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Décisions

CA Metz, ch. civ., 5 novembre 1991, n° 1459-88

METZ

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lorraine pour l'Equipement des Ménages Conforama (SA)

Défendeur :

Bruno, UFCS

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Perrin

Conseillers :

MM. Lebrou, Gérard

Avocats :

Mes Reiss, Poujol, Bagoudou.

TI Metz, du 30 janv. 1990

30 janvier 1990

FAITS ET PROCEDURE

Le 12 janvier 1988, M. Pascal Bruno a passé commande au magasin Conforama de Jouy aux Arches de divers meubles, dont une armoire en chêne dite "Marylin", au prix de 11 775 F. Le document fixait le délai probable de livraison au 2 mars 1988 et la lettre recommandée avec accusé réception du 18 avril 1988, M. Bruno a mis en demeure le vendeur de lui livrer l'armoire dans le délai d'un mois la livraison est intervenue le 22 avril suivant :

- la suite de l'assignation diligentée par M. Bruno et de l'intervention de l'Union féminine civique et sociale (UFCS) le Tribunal d'instance de Metz a, par jugement du 30-01-1990 :

- déclaré abusive la clause des conditions générales de vente de Conforama relative aux délais de livraison et l'a réputée non écrite ;

- condamné Conforama à payer à M. Bruno la somme de 750 F en réparation de son préjudice résultant du retard de livraison, la somme de 500 F à titre de dommages et intérêts, et la somme de 1 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- enjoint Conforama de supprimer la clause incriminée dans le contrat-type propose à sa clientèle et de le mettre en conformité avec la recommandation n° 80-06 du 16-11-1980 de la Commission des clauses abusives sous astreinte de 500 F par jour de retard ;

- condamné Conforama à payer à l'UFCS la somme de 1 500 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Pour statuer ainsi le premier juge s'est référé à l'article 35 de la loi n° 78-22 du 10-01-1978, à l'article 2 du décret n° 78-464 du 24-03-1978 et aux articles 1610 et 1611 du Code civil, et il a considéré que l'indication d'un délai de livraison probable conférait au vendeur professionnel un avantage excessif en lui laissant en fait l'appréciation de ce délai, que l'exigence d'une mise en demeure offrait au vendeur un nouveau laps de temps ne faisant qu'aggraver pour le client les conséquences d'un engagement limité à une probabilité, et que la réduction du droit à réparation de l'acquéreur à la résiliation de la vente et à la restitution de l'acompte ou des arrhes versés constituait une violation des articles 1610 et 1611 du Code civil. Il a estimé ensuite que le retard de livraison de I'armoire et les démarches effectuées par M. Bruno pour obtenir réparation justifiaient l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 15 F par jour pour le retard et de 500 F pour les démarches ;

Il a enfin admis la recevabilité de l'intervention de l'UFCS, en raison de son agrément par arrête du 31-01-1986, sur la base de l'article 1er de la loi n° 83-14 du 05-01-1988, et son bien fondé sur le fondement des articles 3 et 6 de ladite loi ;

Par déclaration remise le 2 mars 1990, la SA société Lorraine pour l'Equipement des Ménages Conforama a régulièrement interjeté appel de ce jugement ;

Elle conclut à son infirmation, au débouté de M. Bruno et de l'UFCS et à leur condamnation aux dépens ;

Elle soutient que l'article 1610 du Code civil laisse aux parties la liberté de fixer la date de livraison et qu'en l'espèce, M. Bruno a accepté reconventionnellement "le délai probable" stipulé dans le bon de commande ; que le délai n'est pas laissé à l'appréciation du vendeur puisque celui-ci doit respecter un délai de un mois dès qu'il est mis en demeure ; que la clause critiquée ne lui confère pas d'avantage excessif et ne traduit pas un abus de sa puissance économique dès lors qu'elle a respecté les conditions générales de vente acceptées par M. Bruno en le livrant avant l'expiration du délai de un mois après la mise en demeure ; que cette clause qui confère à l'acheteur la liberté de résilier la vente s'il n'est pas livré dans le mois de la mise en demeure a pour effet de le protéger ; que le retard de livraison ne lui est pas imputable mais est le fait du fabricant et que la livraison est intervenue dans un délai raisonnable ; que le droit à réparation de l'acheteur n'est pas supprimé ou réduit puisque celui-ci peut réclamer des dommages et intérêts en vertu de l'article 1611 du Code civil dont l'application n'est pas exclue par les conditions générales, qu'enfin M. Bruno a bénéficié d'une livraison gratuite et que son préjudice n'est pas établi;

M. Bruno et l'UFCS concluent à la confirmation du jugement, sauf à parfaire les montants alloués soit la somme de 10 000 F à l'UFCS et celle de 3 000 F à M, Bruno, et à la condamnation de Conforama à payer la somme de 2 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Ils font valoir que le caractère indicatif du délai aboutit à reconnaître une condition potestative au profit du vendeur professionnel et à lui laisser l'appréciation du délai de livraison ce qui confère à la clause considérée un caractère abusif de telle sorte qu'elle doit être réputée non écrite et que l'acquéreur doit obtenir réparation du préjudice subi du tait du retard de livraison ;

MOTIFS

Sur la demande de M. Bruno

Attendu que l'article 35 de la loi n° 78 23 du 10 janvier 1078 dispose que peuvent être interdites par décret pris en conseil d'Etat les clauses (les contrats conclus entre professionnels et consommateurs relatives à la livraison de la chose, à l'étendue des responsabilités, aux conditions de résolution, lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif, et que de telles clauses sont réputées non écrites; que l'article 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978 pris en application de cette loi énonce qu'est interdite la clause avant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ;

Attendu que le bon de commande signé le 12-01-1988 par M. Bruno prévoyait un " délai probable " de livraison du 02-03-1988 ; que les conditions générales de vente stipulent que les délais de livraison ne sont donnes qu'a titre indicatif et d'un retard dans la livraison ne peut constituer une cause de résiliation de la commande ; qu'elles stipulent encore que si l'acheteur n'est pas livré à la date revue il garde la faculté de mettre en demeure le vendeur d'avoir à livrer au lus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception d'une lettre recommandée avec accusé réception et que à défaut de livraison dans ce délai la rente se trouvera alors résiliée et/le vendeur devra restituer à l'acheteur les arrhes ou acomptes reçus; qu'il est encore précisé que "de même aucune indemnité ne pourra être réclamée si une marchandise ne peut être livrée dans les cas suivants " :

- arrêt imprévu de fabrication,

- conditions de paiement non observées par l'acheteur,

- défaut de renseignements pour l'exécution de la commande,

- fait du prince, grève, accident, incendie, catastrophe naturelle, guerre civile ou étrangère, émeute, impossibilité de s'approvisionner en toute autre cause indépendante de la volonté du vendeur ;

Qu'il découle de ces énonciations d'une part que le délai de livraison n'est qu'indicatif et qu'il ne devient impératif pour le vendeur qu'après mise en demeure avec un délai supplémentaire de un mois, d'autre part que le retard de livraison n'ouvre pas droit à indemnité pour l'acheteur et qu'en cas de résiliation seuls les arrhes ou l'acompte sont restitués ;

Attendu qu'ainsi posées ces conditions générales de vente doivent être considérée comme abusives dans la mesure où elles sont imposées au consommateur qui ne peut les discuter et procurent au vendeur un avantage excessif puisqu'elles ont pour effet d'une part de laisser à son appréciation le délai de livraison en lui permettant de livrer, sans conséquence pour lui, à n'importe quelle date comprise entre le jour de la commande et le jour d'expiration du délai de un mois suivant la mise en demeure adressée par l'acheteur, soit en l'espèce au minimum deux fois et 20 jours (12-01-1988 - 02-03-1988 - 03-04-1988), et d'autre part de supprimer le droit à réparation de l'acheteur tel qu'il est prévu par l'article 1611 du Code civil en cas de défaut de délivrance au terme convenu; qu'en outre, lesdites clauses doivent être réputées non écrites et inopposables à M. Bruno qui est donc en droit de prétendre à des dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du retard de livraison sans qu'il soit nécessaire de répondre aux arguments de l'appelante selon lesquels la livraison est intervenue dans un délai raisonnable, en exécution des conditions acceptées par l'acquéreur et avec un retard du à des problèmes de fabrication, observation étant faite sur ce dernier point qu'il lui appartenait de prévoir les difficultés d'approvisionnement avec son fournisseur lors de la commande ;

Attendu que la date de livraison de l'armoire était le 2 mars 1988 ; qu'elle a été livrée le 22 avril 1988, soit un mois et 20 jours après la date prévue ; que M. Bruno à incontestablement subi un préjudice du fait de ce retard puisqu'il à du ranger ses vêtements dans des cartons ainsi que le confirment deux témoins dont il à produit les attestations qu'en outre il a dû effectuer des démarches auprès de Conforama pour tenter d'obtenir réparation ; qu'il y à lieu de confirmer le jugement déféré qui lui a alloué la somme de 1 250 F à titre de dommages et intérêts ;

Sur l'intervention de l'UFCS :

Attendu que l'UFCS a obtenu l'agrément pour exercer l'action civile dans le cadre des dispositions de l'article 46 de la loi n° 73 1193 du 27 décembre 1973 l'orientation du commerce et de l'artisanat, pour une période de cinq ans à compter du 12 septembre 1985, selon un arrêté du Garde des Sceaux, ministre de la Justice du 31 janvier 1986 (JO du 8 février 1986) ; qu'il s'agit d'une association régulièrement déclarée ;

Que par suite elle est recevable et fondée à intervenir et à demander la suppression sous astreinte de la clause abusive ci-dessus analysée dans les modèles de conventions habituellement proposés par Conforama à ses clients en application des articles 3 et 6 de la loi n° 88 14 du 5 janvier 1988 ;

Attendu que le préjudice subi par l'ensemble des consommateurs dont l'UFCS prend la défense a été justement apprécié par le premier juge à la somme de 1 500 F ; que le jugement entrepris mérite également confirmation de ce chef ;

Attendu qu'outre les dépens l'appelante doit supporter les frais non répétibles exposés par les intimés qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge à concurrence de la somme de 2 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement ; Reçoit l'appel de la société Lorraine pour l'équipement des ménages Conforama en la forme ; Au fond, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne l'appelante aux dépens et à paver aux intimés la somme de 2 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.