTATATIONS

Le dossier soumis à l'appréciation du Conseil de la concurrence concerne, d'une part, les sociétés Générale Sucrière, Commerciale Sucre Union et Sucre Union Distribution et, d'autre part, les sociétés Compagnie française de sucrerie et Sucre Union Holding.

Filiale de Saint Louis SLB, la société Générale sucrière est principalement engagée dans la production et la commercialisation de sucre et d'alcool de betterave ; elle raffine et distribue également du sucre de canne.

Filiale à 100 p. 100 de Sucre Union Holding, la société Commerciale Sucre Union commercialise les sucres industriels produits par dix-sept coopératives et sociétés anonymes (SICA sucrerie d'Arcis-sur-Aube, coopérative agricole de la sucrerie-distillerie d'Artenay, coopérative agricole d'Attin, coopérative agricole de Bazancourt, SA sucrerie de Berneuil-sur-Aisne, coopérative de Bourbon, SA sucrerie de Bray-sur-Seine, SA sucrerie et raffinerie de Bresles, SA sucrerie agricole de Colleville, coopérative agricole de Corbeilles-en-Gâtinais, sucreries du Nord-Est, coopérative de Lillers, SA sucrerie agricole de Maizy, SA sucrerie de Toury, SA sucrière et agricole de Vauciennes, coopérative agricole de Vic-sur-Aisne et SA Vermandoise industries). A la fin de l'année 1989 ces différentes coopératives et sociétés anonymes contrôlent à plus de 98 p. 100 le capital de Sucre Union Holding.

Pour sa part, la société Sucre Union Distribution commercialise le sucre de bouche produit par ses actionnaires à hauteur de 40 p. 100, elle est contrôlée par Commerciale Sucre Union; les sociétés SA sucrerie et raffinerie de Bresles, coopérative agricole de la sucrerie distillerie d'Artenay et Compagnie française de sucrerie se partagent le solde du capital.

Filiale de la Compagnie française de navigation mixte, la Compagnie française de sucrerie, simultanément engagée dans les productions de sucres industriels et de sucre de bouche, doit, à l'occasion d'une prochaine augmentation de capital, prendre une participation minoritaire dans le capital de Sucre Union Holding.

a) La double opération soumise à l'appréciation du Conseil de la concurrence concerne ainsi le secteur sucrier. Le fonctionnement de ce marché est soumis à un régime réglementaire particulier; il convient encore de tenir compte du fait que les productions sucrières traditionnelles sont désormais concurrencées par les produits sucrants issus de l'amidon et par les édulcorants non caloriques.

Depuis 1968, le secteur sucrier est soumis à une organisation européenne de marché. La politique commune engagée a visé à autoriser l'ajustement de la production sucrière européenne aux possibilités d'écoulement qu'offrent les marchés et à permettre des compensations entre les récoltes abondantes et les récoltes qui le sont moins. Destinée à remédier aux fluctuations des cours du sucre et à assurer un revenu équitable aux agriculteurs et aux entreprises sucrières, elle a également pour ambition de favoriser l'essor de pays en voie de développement engagés dans la production de sucre de canne.

En application de cette politique, chaque année, le conseil des ministres de l'agriculture de la Communauté fixe un prix d'intervention du sucre et le prix de la betterave qui en découle. Le prix d'intervention du sucre s'identifie â un prix minimum garanti. Le producteur qui ne parvient pas à trouver acquéreur à ce prix a la possibilité de vendre sa production à un organisme officiel, lequel est tenu de l'acheter au prix d'intervention. La garantie de prix s'applique à des quantités limitées et, depuis 1968, des contingents de production de sucre ont été attribués à chacun des Etats membres qui les répartissent entre les entreprises sucrières situées sur leurs territoires respectifs. Le prix mondial du sucre étant traditionnellement inférieur au prix communautaire d'intervention, les deux premiers règlements communautaires ont frappé une partie de la production (dite quota B) d'une " cotisation à la production " destinée à assurer le financement des exportations hors CEE; par ce biais, pour les quantités entrant dans les contingents de production, les producteurs sont assurés de bénéficier du prix d'intervention, que le sucre soit vendu sur le marché communautaire ou sur les marchés hors CEE. Selon les années la cotisation perçue s'est située entre 30 et 41,17 p. 100 du prix d'intervention communautaire ; la charge est partagée entre les planteurs de betterave et les sucreries selon la production 60-40. A l'époque, l'autre partie du contingent, encore dénommé quota A, échappe à cette taxation particulière. Mais, depuis 1981, par application successive des troisième et quatrième règlements, l'offre communautaire de sucre demeurant excédentaire alors que le prix mondial restait inférieur au prix d'intervention et toujours dans le but de financer les exportations hors CEE à ce prix, les productions relevant des quotas A et B ont été soumises à une taxation ; elle s'élève à 3,63 p. 100 du prix d'intervention pour le sucre produit au titre du quota A et à 41,13 p. 100 pour le sucre entrant dans le quota B. L'étendue des besoins financiers liés aux opérations d'exportation hors CEE est d'autant plus grande qu'à l'offre communautaire au titre des quotas A et B, se montant à 12,82 millions de tonnes, s'ajoute celle des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) de 1,3 million de tonnes ; conformément aux dispositions de la convention de Lomé cette offre complémentaire est acquise au prix d'intervention.

Par application du règlement sucrier actuellement en vigueur, les entreprises situées en France disposent d'un quota A s'élevant à 2,56 millions de tonnes ; un quota de 436 000 tonnes a été attribué aux entreprises des départements d'outre-mer. Les montants de quota B respectivement alloués à ces deux catégories d'opérateurs s'établissent à 759 230 et 46 600 tonnes. Ainsi, le quota B attribué aux entreprises métropolitaines correspond à 30 p. 100 de leur quota A ; pour les entreprises situées dans les départements d'outre-mer le quota B représente 10 p. 100 du quota A leur revenant. La part que représente le quota B par rapport au quota A est, s'agissant des pays de la Communauté, variable ; elle se situe entre 10 p. 100 (cas du Royaume-Uni) et 30,76 p. 100 (cas de l'Allemagne fédérale) ; pour l'ensemble des pays de la Communauté, le montant du quota B, qui s'élève à 2,28 millions de tonnes, représente 21,71 p. 100 du quota A. Dès lors le concours des entreprises au financement des exportations varie selon les pays. Cette circonstance est de nature à expliquer la disparité des prix constatée sur les marchés des différents pays européens. D'une manière générale c'est dans les pays pour lesquels les taux moyens pondérés de cotisation pèsent le plus sur les producteurs que les prix de marché sont les plus élevés.

Depuis quelques années les productions sucrières à base de betterave et de canne sont concurrencées par les produits issus de l'amidon (isoglucose, glucose, dextrose et sorbitol) et par les édulcorants non caloriques (aspartame, acé-sulfame et saccharines). Si la production européenne d'isoglucose est soumise à un contingentement analogue à celui qui prévaut pour le sucre, tel n'est pas le cas pour le glucose et les édulcorants issus de l'amidon et les édulcorants non caloriques. En 1988 ces produits, pour une très large part destinés à l'industrie, ont représenté 15 p. 100 de la consommation communautaire de sucre et autres édulcorants ; la diffusion de ces produits est beaucoup plus importante au Japon et aux Etats-Unis, où elle se monte respectivement à 36,6 et 45,6 p. 100. En France, la consommation industrielle correspondante est évaluée en 1988-1989 à 350 000 tonnes d'équivalent-sucre ; la consommation totale de sucre s'est alors élevée à 1,951 million de tonnes. La stagnation de la consommation globale de sucre enregistrée depuis une dizaine d'années en France, comme dans l'ensemble des pays européens, est en particulier expliquée par l'utilisation accrue du glucose dans les usages industriels. Jusqu'à présent la part représentée par les édulcorants non-caloriques dans la consommation de sucre est en revanche restée modeste ; elle est évaluée à 0,5 p. 100. Cette part est susceptible d'augmenter dans un proche avenir en raison des aménagements législatifs et réglementaires autorisant désormais l'utilisation de ces produits dans les productions alimentaires.

Ainsi, disposant d'un droit de production au titre des quotas A et B se montant à 3,3 19 millions de tonnes et enregistrant une consommation intérieure de 1,951 million de tonnes, les entreprises situées sur le territoire national sont tenues d'exporter. A hauteur de 70 p. 100, les productions entrant dans les quotas A et B sont exportées hors CEE Les ventes en question sont conclues sur la base du prix d'intervention, lequel, après avoir stagné au cours des campagnes 1984-1985 à 1988- 1989, a enregistré une baisse de 2 p. 100 pour la campagne 1989-1990. Ces ventes font l'objet d'adjudications organisées par les autorités communautaires et à l'issue desquelles des certificats d'exportation sont attribués aux producteurs ayant proposé le meilleur prix. Pour ces exportations, les producteurs perçoivent une restitution dont le montant maximum représente la différence entre le prix de vente et le prix d'intervention. Pour être sûrs d'être adjudicataires, les producteurs proposent leur meilleur prix, c'est-à-dire un prix inférieur au montant maximum de la restitution.

Un tel contexte explique les raisons pour lesquelles les fournisseurs préfèrent satisfaire la consommation nationale et la consommation européenne. Proposant des produits plus élaborés, ils sont en mesure d'obtenir des prix et une rémunération des capitaux investis plus attractifs. Mais encore faut-il que les entreprises soient compétitives. Les entreprises Générale sucrière, Commerciale Sucre Union, Sucre Union Distribution et Compagnie française de sucrerie voient précisément dans la double opération sous mise à l'examen du conseil le moyen d'améliorer leur efficacité relative et de remédier aux incertitudes pesant sur l'avenir de la politique communautaire dans le secteur sucrier.

b) Par un protocole d'accord conclu le 17 octobre 1989 et un avenant du 21 décembre suivant, les sociétés Commerciale Sucre Union, Sucre Union Distribution et Générale sucrière SA sont convenues de regrouper leurs activités de distribution des sucres de bouche et industriels dans une société commune, Eurosucre SNC. La mesure a pris effet à partir du 1er janvier 1990. Le protocole d'accord a également prévu la création d'Eurosucre SA pour gérer la société commune.

Faute d'avoir pu apporter l'intégralité de leurs fonds de commerce à Eurosucre SNC, des contrats de location-gérance ont été conclus entre Eurosucre SNC, Générale sucrière, Sucre Union Distribution et Commerciale Sucre Union, Il résulte de ces contrats qu'Eurosucre SNC dispose de l'intégralité des fonds de commerce (marques, contrats, matériels, clientèle) relatifs à l'activité de distribution des sucres de bouche et industriels des sociétés Générale sucrière, Sucre Union Distribution et Commerciale Sucre Union sur le territoire de la CEE Un contrat analogue doit être conclu entre Eurosucre SNC et Compagnie française de sucrerie. Actuellement, Générale sucrière détient 65 p. 100 du capital d'Eurosucre SNC et Commerciale Sucre Union 35 p. 100. A partir du 1er juillet 1990, ces pourcentages doivent être modifiés pour tenir compte de l'entrée de Compagnie française de sucrerie dans Sucre Union Holding.

Confiant la distribution de leurs productions à Eurosucre SNC, les parties se sont engagées " à ne pas commercialiser de produits et spécialités de bouche et industriels sur le territoire (de la CEE), ni directement ni indirectement, à d'autres personnes physiques ou morales que la société commune Eurosucre ". Entré en application le 1er janvier 1990, s'agissant des sociétés Générale sucrière, Sucre Union Distribution et Commerciale Sucre Union, l'accord doit s'appliquer à Compagnie française de sucrerie à partir du 1er juillet 1990. Il est prévu que les sucreries fournissant les sociétés Commerciale Sucre Union et Sucre Union Distribution concluent avec ces dernières des accords de fourniture exclusive, que Commerciale Sucre Union (agissant également pour le compte de Sucre Union Distribution), Générale sucrière et Compagnie française de sucrerie établissent des accords analogues avec Eurosucre SNC.

Eurosucre SNC, déterminant en mai et juin de chaque année ses prévisions de vente en volume par article pour la France et les autres pays de la Communauté, doit durant le même temps définir les quantités que chacune des parties aux accords de 1989 et de 1990 (Générale sucrière, Commerciale Sucre Union, Sucre Union Distribution et Compagnie française de sucrerie) est appelée à offrir à l'occasion de la future campagne. Sur la base des quantités allouées, il revient à Commerciale Sucre Union et à Sucre Union Distribution de répartir les quantités que chacun des actionnaires doit proposer.

A défaut d'accord entre les parties quant aux volumes qu'elles sont invitées à livrer à la société commune, l'article 8 stipule que Eurosucre SNC " devra être livrée, à titre conservatoire, des quantités qu'elle aura arrêtées unilatéralement conformément à ses prévisions de vente ". En cas de différend sur la quantité d'un article à fournir entre la société commune et Générale sucrière, Commerciale Sucre Union ou Compagnie française de sucrerie, ce même article prévoit que " les parties détermineront la différence absolue entre, d'une part, le rapport de la quantité demandée par la partie en désaccord sur la quantité arrêtée à titre conservatoire et, d'autre part, le rapport du volume du marché de l'année en cours sur le territoire (CEE) sur celui de l'année précédente ". En fonction de cette différence, ou bien l'entreprise requérante perçoit de la société commune une "indemnité ", ou bien elle est tenue de lui payer une " pénalité ".

L'article II des accords de fourniture stipule encore que le non-respect, par l'une des parties invitées à fournir Eurosucre SNC, de l'un quelconque de ses engagements au titre du contrat doit entraîner le paiement immédiat de la somme d'un million de francs à titre d'indemnité au profit de l'autre partie et " ce indépendamment du préjudice effectivement subi par l'autre partie, qu'elle pourra réclamer dès qu'il sera déterminé ".

Les contrats stipulent aussi que Eurosucre SNC adresse chaque année à Générale sucrière, Commerciale Sucre Union et Compagnie française de sucrerie un avis d'appel d'offres. Les parties sont alors invitées à donner pour chacun des produits leurs meilleurs prix sur la base du prix d'intervention communautaire majoré de la cotisation de stockage et de certains coûts de commercialisation. Eurosucre SNC est alors tenue d'informer les entreprises des offres proposées et, article par article, retient l'offre du moins-disant comme prix d'achat.

Enfin, l'article 13 des statuts d'Eurosucre SNC définit une notion de marge nette qui conditionne le montant des bénéfices attribués aux associés. La marge nette réalisée par la société commune sur les produits fournis par un associé est déterminée produit par produit ; elle est constituée par le prix de vente à la clientèle diminué du prix d'achat, c'est-à-dire du prix d'appel d'offres du moins disant, des frais généraux et des coûts de commercialisation. Pour autant que les quantités cédées par Générale sucrière et Commerciale Sucre Union ou Compagnie française de sucrerie à Eurosucre SNC soient, s'agissant d'un article donné, identiques, le mécanisme revient à définir un même montant de marge nette susceptible d'être attribué à chacun des participants.

Le bénéfice distribuable constitué du bénéfice net de l'exercice diminué des pertes antérieures et des sommes portées en réserve et augmenté du report bénéficiaire est, à hauteur de 75 p. 100, réparti entre les associés au prorata de la marge nette réalisée par la société sur les articles fournis ; pour le solde, le bénéfice distribuable est réparti entre les associés au prorata de leur participation au capital.

C) Au total, Eurosucre SNC, s'approvisionnant de manière exclusive auprès des sociétés Générale sucrière, Commerciale Sucre Union, Sucre Union Distribution et Compagnie française de sucrerie, assure la vente de ceux des produits de ces sociétés qui sont destinés à l'ensemble du marché communautaire. Son pouvoir de marché découle des quotas attribués à chacun des partenaires et des conditions dans lesquelles ceux-ci assurent éventuellement des opérations de raffinage de sucre de canne ou des opérations d'achat et de revente de sucre produit par d'autres fournisseurs nationaux.

En ce qui concerne les quotas A et B, Générale sucrière détient 15,87 p. 100 du montant total attribué aux producteurs métropolitains ; les parts des sociétés et coopératives regroupées dans Sucre Union Holding et de Compagnie française de sucrerie s'élèvent respectivement à 26,62 et 7,96 p. 100. De son côté, la société Béghin-Say détient 30,30 p. 100 des quotas A et B et la part revenant aux autres producteurs s'établit à 19,25 p. 100. La société Béghin-Say, contrôlée par le groupe italien Ferruzzi, intervient par ailleurs sur le marché des édulcorants issus de l'amidon ; sa part y est évaluée aux alentours de 25 p. 100 de la consommation nationale.

Pour ce qui est des parts de marché, en 1989 Générale sucrière, qui procède à des opérations de raffinage de sucre de canne et acquiert du sucre auprès d'autres fournisseurs nationaux indépendants, contribue à hauteur de 34,78 p. 100 à la consommation française de sucre de bouche ; l'offre de Sucre Union Distribution s'établit à 14,66 p. 100. S'agissant des sucres industriels, l'offre des sociétés Générale sucrière, Commerciale Sucre Union et Compagnie française de sucrerie s'élève respectivement à 17,08, 27,61 et 9,36 p. 100. Toutes choses égales par ailleurs, Eurosucre SNC contribuerait ainsi à plus de 49 p. 100 à la consommation intérieure française de sucre de bouche et à 54 p. 100 à la consommation nationale de sucres industriels. Pour le reste, les importations étant résiduelles, la consommation nationale est assurée par Béghin-Say contrôlant 40 p. 100 du marché du sucre de bouche et 25 p. 100 du marché des sucres industriels et par d'autres entreprises de dimension modeste.

Dans la période récente les opérateurs intervenant sur le marché sucrier français ont, dans la limite du prix d'intervention communautaire, adopté des politiques de prix indépendantes. En particulier, ils ont sensiblement accru le montant de leurs concessions commerciales tant vis-à-vis des acheteurs industriels que vis-à-vis des centrales d'achat des commerces de grande surface et leurs parts de marché ont évolué. De 1983-1984 à 1987-1988, globalement, la société Béghin-Say a gagné 2,14 points de part de marché tandis que les sociétés Générale sucrière et Sucre Union Distribution ont respectivement perdu 3,70 et 2,29 points. Sur le seul marché des sucres industriels représentant près de 70 p. 100 de la consommation nationale, au cours de la même période, le gain de part de marché de Béghin-Say se monte à 6,10 points et les pertes cumulées de Générale sucrière, Commerciale Sucre Union et Compagnie française de sucrerie atteignent 12,16 points.

II. À LA LUMIÈRE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Considérant que les demandes d'avis enregistrées sous les numéros A 68 et A 72 sont relatives aux deux phases d'une même opération de concentration ; qu'il y a lieu d'apprécier les effets économiques de celle-ci dans son ensemble et, dès lors, de formuler un avis unique;

Sur la procédure:

Considérant que les sociétés Eurosucre, Générale sucrière, Commerciale Sucre Union et Sucre Union Distribution font valoir que la première partie de l'opération de concentration soumise à l'examen du Conseil de la concurrence, laquelle a trait au rapprochement des activités commerciales des sociétés Générale sucrière, Commerciale Sucre Union et Sucre Union Distribution, bénéficie d'une décision tacite d'acceptation du fait de l'expiration du délai de deux mois imparti au ministre chargé de l'économie par l'article 41 de l'ordonnance de 1986 susvisée pour saisir, s'il le juge utile, le Conseil de la concurrence ; qu'elles exposent notamment que le ministre, en accusant réception du dossier, a fixé le point de départ dudit délai au 13 janvier 1990 et que, par voie de conséquence, une décision tacite d'acceptation était acquise le 13 mars suivant ;

Mais considérant que la mission impartie au Conseil de la concurrence en matière de concentration économique est strictement déterminée par les dispositions de l'article 41 de l'ordonnance; que dès lors il n'appartient pas au conseil de statuer sur la question de droit sus analysée, alors surtout que les sociétés intéressées ont saisi la juridiction administrative d'un recours dirigé contre la lettre du 12 mars 1990, reçue par elles le 14 mars, par laquelle le ministre leur a fait connaître qu'il saisissait le Conseil de la concurrence ;

Sur le fond:

Considérant, d'une part, que la double opération de concentration décrite à la partie I du présent avis a pour objet et pour effet de confier à la société Eurosucre SNC la commercialisation, sur le marché national et le marché européen, de la production des sociétés Générale sucrière, Commerciale Sucre Union, Sucre Union Distribution et Compagnie française de Sucrerie ;

Considérant, d'autre part, que les sociétés Générale sucrière, Commerciale Sucre Union, Sucre Union Distribution et Compagnie française de sucrerie détiennent ensemble, sur les marchés des sucres de bouche et industriels, des parts en valeur relative supérieures aux seuils fixés au deuxième alinéa de l'article 38 de l'ordonnance de 1986 susvisée, et évaluées à 49 p. 100 pour le sucre de bouche et à 54 p. 100 pour les sucres industriels ; que de ce seul fait l'opération de concentration soumise à l'examen du conseil entre dans le champ d'application du deuxième alinéa de l'article 38 précité ;

Considérant que la mission du Conseil de la concurrence telle qu'elle est définie en la matière par l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 consiste à apprécier les atteintes à la concurrence pouvant éventuellement résulter de la concentration et de la contribution que celle-ci peut apporter au progrès économique, en tenant compte de la compétitivité des entreprises au regard de la concurrence internationale ;

Considérant que l'opération examinée, qui, notamment, procure à Eurosucre SNC d'importantes parts de marché, présente le risque d'affecter l'exercice de la concurrence sur le marché national en raison, en particulier, de la puissance de vente qu'elle confère; que, certes, la politique de prix susceptible d'être adoptée par Eurosucre SNC peut se heurter, d'une part, à la puissance de certains acheteurs (84 p. 100 des sucres de bouche offerts par Eurosucre SNC sur le marché français sont achetés par dix acquéreurs) et, d'autre part, aux stratégies des autres opérateurs intervenant sur le marché français; que, néanmoins, l'exercice de la concurrence est nécessairement limité tant en raison du système des quotas que du mécanisme du prix d'intervention découlant l'un et l'autre de la réglementation communautaire; qu'en raison de cette réglementation les entreprises ne sont pas incitées à engager des luttes de prix qui risqueraient de réduire leurs taux de profit, dès lors qu'elles ne peuvent accroître leur offre au-delà du quota qui leur est attribué; que les atteintes à la concurrence résultent encore du fait que les importations sont limitées et que la réglementation communautaire, figeant la structure de la production, interdit l'entrée à tout nouvel opérateur;

Considérant que pour apprécier si, en l'espèce, la concentration apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence il importe de tenir compte des conditions particulières de la compétition sur le marché dont s'agit ;

Considérant que le secteur sucrier traditionnel est menacé par le développement de la consommation des produits de substitution ; qu'en particulier les édulcorants issus de l'amidon, et notamment le glucose, sont substituables aux sucres industriels et très compétitifs en raison de leurs prix de vente moins élevés car non soumis aux contraintes de la politique agricole commune ; que l'on a enregistré depuis la campagne 1985-1986 le déclin du prix relatif des prix d'intervention ; que les négociations engagées au titre du GATT risquent de modifier sensiblement le régime de la protection communautaire; qu'il ressort d'études actuellement en cours que les prix CEE pourraient devenir plus sensibles aux variations enregistrées sur les cours mondiaux ; que, dans ce contexte, bon nombre d'entreprises européennes se sont attachées, par le biais d'opérations de croissance externe, à accroître leurs parts de marché; que British Sugar contrôle au Royaume-Uni 100 p. 100 du quota alloué à ce pays; qu'une concentration identique s'observe en Grèce, en Irlande et au Danemark ; qu'en Belgique, Allemagne fédérale, Espagne et Italie les principaux producteurs détiennent entre 40 p. 100 et 73 p. 100 des quotas attribués;

Considérant qu'Eurosucre SNC a pour mission de répartir les quantités demandées à chacun des partenaires en fonction notamment de l'implantation géographique des sucreries, de leur spécialisation et de leur productivité que, de ce fait et par le moyen de la procédure des appels d'offres définie dans les contrats, elle est à même, d'une part, d'obtenir des conditions d'achat favorables et, d'autre part, d'orienter les politiques de production des entreprises parties à la concentration vers les segments de marché où elles sont le plus compétitives; que la faculté dont dispose Eurosucre de favoriser et d'organiser des transferts de quotas lui permet de mettre en œuvre des mesures de rationalisation de la production ; que la constitution d'un organe commun de vente doit entraîner des économies sur les coûts de distribution, qui peuvent également contribuer à la réduction des prix de vente;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'opération soumise à examen est propre à placer la société Eurosucre et les entreprises parties à la concentration dans une position de compétitivité améliorée sur le marché intérieur et sur le marché européen; que ces avantages sont de nature à compenser les limitations de concurrence par les prix ci-avant mentionnées;

Est d'avis

Qu'il n'y a lieu, du point de vue des critères fixés par l'article 41 de l'ordonnance de 1986 susvisée, ni de faire opposition au rapprochement des activités commerciales des sociétés Générale sucrière, Commerciale Sucre Union et Sucre Union Distribution et à la prise de participation de Compagnie française de sucrerie dans le capital de Sucre Union Holding ni de subordonner cette opération à des conditions particulières.